II. AUDITION DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Réunie le mardi 19 octobre 2004 sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'audition de M. Jean Bastide, rapporteur général, Mme Danielle Bourdeaux, MM. Christian Larose et Hubert Brin, rapporteurs de l'avis du Conseil économique et social sur l'avant-projet de loi de programmation pour la cohésion sociale .
M. Nicolas About, président , a rappelé qu'en dépit des réserves qu'il avait émises, le Conseil économique et social (CES) avait donné un avis globalement favorable sur l'avant-projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.
M. Roland Muzeau s'est interrogé sur le bien-fondé de rumeurs suivant lesquelles de nouvelles dispositions relatives aux restructurations économiques seraient introduites dans ce projet de loi. Il a fait valoir que, dans cette hypothèse, le Parlement ne disposerait pas du recul et du temps nécessaires pour analyser ce complément apporté au texte.
M. Nicolas About, président , a indiqué qu'à sa connaissance le Conseil d'État aurait été saisi d'articles supplémentaires qui pourraient éventuellement être joints au texte. Il convient, en toute hypothèse, d'attendre les délibérations du conseil des ministres du lendemain, mercredi 20 octobre 2004, pour disposer d'informations fiables qui seront transmises aux membres de la commission.
M. Jean-Pierre Godefroy a vigoureusement dénoncé la perspective d'une telle dégradation des conditions du travail parlementaire et a souligné la totale contradiction de cette situation avec les déclarations de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, devant la commission des affaires sociales quatre jours auparavant.
M. Jean Bastide, rapporteur général de l'avis du Conseil économique et social , a fait part, tout d'abord, de l'adhésion des différentes composantes du CES sur l'analyse de la société française développée dans le cadre du plan de cohésion sociale.
Après avoir indiqué que l'avant-projet de loi qui avait été soumis pour avis ne reprenait qu'une partie des différentes actions répertoriées dans ce plan, il s'est demandé si le Gouvernement avait pris toutes les mesures nécessaires à sa mise en oeuvre. Il a toutefois admis que plusieurs d'entre elles relevaient du pouvoir réglementaire et n'exigeaient pas de traduction législative. Il a relevé que le projet de loi avait connu différentes versions successives, que le CES ne s'était d'ailleurs pas prononcé sur la version finale et qu'il conservait, en définitive, un sentiment de déception par rapport aux ambitions initialement affichées. Il a précisé que le Conseil s'était déclaré favorable aux actions spécifiquement conçues pour organiser le retour à l'emploi des personnes les plus fragiles. Il a fait état des assurances écrites par M. Jean-Louis Borloo au président du CES sur la création d'un comité de suivi et d'évaluation de la mise en oeuvre de la future loi, ainsi que sur la manière dont serait appréhendée la mobilité des chômeurs en fonction de leurs possibilités de transport et de leur situation personnelle.
M. Nicolas About, président , a demandé les raisons pour lesquelles le groupe des entreprises privées n'avait pas voté l'avis du CES.
M. Jean Bastide, rapporteur général du CES , a expliqué que le groupe des entreprises privés avait défendu une orientation d'ensemble différente. Par ailleurs, évoquant la question des réserves émises sur le financement réel du projet de loi, il s'est félicité des déclarations de M. Jean-Louis Borloo affirmant que les arbitrages interministériels étaient favorables et qu'ils permettraient une mise en oeuvre plus rapide que prévue de ses dispositions.
M. Nicolas About, président , a souhaité connaître le jugement porté par le CES sur les dispositions du projet de loi qui ne figuraient pas dans l'avant-projet de loi, notamment la création d'un crédit d'impôt en faveur des entreprises qui emploient des apprentis. Il a demandé, à l'inverse, si le Conseil regrettait de ne plus y trouver les dispositions qu'il avait approuvées, comme la fixation de la rémunération des apprentis en fonction de leur ancienneté.
M . Christian Larose, rapporteur du CES , a fait part tout d'abord de ses réserves sur la question de l'avenir du service public de l'emploi face à la perspective du développement d'opérateurs privés, en soulignant la nécessité d'obtenir des garanties de transparence, notamment par le biais d'un processus d'agrément.
S'inquiétant, par avance, du contenu des futures mesures réglementaires, il a regretté que les dispositifs de crédits d'impôt et de groupements d'entreprises aient disparu de la version finale du texte. Plus généralement, il a estimé que le projet de loi ouvrait de nombreuses possibilités d'action, mais qu'il souffrait d'une absence de vision politique globale, notamment sur le thème des délocalisations, d'où précisément l'impression de décalage par rapport aux attentes suscitées par l'annonce du plan de cohésion sociale. Il a déploré que le projet de loi aborde le thème de la réforme de l'apprentissage avant même qu'elle n'ait fait l'objet de discussions avec les partenaires sociaux. Il a estimé que les contrats d'insertion auront à faire la preuve de leur capacité à permettre à leurs bénéficiaires de retrouver un emploi durable et il a considéré que l'ensemble des jugements critiques reflétaient les inquiétudes d'un grand nombre d'organisations représentées au sein du CES.
Mme Valérie Létard, rapporteur, s'est interrogée sur les particularités de la fusion entre l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrants et l'association du service social d'aide aux émigrants.
