B. LA COMPÉTITIVITÉ : ENCORE TROP DE TAXES ?
Comme le
souligne le rapport de M. André Chandernagor, ce sont les vendeurs qui
sont les arbitres de la compétition entre les maisons de ventes et entre
les marchés nationaux de l'art.
On a tendance à considérer que le vendeur est " roi ",
tandis que l'acheteur est captif. Il est essentiel de permettre aux
commissaires-priseurs d'augmenter les frais "acheteur" de façon à
accorder aux vendeurs les conditions les plus avantageuses possibles.
La
liberté des tarifs
, qui résulte implicitement de la
présente loi
constitue un atout essentiel pour les
commissaires-priseurs,
longtemps entravés par une tarification
réglementaire dégressive et dont la situation ne s'est
améliorée que récemment avec le relèvement à
9 % du taux des frais "acheteur", par le décret du 24 mars 1993.
Mais, il appartient également à votre commission des finances
d'évoquer une fiscalité et des charges qui handicapent le
marché français dans sa tentative pour conserver sa place de
pôle significatif du marché mondial de l'art.
Toute la question est d'estimer le poids des prélèvements
obligatoires sur les ventes par rapport aux éléments diffus, qui
affectent la compétitivité du marché
français
1. La persistance du différentiel de charges
Les
analyses développées par M. André Chandernagor dans son
rapport de 1992 publié sous le titre " Les conditions du
développement du marché de l'art français " et
confirmées dans un second rapport d'avril 1998 rédigé
à la demande de Madame le ministre de la culture, soulignent
l'importance des facteurs fiscaux au sens large du point de vue de la
compétitivité du marché de l'art et confirme la
nécessité de " réduire le différentiel de
charges et prélèvements divers qui pénalisent le
marché français ".
A l'appui de cet objectif, qui venait avec ceux de l'adaptation des
professionnels à la concurrence et le renforcement de la
fiabilité du marché, M. André Chandernagor part des
observations suivantes :
• Le marché de l'art est pour les objets de niveau international
- que l'auteur du rapport évalue à 500 000 Francs - un
marché très international sur lequel les objets sont très
mobiles et se déplacent facilement en fonction des espoirs de meilleurs
prix ou d'un différentiel de charge favorable, fût-il d'un faible
montant ;
• Le marché des ventes publiques est un marché de vendeurs
où les opérateurs doivent attirer et placer la meilleure
marchandise, ce qui suppose qu'ils soient présents dans les lieux
où sont les marchandises et que fréquentent les acheteurs ;
• Le marché est marqué par une tendance à la
mondialisation qui se caractérise par la domination de deux
opérateurs, dont la force vient de ce qu'ils sont présents sur
tous les continents ;
En ce qui concerne le différentiel de charge, l'auteur du rapport
attirait d'abord l'attention sur
un facteur qui va disparaître
après l'adoption du présent texte :
la
rémunération insuffisante des commissaires-priseurs
, dont le
tarif, fixé par voie réglementaire, les mettaient en
infériorité, malgré le relèvement consécutif
au décret déjà cité de 1993, par rapport à
leurs concurrents anglo-saxons qui appliquent, sauf exception, un tarif de 15 %
jusqu'à 300. 000 F et 10 % au delà.
Mais M. André Chandernagor soulignait également dans son rapport
l'importance des charges fiscales et des prélèvements divers sur
les ventes, qui handicapent la marché de l'art en France par rapport
à ses concurrents : pour lui " c'est par une politique fiscale
volontairement attractive que Londres et Genève se sont imposées
face à Paris ", tandis que la prospérité du
marché américain tient certes à la richesse du
marché mais " aussi dans une large mesure au maintien jalousement
préservé de la compétitivité fiscale et parafiscale
de son marché de l'art ".
Votre rapporteur pour avis peut à l'occasion de ce débat apporter
quelques éléments d'information sur le contexte fiscal au sens
large du présent projet de loi dans la perspective d'une relance du
marché de l'art en France.
La TVA
La 7
ième directive européenne autorise l'application d'un taux
réduit de TVA à l'importation sur les oeuvres d'art est à
l'origine d'une série de distorsions :
•
certains objets couramment vendus aux enchères ne font pas
partie du marché de l'art au sens de la directive
. Les bijoux, mais
aussi les manuscrits et les meubles de moins de 100 ans d'âge, sont
soumis au taux normal de 20,6 %. Conséquences : le
marché des bijoux a définitivement émigré à
Genève, dont le taux de TVA applicable en la matière est de 6,5
%. ; autre exemple, le mobilier art déco sorti de France n'y
reviendra pas avant longtemps, car l'importation serait prohibitive !
