III. LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES : NEUTRALITÉ FINANCIÈRE, COÛT MAÎTRISÉ
A. L'EXAMEN EN COMMISSION
Au cours
de sa séance du mercredi 26 mai 1999, la commission des finances a
procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Jacques
Oudin sur le projet de loi portant création d'une couverture maladie
universelle.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a rappelé l'importance des
transferts financiers liés à la mise en place de la couverture
maladie universelle : transfert de plus de 9 milliards de francs de
dotation globale de décentralisation, création d'un nouveau
prélèvement obligatoire et augmentation des dépenses de
l'Etat. Il a remarqué que ce projet de loi en contenait en fait
deux : l'un relatif à la couverture maladie universelle et un
l'autre portant diverses mesures d'ordre social, à propos duquel la
commission n'avait pas demandé de saisine pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a alors brossé un tableau de
l'état des finances publiques pour constater l'augmentation des
dépenses de l'Etat, le déficit de l'assurance maladie, qui
devrait s'élever à 16 milliards de francs pour 1998 au lieu de
8,5 prévus, et autour de 20 milliards de francs pour 1999 au lieu du
retour à l'équilibre annoncé. Dans ces conditions, il a
considéré qu'il était impossible de créer des
dépenses nouvelles sans les financer par des redéploiements.
Le rapporteur pour avis a retracé les grandes lignes du texte
résultant des délibérations de l'Assemblée
nationale. S'agissant de la couverture de base, il a reconnu que son extension
à 150 000 personnes, aujourd'hui exclues de tout système de
protection maladie, correspondait à un objectif légitime. Cette
extension sera financée par une " tuyauterie " complexe
aboutissant à des dépenses supplémentaires et des moindres
recettes pour la Sécurité sociale de plus de 1,2 milliard de
francs. S'agissant de la couverture complémentaire, qui concerne 6
millions de personnes, il a rappelé qu'elle sera prise en charge, sous
condition de ressources, par l'assurance maladie et les organismes de
protection complémentaire, et financée pour la première au
franc le franc, pour les seconds par un forfait de 1500 F par an et par
bénéficiaire. Le fonds de financement recevra le produit d'une
contribution de 1,75 % versée par les organismes complémentaires
et une subvention d'équilibre de l'Etat.
M. Jacques Oudin a alors fait part à la commission des finances de ses
observations. Il a constaté, pour le déplorer, que la
présentation du coût financier n'apparaissait pas sincère.
Il a remarqué que la lecture de l'étude d'impact fournie par le
Gouvernement recensait quatre dépenses supplémentaires, par
rapport aux sommes actuellement utilisées pour l'aide
médicale : le prélèvement obligatoire sur les
mutuelles et assurances (1,8 milliard), la partie non financée de
la subvention d'équilibre de l'Etat (1,7 milliard), les dépenses
supplémentaires de la CNAMTS (900 millions de francs) et les pertes de
recettes pour la CNAF (320 millions de francs). Il a ajouté qu'à
son avis pouvaient s'y ajouter dix sources de coûts non prises en
compte :
- la sous-estimation de la dépense maladie pour le régime
général des 150 000 nouvelles personnes couvertes ;
- la sous-estimation de la dépense de couverture complémentaire
maladie pour les 6 millions d'assurés qui en
bénéficieront ;
- la non prise en compte de la différence de remboursement de base entre
la CNAMTS d'une part, la CANAM (Caisse nationale d'assurance maladie des
travailleurs indépendants et professions libérales) et la MSA
(Mutualité sociale agricole) d'autre part ;
- la remise en cause de la cotisation forfaitaire minimale acquittée
pour l'affiliation à la CANAM et la MSA en dessous d'un certain seuil de
revenus ;
- le maintien des droits à prestations complémentaires pendant un
an pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle
qui se seront adressés à un organisme complémentaire ;
- les frais de gestion pour la CNAMTS ;
- les frais de gestion pour les organismes complémentaires ;
- les dépenses transitoires pour les communes et les
départements ;
- les dépenses non compensées pour les départements qui
consentaient un effort d'aide médicale au dessus des seuils
prévus par la couverture maladie universelle ;
- les pertes de cotisations pour les mutuelles qui accueillaient des personnes
qui désormais bénéficieront de la couverture maladie
universelle.
Au total, le rapporteur pour avis a évalué à près
de 10 milliards de francs les coûts supplémentaires
entraînés par ce projet de loi.
M. Jacques Oudin a ensuite énuméré les dérives
financières du projet soumis au Sénat :
- la couverture maladie universelle n'instaure aucun mécanisme de
régulation de la dépense puisque l'affiliation y est
automatique ; il n'y a pas de participation financière des
bénéficiaires ; le prix des prestations servies reste
à négocier ; il fonctionne selon un mécanisme de
tiers payant intégral ;
- l'Etat remboursera à la CNAMTS l'intégralité des
dépenses qu'elle supportera au titre de la couverture
complémentaire ;
- la couverture maladie universelle offrira une couverture complète
à coût nul pour le bénéficiaire.
