II. UN PRÉTEXTE : L'" ESPRIT " DES INSTITUTIONS

Il ressort des débats de l'Assemblée nationale que la principale justification de la proposition de loi organique serait la nécessité de respecter la " logique ", l'" esprit ", le " principe de fonctionnement " des institutions de la V e République en modifiant un calendrier électoral qui s'apparenterait à un " coup de force du hasard " 8 ( * ) . Ces objectifs déclarés méritent un examen attentif.

A. UN TEXTE QUI NE RÉPOND PAS À L'OBJECTIF POURSUIVI

1. Vous avez dit " hasard " ?

Le hasard a incontestablement été le principal sujet du débat à l'Assemblée nationale sur la présente proposition de loi organique. De nombreux orateurs, en effet, ont observé que l'ordre des élections, tel qu'il est actuellement prévu, était le fruit d'un hasard auquel il convenait de ne pas se soumettre.

Dans sa réponse aux questions orales avec débat sur l'avenir des institutions qui ont précédé l'examen des propositions de loi, M. le Premier ministre s'est ainsi exprimé : " Ce calendrier, on le sait, est tout à fait fortuit (...). Il est l'effet conjugué de l'aléa d'une vie -la mort du président Pompidou en 1974- et d'une décision politique inattendue : la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, un an avant le terme de son mandat " 9 ( * ) .

De manière plus précise encore, M. Bernard Roman, président et rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, a entamé ainsi la présentation de son rapport : " (...) deux événements fortuits -la mort du président Pompidou en avril 1974 et la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 1997 par l'actuel Président de la République- sont à l'origine du calendrier électoral inédit de 2002. Ainsi, par le seul fait du hasard, non seulement les élections législatives et présidentielles se dérouleront la même année mais, de surcroît, le scrutin désignant les députés précédera l'élection présidentielle " 10 ( * ) .

Les auteurs des propositions de loi organique déposées à l'Assemblée nationale ont repris en séance cette argumentation pour plaider en faveur de la modification de l'ordre des consultations.

Un tel raisonnement ne laisse pas d'étonner à plusieurs égards.

Rappelons en effet qu'en 1958, après l'approbation par le peuple de la Constitution de la V e République, le Président de la République a été élu en décembre après des élections législatives organisées en novembre. Assurément, la situation n'était pas entièrement comparable, dans la mesure où le Président était alors élu par un collège de grands électeurs. Il serait cependant audacieux d'affirmer que l'élection des députés avant celle de Président a amoindri la capacité de ce dernier à diriger le pays.

Par ailleurs, en 1969, l'élection présidentielle est intervenue moins d'un an après les élections législatives de 1968. En 1974, l'élection présidentielle est intervenue quatorze mois après les élections législatives. Il est vrai que ces calendriers n'étaient pas prévisibles et que ces délais étaient plus étendus que celui actuellement prévu en 2002. Dans ces conditions, il conviendrait à tout le moins de définir pour l'avenir ce qu'est un délai conforme à l'esprit de nos institutions entre des élections législatives et une élection présidentielle.

D'une manière générale, le Gouvernement comme les auteurs des propositions de loi organique semblent considérer qu'en l'absence de " hasard ", jamais une telle situation n'aurait pu se produire sous la V e République. Votre rapporteur doit pourtant s'inscrire en faux contre une telle assertion.

Si, en effet, tous les présidents de la République avaient achevé leurs mandats et si aucun d'entre eux n'avait dissout l'Assemblée nationale, une élection présidentielle aurait été organisée en décembre 1958, décembre 1965, décembre 1972, décembre 1979, décembre 1986 et décembre 1993. Des élections législatives auraient été organisées en mars 1963, mars 1968, mars 1973, mars 1978, mars 1983, mars 1988 et mars 1993. Si le " hasard " n'avait pas fait son oeuvre, en 1993, des élections législatives et une élection présidentielle auraient été organisées la même année, les premières précédant la seconde .

* 8 Rapport AN n°2791, p. 8.

* 9 JO Débats AN, 1 ère séance du 19 décembre 2000, P. 10438.

* 10 JO Débats AN, 2 ème séance du 19 décembre 2000, p. 10457.

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