2. Le coût initial du projet de loi n'est jamais neutre
a) Pour les organismes de Sécurité sociale
En
l'état actuel du projet, le coût pour la Sécurité
sociale peut être estimé à au moins 1,24 milliards de
francs.
En effet, le transfert de l'ancienne assurance personnelle et les changements
de règles d'accès devraient se traduire par un coût de
920 millions de francs pour la CNAMTS (7,73 milliards de recettes
nouvelles contre 8,65 milliards de dépenses ou moindres recettes
dont 600 millions liés à l'extension du champ des personnes
couvertes). En y ajoutant le coût de 320 millions de francs pour la
CNAF, le total est de 1,24 milliard de francs pour la
Sécurité sociale, au lieu des 900 millions annoncés
par le Gouvernement.
Cependant, il faut ajouter à ces chiffres les fortes tensions qui
pèsent sur le mécanisme de financement. Il s'agit d'abord des
frais d'accueil et de gestion pour l'assurance-maladie des nouveaux
bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Ces frais de
gestion devaient être nuls en raison des économies de personnel et
de moyens dégagées par la mise en place de la transmission
informatique des feuilles de soins par le biais de la carte
Sésam-Vitale. Ce système ne rencontre pas le succès
escompté et la CNAMTS a dû souscrire un nouvel accord en mai 1999
avec les généralistes pour accélérer la
transmission. En attendant, le traitement des feuilles s'effectue toujours
manuellement et les moyens d'accueillir les bénéficiaires de la
couverture maladie universelle n'existent pas. De plus, l'instruction des
dossiers exigera un savoir-faire dont la CNAMTS est aujourd'hui
dépourvue en matière de vérification des ressources. Il va
lui falloir effectuer des investissements informatiques et de formation afin
d'être en mesure de traiter les demandes d'affiliation.
Les coûts de gestion futurs de la CNAMTS
" Les coûts de gestion induits sont en cours
d'estimation et ne pourront être précisés que lorsque les
tâches incombant à l'assurance maladie seront
précisément définies.
D'après une première approche qui reste à confirmer, la
charge de travail supplémentaire qui pèsera sur les services
administratifs des caisses primaires d'assurance maladie, principalement
liée à l'accueil des personnes concernées, à
l'examen des déclarations de ressources pour les
bénéficiaires non Rmistes, et aux liaisons avec les organismes
complémentaires pourrait représenter près de
l'équivalent de 3 000 agents temps plein. La charge est actuellement
difficile à estimer pour les autres services (comptabilité par
exemple).
D'autres charges peuvent s'y ajouter : équipements liés
à la scannerisation des déclarations de ressources, extension des
locaux d'accueil,... sachant que les dépenses de personnel
représentent environ 80 % du budget des caisses primaires.
Par ailleurs, les caisses primaires bénéficiaient, sous forme de
recettes propres, de frais de gestion payés par les conseils
généraux pour les services rendus en matière de gestion de
l'aide médicale. Actuellement rien n'est prévu dans le cadre de
la couverture maladie universelle. "
source : CNAMTS
Les deux autres régimes d'assurance maladie, la Mutualité sociale agricole (MSA) et la Caisse autonome d'assurance maladie des travailleurs indépendants et professions libérales (CANAM) vont également subir de lourdes conséquences financières, non chiffrées par le Gouvernement. En effet, l'un et l'autre régime subiront la " concurrence " de la couverture maladie universelle. Les niveaux de seuils de ressources annoncés, bien que demeurant en deçà du seuil de pauvreté, semblent assez élevés pour que, sur la base des revenus connus par l'Observatoire économique et sociale de la MSA, un pourcentage important de la population agricole active et retraitée soit concernée : environ 210 000 chefs d'exploitation pour la MSA.
b) Pour l'Etat
Le
coût pour l'Etat est estimé à un minimum de
1,71 milliard de francs la première année de mise en place
du dispositif.
L'Etat récupérera en effet sous forme de minoration de la
dotation globale de décentralisation 95 % de la somme
dépensée chaque année par les départements au titre
de l'aide médicale, soit 8,69 milliards de francs. Par ailleurs,
ses dépenses au titre de l'aide médicale devraient diminuer de
400 millions de francs. Au total, ces moindres dépenses doivent
être considérées comme un montant maximum.
Les dépenses supplémentaires et les moindres recettes ont, elles,
un caractère plus aléatoire.
