II. UNE SÉRIE DE QUESTIONS TECHNIQUES OU DE PRINCIPE EN SUSPENS
Le présent projet de loi tel qu'il a été déposé par le gouvernement, ne crée pas de mécanismes nouveaux. Il se contente d'augmenter substantiellement les avantages actuellement prévus par le code général des impôts en cas de dons aux organismes d'intérêt général.
Toutefois, les progrès sont suffisamment importants pour que l'on puisse se demander si les mécanismes ne changent pas de dimension et presque de nature.
Non seulement, le coût du projet reste difficile à déterminer, mais le saut qualitatif auquel on procède avec ce texte, révèle des difficultés techniques ou soulève des questions de principe qu'on n'avait pas lieu de se poser dans le régime actuel.
A côté de points techniques tels ceux des dons en nature ou de l'articulation des avantages fiscaux redimensionnés par le présent projet de loi, avec ceux dont sont assortis d'autres types de libéralités en vertu d'autres articles du code général des impôts, se pose une série de questions essentielles concernant les modalités de contrôle et de suivi de l'emploi des dons et celles de la non-prise en compte de la spécificité des fondations et associations à caractère humanitaire.
1. Un coût difficile à déterminer
Le ministère des finances a fait savoir à votre rapporteur que la dépense fiscale supplémentaire résultant de la nouvelle rédaction de l'article 200 du code général des impôts figurant au sein de l'article premier du présent projet de loi, pourrait s'élever à 73 millions d'euros.
Ce montant correspond à :
- 65 millions d'euros, au titre du passage du taux de la réduction d'impôts de 50 % à 60 % (sauf pour les organismes d'aide aux personnes en difficulté) ;
- 8 millions d'euros, pour le passage de 10 % à 20 % du plafond des dons déductibles en pourcentage du revenu imposable.
Ces chiffres sont à comparer à l'augmentation de la dépense fiscale qui figure dans le tome II du fascicule « Évaluation des voies et moyens », soit 390 millions d'euros. A cet égard, l'on remarque que l'augmentation prévue représente pour la seule conséquence de l'augmentation du taux de la réduction, 16 % de la dépense, chiffre cohérent avec le fait qu'une partie des dons, celle allant vers les organismes d'aide aux personnes en difficulté, profite déjà du taux maximal de réduction d'impôt de 60 %.
L'estimation, au niveau de seulement 8 millions d'euros de l'augmentation de la dépense fiscale consécutive au doublement du plafond des dons déductibles en pourcentage du revenu imposable, tient compte du petit nombre de contribuables atteignant le plafond actuel. Elle pourrait se révéler faible dans le cas où le nouveau régime susciterait un changement de comportement des Français.
La dépense fiscale résultant du mécénat des entreprises n'est pas chiffrée dans les « Voies et moyens ». L'administration fiscale ne dispose pas, en effet, des éléments permettant de calculer ce que les entreprises déduisent de leur résultat imposable. L'estimation officieuse du coût des mesures prévues à l'article 3 du présent projet de loi, qui est de l'ordre de 75 millions d'euros, doit donc être prise avec une certaine prudence.
Au total, la dépense fiscale devrait se monter à 150 millions d'euros . Cet effort est d'autant plus appréciable qu'il intervient alors même que les finances publiques traversent une passe difficile.
2. Des modalités de contrôle et de suivi de l'emploi des fonds à préciser
Les articles 1 er ter et 7 (nouveau) introduits par l'Assemblée nationale, ont trait au contrôle des associations et autres organismes d'intérêt général, qui vont être habilités à délivrer des certificats ouvrant droit à l'avantage fiscal.
La question du suivi des dons par les donateurs, comme celle du contrôle par l'État d'organismes ainsi autorisés à délivrer aux contribuables des certificats donnant droit à des réductions d'impôts, est légitime.
On peut, en effet, estimer que le contrôle de l'argent public se justifie aussi bien lorsque cet argent résulte d'une subvention, que lorsqu'il procède de la délivrance d'un reçu fiscal .
Il faut rappeler qu'en application de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, les associations ayant reçu annuellement de l'État , de ses établissements publics ou des collectivités locales une subvention de plus de 150.000 euros sont tenues à certaines obligations : tenue d'une comptabilité, présence d'un commissaire aux comptes :
- d'une part, les organismes d'intérêt général doivent produire chaque année un bilan, un compte de résultat et une annexe ; ils doivent également appliquer le plan comptable général prévu pour les associations ;
- d'autre part, ces organismes doivent nommer un commissaire aux comptes 1 ( * ) et un suppléant. Celui-ci peut attirer l'attention des dirigeants sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'activité de l'organisme...
Par ailleurs, il faut rappeler qu'en vertu d'une série de textes parfois anciens, les associations et organismes bénéficiant d'une subvention de l'État ou de ses établissements publics ou des organismes soumis à son contrôle, sont tenus de justifier de leurs dépenses en application de l'article 14 du décret-loi du 2 mai 1938 et sont soumis au contrôle de diverses inspections administratives 2 ( * ) .
