II. LA PROBLÉMATIQUE FISCALE ET BUDGÉTAIRE

Votre commission des finances a examiné en étroite liaison avec la commission des lois, ainsi qu'avec celle des affaires culturelles, la question de l'indemnisation des commissaires-priseurs et de son mode de financement.

La nécessité d'une indemnisation est indiscutable ; il y va de la parole de l'État. Mais ses modalités ne sont pas simples dans la mesure où l'expropriation que subissent les commissaires-priseurs n'est que partielle.

A. UNE INDEMNISATION ARBITRAIRE ?

Ce n'est pas la première fois que se pose le problème de l'indemnisation d'une profession qui perd son statut d'officier ministériel. Les avoués, les greffiers se sont trouvés dans cette situation et ont bénéficié d'une indemnité en application des lois n° 65-1002 du 30 novembre 1965 et n°71-1130 du 31 décembre 1971.

Le cas des agents de change est particulier : la loi n°88-70 du 22 janvier 1989 a créé les sociétés de bourses et supprimé sans indemnisation les offices d'agents de change ; mais elle ne constitue pas un précédent dans la mesure où elles ont toutes été rachetées par des banques de la place, alors majoritairement publiques, et que par là même leurs titulaires ont été indemnisés.

En fait, les modalités de l'indemnisation et dans une moindre mesure son mode de financement, dépendent de l'analyse de son fondement juridique.

1. Les problèmes de fondement juridique

L'analyse que vous présente votre commission des finances reprend pour l'essentiel celle du rapporteur de la commission des lois, qui se distingue assez nettement de celle développée dans le rapport précité des trois experts, remis en janvier 1998 au Garde des sceaux.

Les trois experts, MM. François Cailleteau, Jean Favard et Charles Renard font une analyse assez différente des travaux de M. Léonnet sur la base desquels avait été établi le projet de loi d'avril 1997.

Considérant qu'il faut distinguer l'office ministériel, fonction publique qui échappe au pouvoir de son titulaire, de la valeur de l'office, la " finance de l'office ", qui entre dans son patrimoine, le rapport des trois nouveaux experts pose la question en ces termes : s'agit-il ou non d'une véritable propriété, dont on ne pourrait être privé que sous la condition d'une " juste et préalable indemnité ", pour reprendre les termes mêmes de la Déclaration des droits de l'Homme ?

A plusieurs reprises la Cour de cassation a, selon les auteurs du rapport, confirmé la distinction, en particulier dans une décision de décembre 1946, précisant que " les offices, institués dans un intérêt public, ne sont pas des propriétés privées, et que le seul élément susceptible de faire l'objet d'une convention intéressée, consiste dans la valeur pécuniaire du droit de présentation. "

Le rapport ajoute " Comment, d'ailleurs, pourrait-on parler d'expropriation en la matière, s'agissant d'un projet de loi restreignant le champ d'action des offices des commissaires-priseurs aux ventes judiciaires de meubles, tout en ouvrant aux intéressés la possibilité de continuer à procéder à des ventes volontaires, sauf à créer des sociétés à cette fin. ".

La conclusion des experts est simple : bien qu'on ne puisse parler de privation du droit de propriété au sens de la déclaration des Droits de l'Homme, " il n'apparaît pas discutable qu'en vertu du principe d'égalité devant les charges publiques découlant de son article 13 et constamment réaffirmé par le Conseil Constitutionnel, l'on ne saurait exclure du droit à réparation un élément quelconque du préjudice indemnisable résultant de la suppression du droit de présentation en matière de ventes volontaires. "

Les experts, suivant en cela l'analyse du doyen Vedel, prennent nettement parti dans le débat juridique sur le fondement de l'indemnisation

D'un côté, il y a ceux qui estiment - c'est la thèse du Gouvernement et de ses experts - que l'on se trouve devant une sorte de servitude d'alignement européenne pesant sur les commissaires-priseurs et accessoirement sur les notaires et les huissiers, et dont il faudrait indemniser le préjudice au nom de l'égalité devant les charges publiques : il y a simplement dépréciation d'un droit maintenu dans son fondement - le droit de présentation persiste dans le domaine judiciaire - même si il est réduit dans sa portée et donc dans sa valeur économique.

