EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi modifiant la loi n° 77-708 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, concerne la question de la publication des sondages préélectoraux dans les jours qui précèdent un scrutin.
La désuétude de la législation en vigueur qui interdit la publication de ces sondages dans la semaine qui précède une élection, compte tenu du développement des technologies de communication depuis 25 ans, la jurisprudence récente de la Cour de cassation, selon laquelle cette interdiction n'est pas conforme à la Convention européenne des droits de l'homme et la proximité d'échéances électorales majeures plaident sans aucun doute pour une clarification de la législation dans les plus brefs délais.
Pour autant, une telle question, débattue régulièrement, aurait pu trouver un règlement satisfaisant sans qu'il soit pour cela indispensable de procéder tardivement dans l'urgence et dans la précipitation 1 ( * ) .
Ainsi, le Sénat a-t-il, le 17 mai 2001, dans le cadre d'une séance mensuelle réservée, adopté une proposition de loi tendant à adapter diverses dispositions de caractère électoral, comportant la limitation de l'interdiction de publier des sondages électoraux à la veille et au jour du scrutin 2 ( * ) . Le texte adopté par le Sénat, qui n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, prévoyait aussi un renforcement des pouvoirs de la Commission des sondages à l'égard des enquêtes d'opinion publiées dans les quinze jours qui précèdent une élection.
L'abstention de l'Assemblée nationale et l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation ont conduit le Sénat, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité, sur la proposition de notre collègue, M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des Lois, à confirmer, le 16 janvier 2002, les dispositions déjà adoptées le 17 mai 2001 3 ( * ) .
Le deuxième vote du Sénat n'aura donc pas plus été pris en considération que le premier par le Gouvernement qui a préféré, malgré l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées, charger celui-ci avec l'examen d'un nouveau texte.
Une fois de plus, le droit d'initiative des lois, reconnu aux membres du Parlement par l'article 39 de la Constitution, apparaît, dans les faits, occulté par celui du Premier ministre qui préfère reprendre, sous la forme d'un projet de loi, des propositions de loi votées par le Sénat 4 ( * ) .
Votre rapporteur rappellera successivement le régime juridique des sondages de caractère électoral et les difficultés auxquelles se heurte depuis plusieurs années l'interdiction de publier ces sondages dans la semaine qui précède un scrutin avant d'exposer les propositions de votre commission des Lois sur le présent projet de loi.
I. UNE LÉGISLATION CONÇUE POUR LA TRANSPARENCE DES SONDAGES D'OPINION
Lors de la campagne présidentielle de 1974 et à la demande des directeurs de campagne des deux candidats en présence au second tour, le président Alain Poher, exerçant provisoirement les fonctions de président de la République à la suite du décès du président Georges Pompidou, a sollicité du journal « France-Soir » qu'il renonce à la publication, la veille du second tour de scrutin, d'un sondage d'opinion sur cette élection.
Cette démarche provenait du climat tendu de la fin de campagne, alors que les sondages précédents plaçaient quasiment à égalité les candidats François Mitterrand et Valéry Giscard d'Estaing.
On observera que la renonciation à la publication du sondage par l'organe de presse concerné s'est effectuée en l'absence de toute obligation de caractère juridique.
Ces circonstances ont contribué à l'adoption avec modifications par le Parlement d'une proposition de loi de nos regrettés collègues Etienne Dailly et Gaston Pams 5 ( * ) , à l'origine de la loi du 19 juillet 1977 précitée, ayant pour objet de réguler la réalisation et la publication de sondages d'opinion sur les scrutins, afin que ceux-ci ne risquent pas d'altérer la liberté de choix de l'électeur.
La loi concerne les scrutins politiques de toute nature : référendum, élections présidentielles, parlementaires, locales et européennes. Elle s'applique, le cas échéant, aux scrutins partiels.
Sont régies par la loi « tout sondage d'opinion ayant un rapport direct ou indirect » avec l'un de ces scrutins de caractère politique.
La loi a créé une Commission des sondages, « chargée d'étudier et de proposer des règles tendant à assurer dans le domaine de la prévision électorale l'objectivité et la qualité des sondages publiés ou diffusés ».
La Commission des sondages est composée de neuf membres désignés, par décret en conseil des Ministres pour trois ans, en nombre égal parmi les membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des Comptes.
Cette commission joue un rôle central dans le dispositif de régulation des sondages électoraux, qui comporte, d'une part, des dispositions applicables en toutes circonstances, et, d'autre part, des règles spéciales pour les périodes préélectorales.
A. DISPOSITIONS APPLICABLES EN TOUTE PÉRIODE
La Commission des sondages est habilitée à « définir les clauses qui doivent figurer obligatoirement dans les contrats de vente des sondages ». Elle participe étroitement au contrôle de l'élaboration et de la publication des sondages électoraux.
