II. LA PROBLÉMATIQUE FISCALE ET BUDGÉTAIRE
Votre
commission des finances a examiné en étroite liaison avec la
commission des lois, ainsi qu'avec celle des affaires culturelles, la question
de l'indemnisation des commissaires-priseurs et de son mode de financement.
La nécessité d'une indemnisation est indiscutable ; il y va
de la parole de l'État. Mais ses modalités ne sont pas simples
dans la mesure où l'expropriation que subissent les
commissaires-priseurs n'est que partielle.
A. UNE INDEMNISATION ARBITRAIRE ?
Ce n'est
pas la première fois que se pose le problème de l'indemnisation
d'une profession qui perd son statut d'officier ministériel. Les
avoués, les greffiers se sont trouvés dans cette situation et ont
bénéficié d'une indemnité en application des lois
n° 65-1002 du 30 novembre 1965 et n°71-1130 du 31 décembre
1971.
Le cas des agents de change est particulier : la loi n°88-70 du
22 janvier 1989 a créé les sociétés de bourses
et supprimé sans indemnisation les offices d'agents de change ;
mais elle ne constitue pas un précédent dans la mesure où
elles ont toutes été rachetées par des banques de la
place, alors majoritairement publiques, et que par là même leurs
titulaires ont été indemnisés.
En fait, les modalités de l'indemnisation et dans une moindre mesure son
mode de financement, dépendent de l'analyse de son fondement
juridique.
1. Les problèmes de fondement juridique
L'analyse que vous présente votre commission des
finances
reprend pour l'essentiel celle du rapporteur de la commission des lois, qui se
distingue assez nettement de celle développée dans le rapport
précité des trois experts, remis en janvier 1998 au Garde des
sceaux.
Les trois experts, MM. François Cailleteau, Jean Favard et Charles
Renard font une analyse assez différente des travaux de M.
Léonnet sur la base desquels avait été établi le
projet de loi d'avril 1997.
Considérant qu'il faut distinguer l'office ministériel, fonction
publique qui échappe au pouvoir de son titulaire, de la valeur de
l'office, la " finance de l'office ", qui entre dans son patrimoine,
le rapport des trois nouveaux experts pose la question en ces termes :
s'agit-il ou non d'une véritable propriété, dont on ne
pourrait être privé que sous la condition d'une " juste et
préalable indemnité ", pour reprendre les termes mêmes
de la Déclaration des droits de l'Homme ?
A plusieurs reprises la Cour de cassation a, selon les auteurs du rapport,
confirmé la distinction, en particulier dans une décision de
décembre 1946, précisant que "
les offices,
institués dans un intérêt public, ne sont pas des
propriétés privées, et que le seul élément
susceptible de faire l'objet d'une convention intéressée,
consiste dans la valeur pécuniaire du droit de
présentation.
"
Le rapport ajoute "
Comment, d'ailleurs, pourrait-on parler
d'expropriation en la matière, s'agissant d'un projet de loi
restreignant le champ d'action des offices des commissaires-priseurs aux ventes
judiciaires de meubles, tout en ouvrant aux intéressés la
possibilité de continuer à procéder à des ventes
volontaires, sauf à créer des sociétés à
cette fin.
".
La conclusion des experts est simple : bien qu'on ne puisse parler de
privation du droit de propriété au sens de la déclaration
des Droits de l'Homme, "
il n'apparaît pas discutable qu'en vertu
du principe d'égalité devant les charges publiques
découlant de son article 13 et constamment réaffirmé par
le Conseil Constitutionnel, l'on ne saurait exclure du droit à
réparation un élément quelconque du préjudice
indemnisable résultant de la suppression du droit de présentation
en matière de ventes volontaires.
"
Les experts, suivant en cela l'analyse du doyen Vedel, prennent nettement parti
dans le débat juridique sur le fondement de l'indemnisation
D'un côté, il y a ceux qui estiment - c'est la thèse du
Gouvernement et de ses experts - que l'on se trouve devant
une sorte de
servitude d'alignement européenne
pesant sur les
commissaires-priseurs et accessoirement sur les notaires et les huissiers, et
dont il faudrait indemniser le
préjudice au nom de
l'égalité devant les charges publiques
: il y a
simplement dépréciation d'un droit maintenu dans son fondement -
le droit de présentation persiste dans le domaine judiciaire -
même si il est réduit dans sa portée et donc dans sa valeur
économique.