De l'autre, il y a ceux qui s'appuyant sur les précédents jurisprudentiels et, notamment les travaux parlementaires relatifs à l'indemnisation des avoués, considèrent que l'on se trouve dans le cas d'une privation de droit de propriété.

Le droit de présentation, qui fait partie du patrimoine de l'officier ministériel - il est d'ailleurs inclus dans l'impôt sur la fortune et constitue l'élément essentiel d'apport dans les sociétés d'exercice libéral - est amputé dans les privilèges qu'il confère, puisque celui-ci sera limité aux seules ventes judiciaires.

On est donc dans cette perpective moins devant une dépréciation d'une propriété par ailleurs maintenue dans sa consistance - comme il peut s'en produire à la suite de l'instauration d'une servitude - que d'une expropriation partielle.

De ce point de vue, la formulation du projet de loi d'avril 1997, qui disposait que les commissaires-priseurs sont indemnisés " en raison de la suppression du droit de présentation de leur successeur dans le secteur des ventes volontaires ", était plus explicite.

On peut citer en complément d'autres arguments démontrant qu'on se trouve dans un cas de privation et de dénaturation du droit de propriété , même s'il est partiellement maintenu :

• d'une part, la dépréciation est telle que le titulaire du droit subit en fait une " diminution de son patrimoine, assimilable à une privation du droit de propriété " pour reprendre une formule que l'on trouve dans un arrêt du Conseil constitutionnel ;

• d'autre part, la restriction apportée à l'étendue du droit de présentation est à ce point radicale qu'elle s'apparente aux " limitations ", évoquées récemment par le Conseil Constitutionnel, qui " revêtent un caractère de gravité tel que l'atteinte qui en résulte dénature le sens et la portée de ce droit ".

On est bien dans ce cas, car il est difficile de prétendre qu'un droit est maintenu quand il peut perdre jusqu'à 80 % de sa valeur.

Telles sont les raisons pour lesquelles, le rapporteur pour avis de la commission des finances, suivant l'analyse de la commission des lois, considère que le fondement de l'indemnisation doit être l'expropriation.

En conséquence, il faut donc que la suppression partielle du droit de présentation fasse conformément à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme d'une " juste " et - si possible - "  préalable " indemnité

2. Les problèmes de montant

Le mode de calcul de l'indemnité a varié entre le projet de loi déposé en avril 1997 et celui actuellement soumis au Sénat.

a) Les modalités de calcul

Partant du postulat que le préjudice indemnisable ne porte pas sur toute la valeur de l'office, le projet de loi procède en deux étapes :

- le calcul de la valeur de l'office, c'est l'article 36 ;

- l'évaluation du préjudice en pourcentage de cette valeur, c'est l'article 37.

Le calcul de la valeur de l'office

Le projet de loi déposé en avril 1997 prévoyait une indemnisation calculée sur le mode théorique de fixation de la valeur des offices: en l'occurrence, on partait de la moyenne des produits demi-nets de l'office pour les années 1991-1995, pour la multiplier par un coefficient fixé entre 3 et 4.

Le groupe d'experts a attiré l'attention sur la variabilité des éléments de charges pris en compte pour le calcul du produit demi-net 4( * ) . Il souligne ainsi l'impact des choix de gestion tenant à la variabilité des charges salariales, dont le poids dépend en partie des décisions d'externalisation de certaines fonctions.

Pour compléter son argumentation, il fait état des coefficients multiplicateurs réellement observés sur 115 transaction intervenues entre 1991 et 1995, qui se situent aux alentours de 2, soit un niveau sensiblement inférieur au coefficient de 3 à 4 prévu par le projet de 1997.

