ANNEXE
LES TRAVAUX DE LA COMMISSION
DU MARDI
9 JANVIER 2000
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AUDITION DE M. RENÉ RÉMOND,
MEMBRE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE,
PRÉSIDENT DE LA
FONDATION NATIONALE
DES SCIENCES POLITIQUES
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M. Pierre Fauchon, président, a souligné la grande portée des dispositions proposées et regretté le peu de temps imparti au Sénat pour se prononcer.
Il a rappelé que le texte en discussion tendait à reporter du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale et que cette modification conduirait, en 2002, à l'organisation des élections présidentielles avant les élections législatives.
La commission a tout d'abord entendu M. René Rémond, membre de l'Académie française, président de la Fondation nationale des sciences politiques. Celui-ci s'est félicité de l'étendue de la consultation organisée par le Sénat, en rappelant avoir regretté le manque de débat lors de l'examen du texte limitant la durée du mandat présidentiel.
Rappelant qu'il intervenait en tant qu'historien et observateur de la vie politique, M. René Rémond a souhaité inscrire sa réflexion dans le long terme. Il a souligné l'importance de ce texte dont l'objet, le rapport au temps en politique, élément essentiel contribuant à caractériser l'Etat de droit, avait déjà été examiné quelques mois auparavant s'agissant de la durée du mandat présidentiel.
Sur l'opportunité d'une telle réforme à un peu plus d'un an des échéances électorales, M. René Rémond a reconnu qu'elle pouvait susciter des soupçons de manipulation. Cependant, il a rappelé que ce postulat d'intangibilité des règles électorales peu avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires, s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité les réformes des modes de scrutin intervenues en 1927 ainsi qu'en 1951 avec l'adoption de la loi sur les apparentements.
S'agissant du délai d'un an avant les échéances électorales, M. René Rémond a par ailleurs considéré qu'il était amplement suffisant, mais qu'il devait conduire le Sénat à ne pas différer l'examen du texte, une " course de lenteur " pouvant être interprétée comme de l'obstruction.
Il a ensuite jugé opportun le choix du mois de juin comme date d'élection, les facteurs d'abstention (ponts, départs en vacances...) lui apparaissant moindres que pour d'autres périodes.
Il a souligné que qualifier la modification du calendrier électoral d'" inversion " ou de " rétablissement " était révélateur d'un certain jugement de valeur.
M. René Rémond a ensuite mis en lumière l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant les effets d'une telle réforme sur le résultat du scrutin et a dès lors souhaité que les supputations diverses n'occultent pas l'objet de la proposition de loi.
Il a alors abordé ce qui lui est apparu essentiel, à savoir les conséquences d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonctions présidentielle et législative.
M. René Rémond a considéré que les précédents d'antériorité d'élections législatives par rapport aux élections présidentielles sous la Ve République, auxquels il est souvent fait référence, ne pouvaient être retenus. Il a indiqué qu'en 1958 il s'agissait de mettre en place les institutions, les élections présidentielles de 1969 et 1974 ayant résulté d'événements inopinés, démission du Président de la République Charles de Gaulle d'une part, et décès subit du Président de la République Georges Pompidou d'autre part. Soulignant que les dates d'élection étaient ainsi le fruit du hasard, il a salué la présente proposition de loi organique qui permettrait justement de remédier à cet état de fait.
M. René Rémond a ensuite rappelé que depuis quatre ans, divers événements avaient entraîné une évolution non intentionnelle de l'équilibre des institutions. Rappelant la " dissolution de convenance " de l'Assemblée nationale intervenue en avril 1997, il a souligné qu'elle avait eu pour conséquence de rendre l'exercice du droit de dissolution plus précaire pour le Président de la République, tandis que l'" échec " du référendum relatif au quinquennat, dû pour une grande partie à l'absence de débat public, avait affaibli la fonction présidentielle, déjà mise à mal par la cohabitation.
Il a précisé que le calendrier actuel accentuait encore l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale, ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, ceci ayant été largement avalisé par la suite par les citoyens.
M. René Rémond a par ailleurs indiqué que l'adoption du quinquennat avait eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
En conclusion, il a souhaité que le débat porte sur l'essentiel et, parlant résolument de " rétablissement " du calendrier électoral, s'est déclaré en faveur de cette réforme, d'après lui plus conforme à l'esprit des institutions.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud ayant observé qu'il résultait de l'intervention de M. René Rémond que l'enjeu de ce texte était d'arbitrer entre un régime présidentiel et un régime parlementaire, M. René Rémond a en effet concédé qu'il ne pouvait être possible d'ignorer cet enjeu, du fait de l'évolution des quatre dernières années.
M. Christian Bonnet, rappelant l'emploi par M. René Rémond du terme de " dissolution de convenance ", s'est interrogé sur les éléments permettant d'y faire référence, rappelant que les dissolutions intervenues en 1981 et 1988 avaient eu pour objectif de rechercher une majorité de fait et qu'il avait été précédemment reproché au Président de la République d'alors, M. Valéry Giscard d'Estaing, de ne pas avoir provoqué de dissolution et d'avoir, par conséquence, dû " gouverner au 49-3 ".
M. René Rémond a alors rappelé que le droit de dissolution ne devait s'exercer que dans des circonstances exceptionnelles, crise de société telle celle de mai 1968 ou dysharmonie profonde entre les pouvoirs entraînant des risques de blocage comme en 1981 et en 1988. Il a alors estimé qu'au contraire, la dissolution intervenue en avril 1997, alors même que le Gouvernement disposait d'une majorité écrasante à l'Assemblée nationale, s'apparentait à une anticipation d'échéances électorales dans le droit fil de la coutume britannique, mais que contrairement à cette pratique britannique, le Président de la République restait en fonctions même en cas d'échec, et qu'il s'agissait donc à ses yeux d'un abus du droit de dissolution.
Après que M. Jean-Jacques Hyest eut convergé avec lui sur l'idée que l'adoption du quinquennat risquait d'entraîner une recrudescence des situations de cohabitation, M. René Rémond a expliqué que rien ne garantissait en effet que des pouvoirs élus au même moment et pour la même échéance coïncideraient forcément, les élections législatives s'apparentant à 577 élections locales et à autant de situations personnelles.
Il a ensuite souligné qu'une cohabitation longue de cinq ans était désormais possible et qu'elle apparaissait comme une figure permanente de la vie politique française.
M. Henri de Richemont a alors déclaré que la présente proposition de loi s'apparentait à une réforme de convenance puisque le Premier Ministre et le Gouvernement qui s'étaient prononcés contre une telle réforme il y a quelques mois avaient récemment opéré un revirement.
M. René Rémond s'est alors étonné que les partisans d'une fonction présidentielle forte ne se réjouissent pas d'un tel revirement et, rappelant une nouvelle fois que nul ne pouvait raisonnablement prédire les effets d'une telle réforme, il a appelé à un débat portant sur le fond du texte.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a alors observé que la fixation d'une date permanente pour les élections était illusoire, car il faudrait interdire au Président de la République de dissoudre, de démissionner et de mourir.
M. René Rémond, après l'avoir admis, a indiqué que cela résultait du manque de globalisation des réformes concernant la vie politique, ainsi que l'avait montré l'adoption d'un " quinquennat sec ".