De l'autre, il y a ceux qui s'appuyant sur les précédents
jurisprudentiels et, notamment les travaux parlementaires relatifs à
l'indemnisation des avoués, considèrent que l'on se trouve dans
le
cas d'une privation de droit de propriété.
Le droit de présentation, qui fait partie du patrimoine de l'officier
ministériel - il est d'ailleurs inclus dans l'impôt sur la fortune
et constitue l'élément essentiel d'apport dans les
sociétés d'exercice libéral - est amputé dans les
privilèges qu'il confère, puisque celui-ci sera limité aux
seules ventes judiciaires.
On est donc dans cette perpective moins devant une
dépréciation
d'une propriété par ailleurs
maintenue dans sa consistance - comme il peut s'en produire à la suite
de l'instauration d'une servitude - que d'une
expropriation
partielle.
De ce point de vue, la formulation du projet de loi d'avril 1997, qui disposait
que les commissaires-priseurs sont indemnisés " en raison de la
suppression du droit de présentation de leur successeur dans le secteur
des ventes volontaires ", était plus explicite.
On peut citer en complément d'autres arguments démontrant qu'on
se trouve dans un
cas de privation et de dénaturation du droit de
propriété
, même s'il est partiellement maintenu :
• d'une part, la dépréciation est telle que le titulaire
du droit subit en fait une " diminution de son patrimoine, assimilable
à une privation du droit de propriété " pour
reprendre une formule que l'on trouve dans un arrêt du Conseil
constitutionnel ;
• d'autre part, la restriction apportée à l'étendue
du droit de présentation est à ce point radicale qu'elle
s'apparente aux " limitations ", évoquées
récemment par le Conseil Constitutionnel, qui " revêtent un
caractère de gravité tel que l'atteinte qui en résulte
dénature le sens et la portée de ce droit ".
On est bien dans ce cas, car il est difficile de prétendre qu'un
droit est maintenu quand il peut perdre jusqu'à 80 % de sa valeur.
Telles sont les raisons pour lesquelles, le rapporteur pour avis de la
commission des finances, suivant l'analyse de la commission des lois,
considère que
le fondement de l'indemnisation doit être
l'expropriation.
En conséquence, il faut donc que la suppression partielle du droit de
présentation fasse conformément à l'article 17 de la
Déclaration des droits de l'Homme d'une " juste " et - si
possible - " préalable " indemnité
2. Les problèmes de montant
Le mode de calcul de l'indemnité a varié entre le projet de loi déposé en avril 1997 et celui actuellement soumis au Sénat.
a) Les modalités de calcul
Partant
du postulat que le préjudice indemnisable ne porte pas sur toute la
valeur de l'office, le projet de loi procède en deux étapes :
- le calcul de la valeur de l'office, c'est l'article 36 ;
- l'évaluation du préjudice en pourcentage de cette valeur,
c'est l'article 37.
Le calcul de la valeur de l'office
Le
projet de loi déposé en avril 1997 prévoyait une
indemnisation calculée sur le mode théorique de fixation de la
valeur des offices: en l'occurrence, on partait de la moyenne des produits
demi-nets de l'office pour les années 1991-1995, pour la multiplier par
un coefficient fixé entre 3 et 4.
Le groupe d'experts a attiré l'attention sur la variabilité des
éléments de charges pris en compte pour le calcul du produit
demi-net
4(
*
)
. Il souligne ainsi
l'impact des choix de gestion tenant à la variabilité des charges
salariales, dont le poids dépend en partie des décisions
d'externalisation de certaines fonctions.
Pour compléter son argumentation, il fait état des coefficients
multiplicateurs réellement observés sur 115 transaction
intervenues entre 1991 et 1995, qui se situent aux alentours de 2, soit un
niveau sensiblement inférieur au coefficient de 3 à 4
prévu par le projet de 1997.
