B. LE NÉCESSAIRE ACCOMPAGNEMENT FISCAL DE LA MODERNISATION

A la différence du projet de loi déposé en avril 1997, le présent texte s'en tient à une stricte approche indemnitaire, au risque de négliger les mesures nécessaires à la modernisation d'une profession ;

Les commissaires-priseurs doivent, en effet, non seulement être dédommagés de la perte d'un monopole, mais encore encouragés à faire face au choc d'une concurrence annoncée.

Or, de ce point de vue, le texte, par son silence sur le statut fiscal des nouvelles sociétés, laisse les règles fiscales s'appliquer dans toute leur rigueur, alors même que le changement de statut est contraint et non choisi .

En tout état de cause, il serait anormal de ne pas neutraliser, au moins temporairement, les conséquences fiscales mécaniques d'un changement imposé.

1. Garantir la neutralité des restructurations imposées par la loi

En réponse à une question de votre rapporteur pour avis sur les mesures qu'il était envisagé de prendre pour permettre aux opérateurs français de faire face à la concurrence internationale, il a été répondu par les services du ministère de la justice :

" Pour permettre aux sociétés de vente de faire face à la concurrence de sociétés anglo-saxonnes, le projet de loi impose la création de sociétés de forme commerciale pour l'exercice de l'activité de ventes volontaires sans préciser une forme sociale particulière ni un capital social minimum. Ces sociétés commerciales pourront être aussi bien de simples sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) que des sociétés cotées en bourse.

Les professionnels français bénéficieront ainsi de structures mieux adaptées que celles existant à l'heure actuelle, qui ne permettent pas de se capitaliser (exercice sous forme individuelle, sous forme de sociétés civiles professionnelles ou d'exercice libéral).

Dans le système prévu par le projet de loi, le capital des sociétés de ventes aux enchères pourra être constitué de capitaux extérieurs. Les sociétés pourront ainsi investir à l'étranger et consacrer aux ventes internationales des fonds importants ".


Ce discours très général masque en réalité l'absence de toute mesure spécifique d'accompagnement des transformations juridiques que devront opérer des commissaires-priseurs pour se conformer aux prescriptions de la présente loi et se donner les moyens de résister à la concurrence.

De telles mesures sont d'autant plus légitimes qu'elles bénéficieraient surtout aux commissaires-priseurs qui décideraient de continuer à exercer et de relever le défi de la libéralisation du marché.

La restructuration à laquelle vont être contraints les commissaires-priseurs, devrait pouvoir être mise en oeuvre dans un cadre fiscal neutre , quelles que soient les structures d'exercice.

Il n'est pas normal , alors même que l'on entend par ailleurs - à en juger par certains propos tenus par le ministre de la culture - favoriser le développement du marché de l'art, que l'on puisse faire supporter à des agents économiques le coût fiscal des transformations juridiques qu'on leur impose.

Que l'on envisage un apport de l'activité de vente volontaire de ces sociétés à des sociétés commerciales nouvelles ou une scission des sociétés existantes, le coût, tant en matière d'imposition des plus-values qu'en matière de droits d'enregistrement, pourrait s'avérer particulièrement lourd, et ceci alors qu'il ne sera dégagé aucune liquidité pour s'acquitter des impositions exigibles.

En effet, il n'existe pas pour les sociétés non soumises à l'impôt sur les sociétés - cas de la très grande majorité des SCP - sociétés civiles professionnelles - et SEL - sociétés d'exercice libéral - de commissaires-priseurs - de régime de faveur permettant d'assurer la neutralité fiscale des opérations de restructuration , comme il en existe pour les sociétés soumises à cet impôt.

En outre, le passage des offices actuels au régime de l'impôt sur les sociétés comporte également des coûts dissuasifs.

Il est donc indispensable que des régimes équivalents soient mis en place à ceux dont bénéficient les entreprises individuelles pour permettre la restructuration des SCP et des sociétés d'exercice libéral qui ne seraient pas soumises à l'impôt sur les sociétés, au sein desquelles sont exercées conjointement une activité volontaire et judiciaire.

Votre commission des finances vous propose en conséquence une extension du régime applicable aux apports en société des entreprises individuelles aux apports, fusions ou scissions des SCP et SELARL (article 151 octies du CGI).

En ce qui concerne les opérations de scission, comme le propose votre commission des finances, on pourrait utiliser le régime de report d'imposition de la plus value d'échange de titres réalisée par les associés de la société scindée de l'article 93 quater V du CGI.

En outre, votre rapporteur pour avis estime aussi souhaitable le maintien du report d'imposition éventuellement obtenu précédemment lors de la mise en société de l'office de commissaire-priseur (en application de l'article 151 octies du CGI), car l'apport ou la scission envisagée de l'activité volontaire sont de nature à mettre fin à ce report.

Enfin, il serait également utile de prévoir l'extension du régime des droits d'enregistrement applicable aux apports d'entreprises individuelles et de branches complètes d'activités en société, aux apports de branches d'activités effectuées par les SCP ou les SELARL non soumises à l'impôt sur les sociétés à une société nouvelle dans le cadre de leur restructuration imposée par la réforme de la profession de commissaire-priseur. L'objectif serait ainsi de n'avoir à acquitter que le droit fixe de 1500 francs moyennant l'engagement de conserver les titres reçus en contrepartie de l'apport durant 5 ans.

