CHAPITRE II
LE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL SPÉCIFIQUE
DES
« LOIS DU PAYS »
L'article 74, huitième alinéa, de la Constitution reconnaît aux collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie la faculté, pour leurs assemblées délibérantes, sous réserve de la loi organique, d'intervenir dans un champ de compétence qui, en métropole, relève du domaine de la loi.
Cette faculté n'est pas nouvelle. Ainsi, l'assemblée de la Polynésie française intervient de longue date dans le domaine de la loi. Le projet de loi, à cet égard, ne fait qu'accroître le nombre des compétences matériellement législatives transférées à la Polynésie française.
Dans sa décision n° 65-34 L du 2 juillet 1965, le Conseil constitutionnel estime que la répartition des compétences entre la loi et le règlement dans les territoires d'outre-mer peut différer de celle applicable en métropole. L'article 74 de la Constitution ne fait que prendre acte d'une possibilité ancienne.
La jurisprudence et la doctrine ont toujours considéré que ces actes des assemblées délibérantes des territoires d'outre-mer demeuraient des actes administratifs relevant à ce titre du contrôle ordinaire du juge de l'excès de pouvoir. Le fait pour un acte d'être pris dans le champ matériellement législatif ne suffit pas à lui donner valeur législative. Ainsi, les ordonnances prévues par l'article 38 de la Constitution restent de simples actes administratifs soumis au contrôle du Conseil d'Etat tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par le Parlement.
Au cours des débats sur la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, le choix a été fait de ne pas revenir sur ce caractère d'acte administratif. La solution néo-calédonienne consistant à conférer valeur législative aux actes dénommés « lois du pays » et à soumettre ces actes au contrôle du Conseil constitutionnel n'a pas été retenue.
Toutefois, étant donnée l'autonomie croissante accordée aux collectivités d'outre-mer, le cas polynésien étant le plus significatif, et l'extension du champ de compétence des actes des collectivités d'outre-mer au détriment de la loi, il est apparu de plus en plus nécessaire de soumettre ces actes à un contrôle juridictionnel renforcé.
L'article 74, huitième alinéa, de la Constitution dispose donc que ces actes intervenant dans le domaine de la loi sont soumis à un contrôle juridictionnel spécifique du Conseil d'Etat.
Celui-ci est le pendant de l'autonomie politique. Il traduit le caractère hybride de ces actes, dénommés en l'espèce « lois du pays » en vertu de l'article 139 du projet de loi.
Les articles 176 à 180 du présent chapitre définissent les différentes procédures de contrôle auxquelles les lois du pays peuvent être soumises. Originaux par certains aspects, ces cinq articles n'en rappellent pas moins que les lois du pays sont des actes administratifs.
Ainsi, le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction de l'ordre administratif, est seul compétent pour contrôler les lois du pays, que ce soit a priori (articles 176 à 178), par voie d'exception (article 179) ou dans le cadre de la procédure de déclassement (article 180). Ceci témoigne certes de la spécificité de ces actes par rapport aux actes administratifs ordinaires. Mais c'est aussi une façon d'affirmer que les lois du pays ne sont pas des actes législatifs. D'ailleurs, il n'est pas exceptionnel que certains types d'acte administratif dérogent aux règles dites classiques du contentieux administratif. Ainsi en est-il des décrets réglementaires ou individuels qui sont de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat.
Les articles 176 et 180 affirment explicitement que les lois du pays ne sont susceptibles d'aucun recours par voie d'action après leur promulgation. En lieu et place de ces recours, les articles 176 à 178 y substituent un contrôle a priori sur un modèle très inspiré du contrôle de constitutionnalité des lois par le Conseil constitutionnel ou de celui des lois du pays adoptées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie. L'objectif d'un tel contrôle est de renforcer la sécurité juridique de ces actes, ceux-ci ne pouvant plus être contestés devant les juges a posteriori. Toutefois, l'article 179 du projet de loi autorise les parties à un litige devant une juridiction quelle qu'elle soit à invoquer l'illégalité d'une loi du pays par voie d'exception.
Enfin, la place des lois du pays dans la hiérarchie des normes est identique à celle d'un acte administratif ordinaire. Le paragraphe III de l'article 176, ainsi que les articles 177 et 179 disposent explicitement que les lois du pays doivent être conformes à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux et aux principes généraux du droit. L'ajout de la mention des principes généraux du droit est dû au Conseil d'Etat, dont une jurisprudence constante soumet les actes administratifs, y compris ceux intervenant dans un domaine matériellement législatif, aux principes généraux du droit.
Pour être précis, il convient de souligner que les lois du pays peuvent en certaines matières être subordonnées aux lois ordinaires de la métropole.
Ainsi, l'article 35 du projet de loi prévoit que les lois du pays peuvent comporter des dispositions permettant aux agents de la Polynésie française de rechercher et de constater les infractions à condition que ces dispositions n'aillent pas au-delà de ce que permet la loi en métropole. La sensibilité de la matière pénale justifie que ces lois du pays soient soumises à un corpus de normes plus important encore.
