III. DANS LE MONDE : DES PROGRÈS CONSTANTS ET IRRÉVERSIBLES

La dynamique européenne s'inscrit dans un mouvement plus large qui la comprend et la dépasse : l'abolition a connu une irrésistible progression à travers le monde.

Ce mouvement, comme en Europe, influence le droit international dont, en retour, les évolutions confortent l'abolitionnisme et lui donnent les assises nécessaires pour connaître un rayonnement encore plus grand.

A. L'ABOLITION : UNE NORME JURIDIQUE DU SYSTÈME INTERNATIONAL

Hors l'Europe, il n'existe d' accord régional concernant l'abolition de la peine de mort qu'en Amérique latine. Il est vrai que cette partie du continent peut se prévaloir d'une antériorité certaine dans l'abolition : ainsi du Vénézuéla qui, dès 1863, abolit la peine capitale dans tous les cas, bientôt rejoint à la fin du XIX e siècle par la plupart des autres Etats latino américains.

La convention américaine relative aux droits de l'homme du 22 novembre 1969 stipule, à l'article 4, que la « peine de mort ne sera pas rétablie dans les Etats qui l'ont abolie ». Adopté en 1990, un protocole à la convention prévoit l'abolition totale de la peine de mort mais autorise cette peine en temps de guerre à condition que les Etats parties aient formulé une demande en ce sens au moment de la ratification ou de l'adhésion 11 ( * ) .

Les progrès de l'abolition ne pouvant seulement procéder de la juxtaposition nécessairement longue et complexe d'accords régionaux, elle appelle des engagements internationaux de portée universelle.

Les premiers jalons ont été posés par le droit humanitaire. Ainsi, aux termes de la Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, la peine de mort ne peut être appliquée aux mineurs de vingt ans 12 ( * ) .

Adopté le 16 décembre 1966, sous les auspices des Nations unies, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques présente une portée plus large. Son article 6 rappelle le droit de toute personne à la vie -déjà proclamé par la Déclaration universelle des droits de l'homme 13 ( * ) - et limite la peine de mort aux « crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis ». Il interdit que la peine de mort puisse être imposée aux personnes âgées de moins de dix-huit ans et exécutée contre des femmes enceintes . Par ailleurs, tout condamné à mort se voit reconnaître le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine et, dans tous les cas, celles-ci peuvent lui être accordées.

En outre, il n'est pas possible de déroger aux obligations fixées par l'article 6 même lorsqu'« un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation ».

Enfin, ces dispositions s'inscrivent dans la perspective d'une abolition totale de la peine de mort. A cet égard, les termes du dernier alinéa de l'article 6 ne laissent aucun doute sur l'intention des Parties : « Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l'abolition de la peine capitale par un Etat partie au présent Pacte ».

Cette volonté abolitionniste se manifeste pleinement dans le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Ce texte, rappelons-le, autorise la peine de mort, pour les seuls Etats ayant formulé une réserve en ce sens lors de la ratification ou de l'adhésion, « en temps de guerre à la suite d'une condamnation pour un crime de caractère militaire, d'une gravité extrême, commis en temps de guerre » 14 ( * )

Sans doute, l'absence d'institution à caractère juridictionnel destinée à veiller au respect de ces engagements limite-t-elle la portée des dispositions du protocole. Cependant, si un Etat a accepté, dans le cadre du Pacte de 1966, la compétence du Comité des droits de l'homme pour recevoir ou examiner les communications dans lesquelles un Etat soutient qu'un autre Etat partie ne respecte pas ses obligations, la compétence ainsi reconnue au comité vaudra également pour le deuxième Protocole -à moins que l'Etat ne fasse une déclaration en sens contraire au moment de la ratification. De même, le premier protocole facultatif a ouvert un droit de recours individuel devant le Comité des droits de l'homme qui s'applique également pour le deuxième protocole, à moins que l'Etat ait, ici encore, présenté une déclaration en sens contraire.

Par ailleurs, la portée du Pacte a été renforcée par l'adoption le 20 novembre 1989 de la Convention des droits de l'enfant qui prévoit l'interdiction pour tout Etat de prononcer « la peine capitale et l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans » (article 37). A ce jour, 192 pays, à l'exception notable des Etats-Unis, ont ratifié cette convention.

Ces évolutions juridiques sont intervenues dans un contexte favorable à l'abolition dont témoignent aussi les résolutions de l'assemblée générale des Nations Unies. L'une des plus marquantes, la résolution n° 2857 du 20 décembre 1972 affirme, dans une démarche commune avec le Conseil économique et social (ECOSOC), « que le principal objectif à promouvoir est de restreindre progressivement le nombre des crimes pour lesquels la peine capitale pourrait être imposée, l'objectif souhaitable étant l'abolition totale de cette peine dans tous les pays de façon que le droit à la vie, prévu à l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme puisse être pleinement garanti ».

La prohibition de la peine de mort est devenue une référence du système juridique international . A l'heure où cette communauté de valeurs s'exprime par l'institution d'une justice internationale, il est très révélateur que ni les tribunaux créés par les Nations unies pour une zone géographique déterminée 15 ( * ) , ni la Cour pénale internationale, institué par le traité de Rome du 18 juillet 1998, n'aient prévu la peine de mort.

Bien que la Cour pénale internationale soit appelée à connaître des crimes les plus graves (crimes de génocides, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crimes d'agression), la peine de mort a été explicitement écartée lors des négociations. Le traité a retenu comme plus lourde peine l'emprisonnement à perpétuité, si l'extrême gravité et la situation personnelle du condamné le justifient.

* 11 Les Etats parties sont : Brésil, Costa-Rica, Equateur, Nicaragua, Panama, Paraguay, Uruguay, Vénézuéla. Le Chili a signé ce texte mais ne l'a pas encore ratifié.

* 12 Cette convention garantit aussi que les civils ne peuvent être condamnés à mort par la puissance occupante que dans des cas limités : espionnage, actes graves de sabotage ou infractions intentionnelles ayant causé la mort d'une ou de plusieurs personnes, et à condition que la législation du territoire occupé en vigueur avant le début de l'occupation ait prévu la peine de mort dans de tels cas ; elle prévoit également qu'aucune condamnation à mort ne sera exécutée avant l'expiration d'un délai d'au moins six mois à partir du moment où la « puissance protectrice » -c'est-à-dire un Etat autre que l'un des Etats belligérants- aura reçu confirmation du jugement définitif. Cette convention a été ratifiée par la quasi-totalité des Etats.

* 13 « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. »

* 14 L'élaboration de ce protocole dont l'initiative revient à la République fédérale d'Allemagne -pays qui a inscrit la prohibition de la peine de mort dans sa Constitution- a été demandée par une résolution n° 35/437 de l'Assemblée générale des Nations Unies le 15  décembre 1980.

* 15 Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, tribunal pénal international pour le Rwanda.

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