La publication ou la diffusion d'un sondage électoral doit être accompagnée des indications suivantes, établies sous la responsabilité de l'organisme qui les a réalisés :
- le nom de l'organisme ayant réalisé le sondage ;
- le nom et la qualité de l'acheteur du sondage ;
- le nombre de personnes interrogées ;
- la ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations.
La publication ou la diffusion d'un sondage électoral donne lieu, de la part de l'organisme qui l'a réalisé, au dépôt auprès de la Commission des sondages d'une « notice précisant notamment :
« - l'objet du sondage ;
« - la méthode selon laquelle les personnes interrogées ont été choisies, le choix et la composition de l'échantillon ;
« - les conditions dans lesquelles il a été procédé aux interrogations ;
« - le texte intégral des questions posées ;
« la proportion des personnes n'ayant pas répondu à chacune des questions ;
« les limites d'interprétation des résultats publiés ;
« s'il y a lieu, la méthode utilisée pour en déduire les résultats de caractère indirect qui seraient publiés. »
La Commission des sondages peut ordonner la publication des indications figurant dans cette notice par ceux qui ont procédé à la publication ou à la diffusion d'un sondage.
Les instituts de sondage ne peuvent réaliser de sondage électoral destiné à être publié ou diffusé s'ils ne se sont pas engagés, par une déclaration préalablement adressée à la Commission des sondages, à appliquer la loi du 19 juillet 1977 précitée et les textes réglementaires pris sur proposition de la Commission des sondages afin d'assurer leur « objectivité et qualité ».
Nul ne peut publier ou diffuser les résultats d'un sondage électoral réalisé sans que cette déclaration ait été préalablement souscrite par l'institut de sondage l'ayant réalisé.
La Commission des sondages a tout pouvoir pour vérifier que les sondages électoraux ont été réalisés et que leur vente s'est effectuée conformément aux lois et règlements.
Les organes d'information qui publieraient ou diffuseraient un sondage électoral en violation des dispositions législatives ou réglementaires applicables, en méconnaissance des clauses obligatoires des contrats de vente, ou en altérant la portée des résultats obtenus « sont tenus de publier sans délai les mises au point demandées par la Commission des sondages ».
La Commission des sondages peut même, « à tout moment, faire programmer et diffuser ces mises au point par les sociétés nationales de radiodiffusion et de télévision ».
Les décisions de la Commission des sondages sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, dans un délai de cinq jours à compter de la notification.
Le décret n° 78-79 du 25 janvier 1978 précise que les clauses obligatoires des contrats de vente de sondages électoraux, définies par la Commission des sondages, sont publiées au Journal Officiel .
Le décret n° 80-351 du 16 mai 1980, accorde à la personne interrogée le droit d'être informée du nom de l'organisme qui réalise le sondage, l'enquêteur devant, en outre, préciser à la personne sondée qu'elle peut ne pas répondre ou mettre fin à tout moment à cet entretien.
Enfin, le décret impose à l'institut de sondage l'obligation de conserver et de tenir, pendant deux mois, à la disposition de la Commission des sondages les documents permettant de vérifier l'objectivité et la qualité du sondage (plan d'échantillonnage et échantillon réel, liste des enquêteurs et instructions qui leur ont été données, documents relatifs au traitement des réponses, résultats bruts et, le cas échéant, redressements effectués...).
Le délai de deux mois peut être prolongé pour les besoins de la vérification ou en raison d'une procédure judiciaire.
La méconnaissance des dispositions légales peut être sanctionnée d'une amende de 75.000 € (500.000 F), avec publication ou diffusion « par les mêmes moyens que ceux par lesquels il a été fait état du sondage » litigieux. (article 12 de la loi du 19 juillet 1977 précitée).
L'ensemble de ce dispositif, destiné à favoriser l'objectivité et la qualité des sondages électoraux en toutes périodes ne serait, en aucune façon, remis en cause ou modifié par le présent projet de loi.
* 1 Le présent projet de loi, adopté en Conseil des Ministres le 16 janvier 2002, a été examiné par l'Assemblée nationale le 23 janvier 2002 et est inscrit à l'ordre du jour du Sénat du 6 février 2001.
* 2 Proposition de loi de nos collègues MM. Daniel Hoeffel, Charles Jolibois et votre rapporteur (document Sénat n° 57 ; 2000-2001) et rapport n° 310 (2000-2001) établi par votre rapporteur.
* 3 Amendement n° 55 insérant un article 15 octovicies (nouveau).
* 4 Par exemple, les diverses propositions de loi relatives au « statut de l'élu », adoptées par le Sénat, sur le rapport de notre collègue M. Jean-Paul Delevoye, le 18 janvier 2001 puis le 8 février 2001, au lieu d'être inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, ont été, pour une large part, reprises dans le titre II du projet de loi relatif à la démocratie de proximité, adopté par le Sénat le 24 janvier 2002.
* 5 Déposée avant la campagne présidentielle de 1974 : n° 83 (1972-1973)