Au final, ce contrôle juridictionnel spécifique est le fruit d'une série de compromis reflétant l'ambiguïté de ces actes matériellement législatifs, adoptés selon une procédure solennelle 61 ( * ) et dans un contexte d'autonomie accrue de la Polynésie française, mais dépourvus de valeur législative.
Article 176
Saisine du Conseil d'Etat a priori
Le présent article, ainsi que les articles 177 et 178 définissent la procédure du contrôle a priori des lois du pays avant leur promulgation. C'est ce contrôle a priori, dont la structure est inspirée de celle du contrôle des lois par le Conseil constitutionnel (articles 61 et 62 de la Constitution), qui justifie l'impossibilité de contester par voie d'action les lois du pays après leur promulgation.
Cet article décrit la première phase, c'est-à-dire la saisine du Conseil d'Etat.
Celui-ci ne peut être saisi qu'à l'expiration de la période de huit jours, prévue à l'article 142, suivant l'adoption de la loi du pays par l'assemblée de la Polynésie française ou au lendemain de l'adoption de la loi du pays à l'issue de la nouvelle délibération prévue elle aussi à l'article 142. Rappelons que la période de huit jours susvisée est précisément celle au cours de laquelle cette nouvelle délibération peut être demandée par le haut-commissaire de la République et le conseil des ministres.
Deux catégories de personnes peuvent déférer les lois du pays au Conseil d'Etat :
- d'une part, les « institutionnels », c'est-à-dire le président de la Polynésie française, le haut-commissaire de la République, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l'assemblée de la Polynésie française, qui disposent d'un délai de quinze jours ;
- d'autre part, les particuliers, ayant un intérêt à agir au sens où on l'entend en matière de recours pour excès de pouvoir, qui disposent d'un délai d'un mois.
Afin que les particuliers soient informés de l'adoption d'une loi du pays, celle-ci doit être publiée au journal officiel de la Polynésie française à la suite de son adoption.
Enfin, le paragraphe III de cet article dispose que le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des lois du pays au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit.
La procédure contentieuse applicable est celle du recours en excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat.
Cette phase de saisine combine celle de l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution et celle du recours en excès de pouvoir. Si la Constitution autorise un contrôle juridictionnel spécifique de ces actes, elle ne prévoit pas explicitement de déroger au droit à un recours effectif. C'est la raison pour laquelle un droit de saisine est préservé au profit des particuliers.
Votre commission vous soumet deux amendements supprimant une mention inutile aux premiers alinéas du I et du II de cet article. Cette mention permet la saisine du Conseil d'Etat après la publication du décret mentionné à l'article 32, c'est-à-dire à un stade où la loi du pays n'a pas encore été adoptée par l'assemblée. Il n'est donc pas opportun de les déférer au Conseil d'Etat pour vérifier leur conformité aux normes supérieures.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 176 ainsi modifié .
Article 177
Examen de la conformité de la loi du pays
par le
Conseil d'Etat
Le présent article détaille l'examen de la loi du pays par le Conseil d'Etat dès lors qu'il en est saisi.
Il dispose d'un délai de trois mois pour statuer, soit le même délai dont dispose le Conseil constitutionnel lorsqu'il est saisi d'une loi du pays de Nouvelle-Calédonie. C'est aussi deux mois de plus que pour les lois métropolitaines. Cet article prévoit également une double publication de la décision rendue : au Journal officiel de la République française d'une part, au Journal officiel de la Polynésie française d'autre part.
Les deux alinéas suivants précisent les conséquences de la décision du Conseil d'Etat déclarant une disposition contraire aux normes précitées 62 ( * ) . Soit cette disposition est inséparable de l'ensemble de la loi du pays et celle-ci ne peut être promulguée. Soit elle est séparable et est alors disjointe, le reste de la loi du pays pouvant être promulgué.
Dans ce dernier cas, le dernier alinéa ouvre la faculté au président de la Polynésie française de demander une nouvelle délibération de l'assemblée pour tirer les conséquences de la décision du Conseil d'Etat. Le président dispose de dix jours à compter de la publication de la décision du Conseil d'Etat au journal officiel de la Polynésie française. Cette nouvelle délibération se déroule dans les conditions prévues à l'article 142.
Sous réserve d'un amendement de coordination, votre commission vous propose d'adopter l'article 177 ainsi modifié .
Article 178
Promulgation des lois du pays
Cet article précise les conditions de promulgation des lois du pays par le président de la Polynésie française. Cette promulgation peut intervenir :
- soit à l'expiration du délai d'un mois pendant lequel les particuliers peuvent déférer la loi du pays au Conseil d'Etat (voir l'article 176). Si, à l'issue de ce délai, aucun particulier n'a exercé son droit de saisine, il n'y a plus de recours possible par voie d'action. Aucune nouvelle délibération ne peut être demandée ;
- soit à la suite de la publication au journal officiel de la Polynésie française de la décision du Conseil d'Etat constatant la conformité totale ou partielle de la loi du pays. La rédaction de l'article 178 prévoit en réalité qu'il faut attendre l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la publication de cette décision pour pouvoir promulguer la loi du pays. Ce délai d'un mois n'a aucun sens et il s'agit sans doute d'une erreur. Votre commission vous soumet donc un amendement la rectifiant et supprimant la référence à ce délai d'un mois.