Les administrés peuvent avoir accès aux comptes des organismes recevant une subvention d'un montant supérieur à 153.000 euros . Ceux-ci sont en effet tenus de déposer, en application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 mai 2000 à la préfecture du département où se trouve leur siège social, un certain nombre de documents : budget, comptes annuels...
Enfin, les Chambres régionales des comptes peuvent exercer un contrôle sur les organismes auxquels les collectivités publiques ont accordé une subvention supérieure à 15.000 euros. La Cour des comptes, de son côté, est compétente en application de la loi n° 91-772 du 7 août 1991 pour contrôler les associations faisant appel à la générosité du public, conjointement avec l'Inspection générale des affaires sociales. Ce contrôle, qui porte sur le compte d'emploi des ressources et leur affectation aux dons par type de dépenses, comporte la possibilité d'un accès « sur place ».
Les associations faisant appel à la générosité du public doivent établir un compte d'emploi annuel des ressources collectives auprès du public précisant l'affectation des dons par type de dépense.
Ce bref rappel est l'occasion de montrer que le contrôle existant actuellement est très étendu. Il n'est manifestement pas dans l'esprit de ce texte, qui, pour reprendre l'expression de notre collègue député Laurent Hénart, rapporteur, s'analyse comme marquant le passage d'une « culture de suspicion à l'égard des fondations et du monde associatif » à une « culture de confiance », de prévoir des contrôles aussi tatillons.
Pour votre rapporteur, il convient de se situer par rapport à deux philosophies du contrôle de la dépense, que l'on peut qualifier, respectivement, de régalienne ou de libérale : dans la première, la plus classique, il convient que la puissance publique organise a priori le contrôle et soumette les organismes amenés à recevoir de l'argent public à des corps de contrôle ou à des juridictions spécialisées ; dans l'autre, d'inspiration plus libérale, on cherche à s'appuyer sur l'initiative individuelle de tous ceux qui, ayant donné ou cotisé sont soucieux du bon emploi de leur argent.
Toute la question est de savoir :
- si l'État, qui par suite de l'adoption du présent projet de loi va se trouver le principal contributeur de nombre d'associations, estime que c'est à la puissance publique de se donner les moyens matériels et juridiques de suivre ce qui constitue, pour partie, de l'argent public et qu'elle doit, au-dessus d'un certain seuil au moins, en charger ses propres instances de contrôle ;
- ou s'il peut s'en remettre au libre-jeu des intérêts particuliers dans le cadre d'un processus qui ne serait pas sans rappeler les assemblées générales d'actionnaires ou de copropriétaires : il suffirait alors d'édicter de simples droits d'accès aux comptes voire aux pièces justificatives, elles-mêmes, en spéculant que, sur le nombre, il se trouvera toujours quelqu'individu attentif pour faire rendre des comptes à la direction de l'organisme.
En l'occurrence, il convient de se déterminer par rapport aux différentes obligations de transparence et possibilités de contrôle envisageables . Du moins au plus contraignant, on aurait ainsi le choix entre : la simple communication sur demande des comptes de l'association à toute personne ayant un intérêt pour le demander et, notamment, à un donateur ; la publication des comptes ou leur mise à disposition dans une administration ou sur Internet ; la certification des comptes dans des conditions à déterminer ; le contrôle enfin au-dessus d'un certain seuil des inspections sectorielles compétentes et de la Cour des comptes.
3. Le problème des dons en nature et de l'articulation du texte avec certaines dispositions fiscales
Le présent projet de loi ne tend en aucune façon à introduire de nouveaux mécanismes fiscaux dans le code général des impôts. On pourrait s'attendre à ne pas avoir à s'interroger sur des questions techniques.
Pourtant, précisément parce qu'il donne une nouvelle dimension à des avantages existants, ce texte ouvre des horizons tels qu'il conduit à se pencher sur des « frottements » actuellement imperceptibles. Votre rapporteur en évoquera deux : les dons en nature et l'articulation de l'article 200 du code précité relatif aux dons des particuliers avec les autres dispositions avantageuses favorisant déjà les donations aux organismes d'intérêt général ou à l'État.
On peut rappeler, en premier lieu, que les dons ouvrant droit aux avantages fiscaux tant pour les entreprises que pour les particuliers, peuvent aussi bien revêtir la forme de versements en espèces que de dons en nature. Dans ce cas, ils sont évalués à la valeur vénale du bien déterminée sous la responsabilité du donateur et soumise au contrôle de l'Administration. Comme le précise l'article 200 précité, les sommes peuvent correspondre à « l'abandon express de revenus ou de produits ». C'est ainsi que la non-perception de loyers, l'abandon de droits d'auteurs ou de produits de placement peuvent donner lieu à réduction d'impôts. Il en est de même des frais, notamment de transport, auxquels les bénévoles ont renoncé à demander le remboursement.
Il faut noter au passage que, nonobstant la lettre de l'article 238 bis du code général des impôts, qui emploie le terme de « versements », les dons en nature effectués par les entreprises sont acceptés et évalués à leur valeur en stock, à leur prix de revient, ou à leur valeur vénale.