•
la TVA, qui agit comme un droit de douane dissuasif à
l'entrée,
défavorise donc la place de Paris, par rapport
à New-York, qui applique une " sales tax ", très facile
à esquiver, puisqu'il suffit de faire livrer la marchandise dans les
états voisins qui ne la pratiquent pas, et surtout par rapport à
Londres, qui - après avoir appliqué un taux zéro jusqu'en
1992 - bénéficie, au moins jusqu'au 30 juin 1999, d'une
dérogation lui permettant d'appliquer un taux réduit de seulement
2,5 %.
Apparemment
, la Grande-Bretagne est très déterminée
à éviter un alignement de son taux de TVA, dont la
première étape expliquerait selon la Fédération
britannique du marché de l'art une diminution de près de 40 % du
montant des importations britanniques d'oeuvres d'art
. L'affaire est
complexe ; elle s'insère dans une négociation globale au
niveau communautaire où chaque modification se négocie avec tout
les Etats membres.
En matière de TVA, les priorités du Gouvernement sont
ailleurs soit ; mais il est impératif, à défaut
de pouvoir obtenir la suppression d'une taxe qui ne rapporte
que 40 millions
de francs
selon le rapport de M. André Chandernagor,
l'alignement
sur le régime anglais.
Droits de suite et de reproduction
Ces
droits perçus au profit des artistes sont ressentis par les
opérateurs du marché de l'art comme des taxes, bien qu'il faille
dans leur finalité les rattacher à la famille des droits
d'auteurs.
Le
droit de suite
, apparu en France en 1920 dans un but de
solidarité et de justice à un moment où les artistes ne
bénéficiaient pas de la sécurité sociale, s'est
étendu progressivement à la plupart des pays d'Europe, puisqu'on
le trouve
dans 8 des 15 pays de l'Union Européenne
.
A l'heure actuelle, en France, le taux de ce droit assis sur le produit des
seules ventes aux enchères des oeuvres d'artistes vivants ou dont le
décès est intervenu il y a moins de 70 ans ( 50 ans jusqu'en
1997) est de 3 %.
11 millions de francs ont été collectés à ce titre
en 1997. La plupart des artistes y sont attachés, bien que l'essentiel
de son produit ne profite qu'à un petit nombre de familles.
Mais dans la perspective de ce rapport, il convient seulement de souligner
qu'il
n'est perçu ni à Londres, ni à New-York
. Il
en résulte une nette tendance à la concentration des ventes d'art
contemporain vers ces deux places, qui vient, au moins pour la seconde,
accentuer l'attraction d'un marché américain déjà
dominant du fait de l'importance de ses artistes et du nombre et de la richesse
de ses collectionneurs.
Pour l'instant, le droit de suite constitue un handicap pour la France dans sa
compétition avec Londres. La situation pourrait évoluer avec
l'adoption d'une
directive européenne en cours
d'élaboration
.
En dépit du caractère dégressif des droits prévu
dans l'état actuel du projet, la Grande-Bretagne continue de s'y opposer
avec la dernière énergie dans la mesure où elle y voit une
cause d'accélération du déplacement du marché de
l'art du XX siècle vers les États-Unis.
Les Anglais ont ainsi refusé le projet présenté au
Conseil " marché intérieur " du 25 février
dernier
, qui prévoyait un taux de droit de suite variable selon le
prix de vente des oeuvres: 4% jusqu'à 50.000 euros, 3% de 50.000
à 200.000 euros et 1% au-dessus de 200.000 euros. Le délai de
mise en oeuvre serait de 2 ans. Ils ont également refusé le
compromis proposé par l'Allemagne prévoyant une extension du
délai de mise en oeuvre à 4 ans et surtout un taux réduit
à 0,5% pour les oeuvres d'un prix supérieur à 500.000
euros.
Le sentiment de votre rapporteur pour avis est que le compromis en cours
d'élaboration à Bruxelles entre la Commission et le Conseil est
un moindre mal, surtout si l'on adopte la proposition de la présidence
allemande d'un taux à 0,5 % pour la tranche la plus
élevée. A ce niveau
, les effets de délocalisation vers
New-York seraient restreints
- notamment parce que le surcoût de la
taxe, qui est due par le vendeur, pourrait même être prise en
charge par la maison de vente aux enchères
- du moins au regard des
facteurs structurels économiques et culturels, qui tendent à
déplacer le marché de l'art contemporain vers les
États-Unis.
