B. UNE MAJORITÉ D'ETATS DÉSORMAIS ABOLITIONNISTE
L'abolition est aujourd'hui majoritaire dans le monde :
- 88 pays ont aboli de jure la peine de mort pour tous les crimes ;
- 11 pays ont aboli de jure la peine de mort pour les crimes de droit commun ;
- 29 pays sont abolitionnistes de fait ;
- 69 pays continuent d'appliquer ce châtiment.
Selon le rapport d'Amnesty International, en 2005, 5.186 personnes ont été condamnées à mort dans 53 pays et au moins 2.148 personnes ont été exécutées. La majorité des exécutions avérées a lieu en Chine (au moins, selon les données officielles, 1.770 exécutions), en Iran (au moins 94 exécutions), en Arabie saoudite (au moins 86 exécutions) et aux Etats-Unis (60 exécutions).
Sur plusieurs de ces fronts, aussi, cependant, apparaissent aussi des motifs d'espérer.
En Chine , la procédure pénale offre désormais certaines garanties : il appartient ainsi à la Cour suprême de contrôler seule les condamnations à mort. A l'approche des jeux olympiques à Pékin en 2008, le moment paraît propice pour demander un moratoire sur toute exécution.
C'est cependant aux Etats-Unis , première grande démocratie des temps modernes, aujourd'hui première puissance du monde et modèle culturel dominant que se déroule une lutte essentielle pour l'abolition universelle.
Après avoir estimé la peine de mort contraire à la Constitution en 1972, la Cour suprême, par un revirement de jurisprudence a décidé en 1976 16 ( * ) que le huitième amendement à la Constitution des Etats-Unis n'interdisait pas l'application de la peine de mort. Depuis lors, les condamnations ont repris et 1.060 personnes ont été exécutées entre 1976 et aujourd'hui. La peine de mort figure dans la législation de 38 des 50 Etats de l'Union ainsi que dans la législation civile et militaire de la Fédération.
Cependant, des voix toujours plus nombreuses s'élèvent aux Etats-Unis pour exiger l'abolition. L'application de la peine de mort met en lumière en effet toutes les faiblesses d'une société et ses inégalités sociales et raciales.
La peine de mort apparaît d'autant plus intolérable au regard du risque d'erreur judiciaire. Ainsi, aux Etats-Unis, le nombre de condamnés à mort reconnus innocents après des décennies de procédures, et parfois in extremis , est saisissant : cent vingt-deux depuis 1973 ! Et combien ont été exécutés dont l'innocence aurait pu être établie en recourant à l'ADN, si les juridictions américaines acceptaient de rouvrir le dossier.
En janvier 2003, le gouverneur de l'Etat de l'Illinois (Etat qui avait rétabli la peine de mort en 1977) a fait libérer quatre condamnés à mort dont l'innocence avait été établie et un moratoire a été décrété sur les exécutions.
Depuis lors, d'autres Etats se sont prononcés pour de tels moratoires notamment la Caroline du Nord et le New Jersey (2006).
Par ailleurs, la Cour suprême a progressivement réduit le champ d'application de la peine de mort. En juin 2002 (affaire Atkins ), elle a déclaré inconstitutionnelle la condamnation à mort de débiles mentaux. Dans un arrêt de principe du 1 er mars 2005 (affaire Ropper c/Simmons ) elle a, enfin, banni la condamnation à mort de personnes âgées de moins de 18 ans à l'époque où les faits ont été commis 17 ( * ) .
En outre, les garanties procédurales et les droits de la défense ont été renforcés 18 ( * ) .
Cette évolution apparaît irréversible et conduira les Etats-Unis à abolir la peine de mort. Cette date marquera un pas décisif vers l'abolition universelle.
Le mouvement vers l'abolition progresse constamment et s'accélère . Cette tendance ne fait aucun doute à la lumière des rapports successifs présentés par le secrétaire général des Nations unies tous les cinq ans devant le Conseil économique et social à New-York et des recensements d'Amnesty International qui exerce, en la matière, une veille attentive.
En un siècle -entre 1848 à 1948- la marche vers l'abolition a rallié quinze Etats ; au cours des trois décennies suivantes, vingt-cinq Etats ; dans les années quatre-vingt, seize Etats ; dans les années quatre-vingt-dix, quarante Etats. Et depuis 2000, dix-sept Etats ont rejoint le groupe désormais majoritaire des pays abolitionnistes 19 ( * ) .