La subvention au fonds de financement s'élève à
7,2 milliards de francs. Il s'agit cependant d'un solde dépendant
du montant du produit de la contribution sur les organismes
complémentaires, qui ne pourra dépasser 1,8 milliard de
francs. Cependant, si ceux-ci prennent en charge 1,2 million des
6 millions de bénéficiaires attendus de la CMU, cette
contribution ne rapportera rien, et l'Etat devra prendre en charge
l'intégralité des dépenses du fonds, c'est-à-dire
des dépenses supportées par l'assurance maladie au titre de la
couverture complémentaire.
De plus, le Gouvernement prévoit une diminution des interventions de
l'Etat au titre de l'aide médicale de 400 millions de francs alors
qu'il étend le champ de sa protection à des publics jusque
là couverts par l'intervention des départements.
Enfin, seule donnée stable, l'Etat devra verser des subventions
compensatrices aux régimes spéciaux pour 260 millions de francs.
Couverture maladie universelle : conséquences financières pour l'Etat
Recettes (ou moindres dépenses) |
Milliards de francs |
Dépenses (ou moindres recettes) |
Milliards de francs |
Diminution du coût de l'aide médicale Etat |
0,40 |
Subvention au fonds de financement |
7,20 |
Diminution de dotation générale de décentralisation |
|
Affectation d'une fraction des droits de consommation sur le tabac à la CNAMTS |
|
|
|
Augmentation des subventions aux régimes d'assurance maladie |
|
Total |
9,19 |
Total |
10,90 |
|
|
Solde |
- 1,71 |
Source : étude d'impact
Au total, l'évaluation de 1,71 milliard de francs du coût de
la CMU apparaît comme un minimum difficilement compatible avec la logique
partenariale inscrite dans le projet de loi. Il est probable que l'Etat devra
dépenser davantage que les 9 milliards prévus pour le fonds
puisqu'il devra prendre en charge tout dépassement des 1.500 F par
bénéficiaire, dès lors qu'il rembourse au franc le franc
les dépenses de la CNAMTS pour la couverture
complémentaire.
c) Pour les collectivités locales
Pour les
départements, le solde apparemment positif cache des
inégalités fortes et devrait être négatif pour
plusieurs collectivités. La recentralisation de l'aide médicale
se traduit par une perte de dotation globale de décentralisation de
8,69 milliards de francs. Les 5 % restants des sommes actuellement
engagées pour l'aide médicale, soit 455 millions de francs,
sont censés représenter ce que les départements versaient
indûment, à la place notamment des caisses d'allocations
familiales (pour des raisons de complexité dans l'accession aux droits,
notamment au titre du RMI).
Ce solde positif est cependant à relativiser, en considérant que
la première année de mise en place du système, les
dépenses correspondantes ne disparaîtront pas complètement.
Il faudra gérer une difficile transition. Les départements ayant
un régime d'accès à l'aide médicale
supérieur au seuil de 3.500 F prévus par le Gouvernement
seront donc confrontés à une demande de la part de personnes
exclues de la couverture maladie universelle mais auparavant aidées. Les
5 % laissés par le Gouvernement à tous les
départements ne couvrent pas les sommes versées pour ces
personnes au dessus du plafond prévu par le projet de loi.
Par ailleurs les admissions en non-valeurs (factures impayées de
personnes relevant de l'aide médicale mais n'ayant effectué
aucune démarche préalable) de l'actuel système se
révélant avec plusieurs mois de retard, les départements
auront à les honorer alors que la dotation globale de
décentralisation ne leur sera plus versée.
Enfin, les expériences actuelles de carte de tiers payant
départementales, comme Paris santé montrent qu'un public nombreux
échappe encore aux formules préventives ayant
précédé et inspiré la couverture maladie
universelle. Il faudra bien trouver pour eux des financements.
Les communes supporteront elles aussi toujours l'accueil des plus
démunis ne trouvant pas leur place dans le système.
d) Pour les organismes de protection sociale complémentaires
Ils
supporteront la première année un coût minimal de
1,8 milliard de francs au titre de la contribution de 1,75 %. Ils
subiront également deux effets inflationnistes la première
année : d'une part, l'effet de rattrapage de la consommation de
soins, observé dans les expériences de type Paris
santé ; d'autre part, les coûts de mise en place du
dispositif.
Au total ce projet de loi n'est neutre financièrement la première
année pour aucun des acteurs de la protection sociale, contrairement
à ce que prétend le Gouvernement. Il a un coût total
important (plus de 18,6 milliards de francs), un coût additionnel
net élevé (au moins 4,5 milliards de francs) et un coût
futur destiné à augmenter.