En fait, le projet de 1997 comportait, implicitement, un aspect aide à la restructuration - relevé par la commission de Bruxelles soucieuse de vérifier la compatibilité du dispositif avec l'article 92 du traité de Rome.

La méthode proposée par les experts répond à trois principes :

• utiliser des données contrôlables ;

• aboutir à un résultat du même ordre que ce qu'aurait donné une vente si le statut actuel avait été maintenu ;

• prendre en compte le dynamisme de l'office tant à travers son effort d'investissement que de l'évolution de ses recettes.

La valeur de l'office, telle qu'elle résulte de la méthode proposée par les experts et qu'elle se trouve retenue dans le présent projet de loi, se fonde sur deux agrégats comptables :

• les recettes nettes ;

• le solde d'exploitation net des charges et produits financiers et divers 5( * ) .

Il y a là l'idée que, tel un fonds de commerce, un office peut être évalué à partir de son chiffre d'affaires ou de ses résultats et, plus certainement, par une combinaison de ces deux approches.

Il ne reste plus qu'à calculer la valeur des coefficients correspondants à partir des transactions effectives au cours de la période considérée.

Les calculs effectués par les experts font apparaître un coefficient de 1 pour les recettes et de 3 pour le solde d'exploitation : ainsi, en moyenne cela veut dire que le prix de vente effectivement constaté équivaut à une fois les recettes annuelles et trois fois le solde d'exploitation.

Les experts proposaient de faire la moyenne des deux montants ainsi calculés, en y ajoutant le montant des immobilisations corporelles autres que les achats d'immeubles réalisés avant le 1er janvier 1998 et non amorties à la date de l'indemnisation, afin de tenir compte des investissements récents qui ont accru la valeur de l'office sans que cela se soit répercuté dans les résultats ou le chiffre d'affaires de l'office.

Il est précisé qu'il ne s'agit pas d'un prix de vente : les experts cherchent à estimer la valeur du bien tel qu'il est, et non celle à laquelle il aurait été vendu, qui inclut le pari que peut faire un acheteur sur le développement du potentiel commercial de l'étude.

Enfin, pour ne pas donner un caractère trop mécanique au calcul ci-dessus, les experts avaient demandé que l'on prévoie une marge de + ou - 15 % autour de ce chiffre, afin de tenir compte des caractéristiques propres à chaque situation.

En ce qui concerne la valeur de l'office, la solution retenue dans le projet de loi s'inspire des considérations développées par les trois experts tout en s'en distinguant de façon assez sensible.

1. Elle conserve le mode de calcul proposé par les experts pour la valeur de l'office (moyenne de la valeur de l'office calculée à partir des ventes et à partir des résultats) mais sans marge de modulation à ce niveau et compte tenu du point 2 ci-dessous ;

2. sous réserve d'une majoration - implicite - de 20 % pour l'estimation de la valeur des offices parisiens, pour lesquels la moyenne entre les deux modes de calcul est effectuée sur la base d'un coefficient de 0,6 au lieu du coefficient de 0,5 6( * ) ;

3. mais elle écarte à la fois l'indemnisation forfaitaire et l'indemnisation a posteriori, sauf pour les huissiers et les notaires,

4. pour la remplacer par une réfaction forfaitaire de 50 % assortie d'une modulation de + ou - 15 %, pour tenir compte des éléments restant à la disposition des commissaires-priseurs qui poursuivent leur activité de ventes volontaires.

Le contexte financier

L'application de la formule aux données statistiques relatives aux transactions intervenues de 1992 à 1996 dans l'hypothèse où les ventes volontaires représenteraient 80 % du chiffre d'affaires de la profession, sont données dans le tableau ci-dessous qui a été établi à partir de 88 transactions (24 pour Paris et 64 pour le reste de la France) sur 121 transactions constatées au cours de la période de référence 7( * )

L'exploitation de ces transactions a permis de calculer les coefficients multiplicateurs destinés à lier la valeur de la finance de l'office à aux agrégats solde d'exploitation et recettes nettes 8( * ) .