M. Jean Bastide, rapporteur général du CES , a confirmé le caractère de cette perspective de « nationalisation » de l'association et s'est déclaré attentif au sort de ses 400 salariés.
Mme Valérie Létard, rapporteur , a demandé quelle était l'opinion du CES sur les objectifs du projet de loi en matière de politique du logement et si les mesures proposées lui semblaient de nature à favoriser l'intégration des publics très défavorisés, dans le respect de l'objectif de mixité sociale.
Mme Danielle Bourdeaux, rapporteur du CES , a rappelé que, si le CES était favorable à la présentation d'un volet logement intégré dans le projet de loi, l'effort engagé dans le domaine des logements locatifs sociaux lui semblait encore insuffisant : ce ne sont pas 100.000, mais 120.000 nouveaux logements qu'il faudrait réaliser chaque année pour couvrir les besoins non satisfaits aujourd'hui. Elle a relevé, par ailleurs, l'importance d'assurer une plus grande fluidité dans l'accès au parc de logements sociaux. Après avoir réaffirmé son attachement à la notion de service public de l'habitat et s'être prononcée en faveur de la mise en oeuvre d'un droit au logement opposable, elle a considéré, à son tour, que le projet de loi s'inscrivait en retrait par rapport aux ambitions du plan de cohésion sociale et a conclu que son volet logement constituait surtout un effort de rattrapage.
Mme Valérie Létard, rapporteur , s'est interrogée sur le jugement porté par le CES sur les dispositifs de réussite éducative proposés par le Gouvernement.
M. Hubert Brin, rapporteur du CES, a estimé que, si l'avant-projet de loi paraissait plus développé que le projet de loi déposé, les dispositifs proposés allaient dans la bonne direction. Il a souligné toutefois que le besoin de moyens supplémentaires ne se limitait pas aux seules zones d'éducation prioritaire (ZEP). Il a considéré, par ailleurs, que les internats de réussite éducative correspondaient à une mission de l'éducation nationale qui ne devait pas être confondue avec celles de la protection judiciaire de la jeunesse.
S'exprimant sur les contrats d'accueil et d'intégration, il a estimé qu'il convenait, dans une logique contractuelle d'engagements réciproques, d'établir un équilibre entre les droits et les devoirs de la personne. L'évaluation de cette dernière doit être équitable et il faut écarter tout risque de confusion entre les notions d'intégration et de gestion des flux migratoires. Sur la question des financements disponibles, il s'est inquiété de la perspective d'un éventuel redéploiement des moyens du fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) vers le financement des contrats d'accueil et d'intégration, et ce, au détriment des moyens accordés aux associations, ce qui pourrait aboutir à laisser le champ libre à des structures communautaires.
Après avoir relevé l'importance accordée par certaines organisations syndicales au soutien du secteur non marchand, Mme Marie-Thérèse Hermange s'est préoccupée des moyens à mettre en oeuvre en faveur de la dynamique du secteur marchand. Elle a également demandé aux rapporteurs du CES ce qu'ils pensaient de la possibilité de développer les aides à la personne. Elle a observé, enfin, que certains internats qui devraient normalement dépendre de l'éducation nationale relevaient, en fait, pour leurs financements, des conseils généraux.
Mme Gisèle Printz a estimé que la lecture de l'avis du CES la renforçait dans l'opinion que le présent projet de loi tendait à culpabiliser les personnes sans emploi.
Ayant retenu que M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, avait apporté, par écrit, des assurances au CES, M. Roland Muzeau a souhaité que ce courrier lui soit communiqué, en dépit du caractère singulier de ce procédé par rapport aux usages du travail législatif. Il s'est interrogé, par ailleurs, sur l'opportunité d'un contrat unique pour l'emploi et sur le volume réel des places d'hébergement à créer. Il a regretté, d'une part, que le projet de loi n'aborde pas la question de logements insalubres qui se concentrent dans le secteur privé, d'autre part, que les communes qui le souhaitaient ne soient toujours pas autorisées à dépasser le plafond de 40 % de logements sociaux.
Relevant les différentes critiques exprimées par les rapporteurs du CES, M. Alain Gournac a demandé s'il existait, dans ce projet de loi, une disposition sur laquelle le CES avait émis un avis favorable, sans réserve.
M. Jean Bastide, rapporteur général du CES, a estimé que l'expression de réserves paraissait normale et qu'elles reflétaient les délibérations du CES. Il a rappelé que ce dernier avait approuvé le traitement, dans un cadre unique, des trois piliers de la cohésion sociale : l'emploi, le logement et l'égalité des chances. A titre personnel, il s'est prononcé en faveur d'une unification des différentes formules de contrat d'insertion.
Il a considéré que l'importance du secteur non marchand dans le présent projet de loi constituait la traduction de la place prise par le monde associatif dans les demandes d'insertion. Il a souligné enfin qu'il n'existait, à l'heure actuelle, que trente internats de réussite éducative en France.
Mme Marie-Thérèse Hermange a fait observer, à ce sujet, que certains d'entre eux disposaient de places vacantes et qu'il convenait d'en tenir compte avant de créer de nouvelles structures.
M. Nicolas About, président , a indiqué que la lettre de M. Jean-Louis Borloo au président du CES avait été rendue publique et qu'elle était communiquée aux commissaires à l'initiative de M. Christian Larose.