B. UN TAUX DE CHÔMAGE STRUCTUREL QUI RESTE PARMI LES PLUS ÉLEVÉS D'EUROPE
Vos
rapporteurs se félicitent de la baisse du chômage. Ils
considèrent qu'elle est le fruit d'un retour de la croissance mais aussi
des efforts conjugués des chefs d'entreprise et des salariés. Ils
observent néanmoins que celle-ci est encore insuffisante pour que l'on
puisse considérer le chômage comme vaincu. Ils s'interrogent, en
conséquence, sur les moyens d'obtenir des résultats plus
conformes avec les performances des grands pays développés qui
atteignent des taux de chômage proches des 5 % de la population
active.
L'OCDE prévoit que le taux de chômage français pourrait
revenir autour de 9,6 % en 2001.
Ce niveau est considéré habituellement comme un plancher par les
économistes compte tenu des caractéristiques du marché du
travail français. Selon ces analyses, plus le taux de chômage se
rapprochera des 10 %, moins la main-d'oeuvre qualifiée sera
disponible, car ayant déjà trouvé un emploi ; et plus
les tensions salariales seront importantes, ce qui pourrait amener les
autorités monétaires, si elles constatent des évolutions
similaires dans d'autres pays d'Europe, à augmenter les taux
d'intérêt et à pénaliser ainsi la croissance.
La
croissance du PIB en France, en Allemagne et au Royaume-Uni
en % (variation
annuelle)
Et la progression de l'emploi
en % (variation annuelle)
|
France |
|
|
|
Allemagne |
|
|
|
Royaume-Uni |
Source : Commission européenne
Seules des réformes structurelles du marché du travail peuvent
permettre d'abaisser le taux de chômage structurel de 9 à 5 %
afin de permettre une croissance durable. Ces réformes ont fait l'objet
de recommandations de la part de l'OCDE. Elles reposent sur des mesures ayant
trait à la flexibilité ou à la " souplesse "
mais pas seulement, la formation professionnelle et les incitations à la
création d'entreprise y tiennent une place importante.
Les recommandations de l'OCDE pour l'emploi
1. Elaborer une politique macro-économique qui
favorise la croissance
et qui, conjuguée à des politiques
structurelles bien conçues, la rende durable, c'est-à-dire non
inflationniste.
2. Améliorer le cadre dans lequel s'inscrivent la création
et la diffusion du savoir-faire technologique.
3.
Accroître la flexibilité du temps de travail
(aussi
bien à court terme que sur la durée de la vie active) dans le
cadre de contrats conclus de gré à gré entre travailleurs
et employeurs.
4.
Créer un climat favorable à l'entreprise
en
éliminant les obstacles et les entraves à la création et
au développement des entreprises.
5.
Accroître la flexibilité des coûts salariaux et
de main-d'oeuvre en supprimant les contraintes qui empêchent les salaires
de refléter les conditions locales et le niveau de qualification de
chacun
, en particulier des jeunes travailleurs.
6. Revoir les dispositions relatives à la sécurité de
l'emploi qui freinent son expansion dans le secteur privé.
7. Mettre davantage l'accent sur les politiques actives du marché
du travail et les rendre plus efficaces.
8. Améliorer les qualifications et les compétences de la
main-d'oeuvre en modifiant profondément les systèmes
d'enseignement et de formation.
9. Revoir les systèmes d'indemnisation du chômage et de
prestations connexes -et leurs interactions avec le système fiscal- de
sorte que les objectifs fondamentaux en matière de la
collectivité soient remplis sans porter atteinte au bon fonctionnement
des marchés du travail.
Source : OCDE, Etude sur l'emploi " La mise en oeuvre de la
stratégie pour l'emploi ", 1994.
Force est de constater que la France n'a pas encore pris toute la mesure des
efforts à produire, ceci alors même que son taux de chômage
structurel, déjà très élevé, stagne, voire
continue à augmenter. Cela signifie concrètement qu'un nombre
important de chômeurs continuent à être exclus de fait du
marché du travail. Faute de pouvoir bénéficier d'une
formation adéquate, ils ne peuvent satisfaire les demandes des
employeurs, ce qui favorise les tensions salariales puisque les candidats
qualifiés à la recherche d'un emploi deviennent relativement plus
rares. Par ailleurs, certains chômeurs peuvent également
être pénalisés par les rigidités du marché du
travail (droit du licenciement, 35 heures...) qui dissuadent les
employeurs d'embaucher en dépit du fait qu'ils pourraient en avoir
besoin.