En fait, le projet de 1997 comportait, implicitement, un aspect aide à
la restructuration - relevé par la commission de Bruxelles soucieuse de
vérifier la compatibilité du dispositif avec l'article 92 du
traité de Rome.
La méthode proposée par les experts répond à trois
principes :
• utiliser des données contrôlables ;
• aboutir à un résultat du même ordre que ce
qu'aurait donné une vente si le statut actuel avait été
maintenu ;
• prendre en compte le dynamisme de l'office tant à travers son
effort d'investissement que de l'évolution de ses recettes.
La valeur de l'office,
telle qu'elle résulte de la méthode
proposée par les experts et qu'elle se trouve
retenue dans le
présent projet de loi,
se fonde sur deux agrégats
comptables :
• les recettes nettes ;
• le solde d'exploitation net des charges et produits financiers et
divers
5(
*
)
.
Il y a là l'idée que, tel un fonds de commerce, un office peut
être évalué à partir de son chiffre d'affaires ou de
ses résultats et, plus certainement, par une combinaison de ces deux
approches.
Il ne reste plus qu'à calculer la valeur des coefficients correspondants
à partir des transactions effectives au cours de la période
considérée.
Les calculs effectués par les experts font apparaître
un
coefficient de 1 pour les recettes et de 3 pour le solde
d'exploitation
: ainsi, en moyenne cela veut dire que le prix de vente
effectivement constaté équivaut à une fois les recettes
annuelles et trois fois le solde d'exploitation.
Les experts proposaient de faire la
moyenne des deux montants ainsi
calculés, en y ajoutant le montant des immobilisations corporelles
autres que les achats d'immeubles
réalisés avant le 1er
janvier 1998 et non amorties à la date de l'indemnisation, afin de tenir
compte des investissements récents qui ont accru la valeur de l'office
sans que cela se soit répercuté dans les résultats ou le
chiffre d'affaires de l'office.
Il est précisé qu'il ne s'agit pas d'un prix de vente : les
experts cherchent à estimer la valeur du bien tel qu'il est, et non
celle à laquelle il aurait été vendu, qui inclut le pari
que peut faire un acheteur sur le développement du potentiel commercial
de l'étude.
Enfin, pour ne pas donner un caractère trop mécanique au calcul
ci-dessus, les experts avaient demandé que l'on prévoie une marge
de + ou - 15 % autour de ce chiffre, afin de tenir compte des
caractéristiques propres à chaque situation.
En ce qui concerne la valeur de l'office, la
solution retenue dans le projet
de loi
s'inspire des considérations développées par
les trois experts tout en s'en distinguant de façon assez sensible.
1.
Elle conserve le mode de calcul proposé par les experts pour la
valeur de l'office
(moyenne de la valeur de l'office calculée
à partir des ventes et à partir des résultats)
mais
sans marge de modulation à ce niveau et compte tenu du point 2
ci-dessous ;
2.
sous réserve d'une majoration
- implicite -
de 20 % pour
l'estimation de la valeur des offices parisiens,
pour lesquels la moyenne
entre les deux modes de calcul est effectuée sur la base d'un
coefficient de 0,6 au lieu du coefficient de 0,5
6(
*
)
;
3. mais elle
écarte
à la fois
l'indemnisation
forfaitaire
et
l'indemnisation a posteriori,
sauf pour les huissiers
et les notaires,
4. pour
la remplacer par une réfaction forfaitaire de 50 %
assortie d'une modulation de + ou - 15 %,
pour tenir compte des
éléments restant à la disposition des
commissaires-priseurs qui poursuivent leur activité de ventes
volontaires.
Le contexte financier
L'application de la formule aux données statistiques
relatives aux transactions intervenues de 1992 à 1996 dans
l'hypothèse où les ventes volontaires représenteraient 80
% du chiffre d'affaires de la profession, sont données dans le tableau
ci-dessous qui a été établi à partir de
88 transactions (24 pour Paris et 64 pour le reste de la France) sur
121 transactions constatées au cours de la période de
référence
7(
*
)
L'exploitation de ces transactions a permis de calculer les coefficients
multiplicateurs destinés à lier la valeur de la finance de
l'office à aux agrégats solde d'exploitation et recettes
nettes
8(
*
)
.