Transactions enregistrées à Paris et dans le reste de la France pour la période 1992-1996 (1)

 

Nombre de transactions

Total cumulé des prix de cession*

Total cumulé du solde d'exploitation*

Total cumulé des recettes nettes*

Ratio sur l'ensemble de la période entre prix de cession et solde d'exploitation

Ratio sur l'ensemble de la période entre prix de cession et recettes nettes

Paris

24

156.415.387

51.523.820

126.226.456

3,04

1,24

Province

64

165.784.210

64.756.944

198.681.576

2,56

0,83

France entière

88

322.199.597

116.280.764

324.908.032

2,77

0,99

* en francs

Il faut noter que le calcul réalisé donne le ratio sur l'ensemble de la période 1992-1996 (à partir de ratios - 1 pour les recettes et 3 pour le solde d'exploitation - calculés pour la période 1991-1995).

Ratio prix du marché/valeur d'indemnisation 9( * )

(simulation sur la base de 88 transactions)


 

PROVINCE

PARIS

Coefficient le plus bas

0,07

0,49

Coefficient le plus élevé

17,72

5,89

Coefficient moyen

0,96

1,05

On ne peut que remarquer la dispersion des ratios prix d'indemnisation sur prix du marché . Ce dernier prend en compte le potentiel commercial de l'office manifestement très variable, ce qui est à l'origine de ce phénomène de dispersion, sans doute accentué en province par des niveaux de prix plus faibles. A Paris où les prix sont élevés, la dispersion est moindre, même si la variation, qui va de 0,5 à 6, reste considérable.

Il faut d'abord souligner l'importance de facteurs contingents comme la mésentente entre des associés, qui peuvent affecter les prix réels ; mais on aussi remarquer que certains partis pris dans la sélection des agrégats comptables, on pense en l'occurrence à l'exclusion des frais et produits financiers, n'aboutissent méconnaître l'endettement d'un office et donc à ignorer à la fois des éléments de passif et d'actif de nature à affecter son prix.

On peut aussi se demander si, en période de crise, l'évaluation pour moitié de la valeur d'un office à partir d'un agrégat comme le solde d'exploitation, par définition assez fluctuant et susceptible d'être corrigé par les anticipations des acquéreurs, ne contribue aussi à la variabilité des ratios.

A cet égard, il convient d'évoquer le problème du choix de la période de référence pour le calcul de l'indemnité . Le choix de la période 1992-1996 apparaît désormais bien éloignée de la date de l'indemnisation, qui ne saurait intervenir dans les faits avant 2000.

Il n'est ni juste ni satisfaisant de se fonder sur une période de référence aussi éloignée. Faut-il prendre en considération les années 1997 et 1998 désormais connues ?

L'importance de l'endettement contracté par les commissaires-priseurs pour l'acquisition de leur charge doit-il être pris en compte ?



Le tableau ci-dessus retrace cet endettement. Il faut d'abord noter que la chancellerie, qui est informée au moment de l'achat des emprunts contractés pour l'acquisition de l'office, indique également que l'endettement moyen des commissaires-priseurs au titre de l'achat de leur charge est de l'ordre de 8 ans, ce qui veut dire que le stock actuel d'endettement est moindre que l'addition des chiffres figurant sur le tableau : une bonne partie des emprunts contractés avant 1991 et sans doute avant 1992 seront sans doute déjà remboursés.

Mais la question de principe demeure : faut-il tenir compte du mode de financement de l'achat, alors que l'emprunt a probablement servi au paiement d'éléments d'actifs de nature à perdurer au delà d'une réforme que tout le monde savait inéluctable dès le début des années 1990 ? Après réflexion, votre rapporteur pour avis a estimé que l'on pouvait tenir compte de l'endettement au niveau de la fiscalité de l'indemnisation.