Chômage structurel (1) dans les pays de l'OCDE, 1986, 1990, 1995 et 1998 (2)
(en pourcentage de la population active totale)
|
|
|
1986 |
1990 |
1995 |
1998 |
Dans les années 90 le taux de chômage structurel |
|
|
|
|
||
a augmenté |
Finlande |
|
4,9 |
6,2 |
12,3 |
11,8 |
|
Suède |
|
2,2 |
2,4 |
5,8 |
6,5 |
|
Suisse |
|
0,6 |
0,9 |
3,2 |
3,0 |
|
Grèce |
|
7,6 |
8,0 |
9,4 |
9,7 |
|
Allemagne |
|
6,4 |
6,1 |
7,8 |
7,9 |
|
France |
|
8,6 |
9,0 |
10,4 |
10,4 |
|
Japon |
|
2,5 |
2,4 |
2,9 |
3,6 |
|
Italie |
|
8,7 |
9,0 |
10,1 |
10,1 |
|
Autriche |
|
4,4 |
5,0 |
5,0 |
5,5 |
|
|
|
|
|
|
|
est resté stable |
Belgique |
|
9,7 |
8,3 |
8,2 |
8,1 |
|
Portugal |
|
7,9 |
5,7 |
5,5 |
5,5 |
|
Norvège |
|
3,0 |
4,5 |
4,8 |
4,0 |
|
|
|
|
|
|
|
a baissé |
Etats-Unis |
|
6,3 |
5,9 |
5,7 |
5,4 |
|
Canada |
|
9,3 |
9,1 |
9,4 |
8,5 |
|
Australie |
|
7,9 |
8,6 |
9,0 |
8,1 |
|
Espagne |
|
19,2 |
19,6 |
20,4 |
18,6 |
|
Nouvelle-Zélande |
|
4,7 |
6,8 |
6,6 |
5,8 |
|
Royaume-Uni |
|
10,4 |
9,0 |
8,1 |
7,7 |
|
Danemark |
|
6,7 |
7,4 |
7,0 |
5,6 |
|
Pays-Bas |
|
8,1 |
7,0 |
6,0 |
5,0 |
|
Irlande |
|
16,1 |
15,5 |
11,6 |
8,0 |
|
Taux de chômage structurel de l'OCDE (3) |
7,0 |
6,7 |
7,1 |
6,9 |
|
|
Taux de chômage observé de l'OCDE (3) |
7,7 |
6,0 |
6,0 |
7,2 |
(1) Les chiffres du chômage structurel proviennent
des
estimations de l'OCDE du
taux de chômage non
accélérateur des salaires
(NAWRU). Les NAWRU sont
calculés à l'aide de la définition couramment
utilisée des taux de chômage. Pour l'Allemagne, la Belgique et le
Danemark, on a préféré utiliser les taux de chômage
standardisés pour améliorer la comparabilité avec les
autres pays.
(2) Une variation est jugée significative (en termes absolus) si
elle st supérieure à un écart type. Celui-ci a
été calculé pour chaque pays sur la période
1986-98-.
(3) Moyenne pondérée des pays apparaissant dans le tableau.
Source : Secrétariat de l'OCDE.
Chômage structurel dans les pays de l'OCDE :
niveaux
et variations
au cours de la période 1990-98
Source : Secrétariat de l'OCDE
Cette question du taux de chômage structurel n'a rien de théorique
puisque l'on observe déjà des difficultés de recrutement
dans certaines professions, alors même que le taux de chômage reste
supérieur à 11 %. Dans le secteur du BTP, sept entreprises
sur dix auraient du mal à recruter du personnel qualifié
2(
*
)
. La Fédération
française du bâtiment (FFB) s'est faite l'écho des
problèmes des entreprises du secteur dans le recrutement de personnel
qualifié.
Des problèmes de recrutement apparaissent également dans les
secteurs de l'informatique, du transport routier et de la
restauration-hôtellerie. Les tensions sur certains segments
spécialisés du marché de l'emploi s'accompagnent d'un
regain de tensions salariales consécutives à la mise en place des
35 heures
3(
*
)
. La
modération salariale prévue par les accords de réduction
du temps de travail est contestée par des salariés qui ne peuvent
plus compter sur le supplément de revenu qu'apportaient jusqu'alors les
heures supplémentaires et qui ne comprennent pas pourquoi ils ne
bénéficieraient pas de l'amélioration de la conjoncture
économique après plusieurs années de crise.
