2. Quelles modalités pour la prise en charge de la dépendance ?
Depuis plus d'une décennie, des rapports préconisent la mise en place de moyens permettant d'assurer la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Dès l'origine, le débat s'est concentré sur l'opportunité d'étendre les missions de la sécurité sociale à la gestion de ce risque.
Or, malgré plusieurs projets, aucun gouvernement n'a pu trouver les moyens d'instituer au cours de la première moitié des années 1990 cette cinquième branche pourtant souhaitée unanimement. Après un dispositif expérimental, et devant l'impasse des comptes sociaux, c'est au Sénat qu'est revenue l'initiative de confier aux départements le soin de gérer une prestation permettant aux personnes âgées disposant de revenus modestes de faire face au coût de la dépendance. La prestation spécifique dépendance, souvent injustement qualifiée de « prestation croupion », n'avait d'autre objectif que de pallier le trop-plein de rapports et l'absence d'aide concrète.
Dès lors, la précédente majorité, lorsqu'elle a souhaité améliorer la situation des personnes âgées dépendantes, a buté sur l'impasse financière que représente la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale , alors même que l'expertise développée au niveau départemental en raison de sa gestion de la PSD plaidait pour l'association de ces collectivités.
Aussi, n'ayant pas les moyens de ses ambitions, et disposant du financeur potentiel doté d'une expérience dans la gestion de la dépendance qu'était le département, le gouvernement de Lionel Jospin a greffé l'APA sur la PSD, dont il a élargi le public visé, en assouplissant les conditions de dépendance et de ressources requises pour bénéficier d'une prestation.
L'institution de l'APA a constitué un tournant. Il n'est certes pas impossible de retourner en arrière et de créer dans le cadre de la sécurité sociale une nouvelle branche, peu importe que celle-ci soit gérée de manière autonome ou par l'une des caisses nationales existantes. Toutefois, tant la situation financière de l'assurance maladie que l'expertise de terrain développée par les départements ne plaident pas pour une telle solution.
Aussi, si la lettre de mission du Premier ministre à MM. Briet et Jamet fait référence à l'apparition d'un nouveau risque social - la dépendance - elle n'indique à aucun moment à ses destinataires que la création d'une cinquième branche doit être privilégiée, ni même envisagée.
La création d'une Caisse nationale de solidarité ne tranche pas définitivement la question de la pertinence de confier ou non la gestion de la dépendance à la sécurité sociale, mais le passage menant sur cette voie est désormais étroit. Les premières conclusions rendues publiques par MM. Briet et Jamet semblent faire du département une sorte de pilote auprès duquel pourrait être déconcentrée une fraction significative des moyens permettant la prise en charge de la dépendance et du handicap. La caisse se trouverait investie d'une mission nationale de veille et de garant. Dans les faits, la création d'une nouvelle branche de la sécurité sociale n'est plus guère envisagée.
Les orientations préconisées par le
rapport d'étape Briet-Jamet pour la CNSA
Les éléments figurant dans ce document d'étape laissent présager que ses auteurs préconiseront, dans le rapport définitif, une approche résolument départementaliste de l'autonomie .
La première partie dresse ainsi une esquisse d'un possible dispositif local organisé autour du conseil général comme « chef de file », doté de pouvoirs élargis en matière de tarification, de financement et de tutelle sur les établissements et services du champ médico-social.
La seconde partie du document est consacrée au dispositif national organisé autour de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) qui pourrait être rebaptisée en agence nationale.
Son domaine d'actions est défini dans le présent projet de loi c'est-à-dire une double compétence en matière de dépendance des personnes âgées et des personnes handicapées .
Ses missions revêtiraient deux dimensions :
- la première purement financière, décrite par le projet de loi, consiste à rassembler puis distribuer l'ensemble des fonds consacrés aux actions menées en faveur de l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Il s'agit du financement de l'APA et du fonds de modernisation de l'aide à domicile, de la prestation de compensation pour les personnes handicapées, du financement de la médicalisation des structures médico-sociales et de l'amélioration des services rendus à domicile. Les auteurs envisagent même à terme le rassemblement, au sein de la caisse, de l'ensemble des fonds publics dédiés à ces actions, soit 11,2 milliards d'euros ;
- la seconde, de nature technique, n'est pas décrite par le projet de loi et appellera de futurs arbitrages. Il s'agit pour la caisse « de veiller et de contribuer à garantir l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire ». Pour les auteurs, cette mission « de régulation » comporte trois volets : assurer le suivi et l'évaluation des politiques menées localement, développer une compétence en matière de recherche et constituer un centre de support et de ressources pour les gestionnaires locaux.
