B. LA RÉCURRENCE DES FACTEURS DE FRAGILITÉ
1. Le poids paralysant des guerres
Le développement économique de l'Afrique reste encore, pour une large part, entravé par la permanence des conflits. Même si, hélas, les guerres font partie du paysage quotidien du continent depuis la décolonisation, ces conflits ont changé de nature au cours des décennies. Les initiatives prises par les Etats africains avec le soutien de la communauté internationale pour lutter contre l'un des maux endémiques du continent apparaissent encore d'une portée limitée.
a) L'Afrique face à un nouveau type de conflit
Dans les
années 60, les conflits africains résultaient pour une large part
de la lutte pour l'indépendance. Dans les deux décennies
suivantes, les situations de belligérance -certes parfois
provoquées par une décolonisation tardive comme ce fut le cas
pour l'Angola et le Mozambique- eurent pour toile de fond l'antagonisme
idéologique entre les Etats-Unis et l'URSS.
Après la fin de la guerre froide, si le continent africain n'a plus
servi d'exutoire à la rivalité Est-Ouest, il n'en est pas moins
resté le théâtre de guerres répétées.
Ces dernières, une fois tombés les oripeaux de
l'idéologie, sont apparues telles qu'elles n'avaient peut-être
jamais cessé d'être : le produit des rivalités d'ambitions,
avec pour ressort profond la revendication d'une prépondérance
pour telle ou telle ethnie.
D'après l'Institut de recherche sur la paix de Stockholm, sur 27
conflits armés majeurs recensés en 1998, 11 se déroulaient
en Afrique. En outre sur les 7 conflits les plus meurtriers, figurent 5 pays
africains : l'Algérie, le Soudan, la République
démocratique du Congo (RDC), la Sierra Leone et le Rwanda.
La crise de l'Afrique des grands lacs présente un concentré du
nouveau type de conflits que connaît le continent : une logique
belliqueuse commandée avant tout par des préoccupations
régionales, le poids des solidarités ethniques, le contrôle
de ressources naturelles comme enjeu majeur -sinon toujours avoué- de la
guerre et enfin, un désengagement des puissances occidentales, avec pour
corollaire l'impuissance relative du Conseil de sécurité.
Aujourd'hui, une vaste zone d'instabilité s'étend de la Corne de
l'Afrique à l'Afrique centrale.
Les conflits actuels en Afrique, présentent deux traits
caractéristiques. D'une part ils sont marqués par la
participation de
combattants de plus en plus jeunes
qui trouvent dans la
guerre non seulement le moyen de se procurer leur subsistance, mais aussi un
exutoire à leurs frustrations face à un système politique
souvent figé : le choix des armes peut constituer pour les
nouvelles générations la meilleure voie de l'ascension sociale.
D'autre part, ils offrent un champ d'intervention pour les
sociétés privées
qui apportent leur concours en
armes ou en mercenaires, contre une rémunération ou la promesse
d'avantages en nature (concessions minières par exemple). Ce
phénomène de " privatisation " des conflits peut
expliquer la
prolongation de conflits en dehors de toute logique politique
ou diplomatique.
La succession des conflits se traduit par un
nombre accru de
réfugiés
. L'Afrique possède en effet le triste
privilège de compter un réfugié sur trois dans le monde
(environ 5,9 millions de personnes). Encore ces données ne
prennent-elles pas en compte les personnes déplacées au sein
même de leur pays (soit quelque 15 millions d'individus).
L'afflux des étrangers représente naturellement pour les pays
voisins un facteur de déstabilisation.
b) Des initiatives encore limitées
Face
à la permanence des conflits, les réponses sont encore
limitées.
Les rêves d'unité africaine -dont le colonel Kadhafi s'est fait
l'écho lors du sommet extraordinaire de l'Organisation de l'unité
africaine (OUA) en septembre dernier à Tripoli- relèvent d'une
rhétorique qui paraît résister au temps, même si elle
n'a trouvé aucun début de traduction.
Il faut toutefois prendre acte de la prise de conscience réalisée
lors du 35
e
sommet de l'OUA à Alger en juillet 1999 par une
quarantaine de chefs d'Etat et de gouvernement sur les conséquences
dramatiques de la récurrence des conflits sur le continent. Les
organisations régionales constituent un cadre possible pour favoriser un
règlement de certains conflits : ainsi le sommet de la
Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) a
tenté en août 1999 d'élaborer une solution de
règlement au conflit en RDC. Mais ces tentatives se soldent souvent par
un échec : les efforts de l'OUA pour résoudre le conflit
territorial entre l'Erythrée et l'Ethiopie sont restés vains.
Confrontés à ces échecs répétés, les
pays africains peuvent trouver dans le renforcement des capacités
militaires de maintien de la paix une voie peut-être plus efficace pour
réduire les situations de belligérance sur le continent. Cette
orientation apparaît encore récente. Elle suppose le soutien
financier et technique des pays occidentaux. Les propositions en la
matière sont venues principalement de la France. C'est désormais
pour votre rapporteur une dimension essentielle de notre coopération.
