4. Une disposition controversée : le recours à des tests ADN pour prouver la filiation d'un demandeur de visa de long séjour pour raison familiale
A l'initiative du rapporteur de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a inséré un article 5 bis autorisant un demandeur de visa de long séjour pour raisons familiales à prouver au moyen d'un test ADN sa filiation avec un de ses parents lorsque ce demandeur est ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences.
Cet amendement très controversé est parti d'un constat : dans de nombreux Etats, la fraude documentaire, et en particulier la fraude à l'état civil, est endémique 6 ( * ) . Les services consulaires y sont confrontés à des difficultés extrêmes pour s'assurer de l'existence ou de l'authenticité d'un acte d'état civil étranger.
Le législateur a tenté d'apporter plusieurs réponses législatives avec la loi n° 2003-1119 du 20 novembre 2003, puis la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages. Celle-ci permet à l'autorité consulaire en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte d'état civil étranger de procéder aux vérifications utiles pour lever ou confirmer la suspicion de fraude pendant huit mois. Au terme de ce délai, le silence vaut rejet de la demande de visa 7 ( * ) .
Toutefois, cette procédure nécessaire a pour effet de retarder considérablement la délivrance des visas de long séjour aux demandeurs de bonne foi victimes d'une défaillance de l'état civil de leur pays dont ils ne sont nullement responsables. En cas d'inexistence de l'état civil, il peut même être impossible de prouver une filiation sans recourir à des procédures complexes de preuve prévues par notre droit pour assurer la sécurité juridique nécessaire dans un Etat de droit.
Pour sortir de cette impasse, les députés proposent donc de recourir à des tests ADN.
Votre commission estime toutefois que la banalisation du recours au test ADN dans les conditions prévues au présent article heurterait plusieurs principes de notre droit et remettrait en cause des équilibres patiemment construits. De telles dispositions ne peuvent être introduites sans réflexion préalable sur leur place au regard des principes retenus par notre pays tant en matière de filiation qu'en matière de tests génétiques, au détour d'une navette parlementaire, a fortiori l'urgence ayant été déclarée.
Notre droit de la famille, et de la filiation en particulier, ne repose pas sur la biologie. Sans même parler de l'adoption, il est possible de reconnaître et d'élever un enfant qui n'est pas biologiquement le sien. Dans ces cas, le test ne pourrait s'appliquer, ce qui risquerait d'introduire une inégalité de traitement entre demandeurs.
Il faut également songer au cas, qui ne manquera pas de se produire, d'un demandeur de bonne foi qui découvrira à cette occasion ne pas être le père biologique de son enfant. Des familles seront ainsi détruites, des enfants rejetés. Dans certaines cultures, les conséquences pour les femmes, dont la grossesse a pu être le résultat de violences subies en l'absence du mari, ont-elles bien été pesées ? Ces aspects sociologiques et culturels mériteraient sans doute à eux seuls de faire précéder une telle modification d'une concertation préalable avec les pays d'origine et nos consulats.
Plus juridiquement, les lois « bioéthique » de 1994 et 2004 8 ( * ) encadrent très rigoureusement les conditions dans lesquelles il peut être procédé à l'identification d'une personne au moyen de ses empreintes génétiques. Cela n'est possible qu'à des fins médicales ou de recherches scientifiques ou dans le cadre d'une procédure judiciaire, civile ou pénale 9 ( * ) . Or, le texte de l'Assemblée nationale permettrait de recourir aux tests ADN dans un cadre purement administratif. Il remet en cause un équilibre législatif prudemment élaboré au cours de plus de trois années de débat et conforme à nos traditions. En effet, celles-ci diffèrent en l'espèce de celles des exemples étrangers qui ont pu être cités à l'appui de l'amendement de l'Assemblée nationale, sans qu'une véritable étude de droit comparé ait été menée.
Enfin, quel serait l'effet d'une telle dérogation aux règles du code civil en matière de droit de la filiation ? La preuve par l'ADN en dehors du cadre judiciaire donnerait-elle pour autant autorité aux agents diplomatiques et consulaires pour établir une filiation erga omnes ?
Le Gouvernement a souhaité sous-amender le texte proposé par le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Bien qu'il ait apporté des garanties nouvelles importantes, celles-ci restent insuffisantes.
Au vu de l'ensemble de ces interrogations complexes, votre commission a constaté qu'une réflexion était nécessaire et que la voie de l'expérimentation ne paraissait pas appropriée dans ce cas. Elle a constaté que la loi d'août 2004 relative à la bioéthique prévoyait son évaluation par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dans un délai de quatre ans et son réexamen par le Parlement dans un délai de cinq ans. Ces deux rendez-vous pourraient être l'occasion de mener sereinement une telle réflexion.
En conséquence, votre commission vous propose de supprimer l'article 5 bis .
* 6 Voir notamment le rapport d'information n° 439 (2004-2005) « Identité intelligente et respect des libertés » de notre collègue Jean-René Lecerf au nom de la commission des lois du Sénat ainsi que le rapport n° 300 (2005-2006) de la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine ainsi que le rapport d'information n° 353 (2006-2007) « Trouver une issue au casse-tête des visas » de notre collègue Adrien Gouteyron au nom de la commission des finances du Sénat.
* 7 Article 22-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
* 8 Loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
* 9 Les tests ADN ne peuvent être utilisés que dans un cadre judiciaire, au fin de l'établissement ou de la contestation d'un lien de filiation.