Concernant la gouvernance, les auteurs souhaitent que l'organisation de la CNSA permette de répondre à quatre exigences :
- dissocier clairement la fonction exécutive (le directoire) de la fonction d'orientation stratégique et de contrôle (conseil de surveillance) ;
- assurer la représentation des responsables politiques, associatifs et sociaux dans cette fonction d'orientation stratégique de contrôle de manière à asseoir la légitimité de l'institution ;
- doter la caisse d'un conseil scientifique, de manière à assurer la crédibilité de ses travaux et de ses productions en matière de référentiel, de statistiques ou d'évaluation, ainsi que des analyses prospectives ;
- organiser la tutelle sous la forme d'un conseil de
tutelle assurant la représentation des différents
départements ministériels concernés et désignant,
en son sein, un chef de file.
Votre commission observe que ce débat sera in fine tranché dans le cadre de l'examen du projet de loi qui fixera de manière définitive les missions de la CNSA.
Pour sa part, elle a pu considérer à l'origine que l'échelon départemental ne représentait pas la collectivité optimale pour gérer la dépendance, en raison du caractère disproportionné de cette charge. La situation en 2003 de plusieurs départements, dont le potentiel fiscal est faible et dont la proportion de personnes âgées est forte, confirme ce diagnostic. Sans les subsides versés par le FFAPA, de nombreux conseils généraux seraient réduits à l'asphyxie financière.
Qu'en sera-t-il demain si les départements se voient également confier la charge de payeurs en dernier ressort de la prestation de compensation des personnes handicapées ? Sans doute la CNSA aura-t-elle pour mission de procéder, dans cette hypothèse, à une péréquation entre les différentes collectivités.
Une telle répétition ne nuirait-elle pas finalement à l'esprit même de la décentralisation en ce qu'elle transformerait le département en payeur de prestations dont les règles sont fixées dans un cadre national et qui absorberait une part croissante des ressources financières nécessaires à toute initiative locale ?
Pour autant, votre commission considère toutefois qu'un retour en arrière, désormais peu probable, consistant à retirer l'APA de la compétence des départements aboutirait à ignorer l'expertise acquise par les conseils généraux dans ce domaine et que la prise en charge de la dépendance, qui repose sur la dispense de prestations en nature, s'en trouverait probablement dégradée.
Aussi estime-t-elle que la solution qui sera retenue devra permettre de résoudre l'ensemble des contradictions évoquées ci-dessus, dans le cadre d'un compromis dont les contours précis restent encore à définir.
Au terme de cette présentation, votre commission constate que la création d'une Caisse nationale dès le présent projet de loi relève finalement de l'affichage , sans que ce qualificatif n'ait par lui-même une quelconque connotation négative. Elle a pu entendre, à de nombreuses reprises, que la gestion de prestations sociales par les conseils généraux suscitait la crainte de voir se multiplier des inégalités de traitement sur le territoire. La présence d'une caisse participe en définitive de la volonté du Gouvernement de garantir que toutes les personnes éligibles aux dispositifs prévus par le plan de solidarité pour les personnes dépendantes seront équitablement traitées.
A cet égard, elle déplore la confusion qui règne dans l'esprit de beaucoup d'interlocuteurs. Dès lors que ces prestations sont distribuées selon des critères définis nationalement, il n'y a pas de raison que leur gestion par des collectivités territoriales entraîne plus d'inégalités que si celle-ci était assurée par des organismes de sécurité sociale. Ce qui fait les inégalités c'est la nature même des prestations destinées à prendre en charge la dépendance. Celles-ci sont en nature, c'est-à-dire déterminées en fonction de la situation des bénéficiaires. C'est pourquoi il importe de les encadrer par l'établissement de barèmes nationaux.