L'évaluation du préjudice

L'article 37 du projet de loi fixe le préjudice des commissaires-priseurs à 50 % de la valeur de l'office. Le gouvernement justifie cet abattement en faisant valoir que l'indemnité est destinée à compenser la diminution de la valeur de droit de présentation, " étant observé, d'une part, que les commissaires-priseurs ne perdent pas l'exercice de ce droit, puisque le monopole dont ils bénéficient sur les ventes judiciaires ne sera pas affecté par la réforme, d'autre part, que les commissaires-priseurs indemnisés continueront à exercer l'activité des ventes volontaires...[ et qu'ils ] auront la faculté de céder les parts qu'ils détiendront dans les sociétés de vente " lorsqu'ils se retireront.

En fait, le système proposé, qui résulte d'une décision gouvernementale, accentue l'impression d'arbitraire. Dans la mesure où la réfaction n'est pas justifiée dans le texte même, mais simplement dans l'exposé des motifs de la loi, on a des raisons de penser que le Parlement manque à son devoir de législateur en ne justifiant pas, dans la loi, les raisons de l'atteinte portée à un principe fondamental du droit de propriété.

Toutefois, votre commission ne dissimule pas la difficulté de l'exercice, dès lors que, voulant tenir compte des éléments de la finance de l'office restant dans le patrimoine de son titulaire, on s'estime fondé à pas payer l'intégralité de la valeur de l'office.

b) Les propositions de la commission

Selon votre rapporteur pour avis - dont la position a été définie en étroite concertation avec la commission des lois - , réduire de moitié, de façon forfaitaire, et donc arbitraire, l'indemnité due aux commissaires-priseurs ne correspond ni à aucune réalité économique ni à aucune justification juridique .

Personne ne conteste qu'il convient de tenir compte de ce que les commissaires-priseurs sont certes expropriés de leur droit de présentation et du monopole géographique qui lui est attaché, mais ne perdent pas pour autant la libre disposition du bien qui fait la valeur de l'office, et notamment de leur clientèle.

La vraie position, conforme à la l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'homme, consiste à considérer qu'un principe simple doit être posé : les commissaires-priseurs doivent être indemnisés dans son intégralité du préjudice résultant de la perte de leur droit de présentation en matière de ventes volontaires .

Le principe ainsi posé clairement à l'article 35, doit effectivement tenir compte de la valeur des éléments d'actifs incorporels qui restent la propriété du titulaire de l'Office et qui doit venir en déduction de la valeur de l'office retenue pour déterminer l'indemnisation.

Cependant, pour des raisons pratiques et pour éviter de retarder un processus d'indemnisation, dont la définition n'a que trop tardé, votre rapporteur pour avis vous propose en fait de revenir, mais simplement à titre d'option offerte aux commissaires-priseurs, au système forfaitaire prévu par le Gouvernement.

On pourrait ainsi laisser le choix aux commissaires-priseurs entre deux modalités d'indemnisation :

•  une indemnité forfaitaire, non modulée, de 50 % de la valeur de l'Office, payable très vite , en quelques mois, à compter du dépôt du dossier, de façon à permettre aux commissaires-priseurs de disposer rapidement de l'argent nécessaire au financement de leurs investissements ;

•  une indemnité calculée " sur mesure ", qui prendrait en considération les éléments de fait permettant d'apprécier le préjudice réel subi par chaque commissaire-priseur, mais qui serait plus longue à déterminer. Votre rapporteur pour avis est conscient du caractère intuitu personae de la valeur d'une étude, sans doute beaucoup plus fort que pour d'autres activités libérales, de même qu'il considère que la valeur des éléments d'actifs résiduels doit être évaluée, compte tenu des perspectives de l'intensification de la concurrence par suite de la disparition du monopole et donc de probables pertes de parts de marché. On note qu'il appartient au commissaire-priseur de démontrer, en déposant sa demande d'indemnisation, le peu de valeur des éléments d'actif résiduels de la même manière qu'il incombe aux notaires et aux huissier de faire la preuve de leur préjudice.

Dans ce système, le caractère non nécessairement " juste " de l'indemnisation se trouverait validé sur le plan des principes constitutionnels dans la mesure où le procédé forfaitaire résulterait du choix des intéressés.