Transactions enregistrées à Paris et dans le reste de la France pour la période 1992-1996 (1)
|
Nombre de transactions |
Total cumulé des prix de cession* |
Total cumulé du solde d'exploitation* |
Total cumulé des recettes nettes* |
Ratio sur l'ensemble de la période entre prix de cession et solde d'exploitation |
Ratio sur l'ensemble de la période entre prix de cession et recettes nettes |
Paris |
24 |
156.415.387 |
51.523.820 |
126.226.456 |
3,04 |
1,24 |
Province |
64 |
165.784.210 |
64.756.944 |
198.681.576 |
2,56 |
0,83 |
France entière |
88 |
322.199.597 |
116.280.764 |
324.908.032 |
2,77 |
0,99 |
*
en francs
Il faut noter que le calcul réalisé donne le ratio sur l'ensemble
de la période 1992-1996 (à partir de ratios - 1 pour les recettes
et 3 pour le solde d'exploitation - calculés pour la période
1991-1995).
Ratio
prix du marché/valeur d'indemnisation
9(
*
)
(simulation sur la base de 88 transactions)
|
PROVINCE |
PARIS |
Coefficient le plus bas |
0,07 |
0,49 |
Coefficient le plus élevé |
17,72 |
5,89 |
Coefficient moyen |
0,96 |
1,05 |
On ne
peut que remarquer
la dispersion des ratios prix d'indemnisation sur prix du
marché
. Ce dernier prend en compte le potentiel commercial de
l'office manifestement très variable, ce qui est à l'origine de
ce phénomène de dispersion, sans doute accentué en
province par des niveaux de prix plus faibles. A Paris où les prix sont
élevés, la dispersion est moindre, même si la variation,
qui va de 0,5 à 6, reste considérable.
Il faut d'abord souligner l'importance de
facteurs contingents
comme la
mésentente entre des associés, qui peuvent affecter les prix
réels ; mais on aussi remarquer que certains partis pris dans la
sélection des agrégats comptables, on pense en l'occurrence
à l'exclusion des frais et produits financiers, n'aboutissent
méconnaître l'endettement d'un office et donc à ignorer
à la fois des éléments de passif et d'actif de nature
à affecter son prix.
On peut aussi se demander si, en période de crise, l'évaluation
pour moitié de la valeur d'un office à partir d'un agrégat
comme le solde d'exploitation, par définition assez fluctuant et
susceptible d'être corrigé par les anticipations des
acquéreurs, ne contribue aussi à la variabilité des ratios.
A cet égard, il convient d'évoquer le problème du
choix
de la période de référence pour le calcul de
l'indemnité
. Le choix de la période 1992-1996 apparaît
désormais bien éloignée de la date de l'indemnisation, qui
ne saurait intervenir dans les faits avant 2000.
Il n'est ni juste ni satisfaisant de se fonder sur une période de
référence aussi éloignée. Faut-il prendre en
considération les années 1997 et 1998 désormais
connues ?
L'importance de l'endettement contracté par les commissaires-priseurs
pour l'acquisition de leur charge doit-il être pris en compte ?
Le tableau ci-dessus retrace cet endettement. Il faut d'abord noter que la
chancellerie, qui est informée au moment de l'achat des emprunts
contractés pour l'acquisition de l'office, indique également que
l'endettement moyen des commissaires-priseurs au titre de l'achat de leur
charge est de l'ordre de 8 ans, ce qui veut dire que le stock actuel
d'endettement est moindre que l'addition des chiffres figurant sur le
tableau : une bonne partie des emprunts contractés avant 1991 et
sans doute avant 1992 seront sans doute déjà remboursés.
Mais la question de principe demeure : faut-il tenir compte du mode de
financement de l'achat, alors que l'emprunt a probablement servi au paiement
d'éléments d'actifs de nature à perdurer au delà
d'une réforme que tout le monde savait inéluctable dès le
début des années 1990 ? Après réflexion, votre
rapporteur pour avis a estimé que l'on pouvait tenir compte de
l'endettement au niveau de la fiscalité de l'indemnisation.