Le fait qu'un début d'amélioration sur le front du chômage
s'accompagne de pénuries sectorielles de main-d'oeuvre et de
revendications salariales constitue un indice probant de la justesse des
analyses de l'OCDE sur le niveau élevé (autour de 10,4 %) du
taux de chômage structurel français.
Taux de chômage standardisé
|
JUIN 97 |
JUIN 99 |
Evolution en points |
Evolution en % |
ESPAGNE |
21,0 |
16,1 |
- 4,9 |
- 23,3 |
SUÈDE |
10,4 |
7,0 |
- 3,4 |
- 32,7 |
IRLANDE |
10,1 |
6,7 |
- 3,4 |
- 33,7 |
FINLANDE |
12,6 |
10,0 |
- 2,6 |
- 20,6 |
PORTUGAL |
6,9 |
4,6 |
- 2,3 |
- 33,3 |
PAYS-BAS (1) |
5,5 |
3,3 |
- 2,2 |
- 40,0 |
FRANCE |
12,5 |
11,1 |
- 1,4 |
- 11,2 |
ROYAUME-UNI (2) |
7,3 |
6,2 |
- 1,1 |
- 15,1 |
DANEMARK |
5,5 |
4,5 |
- 1,0 |
- 18,2 |
ALLEMAGNE |
9,9 |
9,1 |
- 0,8 |
- 8,1 |
BELGIQUE |
9,5 |
9,0 |
- 0,5 |
- 5,3 |
AUTRICHE |
4,5 |
4,3 |
- 0,2 |
- 4,4 |
ITALIE (2) |
12,1 |
12,0 |
- 0,1 |
- 0,8 |
LUXEMBOURG |
2,6 |
2,8 |
0,2 |
7,7 |
ETATS-UNIS |
5,0 |
4,3 |
- 0,7 |
- 14,0 |
JAPON |
3,4 |
4,8 |
1,4 |
41,2 |
(1)
Mai 1999
(2)
Avril 1999.
Source : EUROSTAT (News Release, n° 78/79, 10 août
1999)
Vos rapporteurs ont été surpris de constater, à l'occasion
de ce débat sur le projet de loi de finances pour 2000, que le plein
emploi ne semblait pas constituer un objectif partagé par tous les
membres de la majorité de l'Assemblée nationale.
Dans le cadre de son rapport général
4(
*
)
sur le projet de loi de finances pour
2000, M. Didier Migaud, rapporteur général, remet en effet en
question l'objectif d'un taux de chômage à 5 % lorsque
celui-ci est atteint au prix de concessions sur l'aspect
" qualitatif " de la politique de l'emploi. Il considère que
la mise en oeuvre de la stratégie pour l'emploi définie par
l'OCDE signerait le
" constat de décès du modèle
du contrat de travail à durée indéterminée avec une
carrière longue dans l'entreprise
".
Baisse du chômage, " nouvelle économie " et évolution du cours du pétrole
Le
développement des nouvelles technologies (internet,
téléphone portable, télévision numérique,
biogénétique...) constituerait la principale explication de la
formidable croissance observée aux Etats-Unis depuis sept ans et des
millions de créations d'emplois qui en ont été la
conséquence.
Depuis deux ans, les effets de la " nouvelle économie "
auraient commencé à toucher l'Europe. Dans le même temps,
les gouvernements revendiquent la paternité du retour du " cercle
vertueux emploi-revenu-consommation ". Ils déclarent que les
politiques spécifiques mises en oeuvre dans leurs pays respectifs ont
créé un marché du travail plus vigoureux et plus efficace.
Ainsi, le rapporteur général de l'Assemblée nationale
explique que : "
L'emploi s'améliore. Le chômage
recule à un rythme inconnu depuis longtemps. L'actuel Gouvernement
réussit donc là où le précédent a
échoué
"
5(
*
)
.
Pourtant il existe des opinions différentes pour expliquer ce retour de
la croissance et de l'emploi. Dans un article récent
6(
*
)
, M. Andrew Oswald
7(
*
)
déclare que la croissance et la
baisse du chômage sont la conséquence de la baisse du prix du
pétrole observée depuis 1991-1992 comme le laisse penser la forte
corrélation observée entre l'évolution du taux de
chômage aux Etats-Unis et l'évolution du prix réel du
pétrole.