Le rapporteur pour avis a par ailleurs estimé que la couverture maladie
universelle suscitera des inégalités fortes :
inégalité dans la pauvreté juste au-dessus du seuil de
3.500 francs ; inégalité entre la sécurité
sociale et les organismes complémentaires ; inégalité
confirmée entre les mutuelles et les assurances.
Enfin, il a énuméré les effets pervers que pourrait
susciter ce projet de loi. Il l'a considéré comme
déresponsabilisant pour ses bénéficiaires, comme une
incitation supplémentaire au travail clandestin et comme brouillant la
frontière entre la protection complémentaire et l'assurance de
base. Il s'est ainsi interrogé sur la compatibilité du texte avec
le droit européen de la libre concurrence. Il a estimé que le
système français serait le plus généreux des pays
européens et constituera une incitation évidente pour les
ressortissants étrangers.
M. Jacques Oudin a ensuite décrit ses propositions d'amendement. Il a
souhaité d'abord développer une approche en termes de finances
locales. Il a analysé d'une part le mécanisme de remontée
de la dotation globale de décentralisation et des dépenses d'aide
médicale des départements vers l'Etat, en s'interrogeant sur
l'opportunité de la date du 1
er
janvier 2000. D'autre part,
il a développé les conséquences de ce projet de loi sur
les contingents communaux d'aide sociale. Il a ainsi estimé
légitime leur suppression et indiqué que les modalités de
sa compensation faisaient l'objet de négociations entre le Gouvernement
et les associations d'élus locaux. Il a proposé ensuite, en
matière de fiscalité, de corriger les doubles impositions
créées par l'instauration de la taxe de 1,75 %. En
matière de prévoyance, enfin, il a indiqué sa
préférence pour l'allégement des contraintes fiscales
pesant sur les contrats de prévoyance plutôt que sur les
obligations de négocier introduites par le projet de loi aux articles 20
bis et 20 ter.
Le rapporteur pour avis a conclu son intervention en s'interrogeant sur le
" financeur ultime " de ce projet de loi. Il a ainsi constaté
que le coût pèserait autant sur le contribuable d'aujourd'hui que
sur celui de demain après le transfert du déficit de la
sécurité sociale à la CADES.
M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est interrogé
sur la nécessité d'une telle législation et a
demandé au rapporteur pour avis son analyse sur les propositions de la
commission des affaires sociales.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, après avoir rappelé que
l'étude des prélèvements obligatoires était
répartie entre les deux commissions des finances et des affaires
sociales, a indiqué que celle-ci proposerait une aide
personnalisée à la santé permettant de réduire les
effets de seuils dans un système plus responsabilisant pour les
bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Il a ensuite
insisté sur le préalable que constituait un redéploiement
des dépenses de santé.
Mme Marie-Claude Beaudeau est intervenue pour indiquer que ce projet de loi
mettait fin à de profondes inégalités et constituait le
dernier volet de la loi contre les exclusions. Elle a estimé qu'on ne
pouvait s'opposer à l'instauration d'une gratuité des soins pour
les plus démunis. Elle s'est ainsi demandé comment un pays ayant
un niveau aussi élevé de dépenses de santé et de
prélèvements obligatoires pouvait maintenir une telle exclusion
des soins. Elle a conclu en constatant qu'au-delà des financements
incertains, il s'agissait d'un enjeu social important.
Puis la commission a examiné les propositions d'amendements
présentées par son rapporteur pour avis.
A l'article 13, la commission a adopté un amendement prévoyant
que le transfert de dotation globale de décentralisation ne serait
effectif qu'à compter de l'extinction des droits à l'admission
à l'aide sociale.
La commission a adopté un amendement proposant d'insérer un
article additionnel après l'article 13, demandant au Gouvernement un
rapport sur les conséquences de l'adoption de la loi portant
création d'une couverture maladie universelle sur les contingents
communaux d'aide sociale.
La commission a ensuite adopté deux amendements de suppression des
articles 20 bis et 20 ter.
La commission a adopté un amendement proposant un article additionnel
après l'article 20 ter, excluant de l'assiette de la taxe sur les
contrats de prévoyance les cotisations versées par les employeurs
au titre de la garantie frais de soins des contrats de prévoyance.
A l'article 25, la commission a adopté quatre amendements. Le premier
prévoit un crédit d'impôt pour les entreprises redevables
de la taxe sur les contrats d'assurances pour éviter une double
imposition, à ce titre, du produit de la contribution de 1,75 %. Le
second distingue, au nom du principe de non compensation, le versement de la
contribution de 1,75 % des sommes reçues du Fonds de financement de la
protection complémentaire de la couverture maladie universelle pour la
prise en charge de bénéficiaires de celle-ci par les organismes
de protection complémentaire. La commission a ensuite adopté un
amendement de conséquence au même article. Le dernier amendement
exclut de l'assiette de l'impôt sur les sociétés les sommes
reçues du Fonds de financement de la protection complémentaire.