L'élan nouveau donné par ce texte aux dons sous toutes leurs formes pourrait ainsi attirer l'attention sur certaines imperfections de la législation actuelle.
On peut notamment se demander, dès lors que sera supprimée l'interdiction pour les associations reconnues d'utilité publique de recevoir des dons sous réserve d'usufruit, à quelle valeur il faudra évaluer ces dons 3 ( * ) .
On peut également se demander si les dons auxquels a procédé une personne décédée, ouvrent droit à une réduction d'impôt pour l'impôt sur le revenu dû par cette dernière au titre de la période allant jusqu'à la date de son décès et payé par ses héritiers.
Dans la même perspective, on pourrait se demander si un don à l'État effectué en application de l'article 1131 du code général des impôts, exonéré de droits de mutation, donne droit à son auteur au bénéfice de l'article 200 du même code. On peut estimer, soit qu'il faut appliquer le principe non bis in idem et récuser le cumul de l'exonération de droits de mutation -mais alors il faut le préciser comme on le fait à l'article 4- soit qu'il conviendrait en toute justice de rendre éligible à la réduction d'impôt de l'article 200 la libéralité effective, déduction faite des droits de mutation auxquels le donateur a échappé.
Le souci de cohérence pourrait aller jusqu'à articuler l'article 200 à l'article 1716 bis du code général des impôts, relatif à la dation en paiement, et considérer que, si les droits dus dont inférieurs à la valeur agréée, il serait légitime d'accepter la libéralité résiduelle au titre de l'article 200 du même code.
D'une façon générale, votre rapporteur estime qu'il faudra voir à l'usage comment de texte sera appliqué et utilisé par les contribuables.
S'il ne souhaite pas encourager une attitude soupçonneuse des services fiscaux de nature à vider de leur contenu les intentions très généreuses et très libérales du gouvernement, comme cela est semble-t-il le cas en matière de donation temporaire d'usufruit, il faut aussi que ces services soient vigilants et veillent à ce que certains utilisent le texte à des fins d'optimisation fiscale. Or, on ne peut exclure que des dons en nature ne permettent à des contribuables de liquider, à bon compte et sans le risque de la mise sur le marché, certains actifs qui, s'ils avaient dû les vendre, auraient supporté l'impôt sur les plus-values.
Votre rapporteur n'a pas souhaité proposer des amendements sur ces questions considérant que la navette parlementaire permettrait de faire le point sur ces questions.
4. La méconnaissance de la spécificité des fondations et des organismes humanitaires
Le souci de simplification et donc d'uniformisation des règles doit trouver ses limites naturelles dans la prise en compte des différences de situation objective. A cet égard, on peut se demander si l'on n'est pas allé trop loin s'agissant tant des organismes à vocation humanitaire que des fondations.
La volonté du gouvernement d'aboutir à un texte simple et lisible, l'a conduit à supprimer toute discrimination positive en faveur des organismes d'intérêt général venant en aide aux personnes les plus démunies.
La perte de cet avantage comparatif inquiète un certain nombre de ces organismes, dont l'action apparaît tout à fait essentielle du point de vue du lien social et de la solidarité.
Tout en considérant qu'il était impossible d'augmenter encore le taux de la réduction d'impôts et qu'il ne fallait pas introduire de complexité inutile, votre commission des finances a considéré qu'il était difficile de ne pas marquer le caractère prioritaire de ce type d'action.
De même, une autre conséquence du texte, surtout après le vote de l'Assemblée nationale, est la relative banalisation du statut des fondations . Il est paradoxal que ce texte aboutisse à fondre dans le droit commun le régime fiscal des fondations, alors que ces organismes se distinguent précisément des associations, même reconnues d'utilité publique, en ce qu'elles doivent vivre en principe essentiellement des seuls revenus de leurs dotations.
* 1 C'est seulement dans le cas où la loi n'impose pas à un organisme de nommer un commissaire aux comptes qu'il est possible de désigner une autre personne qu'un commissaire aux comptes inscrit qui, sous un autre titre, effectuera contractuellement une mission particulière définie par les statuts ou par un autre organe de l'association. On note que ce commissaire aux comptes est désigné pour six exercices et reste en fonction même si les conditions ayant déclenché sa nomination, ne sont plus satisfaites par ailleurs.
* 2 L'inspection générale des finances en application d'une ordonnance du 23 septembre 1958 et des comptables supérieurs du Trésor en application de la loi du 12 avril 1996. Ces mêmes organismes sont soumis au contrôle spécifique de l'inspection générale de l'administration du ministère de l'intérieur, ou des inspections générales ministérielles et notamment de l'inspection générale des affaires sociales.
* 3 Faudra-t-il appliquer le tarif -dont la commission des finances a maintes fois souligné le caractère obsolète- de l'article 762 du code général des impôts ? Quelle que soit la réponse apportée à cette question, il paraît logique de ne retenir que la valeur « économique » du bien considéré, en tenant donc compte de la réserve d'usufruit.