B. LA TRANSPOSITION DE LA LÉGISLATION EUROPÉENNE

1. Le contenu de la directive

La directive européenne du 4 avril 2001 relative aux essais cliniques de médicaments diverge sensiblement par rapport au dispositif retenu par la France, depuis la loi du 20 décembre 1988, ainsi que le souligne le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), dans son avis n° 79 du 18 septembre 2003.

Elle abandonne en effet la distinction centrale entre « recherche avec bénéfice individuel direct » et « recherche sans bénéfice individuel direct », pour lui substituer la notion de balance « bénéfice - risque », c'est-à-dire l'évaluation, pour chaque projet de recherche, des risques et inconvénients prévisibles, d'une part, et du bénéfice attendu, qu'il s'agisse du bénéfice direct pour la personne ou de son intérêt général pour la santé publique, d'autre part.

Alors que le rôle des CCPPRB français est limité à la seule appréciation de la validité des projets de recherche au regard des impératifs de protection des personnes, la directive confie un rôle plus important aux comités d'éthique, en étendant leur compétence à l'évaluation scientifique des projets de recherche.

Par ailleurs, contrairement au principe posé par l'actuel article L. 1121-4 du code de la santé publique, elle ne rend obligatoire l'inscription sur un fichier national des personnes se prêtant à des recherches que pour les médicaments et certaines autres catégories de produits qui relèvent, en France, de la compétence de l'Association française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) et pour les volontaires sains ou les personnes malades pour lesquelles les bénéfices escomptés sont sans rapport avec leur état pathologique.

Elle prévoit enfin, pour les personnes qui ne sont pas en mesure de donner leur consentement à la recherche, la possibilité de recourir à un représentant légal, afin que celles-ci ne soient pas d'office exclues des avancées de la recherche.

2. Les modifications prévues

A la lumière de ces différents éléments, auxquels pourraient être joints le premier bilan d'application réalisé par M. Jean-François Mattei - alors parlementaire en mission - en 1994, le rapport de l'Académie de médecine 7 ( * ) et celui du professeur Lemaire 8 ( * ) , le Gouvernement propose une réforme des règles encadrant la recherche biomédicale qui s'organise autour de six points.

• L'instauration d'un régime de déclaration préalable des projets de recherche

Le projet de loi propose tout d'abord de remplacer l'actuel régime de déclaration des projets de recherche par un régime d'autorisation préalable. Cette autorisation ne pourra, en outre, être délivrée qu'après un avis conforme des CCPRB, rebaptisés comités de protection des personnes.

• L'abandon de la distinction entre recherche avec ou sans bénéfice individuel direct

La distinction entre « recherches avec bénéfice individuel direct » et « recherches sans bénéfice individuel direct » est également supprimée. Si, comme le précise l'exposé des motifs du projet de loi, cette suppression n'était pas formellement exigée par la directive - celle-ci ne fait que proposer d'y substituer la notion de balance bénéfice/risque - elle permet en effet de lever les ambiguïtés soulevées par la distinction antérieure et « ne pose pas de problème éthique en soi dans la mesure où elle est compatible avec le respect de la personne » 9 ( * ) .

Cependant, ainsi que le soulignait Mme Nicole Questiaux, au nom du CCNE, lors de son audition devant votre commission, « la mise en oeuvre de la nouvelle directive ne doit pas conduire à limiter la recherche aux cas où le risque est totalement absent, sans quoi la recherche médicale piétinera. (...) nous devons rester vigilants afin que la notion de balance ne conduise pas à un débat de juristes visant à créer, de façon artificielle, l'immunité des opérateurs de recherche ». La notion de balance « bénéfice - risque », qui constitue un élément central du projet de loi, requiert donc une application apte à protéger la personne sans faire obstacle à la recherche.

Le remplacement de la distinction entre recherche avec ou sans bénéfice individuel direct par la notion de balance « bénéfice - risque » n'est pas sans conséquence sur l'ensemble du cadre législatif de la recherche biomédicale. Il entraîne ainsi un rétrécissement du champ de l'autorisation préalable du lieu de recherches, une modification des règles d'inscription au fichier national des personnes « se prêtant à des recherches » et une unification du régime de responsabilité du promoteur, au profit du régime de la faute présumée.