Cet économiste observe qu'en 1998, le cours réel du
pétrole est descendu à son niveau le plus bas depuis la seconde
guerre mondiale. Il considère que globalement c'est en raison de la
baisse des prix de l'énergie que les coûts totaux des entreprises
ont diminué dans les années 1990.
Fort de ce constat, il considère que la forte augmentation actuelle du
prix du pétrole qui vient de dépasser les 26 $ fin novembre
contre 11 $ au début de l'année 1990 constitue un
véritable choc pétrolier dont les effets se répercutent
déjà dans les coûts des entreprises. Il estime que ce choc
devrait d'abord produire ses effets sur les prix des consommations
intermédiaires puis sur la production et l'emploi.
Evoquant les recommandations formulées par la Commission
européenne en matière de politique de l'emploi, le rapporteur
général de l'Assemblée nationale considère que
"
l'exemplarité du modèle anglais ou celle du
" miracle " hollandais demandent encore à être
démontrées
" étant donné que "
les
contreparties du modèle anglais de lutte contre le chômage sont
lourdes en termes d'inégalités et de
pauvreté
"
8(
*
)
.
Ce faisant, M. Didier Migaud, rapporteur général pour
l'Assemblée nationale, semble contester que la Commission
européenne prenne ces pays pour référence dans ses
recommandations adressées aux différents Etats en matière
de politique de l'emploi.
Propositions de la Commission européenne au Conseil
en vue
de formuler des recommandations sur la politique de l'emploi de chaque
Etat-membre - 1999
France
Après la reprise de la croissance économique en
1997,
la situation de l'emploi s'est améliorée en 1998. Toutefois, des
problèmes structurels notables subsistent, à savoir :
• un taux d'emploi inférieur à la moyenne (60,8 %)
dû au faible taux de participation des travailleurs de plus de
55 ans (29 %), qui est largement inférieur à la moyenne
européenne (40,3 %) ;
• une croissance très lente de l'emploi durant la majeure partie
des années 90 (0,1 % entre 1991 et 1998) ;
• un taux de chômage élevé, dépassant de
près de deux points la moyenne européenne, et un fort taux de
chômage de longue durée ;
• des niveaux élevés de chômage des jeunes dus aux
difficultés posées par le passage de l'école au travail,
notamment pour les jeunes peu qualifiés ;
• des coûts salariaux indirects élevés,
supérieurs à la moyenne européenne ;
• le potentiel de création d'emplois dans le secteur des services
qui, bien qu'il représente une part importante de l'emploi initial,
n'occupe que 40 % environ de la population en âge de travailler,
soit 10 % de moins que la moyenne des Etats membres les plus performants.
La France est invitée à :
- reconsidérer les régimes de prestations existants,
notamment ceux qui favorisent les départs en retraite anticipée,
afin d'inciter les travailleurs les plus âgés à rester plus
longtemps dans la vie active ;
- adopter et appliquer des stratégies cohérentes incluant
des mesures réglementaires, fiscales et d'autres types d'initiatives
destinées à réduire les charges administratives des
entreprises, en vue d'exploiter le potentiel de création d'emplois du
secteur des services en s'appuyant notamment sur les récents efforts
d'ouverture de nouvelles perspectives d'emploi pour les jeunes ;
- poursuivre et évaluer les mesures destinées à
réduire la pression fiscale sur les travailleurs, notamment les
travailleurs non qualifiés et peu rémunérés ;
- renforcer le partenariat social en vue d'adopter une approche globale en
matière de modernisation de l'organisation du travail.
Source : Commission européenne, dossier emploi, volet III,
1999.
Vos rapporteurs regrettent que le rapporteur général de
l'Assemblée nationale, comme la majorité des membres de cette
assemblée, prennent leurs distances par rapport aux recommandations que
peuvent formuler l'OCDE ou la Commission européenne au motif qu'elles
s'appuient sur l'expérience de pays ayant réussi à
réduire considérablement le chômage à travers une
flexibilité accrue du marché du travail. Ils observent que ce
sentiment coïncide avec le refus de nos partenaires de privilégier
des politiques de l'emploi fondées sur l'abaissement de la durée
légale du travail et le développement de l'emploi dans le secteur
non marchand.
Ils considèrent que le Gouvernement devrait effectivement s'inspirer des
recommandations des grandes institutions que sont l'OCDE, la Commission
européenne et la BCE afin d'amplifier les créations d'emplois
obtenues aujourd'hui grâce au retour de la croissance et à la
baisse des taux d'intérêt réels depuis deux ans.