Ce même amendement réécrit le premier alinéa de cet article et supprime la première phrase du deuxième alinéa. Il en clarifie et simplifie la rédaction.
Le président de la Polynésie française dispose de dix jours pour promulguer la loi du pays. Ce délai est cohérent avec le délai de dix jours dont il dispose pour demander une nouvelle délibération après la décision du Conseil d'Etat (voir l'article 177).
L'acte de promulgation est transmis au haut-commissaire et la loi du pays est publiée au journal officiel de la République française pour information. Conformément à l'article 65 du projet de loi, le président de la Polynésie française en assure la publication au journal officiel de la Polynésie française.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 178 ainsi modifié.
Article 179
Exception d'illégalité
Le présent article prévoit que les lois du pays peuvent être contestées par voie d'exception, comme tout acte administratif.
Toutefois, la procédure présente plusieurs particularités.
D'une part, un moyen sérieux doit être invoqué quant à la contrariété de la loi du pays avec les normes qui lui sont supérieures.
D'autre part, la juridiction devant laquelle une partie excipe de l'illégalité d'une loi du pays doit transmettre sans délai la question au Conseil d'Etat. Le Conseil est seul compétent et la juridiction doit surseoir à statuer. Il statue dans les trois mois.
Néanmoins, la juridiction peut statuer si la loi lui impartit un délai pour statuer en raison de l'urgence.
Enfin, le refus de transmettre la question au Conseil d'Etat n'est pas susceptible de recours indépendamment de la décision tranchant tout ou partie du litige.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 179 sans modification.
Article 180
Procédure de déclassement
des lois du pays
Le présent article tend à permettre le déclassement des dispositions des lois du pays intervenues en dehors du domaine de ces actes. Ce peut être le cas d'une loi du pays qui intervient dans des matières réglementaires ou qui empiète sur le champ de la loi.
Le Conseil d'Etat, qui procède à l'examen de ces demandes de déclassement, est saisi par le président de le Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou le ministre chargé de l'outre-mer. Le Conseil statue dans les trois mois, après avoir informé de sa saisine les autres autorités titulaires du pouvoir de le saisir.
Cet article doit notamment permettre de faire respecter la répartition des compétences entre l'Etat et la Polynésie française. En effet, les lois du pays ne sont pas obligatoirement déférés au Conseil d'Etat dans le cadre de l'article 176 du projet de loi. Le présent article autorise donc un second contrôle en dehors de tout contentieux.
Une fois déclassées, les dispositions de la loi du pays peuvent être modifiées par les autorités normalement compétentes.
L'article 12 du projet de loi organique institue une procédure de déclassement de la loi nationale qui est le pendant de celle de la loi du pays. L'existence de ces deux procédures complémentaires montre que la priorité est de prévenir toute discordance dans le domaine de la loi.
Sous réserve d'un amendement rédactionnel, votre commission vous propose d'adopter l'article 180 ainsi modifié.
LE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL SPÉCIFIQUE
DES LOIS DU PAYS DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
8 jours pour demander une nouvelle délibération
demande de nouvelle délibération
dix jours pour la promulga-tion
trois mois pour statuer
8 jours au minimum
Conseil d'Etat
article 179
Conseil d'Etat
article 180
exception d'illégalité
déclassement
nouvelle délibération
8 jours
promulgation
demande de nouvelle délibération
dix jours pour la promulgation ou nouvelle délibération
disposition séparable
non séparable
interdiction de promulguer
conformité totale
conformité partielle
non conformité
publication de la décision
au JORF et au JORL
absence de saisine promulgation par
le président de
la Polynésie française dans les dix jours
15 jours pour saisir
le Conseil d'Etat par
le haut-commissaire,
les présidents de
la Polynésie française de l'assemblée de
la Polynésie française ou six représentants
de l'assemblée
le lendemain
nouvelle délibération
saisine du Conseil d'Etat
un mois pour la saisine
par les particuliers
CONTRÔLE
PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DES LOIS
DU PAYS DE LA
NOUVELLE-CALÉDONIE
8 jours
dix jours publication
nouvelle délibération
trois mois pour statuer
15 jours
promulgation
demande de nouvelle délibération
dix jours / publication décision Conseil constitution-nel pour promulguer
disposition séparable
non
séparable
interdiction
de promulguer
conformité totale
conformité partielle
non conformité
publication décision du Conseil constitutionnel au JORF et au JONC
saisine du Conseil constitutionnel
absence de saisine
promulgation
par le président de
la Polynésie française dans les dix jours
10 jours pour déférer au Conseil constitutionnel
absence de saisine
promulgation
par le haut-commissaire dans les 10 jours de la transmission du texte par le président
du congrès
15 jours (art. 95 al. 1)
pour nouvelle délibération
nouvelle délibération
8 jours
demande de nouvelle délibération
* 61 Voir les commentaires sous les articles 139 à 142.
* 62 Voir le commentaire sous l'article 176.