Le
droit de reproduction
résulte de l'article L122-3 du code de
la propriété intellectuelle, qui prévoit que l'auteur
perçoit une rémunération à l'occasion de la
reproduction autorisée de son oeuvre.
On note que, pour l'instant,
il n'est pas prévu de maintenir en
faveur des sociétés de ventes volontaires l`exception
prévue par l'article 17 de la loi du 27 juin 1997 en faveur des
commissaires-priseurs pour leur catalogue mis à la disposition du public
" dans le seul but de décrire les oeuvres mises en
vente ".
Ainsi, devrait prendre fin " par le haut ", la
discrimination dont pâtissaient les galeries d'art.
Il faut toutefois souligner que la société des auteurs dans les
arts graphiques et plastiques - ADAGP- qui revendique un droit de reproduction
sur les oeuvres reproduites dans les catalogues des maisons de ventes
anglo-saxonnes
23(
*
)
, a clairement
fait savoir qu'elle ne revendiquait pas le paiement de ce droit pour les
publications des opérateurs payant le droit de suite en France.
Taxe forfaitaire
Les
ventes d'objets d'art - comme celles de métaux précieux, de
bijoux, - sont soumises à une taxe forfaitaire proportionnelle au prix
de vente, tenant lieu d'imposition sur les plus-values. La taxe est de 7 % pour
les objets d'art et de collection - ainsi que les bijoux - d'une valeur
supérieure à 20 000 F (assorti d'un mécanisme de
décote jusqu'à 30 000 F), lorsque l'objet est exporté ou
non vendu aux enchères et de 4,5 %. Il s'y ajoute 0 ,5 point au
titre de la CRDS, lorsque le vendeur est domicilié en France.
La taxe est supportée par le vendeur particulier - y échappent
les professionnels et les non résidents - mais la responsabilité
du versement incombe à l'intermédiaire (marchand,
commissaire-priseur) ainsi qu'à l'exportateur en cas
d'exportation.
2. L'importance des facteurs diffus
Le
différentiel de charge ainsi rappelé, constitue-t-il un
véritable handicap pour les commissaires-priseurs et pour les futures
sociétés de vente volontaires ? Va-t-il conduire les grandes
maisons de vente anglo-saxonnes à limiter leurs activités sur le
marché de l'art français ?
Quel est le poids de ces
handicaps par rapport aux facteurs structurels
propres aux
différents marchés nationaux de l'art et plus
généralement aux économies concernées ?
La réponse à ces questions que votre rapporteur pour avis va
aborder, par ailleurs, dans un rapport d'information sur le marché de
l'art, est loin de relever de considérations complètement
rationnelles.
On peut néanmoins faire quelques observations :
1. la TVA a un impact, au niveau des ventes aux enchères du moins,
dont on peut se demander s'il n'est pas plus psychologique que réel,
dès lors que l'on suppose que les grands collectionneurs internationaux
ne sont pas des résidents communautaires : l'objet à vendre
aux enchères peut être admis sous régime d'importation
temporaire et la TVA ne sera payable que si l'objet reste sur le territoire
douanier communautaire. Objectivement, la gêne est limitée pour
les maisons de vente qui ne doivent qu'une provision minimale pour ce type
d'importation ; subjectivement, elle a été
présentée comme non négligeable du point de vue du vendeur
qui a peur d'être privé d'une clientèle potentielle de
résidents européens et surtout, qui est irrité de toute la
" paperasserie " des opérations préalable à la
vente. Bref, il s'agit à ce niveau d'une entrave à la
liberté de circulation des oeuvres mal perçue sur un
marché très international.
2. l'impact du droit de suite, actuellement défavorable au
développement du marché de l'art doit aussi être
relativisé, dès lors que serait mis en place le tarif
dégressif proposé par la présidence allemande : 0,5 %
sur les oeuvres de plus de 500 000 écus, représente une charge
que la maison de vente peut encore intégrer dans ses frais "acheteur".
En outre, on note que le droit n'étant pas applicable à l'art
américain, le handicap en matière d'art se limite à un
petit nombre d'artistes européens.
3. La
taxe forfaitaire
, en revanche, a paru relativement bien admise.
Il faut rappeler que
ce régime est plus favorable qu'en
Grande-Bretagne, où s`applique le régime des plus-values au taux
du barème de l'impôt sur le revenu, soit en pratique 40 %.