3. Les problèmes de financement

Le projet de loi déposé en avril 1997, avait programmé un effort considérable en faveur des professions concernées. La dépense qui en résultait avait été estimée à 2,3 milliards de francs. Elle était financée sur ressources budgétaires et par une taxe de 1,5 % sur les ventes perçues pendant 10 ans, ce qui laissait environ 1 milliard de francs à inscrire au budget de l'État.

Ce dispositif généreux comportait en fait implicitement un volet aide à la restructuration, qui n'avait pas manqué d'attirer l'attention de la commission de Bruxelles ( cf. lettre du 12 juin 1997).

Le régime soumis aujourd'hui au Parlement, plus restrictif, met en jeu des sommes sensiblement plus limitées.

a) Le coût estimé de l'indemnisation

Le groupe d'experts avait estimé que le coût de l'indemnisation à un montant compris entre 735 et 935 millions de francs 10( * ) .

Le projet de loi actuel part de l'hypothèse de coût la plus élevée envisagée par les experts -hors indemnisation du personnel- en la diminuant de moitié pour tirer les conséquences de l'abattement de 50 %.

On doit souligner que le présent projet de loi fait, contrairement au texte d'avril 1997, peu de cas du personnel des commissaires-priseurs , qui se voit ainsi renvoyé aux dispositions peu généreuses de sa convention collective : 1/10 du salaire mensuel, proportion passée à 3/20 dudit salaire au-delà de cinq années d'ancienneté, sans que l'indemnité ne puisse excéder quatre mois de salaire. Telles sont les raisons qui expliquent que le coût de l'indemnisation soit ramené à 450 millions de francs.

En tout état de cause, un des éléments-clés du dispositif est la commission chargée d'évaluer le montant de l'indemnisation .

Sa composition est essentielle, non seulement pour les notaires et les huissiers , dont l'indemnité - estimée à seulement 7 millions de francs - est calculée ex post, lorsqu'ils font la preuve qu'ils ont subi un préjudice anormal et spécial, mais encore pour les commissaires-priseurs eux-mêmes. C'est à la commission, en effet, qu'il incombe, dans le texte du projet de procéder à la modulation de plus ou moins 15 % de l'indemnité, sans que, on peut le noter au passage, aucun critère ne lui soit fixé pour appliquer cette modulation.

b) Le montage budgétaire et la taxe sur les ventes

Le projet de loi prévoit la création, dans les conditions fixées par la loi de finances, d'un fonds d'indemnisation. On peut rappeler que, selon les termes de l'article 18 de la loi organique relative aux lois de finances, " l'affectation est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances ".

Ce fonds sera alimenté par une contribution égale à 1 % du produit des ventes de meubles aux enchères publiques prélevée pendant une durée maximale de cinq ans.

L'assiette de la taxe qui porte sur les ventes volontaires et judiciaires, est évaluée pour l'année 1999, à 9,5 milliards de francs ; ce chiffre comprend le produit des ventes réalisées par les huissiers et les notaires évalués à 1 milliard de francs.

Les services du ministère de la justice ont évalué à 2 % par an la hausse de l'assiette de la taxe. Sur cette base, le taux de 1 % suffit à financer l'indemnisation conformément au tableau ci-après.

 

1999

2000

2001

2002

2003

Total

Ventes annuelles (MF)

9.500

9.690

9.883,8

10.081,48

10.283,11

 

Produit de la taxe (1 %)

95

96,9

98,8

100,81

102,83

494,38

Indemnisation des commissaires-priseurs

- 443

0

0

0

0

- 443

Indemnisation des huissiers et des notaires

 
 
 

- 7

 

- 7

Solde de financement

- 348

- 251,1

- 152,26

- 58,45

44,38

44,38

Il faut d'abord noter que le calendrier prévu est caduc compte tenu du fait que le présent projet de loi pourrait ne pas entrer en vigueur avant l'an 2000. En outre, il est peu probable que l'ensemble des indemnités puissent être liquidées et versées en une seule année. Il serait sans doute plus réaliste d'étaler les paiements sur les deux premières années d'application du régime d'indemnisation.