Parmi les Etats qui ont aboli la peine de mort dans la période la plus récente, il convient de citer le Sénégal (2004), la Turquie (2004) et le Mexique (2005) 20 ( * ) .
Même si l'on doit déplorer que certains pays abolitionnistes de fait reprennent parfois les exécutions 21 ( * ) , ces cas demeurent rares. Il est encore plus exceptionnel que des pays rétablissent la peine de mort après l'avoir abolie. Encore ce retour en arrière n'est-il que provisoire 22 ( * ) .
Dans les pays qui appliquent encore la peine de mort, le nombre de condamnations et d'exécutions a, lui même, diminué 23 ( * ) et le rapport quinquennal des Nations unies en conclut que « même si le mouvement en faveur de l'abolition de la peine de mort n'est pas parvenu à convaincre les pays favorables au maintien de cette peine d'abandonner cette pratique, il a eu pour effet de modifier la fréquence à laquelle ces pays ont recouru à des exécutions ».
Les avancées vers l'abolition universelle s'imposent aussi sous l'effet d'une évidence : l'inutilité de la peine de mort car, comme en témoignent l'expérience des pays abolitionnistes et l'analyse constante des études de criminologie, il n'existe aucun lien entre la peine de mort et la courbe de la criminalité sanglante.
Le mouvement abolitionniste pourrait-il être mis en cause sous la pression du terrorisme ? D'abord la peine de mort ne dissuadera jamais celui qui dans l'attentat suicide trouve sa raison d'être. Ensuite, le terroriste condamné à la peine de mort et exécuté apparaît aux yeux de ses partisans comme un héros qui aura sacrifié sa vie à la cause qu'il soutient. Son exemple ne risque-t-il pas de susciter de nouveaux émules ? Enfin, les démocraties, au nom des valeurs qui les fondent, doivent refuser la mort à ceux qui font de la violence mortelle l'axiome de leur idéologie. Les grands Etats démocratiques comme le Royaume-Uni face à l'IRA ou l'Espagne face à l'ETA, n'ont ainsi jamais voulu rétablir la peine de mort.
Ainsi, la prohibition de la peine de mort connaît des progrès constants et considérables. Cette marche ne s'achèvera, pour autant, que par l'abolition universelle. Aujourd'hui, la France, par cette révision constitutionnelle, prend toute sa place au sein des Etats champions de l'abolition.
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Victor Hugo écrivait : « Une constitution qui, au XIX ème siècle, contient une quantité quelconque de peine de mort n'est pas digne d'une République ». Le Parlement va aujourd'hui au-delà du grand poète qui fut aussi sénateur, en proclamant, par la révision proposée : « Toute constitution qui, au XXI ème siècle, n'interdit pas la peine de mort n'est pas digne d'une République ».
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Votre commission vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle sans modification.
* 16 Gregg c. Georgie, 1976.
* 17 Entre 1977 et 2003 d'après le rapport des Nations unies, vingt-deux personnes ont été exécutées alors qu'elles étaient mineures à l'époque des faits. .
* 18 Les jurés, et non plus le juge qui dirige les débats, ont compétence pour prononcer la peine de mort après avoir rendu un premier verdict de culpabilité. Par ailleurs, le « Fair defence Act » (loi relative à une défense équitable) a donné en 2002 aux accusés sans ressource la possibilité de bénéficier des services d'un avocat au plus tard cinq jours après leur arrestation et permis que les avocats nommés dans le cadre d'affaires passibles de la peine de mort se fassent aider dans leurs recherches.
* 19 Voir le tableau des pays abolitionnistes joints en annexe.
* 20 En Ouzbékistan, le président Karimov a signé le 1 er août 2005 un décret abolissant la peine capitale à compter du 1 er janvier 2008.
* 21 Tel a été le cas entre 1999 et 2003 de la Gambie, du Mali et du Togo.
* 22 Ont rétabli la peine de mort : le Népal(1985) , la Papouasie-Nouvelle-Guinée(1991), les Philippines(1994), la Gambie(1995). Le Népal l'a de nouveau aboli en 1997 et les philippines en 2006.
* 23 Selon les données du rapport quinquennal des Nations unies, entre les périodes 1994-1998 et 1999-2003, le nombre de condamnations à mort est passé de 23.000 à 18.200 et le nombre d'exécutions judiciaires de 13.500 à 9.000.