L'évaluation du préjudice
L'article 37 du projet de loi fixe le préjudice des
commissaires-priseurs à 50 % de la valeur de l'office. Le gouvernement
justifie cet abattement en faisant valoir que l'indemnité est
destinée à compenser la diminution de la valeur de droit de
présentation, "
étant observé, d'une part, que les
commissaires-priseurs ne perdent pas l'exercice de ce droit, puisque le
monopole dont ils bénéficient sur les ventes judiciaires ne sera
pas affecté par la réforme, d'autre part, que les
commissaires-priseurs indemnisés continueront à exercer
l'activité des ventes volontaires...[ et qu'ils ] auront la
faculté de céder les parts qu'ils détiendront dans les
sociétés de vente
" lorsqu'ils se retireront.
En fait, le système proposé, qui résulte d'une
décision gouvernementale, accentue l'impression d'arbitraire. Dans la
mesure où la réfaction n'est pas justifiée dans le texte
même, mais simplement dans l'exposé des motifs de la loi, on a des
raisons de penser que le Parlement manque à son devoir de
législateur en ne justifiant pas,
dans la loi,
les raisons de
l'atteinte portée à un principe fondamental du droit de
propriété.
Toutefois, votre commission ne dissimule pas la difficulté de
l'exercice, dès lors que, voulant tenir compte des
éléments de la finance de l'office restant dans le patrimoine de
son titulaire, on s'estime fondé à pas payer
l'intégralité de la valeur de l'office.
b) Les propositions de la commission
Selon
votre rapporteur pour avis - dont la position a été
définie en étroite concertation avec la commission des lois -
,
réduire de moitié, de façon forfaitaire, et donc
arbitraire, l'indemnité due aux commissaires-priseurs ne correspond ni
à aucune réalité économique ni à aucune
justification juridique
.
Personne ne conteste qu'il convient de tenir compte de ce que les
commissaires-priseurs sont certes expropriés de leur droit de
présentation et du monopole géographique qui lui est
attaché, mais ne perdent pas pour autant la libre disposition du bien
qui fait la valeur de l'office, et notamment de leur clientèle.
La vraie position, conforme à la l'article 17 de la Déclaration
des Droits de l'homme, consiste à considérer qu'un principe
simple doit être posé :
les commissaires-priseurs doivent
être indemnisés dans son intégralité du
préjudice résultant de la perte de leur droit de
présentation en matière de ventes volontaires
.
Le principe ainsi posé clairement à l'article 35, doit
effectivement tenir compte de la valeur des éléments d'actifs
incorporels qui restent la propriété du titulaire de l'Office et
qui doit venir en déduction de la valeur de l'office retenue pour
déterminer l'indemnisation.
Cependant, pour des raisons pratiques et pour éviter de retarder un
processus d'indemnisation, dont la définition n'a que trop tardé,
votre rapporteur pour avis vous propose en fait de revenir, mais simplement
à titre d'option offerte aux commissaires-priseurs, au système
forfaitaire prévu par le Gouvernement.
On pourrait ainsi
laisser le choix aux commissaires-priseurs entre deux
modalités d'indemnisation :
• une
indemnité forfaitaire, non modulée, de
50 % de la valeur de l'Office, payable très vite
, en quelques
mois, à compter du dépôt du dossier, de façon
à permettre aux commissaires-priseurs de disposer rapidement de l'argent
nécessaire au financement de leurs investissements ;
• une
indemnité calculée " sur
mesure
", qui prendrait en considération les
éléments de fait permettant d'apprécier le
préjudice réel
subi par chaque commissaire-priseur, mais
qui serait plus longue à déterminer. Votre rapporteur pour
avis est conscient du caractère
intuitu personae
de la valeur
d'une étude, sans doute beaucoup plus fort que pour d'autres
activités libérales, de même qu'il considère que
la
valeur des éléments d'actifs résiduels
doit
être évaluée,
compte tenu des perspectives de
l'intensification de la concurrence
par suite de la disparition du monopole
et donc de probables pertes de parts de marché.