Enfin, le taux de croissance retenu pour estimer le rendement de la taxe, 2 %, pourrait se révéler un peu sous-estimé si, comme on peut l'espérer, l'arrivée des maisons de ventes aux enchères anglo-saxonnes stimulaient le marché.

L'équilibre du régime repose sur un crédit de 450 millions de francs 11( * ) inscrit dans la loi de finances rectificatives pour 1998 par anticipation - dans des conditions que votre commission a des finances a regretté du point de vue de la sincérité budgétaire - au chapitre 46-01 du budget du ministère de la justice, opportunément placé à l'état H des crédits non soumis à l'annualité budgétaire par le projet de loi de finances pour 1999.

On note que, du point de vue du Ministère des Finances, tel qu'il a été exprimé dans une réponse écrite à votre rapporteur pour avis, la taxe n'a pas pour objet d'assurer le financement de l'indemnisation des commissaires-priseurs mais " de compenser pour les finances publiques le coût budgétaire de cette prise en charge ". Une telle formulation laisse croire que la taxe pourrait n'être pas nécessairement affectée et que le cadre comptable pourrait rester une simple ligne budgétaire et non un compte d'affectation spéciale.

c) La suppression de la taxe une mesure logique du point de vue économique et juridique

Tirant les conséquence de ce flou, votre commission des finances propose une mesure radicale de nature à clarifier la situation : la suppression de la taxe.

La taxe est apparue juridiquement contestable, financièrement inutile et économiquement nuisible à la relance du marché de l'art dans notre pays :

Juridiquement contestable , en ce sens que si on comprend bien que la modernisation d'un secteur soit financé par les clients dans une logique qui sous-tend beaucoup de taxe parafiscale, il ne s'agit plus pour l'État dans le dispositif actuel que de racheter un droit qu'il a vendu et c'est plutôt au budget général d'assumer une charge de cette nature ;

financièrement inutile , techniquement, parce que les crédits ont déjà été inscrits et sont soustraits à l'annualité budgétaire ; budgétairement, on peut souligner que la hausse des tarifs qui va suivre la mise en place du nouveau régime - les commissaires-priseurs allant probablement s'aligner sur les tarifs des deux majors anglo-saxonnes, 15 % jusqu'à 300 000 francs et 10 % au delà, par rapport aux 9 % du tarif réglementaire actuel -, va dégager des recettes supplémentaires pour l'État : il devrait en résulter une hausse de la TVA - 6 points de plus de marge s'analysant en 5 % de marge en plus hors taxes et 1 % du chiffre d'affaires en recettes supplémentaires pour l'État. A raison d'une hypothèse de 8 milliards de chiffre d'affaires à 15 % de frais "acheteur" et de deux milliards à 10 %, mécaniquement les recettes supplémentaires de TVA seraient de l'ordre de 85 millions de francs par an. On est donc très exactement dans l'hypothèse de rendement de la taxe de 1 % ;

économiquement inopportune , si l'on souhaite relancer le marché de l'art, soit que la taxe vienne en plus des frais "acheteur", soit que, et c'est le plus probable, la taxe soit prise sur les marges des commissaires-priseurs et ne compromette leur rentabilité et donc n'obère les moyens dont ils ont besoin pour mener une politique concurrentielle notamment du point de vue des frais vendeurs...

Enfin, pour votre rapporteur pour avis, cette taxe d'un faible rendement - et qui viendrait grossir les rangs de ces petites taxes récemment dénoncées par un rapport de l'inspection des finances sur le coût de perception de l'impôt - contribue à entretenir des confusions chez un certain nombre d'intéressés, qui croient que son produit viendra s'ajouter à celui des crédits déjà inscrits, ce qui va tout à fait à l'encontre de ce que l'on sait des intentions du Gouvernement.

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