2. Préserver l'Hôtel Drouot comme plate-forme des ventes à Paris

L'unicité de lieu de vente à Paris est une pratique coutumière très ancienne consacrée par un arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 1982. Elle entraîne pour les commissaires-priseurs l'obligation d'exercer leur ministère à l'Hôtel Drouot ou dans un certain nombre de lieux déterminés, sauf à en faire agréer d'autres par la chambre de discipline 12( * ) .

Les ventes à Paris sont organisées au coeur d'un dispositif comprenant une société civile immobilière (SCI), une société anonyme et les offices de commissaires-priseurs.

- La SCI, propriété des seuls commissaires-priseurs en exercice possède les lieux de vente suivants : Hôtel des ventes (Drouot-Richelieu), Drouot-Nord, Drouot-Véhicules (deux sites) loués à Drouot SA. Pour les ventes de prestige, la SCI loue à Drouot SA, les locaux correspondant à l'appellation "Drouot-Montaigne", dont la Caisse des dépôts et consignations est propriétaire.

Chaque office parisien est titulaire d'une part de la SCI.

La société anonyme, Drouot SA, propriété de la seule Compagnie des commissaires-priseurs de Paris, assure la logistique des ventes. Les recettes d'exploitation proviennent de la location des salles, calculée d'une part, forfaitairement en fonction de la surface louée et d'autre part, proportionnellement en fonction du montant des ventes. Outre la gestion de la salle des ventes, Drouot SA regroupe SA Drouot - Estimation, qui procède à des estimations gratuites, SEPSVEP, qui assure la distribution des catalogues des ventes ; la gazette de l'Hôtel Drouot, hebdomadaire des ventes publiques tiré à 65 000 exemplaires, le moniteur des ventes, bi-hebdomadaire d'annonces des ventes aux enchères tiré à 20 000 exemplaires, dispositif complété par la création d'un site Internet 13( * ) .

C'est donc à ce niveau que se situe une des sources les plus importantes de plus-values pour les commissaires-priseurs parisiens qui devraient y trouver les moyens de financer leur transformation en sociétés commerciale si l'État ne leur prélève pas l'essentiel des sommes qu'ils pourraient récupérer au titre de l'impôt sur les plus-values.

Indépendamment de la question de l'exigibilité de plus-values en cas d'apport et de la nécessité de son report jusqu'à la cession des parts, le problème parisien est rendu plus complexe du fait de l'incertitude pesant sur le régime juridique de la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris.

Si la Compagnie est considérée comme ayant la personnalité morale 14( * ) , ce qui est l'hypothèse la plus vraisemblable, elle devra, compte tenu de la valeur comptable nette au moment de l'apport, des actifs transférés et des valeurs correspondantes figurant au bilan, soumettre au taux de l'impôt sur les sociétés de droit commun soit 41,66 % les quelque 59 millions de francs de plus-values ainsi dégagées 15( * ) .

La distribution de ces 59 millions de francs donne lieu pour chaque part détenue par les commissaires-priseurs - il y en a 143 - à l'attribution de 412 000 F auxquels il faut ajouter un avoir fiscal de l'ordre de 200 000 F. Déduction faite de l'impôt et des divers prélèvements sociaux, l'impôt dû par part se monte à près de 190 000 F.

Il n'est pas possible d'exiger le paiement d'impôts aussi lourds alors que les structures de l'Hôtel Drouot sont en pleine restructuration et que celles-ci n'engendrent l'arrivée d'aucun argent " frais ".

Telles sont les raisons pour lesquelles votre commission des finances vous propose, par un dispositif dérogatoire sans doute perfectible ,de neutraliser, pour l'Hôtel Drouot les conséquences fiscales de la restructuration imposée par le présent projet de loi. Sauf si la thèse du partage en nature pouvait être acceptée, le dispositif comporte deux temps :

•  exonération de toutes les opérations préalables à l'apport des titres correspondant aux actifs transférés par la compagnie des commissaires-priseurs de Paris à DROUOT SA en 1990 aux nouvelles sociétés de ventes aux enchères ;

•  taxation des commissaires-priseurs au moment de la fin du report lors d'une mutation ultérieure, non par rapport à la valeur du titre dans les comptes de son détenteur avant l'apport, mais par rapport à la valeur des actifs correspondants, en 1990, au moment de la création de DROUOT SA.

Il n'y a donc pas véritablement exonération mais simplement report des plus-values dues par la compagnie et par les commissaires-priseurs . Tout se passe comme si la taxation due par la compagnie était transférée aux commissaires-priseurs eux-mêmes et reportée dans des conditions proches du droit commun avec imposition sur l'ensemble de la plus value au moment où ces derniers sortent de la société de ventes volontaires à laquelle ils ont fait apport de leurs parts des actifs anciennement détenus à travers la compagnie.