Longtemps thème d'une rhétorique sans grands effets, le
renforcement des capacités africaines de maintien de la paix a connu un
élan incontestable
au cours de la période récente.
En premier lieu, il s'inscrit désormais dans une
démarche
multilatérale
associant la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Ces trois pays sont convenus en mai 1997 de promouvoir un cadre institutionnel
ouvert à tous les pays intéressés et destiné
à coordonner, sous l'égide des Nations unies et de l'Organisation
de l'unité africaine, les efforts de la communauté internationale
en faveur du renforcement des capacités africaines de maintien de la
paix en Afrique. Ainsi le dispositif s'articule-t-il autour de deux
groupes :
- un
groupe ouvert à tous les Etats
intéressés
assure l'échange des informations et met en regard les offres et les
demandes ; le secrétariat en est assuré par le département
des opérations de maintien de la paix des Nations unies (la
première réunion de ce groupe s'est tenue à New York le 5
décembre 1997, à l'initiative du secrétariat des Nations
unies, en présence d'une centaine de délégations) ;
- des
groupes ad hoc
limités à quelques pays et
formés de manière ponctuelle pour organiser un exercice
multilatéral de maintien de la paix, équiper un bataillon ou
créer un centre régional de formation au maintien de la paix.
Certains de ces groupes, les plus actifs sans doute, prendront une dimension
régionale.
En second lieu, la France a, pour sa part, clairement marqué une
priorité pour le renforcement des capacités africaines de
maintien de la paix en consacrant à ce domaine près de 20 % des
crédits dévolus à la coopération militaire. Le
programme RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de
la paix), pendant du projet américain ACRI ("African crisis response
initiative" -quelque 15 millions de dollars en 1998 principalement
consacrés à la formation au maintien de la paix de 8 bataillons
dans 7 pays africains) s'inscrit dans le cadre de l'accord de mai 1997.
Il recouvre trois types d'initiatives :
- le prépositionnement à Dakar, en janvier 1998, du
matériel nécessaire à l'équipement d'un
bataillon africain de maintien de la paix
(ce matériel,
stocké au sein des forces françaises, n'est pas
réservé à l'usage exclusif de l'armée
sénégalaise mais peut bénéficier à tous les
pays de la sous-région à l'occasion d'un exercice ou d'une
opération de maintien de la paix) ;
- le déroulement, à la fin du mois de février 1998, de
l'exercice franco-africain de maintien de la paix "Guidimakha 98
"
rassemblant près de 3 000 soldats africains et 500 militaires
français à la frontière du Sénégal, du Mali
et de la Mauritanie ;
- la création en Côte d'Ivoire, à 20 kilomètres de
Yamoussoukro, d'un
centre de formation au maintien de la paix
qui a
aussi vocation à s'ouvrir aux pays anglophones. Inauguré en mai
1999, il a accueilli ses premiers stagiaires en août pour une formation
d'observateurs dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. En
septembre de cette année, un stage de huit semaines, destiné aux
officiers, concernait l'exercice de responsabilités au sein d'un
état-major de niveau bataillon ou brigade multinationale.
Le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix
apparaît comme le champ privilégié d'une
coopération multilatérale dont toutes les possibilités
n'ont d'ailleurs pas été encore utilisées. Ainsi, au
delà même de la concertation au sein des groupes réunis
sous l'égide des Nations unies, la coopération pourrait porter
sur des initiatives concrètes telles que les exercices communs dont le
coût justifierait un
financement conjoint de plusieurs bailleurs de
fonds
. Une telle possibilité devrait être mise à
l'étude dans la perspective des exercices multinationaux
planifiés par la France tous les deux ans :
- un exercice en l'an 2000 au Gabon qui pourrait regrouper les pays volontaires
membres du comité consultatif permanent des Nations unies pour les
questions de sécurité en Afrique centrale
1(
*
)
;
- un exercice en 2002 en Afrique de l'Est qui se déroulerait à
Djibouti.
2. Le fardeau de la dette
a) Un niveau d'endettement stabilisé
Le poids
de la dette constitue encore une entrave indéniable au
développement des pays du sud. Au 31 décembre 1997, l'encours de
la dette totale des pays en développement représentait 1 654
milliards de dollars contre 1 678 milliards de dollars l'année
précédente. La relative stabilité de la dette s'explique
en partie par les opérations de réorganisation consenties par les
créanciers publics et privés et l'octroi de nouveaux financements
en contrepartie des remboursements effectués.
La dette de l'Afrique subsaharienne s'élevait à 219,45 milliards
de dollars au 31 décembre 1997, soit une baisse de 4,5 % par rapport au
montant enregistré le 31 décembre 1996 -diminution explicable par
les mesures d'annulation consenties par les créanciers publics et
privés et l'octroi de nouveaux financements, sous forme de dons de la
part des créanciers publics pour les pays les plus pauvres.
