B. LA CHAÎNE FRANÇAISE D'INFORMATION INTERNATIONALE TOUJOURS EN QUÊTE DE FINANCEMENTS

Dans un contexte d'éclatement des moyens que la France accorde à l'audiovisuel extérieur, la création d'une chaîne française d'information internationale constitue un enjeu diplomatique et stratégique majeur , ainsi que la guerre en Irak l'a rappelé depuis 2003. Conscient de ces enjeux, au cours de la campagne pour l'élection présidentielle de 2002 le président de la République a fait de l'atteinte de cet objectif une « ardente obligation ».

1. Un dossier bien avancé en 2003

Les travaux conduits en 2002 et 2003 ont permis de préciser nettement les contours de ce projet :

- en avril 2003, un rapport (non public) a été remis au ministre des affaires étrangères par M. Philippe Baudrillon, président de Sima International et ancien président-directeur général de Canal France International, à l'issue d'une mission technique de trois mois ;

- suite à un appel à projets lancé par le gouvernement en février 2003, la direction du développement des médias a organisé du 19 mars au 22 avril 2003 une consultation publique ayant permis aux opérateurs de présenter leurs projets ;

- la commission des affaires étrangères et la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale ont constitué une mission commune d'information, présidée par notre collègue député François Rochebloine et dont le rapporteur a été notre collègue député Christian Kert ; la mission d'information a rendu un premier rapport le 14 mai 2003 25 ( * ) ;

- enfin, le 29 septembre 2003, notre collègue député Bernard Brochand a remis un rapport au Premier ministre, dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée sur la mise en oeuvre de la future chaîne d'information internationale .

Les critères sur lesquels fonder la future chaîne ont été précisés par notre collègue député Bernard Brochand, dans son rapport de mission parlementaire précité : « la capacité de réaction », « la couverture des zones et publics ciblées », « le multilinguisme », « l'indépendance de la chaîne » et « la capacité à fédérer l'ensemble des forces contribuant à la présence française à l'étranger » .

Sur cette base, le projet commun de TF1 et France Télévisions a été sélectionné , suite au rapprochement des deux opérateurs : le coût ( 70 millions d'euros ), l'indépendance de la ligne éditoriale par rapport aux pouvoirs publics , le trilinguisme (français, anglais, arabe) et la possibilité d'une réalisation dans le délai d'un an ont constitué des éléments favorables d'appréciation.

Suivant le projet présenté par les deux chaînes, TF1 et France Télévisions constitueraient une société dont chaque opérateur détiendrait, directement ou par l'intermédiaire de ses filiales, 50 % des parts . Des commandes spécifiques de correspondances seraient passées par la chaîne française d'information internationale aux réseaux étrangers des deux chaînes. La nouvelle chaîne conclurait directement des contrats auprès de l'agence où elle s'approvisionnerait en images. Les réseaux de l'AFP et de RFI seraient utilisés , afin de capitaliser une expérience dont votre rapporteur spécial a su apprécier la richesse.

2. Un financement posant la question des moyens de l'audiovisuel public

Dès 2002, le ministre de la culture avait précisé les intentions du gouvernement sur le choix de l'opérateur en laissant entendre que la voix de la France n'était pas uniquement celle du secteur public : selon lui, la crédibilité politique et l'efficacité économique imposaient une alliance entre secteur public et secteur privé.

Si votre rapporteur spécial confirme que le principe de l'association public-privé, finalement retenue dans le projet commun entre TF1 et France Télévisions, lui paraît bon, il souligne que sa mise en oeuvre pourrait soulever des difficultés.

Le retrait de l'opérateur britannique ITN de la chaîne Euronews, dont il était anciennement actionnaire à 49 %, en offre une illustration, en dépit de l'aide de l'Etat et des soutiens locaux dont Euronews peut bénéficier. Sauf CNN, aucune chaîne d'information ne parvient à atteindre son équilibre économique sans recettes publiques complémentaires à ses ressources propres . Ces difficultés révèlent une certaine antinomie entre logique économique et intérêts politiques, ce dont le gouvernement semble avoir pleinement conscience compte tenu du niveau d'engagement de l'Etat dans le financement de la future chaîne française d'information internationale.

Si le projet d'association public-privé entre France Télévisions et TF1 est effectivement retenu, une des principales difficultés consistera dans le partenariat effectif de deux opérateurs par ailleurs concurrents , ainsi que dans la possibilité pour les autres médias, parmi lesquels RFI, d'être parties prenantes de la prise de décision. S'il est cohérent de privilégier les moyens télévisuels pour toucher les leaders d'opinion, votre rapporteur spécial relève cependant que la radio reste le principal média dans de nombreux pays d'Afrique et d'Asie.