On note qu'il
appartient au commissaire-priseur de démontrer, en déposant sa
demande d'indemnisation, le peu de valeur des éléments d'actif
résiduels de la même manière qu'il incombe aux notaires et
aux huissier de faire la preuve de leur préjudice.
Dans ce système, le caractère non nécessairement
" juste " de l'indemnisation se trouverait validé sur le plan
des principes constitutionnels dans la mesure où le
procédé forfaitaire résulterait du choix des
intéressés.
3. Les problèmes de financement
Le
projet de loi déposé en avril 1997, avait programmé un
effort considérable en faveur des professions concernées. La
dépense qui en résultait avait été estimée
à 2,3 milliards de francs. Elle était financée sur
ressources budgétaires et par une taxe de 1,5 % sur les ventes
perçues pendant 10 ans, ce qui laissait environ 1 milliard de francs
à inscrire au budget de l'État.
Ce dispositif généreux comportait en fait implicitement un volet
aide à la restructuration, qui n'avait pas manqué d'attirer
l'attention de la commission de Bruxelles ( cf. lettre du 12 juin 1997).
Le régime soumis aujourd'hui au Parlement, plus restrictif, met en jeu
des sommes sensiblement plus limitées.
a) Le coût estimé de l'indemnisation
Le
groupe d'experts avait estimé que le coût de l'indemnisation
à un montant compris entre 735 et 935 millions de francs
10(
*
)
.
Le projet de loi actuel part de l'hypothèse de coût la plus
élevée envisagée par les experts -hors indemnisation du
personnel- en la diminuant de moitié pour tirer les conséquences
de l'abattement de 50 %.
On doit souligner que le présent projet de loi fait, contrairement au
texte d'avril 1997, peu de
cas du personnel des commissaires-priseurs
,
qui se voit ainsi renvoyé aux dispositions peu généreuses
de sa convention collective : 1/10 du salaire mensuel, proportion
passée à 3/20 dudit salaire au-delà de cinq années
d'ancienneté, sans que l'indemnité ne puisse excéder
quatre mois de salaire. Telles sont les raisons qui expliquent que le
coût de l'indemnisation
soit ramené à
450 millions
de francs.
En tout état de cause,
un des éléments-clés du
dispositif est la commission chargée d'évaluer le montant de
l'indemnisation
.
Sa composition est essentielle, non seulement pour les notaires et les
huissiers
,
dont l'indemnité - estimée à seulement 7
millions de francs - est calculée ex post, lorsqu'ils font la preuve
qu'ils ont subi un préjudice anormal et spécial, mais encore pour
les commissaires-priseurs eux-mêmes. C'est à la commission, en
effet, qu'il incombe, dans le texte du projet de procéder à la
modulation de plus ou moins 15 % de l'indemnité, sans que, on peut le
noter au passage, aucun critère ne lui soit fixé pour appliquer
cette modulation.
b) Le montage budgétaire et la taxe sur les ventes
Le
projet de loi prévoit la création, dans les conditions
fixées par la loi de finances, d'un fonds d'indemnisation. On peut
rappeler que, selon les termes de l'article 18 de la loi organique relative aux
lois de finances, " l'affectation est exceptionnelle et ne peut
résulter que d'une disposition de loi de finances ".
Ce fonds sera alimenté par une contribution égale à 1 % du
produit des ventes de meubles aux enchères publiques
prélevée pendant une durée maximale de cinq ans.
L'assiette de la taxe qui porte sur les ventes volontaires et judiciaires, est
évaluée pour l'année 1999, à 9,5 milliards de
francs ; ce chiffre comprend le produit des ventes réalisées
par les huissiers et les notaires évalués à 1 milliard de
francs.