Au niveau mondial, le différentiel de charge est un facteur important
bien que sans doute non déterminant, dans la compétition que se
livrent New-York et Londres ; au niveau européen, il est de nature
à entraver la relance du marché de l'art en France
Dans le renversement du rapport de force entre les marchés de l'art
londonien et new-yorkais, le différentiel de charge joue un rôle
non négligeable mais pour accentuer des tendances lourdes
. La baisse
de 40 % des importations d'oeuvres d'art que la fédération
britannique du marché de l'art impute entièrement à
l'instauration de la TVA même au taux de 2,5 %, a des causes
structurelles, dont certaines relèvent de l'économie
générale.
La
vitalité du marché de l'art aux États-Unis
tient
sans doute à un système fiscal relativement favorable mais
surtout à la force de son économie : une
croissance
exceptionnelle depuis 10
ans, plus de richesse accumulée,
plus de
fortunes en cours de constitution
qu'ailleurs créent les conditions
d'une demande forte pour les objets d'art.
Le marché de l'art américain peut s'appuyer sur une demande
intérieure dynamique, un stock considérable, qui engendre
notamment pour l'art moderne , une offre importante.
Le marché londonien est largement un marché " off
shore ", c'est à dire un marché dont l'offre comme la
demande vient en grande partie de l'extérieur du pays qui avait pu
fonder son développement sur une fiscalité favorable.
La compétitivité du marché anglais
, qui
résulte de la qualité, de la concentration et de
l'efficacité de ses opérateurs,
est sans doute sensible aux
facteurs fiscaux dans la mesure où son problème est d'attirer des
collections venant de l'extérieur.
Mais la question reste
structurelle : pourquoi des collections venant des États-Unis
viendraient-elles à Londres pour être achetées pour un
grand nombre de lots par des américains ?
On note, à cet égard, que toute la politique
d'élargissement du marché et de la clientèle a conduit les
deux "majors " anglo-saxonnes à intensifier leurs efforts de
prospection aux États-Unis, qui ont manifestement
représenté la zone de développement prioritaire des
années 80 et 90.
La volonté des vendeurs a fait le reste en les portant vers le
marché le plus dynamique et c'est ainsi que même en matière
de peinture ancienne - et l'épaisseur des catalogues des ventes de
janvier 1999 en témoigne -,
New-York est en passe de devenir la place
dominante dans presque tous les compartiments du marché.
Quelles peuvent être dans un tel contexte les chances de relancer le
marché de l'art en France
? Le nouveau régime que va
mettre en place la nouvelle loi est-il de nature à faire une place
à Paris aux côtés de Londres et de New-York, en
dépit d'un différentiel de charge qui lui est
défavorable ?
Paris possède des atouts non négligeable.
Son prestige culturel, son statut de ville d'art, sa place comme lieu de
tourisme d'affaires, la compétence des ses opérateurs
créent des synergies incontestables ;
En outre,
l'importance de son stock d'oeuvre diffus
, en font un des
marchés les plus excitants pour les amateurs, qui peuvent toujours
rêver de découvrir le chef-d'oeuvre dans des ventes sans
catalogues.
Si les arbitres ultimes de cette compétition sont bien les vendeurs et
les grands collectionneurs,
les maîtres du jeu seront les grandes
maisons de ventes aux enchères.
La grande inconnue, c'est l'attitude des deux " majors "
anglo-saxonnes.
Vont-elles développer leur activité à Paris à un
niveau international ? et pour quels types d'objet ? L'importance des
investissements auxquels celles-ci ont procédé dans la capitale,
montre qu'elles croient au développement du marché
français. Pour autant, on ne sait pas si ces entreprises comptent
augmenter leur part de marché au détriment des anciens
commissaires-priseurs ou si elles vont effectivement attirer de la marchandise
de l'extérieur du pays pour faire de Paris à l'image de Londres,
au moins pour certains types d'objets, une place " off shore ".
Le plus probable est que les grandes maisons commenceront par développer
certains secteurs très spécifiques
pour lesquels Paris
constitue encore la place importante comme le livre, ou possède à
la fois un stock de marchandise important et un avantage décisif d'image
de marque - on pense au mobilier français ou à l'art Déco
-, prenant à certains égards la place de Monaco. D'autres
domaines comme le dessin ancien, pour lequel il existe une demande très
dynamique en France pourraient se développer à Paris en partie au
détriment de Londres. Mais il serait sans doute bien optimiste de
s'attendre à voir des firmes basées à Londres - même
si l'une d'entre elles a maintenant un actionnaire français - et
à New-York transférer à Paris leurs ventes de prestige.