Un tel mécanisme est non seulement juste, car on n'a pas à faire subir les conséquences fiscales de restructuration imposée par la loi, mais encore efficaces sur le plan économique dans la mesure où il s'agit d'une aide au réinvestissement.

L'hôtel Drouot est un outil sans équivalent par le brassage d'objets et de personnes. Sa richesse tient, pour une bonne part, à ce mélange des genres, ce joyeux désordre, aux antipodes des vacations aseptisées à l'anglo-saxonne. Un certain nombre de professionnels en font une structure dépassée ; d'autres y voient encore une formidable " machine à vendre ", des " puces " en plein coeur de Paris, où il se passe toujours quelque chose ...Le marché tranchera ; mais il ne faudrait pas que l'outil soit condamné du fait de l'application d'une fiscalité inadaptée à un cas unique.

STRUCTURES COMMERCIALES DES COMMISSAIRES-PRISEURS DE PARIS

 

Objet

Statut juridique

Actionnariat ou personnes participant au capital

Montant du capital (2)

Actifs corporels (2)

Actifs incorporels (2)

Nombre de personnes

Règles statutaires en cas de dissolution et de vente des actions

Drouot-SA

gestion des hôtels des ventes

SA à directoire et conseil de surveillance

- Compagnie des commissaires-priseurs de Paris :

499.988 actions

- personnes physiques :

12 actions

50.000.000

5.473.836

5.925.500

55

art. 50 et 33 des statuts

(voir annexe 1)

Drouot-Estimation

estimation, expertise, vente de meubles, objets d'art, tableaux, antiquités

SARL

- Drouot-SA : 999 parts

- SEPVEP : 1 part

100.000

833.423

450.000

11

art. 21 et 9 des statuts

(voir annexe 2)

SEPVEP

éditions de périodiques

SA

- Drouot-SA : 8.688 actions

- personnes physiques : 112 parts

880.000

670.878

540.000

45

art. 21 titre V et art. 7 et 8 titre II des statuts

(voir annexe 3)

SCI de l'Hôtel Drouot

propriété, administration, exploitation, mise en valeur d'immeubles utiles à l'activité professionnelle de ses membres

société civile

68 parts art. 8 des statuts

23.800.000

18.647.503

néant

néant

art. 29 et 9 des statuts

(voir annexe 4)

(1) Source : Compagnie des commissaires-priseurs de Paris-Drouot

Le montant des ventes effectuées en-dehors de Drouot-Richelieu en 1997 (1) s'établit, par rapport à un produit total de 3.440.342.912 F, de la façon suivante :

 

Produit vendu

Nombre de ventes

Hors Drouot-Richelieu (2)

672.234.046

54

(1) Source : Compagnie des commissaires-priseurs de Paris-Drouot

(2) Georges V, Espace Tajan, Plazza Athénée, Palais des Congrès, Hôtel Ambassador, Périphérie

3. Préciser et aménager le régime fiscal de l'indemnisation

Considérant que l'indemnité constitue le prix de cession d'un élément d'actif immobilisé, l'administration fiscale a, dans une réponse écrite à votre rapporteur pour avis, indiqué que "  l'excédent du montant de l'indemnité sur la part du prix payé par les commissaires-priseurs à leur prédécesseur au titre du droit de présentation relèverait du régime des plus ou moins values professionnelles. "

Dans cette hypothèse les plus-values réalisées par les commissaires-priseurs relevant de l'impôt sur le revenu, titulaires de leurs charges depuis au moins deux ans, seraient soumises au taux réduit d'imposition des plus-values à long terme de 16% de l'article 39 quindecies du code général des impôts, soit avec les prélèvements sociaux, un taux effectif de 26 %.

Pour votre commission des finances, il ne serait pas inconcevable d'exonérer d'impôt une indemnité, qui vient compenser un préjudice, à l'origine duquel il y a une décision contraignante des pouvoirs publics . On est bien amené à reprendre d'une main ce qu'on donne de l'autre.

L'idée directrice des propositions du présent rapport a consisté, par souci de réalisme, de se contenter de favoriser les commissaires-priseurs, qui investissent ou qui ont investi.

En tout état de cause, votre commission considère que l'application de ce régime fiscal des plus-values aux indemnités versées doit être confirmée par une disposition législative exprès .

Aussi votre commission des finances propose-t-elle de préciser dans la loi que les indemnités sont soumises au taux de l'article 200 A 2 - 16 % / 26 % avec les prélèvements sociaux - applicable aux plus-values des particuliers, étant rappelé que par le jeu de l'article 42, les indemnités sont versées directement aux associés d'une société civile professionnelle .

Ce principe ainsi posé doit, selon votre commission des finances, comporter deux exceptions destinées, pour des raisons de justice et d'efficacité, à favoriser :

• d'une part, les commissaires-priseurs encore endettés, qui ne seraient imposés que sur la part de leur indemnisation non affectée au remboursement des dettes contractées pour l'acquisition de leur charges ;

• d'autre part, les commissaires-priseurs qui réinvestissent l'intégralité de leur indemnisation dans une nouvelle société de vente volontaire, en leur permettant dans ce cas de bénéficier d'un report de l'impôt dû à ce titre.

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