• L'adaptation des règles de consentement applicables aux personnes vulnérables participant à la recherche

L'exposé des motifs du projet de loi précise que « la suppression de la distinction entre les recherches avec ou sans bénéfice individuel direct et la transposition de la directive conduisant à simplifier et harmoniser les conditions de participation à des recherches des différentes catégories de personnes vulnérables, tout en maintenant des dispositions fortement protectrices, pour ces personnes, empruntées non seulement à la directive, mais aussi à la convention d'Oviedo sur les droits de l'Homme et la biomédecine et au projet de protocole additionnels relatif aux recherches biomédicales » .

Le projet de loi distingue ainsi quatre catégories de personnes vulnérables : les femmes enceintes, parturientes ou allaitant leur enfant, les personnes privées de liberté, les mineurs, les majeurs sous tutelle, pour lesquelles il adapte les règles de consentement et de participation aux recherches biomédicales, en permettant de requérir le consentement de la « personne de confiance » , de la famille ou d'un proche. Dans certains cas, l'avis du juge des tutelles devra, en outre, être recueilli. Le cadre proposé est donc, à cet égard, plus protecteur des « personnes hors d'état d'exprimer leur consentement » que la directive du 4 avril 2001 précitée.

• L'élargissement du rôle des actuels CCPPRB

Les avis rendus par les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB), désormais dénommés comités de protection de la personne, reçoivent le caractère d'avis conforme et conditionnent le lancement de tout projet de recherche. Ils pourraient, par ailleurs, se voir confier des tâches d'évaluation de la pertinence éthique et scientifique du projet, ainsi que l'information et les modalités de recueil du consentement des participants.

Le projet de loi reprend également la notion de comité spécialisé à compétence nationale, introduite par le Sénat lors de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique : il s'agit d'autoriser, par dérogation aux compétences des comités - à vocation infrarégionale -, la soumission de certains projets de recherche très spécialisés et portant sur des sujets exigeant une vigilance renforcée en matière de protection des personnes à des comités nationaux spécialisés, plus à même de regrouper l'expertise nécessaire à leur évaluation.

L'avis conforme délivré par les comités est considéré comme une avancée positive par le Comité consultatif national d'éthique qui estime que le rôle qui leur est dévolu est majeur dans la protection de l'intérêt de la personne. Cette évolution rend toutefois nécessaire la consolidation des comités, qui se caractérisent par une grande hétérogénéité, et l'organisation d'un renouvellement régulier des effectifs qui les composent.

• La création d'une base de données des recherches biomédicales

Le projet de loi relatif à la politique de santé publique prévoit enfin la mise en place d'une base de données nationale des recherches biomédicales pour laquelle une autorisation a été demandée. Dans le domaine du médicament, cette base permettra d'alimenter la base de données européenne des essais médicamenteux, comme l'impose l'article 11 de la directive du 4 avril 2001.

A l'occasion de l'examen de ces dispositions, l'Assemblée nationale s'est attachée à renforcer le caractère protecteur du dispositif tout en maintenant les mesures indispensables au développement de la recherche .

Dans ce double objectif, elle a proposé :

- de limiter la prise en charge, par les assureurs, des dommages liés à la recherche, aux réclamations intervenant pendant la durée de celle-ci et jusqu'à l'expiration d'une période de dix ans suivant sa fin ;

- de mieux distinguer, dans la structure du code de la santé publique, les informations devant être données à la personne qui se prête à une recherche biomédicale, d'une part, et les conditions d'expression de son consentement, d'autre part ;

- s'agissant des modalités du recueil du consentement de certaines catégories de personnes vulnérables, de limiter le recours à l'avis du juge des tutelles aux recherches qui comportent, en raison de l'importance des contraintes ou de la spécificité des interventions auxquelles elles conduisent, un risque sérieux d'atteinte à la vie privée ou à l'intégrité du corps humain ;

- d'assurer la participation des représentants des malades et des usagers du système de santé aux comités de protection des personnes ;

- de supprimer la possibilité, pour le comité de protection des personnes, de procéder à l'évaluation scientifique des projets de recherche ;

- d'instituer une obligation de recueillir un nouveau consentement de la personne en cas de modification substantielle du protocole après le commencement de la recherche, si le comité de protection le juge nécessaire, ainsi qu'en cas de survenance d'effets indésirables graves.

* 7 Rapport au nom d'un groupe « sur la pratique de la psychothérapie » - Pierre Picot, Jean-François Alliaire - Académie de médecine.

* 8 Rapport de M. Lemaire au ministre de la santé sur la protection des personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale (novembre 2002).

* 9 Audition de Mme Nicole Questiaux, vice-présidente du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), mercredi 17 décembre 2003 (cf. tome II).

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