Poids de la dette pour les pays de la zone franc
|
Ratio service de la dette rapportée |
|
|
au PNB |
aux exportations |
Bénin
|
3,2 %
|
13,3 %
|
Les chiffres fournis sont ceux de 1997 et tiennent compte des rééchelonnements accordés à certains pays par leurs créditeurs.
b) Les efforts des créanciers
L'année 1996 avait marqué un tournant dans la
stratégie adoptée par les pays créanciers à
l'égard de la dette des pays en développement. En effet,
l'initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE ou, en
anglais, HIPC -" high indebted poor countries "), adoptée dans
le prolongement du sommet du G7 à Lyon a innové à un
double titre :
- d'une part, elle a prévu une
réduction du stock de la
dette
et non plus seulement des échéances, pouvant atteindre
80 % ;
- d'autre part, elle a intégré dans l'assiette du montant de la
dette réexaminée, outre les créances commerciales
garanties et les créances bilatérales publiques, la
dette
multilatérale
contractée auprès des institutions de
Bretton-Woods.
La part des créances multilatérales dans les stocks de dette
avait, en effet, fortement augmenté au cours de la dernière
décennie à la suite de la multiplication des programmes conclus
avec le FMI et la Banque mondiale et des annulations de dette bilatérale.
Toutefois, la montée en puissance de la nouvelle procédure a
été jugée excessivement lente par les pays
débiteurs. Par ailleurs, les critères d'éligibilité
sont apparus trop sévères tandis que le délai (6 ans) pour
parvenir à une réduction effective du stock de la dette semblait
excessif. Enfin, le pourcentage de réduction, même dans le cas
d'une réduction de 80 %, était estimé trop
sévère. L'initiative concernait en principe quarante-et-un pays
dont la dette représentait, en 1996, 167 milliards de dollars. Seuls 23
pays, cependant, étaient effectivement éligibles et l'endettement
de 8 d'entre eux, reconnu insoutenable.
C'est pourquoi les pays occidentaux ont été conduits à
reprendre l'initiative. La France a ainsi proposé au sommet du Groupe
des sept pays les plus industrialisés (G7) à Cologne en juin
1999, un plan articulé autour de trois volets.
Pour les pays éligibles à l'initiative PPTE, Paris a
proposé d'annuler pour une génération à venir (30
ans) le service de la dette publique (intérêt et capital) et de ne
plus leur accorder que des dons. Pour les créances commerciales
traitées devant le Club de Paris, la France a proposé d'aller
au-delà du taux actuel d'annulations des dettes de 80 %, dites
termes de Lyon.
Le second volet concerne les pays non éligibles à l'initiative
PPTE mais confrontés à un endettement important. Ces pays
bénéficieraient d'un taux de réduction des créances
commerciales de 67 % au lieu de 50 % (sous réserve de satisfaire aux
conditions d'éligibilité fixées lors du sommet du G7
à Naples en 1994).
Enfin les autorités françaises ont également
proposé d'augmenter les possibilités de conversion de dettes en
investissements pour les pays à revenu intermédiaire non
éligibles à des réductions de dettes. Aujourd'hui, 20 %
seulement des encours de dette peuvent être " rachetés "
par des investisseurs étrangers pour financer des projets
d'investissements. Ce seuil pourrait être porté de 40 à 45
% au bénéfice de pays comme le Maroc ou l'Egypte.
La France a toutefois posé deux conditions à la mise en oeuvre de
ces mesures. D'abord, la charge doit en être
équitablement
répartie
entre les pays riches en fonction de leurs revenus
respectifs (il ne serait pas juste en effet que l'effort pèse davantage
sur la France -0,45 % du PIB consacré à l'aide publique- que sur
les Etats -0,12 % du PIB pour l'aide au développement).
En outre, les pays bénéficiaires doivent se montrer exemplaires
en matière de gestion économique et sociale et les marges de
manoeuvre ainsi dégagées doivent être employées aux
dépenses de développement.
Les mesures adoptées par le sommet de Cologne du 18 juin dernier
apparaissent cependant en retrait par rapport à ces propositions.
Certes, l' " initiative de Cologne " a prévu une annulation de
65 milliards de dollars de dettes pour les pays les plus pauvres et l'extension
de critères d'éligibilité à dix nouveaux
pays
2(
*
)
en sus des 41
déjà concernés. En effet, la dette totale de chacun des
bénéficiaires devrait représenter plus de 150 % de leurs
recettes d'exportation contre 200 % à 250 % requis jusqu'alors par l'
" initiative de Lyon ".
L'application de ces mesures peut cependant revêtir un caractère
paradoxal.
Ainsi, si Haïti n'est pas suffisamment endettée pour
bénéficier des mesures d'allégement de dette, la
Côte d'Ivoire, en revanche, dont la dette (12,5 milliards de dollars -9,5
milliards au titre de l'aide publique au développement) correspond
à 274 % des recettes d'exportation, pourrait bénéficier
d'un allégement annuel de 480 millions de dollars, soit 10 % de son PIB.
Le coût total du dispositif pour la France a été
évalué à quelque 40 milliards de francs.