S'agissant du niveau du budget (70 millions d'euros), celui-ci serait proche de celui de TV5 (82 millions d'euros), mais s'élèverait à plus du double de celui d'Euronews (30 millions d'euros) . Euronews repose toutefois sur une priorité donnée à l'image qui permet une structure réduite, composée d'environ 250 salariés. Il serait en revanche très inférieur à ceux de CNN International (1,2 milliard d'euros) et de BBC World (600 millions d'euros), ainsi que le souligne notre collègue député Bernard Brochand dans son rapport d'information parlementaire. Mais cette estimation est-elle réaliste et ne convient-il pas de refondre l'ensemble des dispositifs en matière d'action audiovisuelle extérieure afin de rationaliser la dépense ?

Les projets présentés avant la proposition commune de France Télévisions et TF1 étaient de l'ordre de 40 millions d'euros, mais on estimait généralement qu'ils devraient donner lieu à une réévaluation à la hausse sur la base d'estimations plus fines (notamment pour les charges de personnel). Enfin, le risque existe que l'association de plusieurs opérateurs se traduise partiellement par une superposition des structures et donc des coûts.

Les économies liées aux synergies doivent être chiffrées et se fonder sur des objectifs de performance. Dans leur projet commun, France Télévisions et RFI estimaient que ces synergies pouvaient atteindre une dizaine de millions d'euros à terme. Notre collègue député Bernard Brochand estime ces économies liées à des redéploiements à 15 millions d'euros par an « dans l'hypothèse, d'une part, d'une suppression des capacités de traitement de l'information propres à TV5 et Arte, qui feraient largement double emploi avec celles de la chaîne, d'autre part d'une affectation à cette chaîne des capacités abandonnées en fin d'année [2003] par Canal France International (CFI), lorsque les émission de CFI-TV cesseront ».

Les ressources propres ne doivent pas être négligées. A titre d'illustration, elles représentent environ 3 % des ressources dont disposent TV5. Concernant la chaîne française d'information internationale, notre collègue député Bernard Brochand estime ces ressources à 5 millions d'euros par an, soit un besoin annuel de financement public de 65 millions d'euros.

Le contenu de la grille aura également une incidence sur le coût de la future chaîne. La création de la chaîne française d'information internationale est en outre prévue dans un secteur où la concurrence s'est accrue et où elle devra se positionner : à CNN International et BBC World, anciennes respectivement de huit et dix-huit ans, se sont ajoutés Deutsche Welle-TV, plusieurs chaînes arabes (Al-Jazira basée au Qatar, Al-Arabiya en Arabie Saoudite et Abu Dhabi TV) ainsi que des chaînes domestiques, comme Fox News aux Etats-Unis et LCI en France.

Compte tenu de ces besoins de financement public au vu des redéploiements envisageables et des ressources propres escomptées, la question reste entière de la nature des ressources publiques, en particulier de l'affectation ou non d'une partie du produit de la redevance.

3. Un dossier abandonné ?

Malgré l'état encourageant d'avancement du dossier il y a un an, votre rapporteur spécial ne peut que constater l'enlisement du projet de chaîne française d'information internationale, dont le lancement initialement prévu en fin d'année 2004 semble avoir été reporté sine die .

Par voie de conséquence, la question du financement reste entièrement posée, en l'absence de crédits inscrits au projet de loi de finances pour 2005 .

Si la nécessité d'une chaîne française d'information internationale reste plus que jamais d'actualité, il a été indiqué à votre rapporteur spécial que des arbitrages devaient encore être rendus d'ici la fin de l'année 2004 . Les décisions devaient être prises au niveau des deux ministères concernés, en charge respectivement de la culture et de la communication et des affaires étrangères.

Le projet proposé par France Télévisions et TF1 est ainsi en cours d'évaluation par les ministères des affaires étrangères et de la culture, le ministre des affaires étrangères ayant rappelé le 26 août dernier, lors de la conférence annuelle des ambassadeurs, que l'objectif de créer une chaîne française d'information internationale devait « être tenu » pour que la France soit présente « dans la bataille d'images qui se joue aujourd'hui » .

L'évaluation en cours doit tenir compte des moyens financiers exigés et de la complémentarité avec les autres acteurs de l'audiovisuel extérieur. Ces questions préalables semblent devoir impacter les différents critères de choix à retenir, en termes de statut et de structure, de distribution et de contenu éditorial, ainsi que les délais de mise en place.

* 25 Assemblée nationale, rapport d'information n° 857 (XII ème législature).

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