Les services du ministère de la justice ont évalué
à 2 % par an la hausse de l'assiette de la taxe. Sur cette base, le taux
de 1 % suffit à financer l'indemnisation conformément au tableau
ci-après.
|
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
Total |
Ventes annuelles (MF) |
9.500 |
9.690 |
9.883,8 |
10.081,48 |
10.283,11 |
|
Produit de la taxe (1 %) |
95 |
96,9 |
98,8 |
100,81 |
102,83 |
494,38 |
Indemnisation des commissaires-priseurs |
- 443 |
0 |
0 |
0 |
0 |
- 443 |
Indemnisation des huissiers et des notaires |
|
|
|
- 7 |
|
- 7 |
Solde de financement |
- 348 |
- 251,1 |
- 152,26 |
- 58,45 |
44,38 |
44,38 |
Il faut
d'abord noter que le calendrier prévu est caduc compte tenu du fait que
le présent projet de loi pourrait ne pas entrer en vigueur avant l'an
2000. En outre, il est peu probable que l'ensemble des indemnités
puissent être liquidées et versées en une seule
année. Il serait sans doute plus réaliste d'étaler les
paiements sur les deux premières années d'application du
régime d'indemnisation.
Enfin, le taux de croissance retenu pour estimer le rendement de la taxe, 2 %,
pourrait se révéler un peu sous-estimé si, comme on peut
l'espérer, l'arrivée des maisons de ventes aux enchères
anglo-saxonnes stimulaient le marché.
L'équilibre du régime repose sur un crédit de 450 millions
de francs
11(
*
)
inscrit dans la
loi de finances rectificatives pour 1998 par anticipation - dans des conditions
que votre commission a des finances a regretté du point de vue de la
sincérité budgétaire - au chapitre 46-01 du budget du
ministère de la justice, opportunément placé à
l'état H des crédits non soumis à l'annualité
budgétaire par le projet de loi de finances pour 1999.
On note que, du point de vue du Ministère des Finances, tel qu'il a
été exprimé dans une réponse écrite à
votre rapporteur pour avis, la taxe n'a pas pour objet d'assurer le financement
de l'indemnisation des commissaires-priseurs mais " de compenser pour les
finances publiques le coût budgétaire de cette prise en
charge ". Une telle formulation laisse croire que la taxe pourrait
n'être pas nécessairement affectée et que le cadre
comptable pourrait rester une simple ligne budgétaire et non un compte
d'affectation spéciale.
c) La suppression de la taxe une mesure logique du point de vue économique et juridique
Tirant
les conséquence de ce flou, votre commission des finances propose une
mesure radicale de nature à clarifier la situation : la suppression
de la taxe.
La taxe est apparue juridiquement contestable, financièrement inutile et
économiquement nuisible à la relance du marché de l'art
dans notre pays :
•
Juridiquement contestable
, en ce sens que si on comprend bien
que la modernisation d'un secteur soit financé par les clients dans une
logique qui sous-tend beaucoup de taxe parafiscale, il ne s'agit plus pour
l'État dans le dispositif actuel que de racheter un droit qu'il a vendu
et c'est plutôt au budget général d'assumer une charge de
cette nature ;
•
financièrement inutile
, techniquement, parce que les
crédits ont déjà été inscrits et sont
soustraits à l'annualité budgétaire ;
budgétairement, on peut souligner que la hausse des tarifs qui va suivre
la mise en place du nouveau régime - les commissaires-priseurs allant
probablement s'aligner sur les tarifs des deux majors anglo-saxonnes, 15 %
jusqu'à 300 000 francs et 10 % au delà, par rapport aux 9 %
du tarif réglementaire actuel -, va dégager des recettes
supplémentaires pour l'État : il devrait en résulter
une hausse de la TVA - 6 points de plus de marge s'analysant en 5 % de marge en
plus hors taxes et 1 % du chiffre d'affaires en recettes supplémentaires
pour l'État. A raison d'une hypothèse de 8 milliards de chiffre
d'affaires à 15 % de frais "acheteur" et de deux milliards à 10
%, mécaniquement les recettes supplémentaires de TVA seraient de
l'ordre de 85 millions de francs par an. On est donc très exactement
dans l'hypothèse de rendement de la taxe de 1 % ;
•
économiquement inopportune
, si l'on souhaite relancer le
marché de l'art, soit que la taxe vienne en plus des frais "acheteur",
soit que, et c'est le plus probable, la taxe soit prise sur les marges des
commissaires-priseurs et ne compromette leur rentabilité et donc
n'obère les moyens dont ils ont besoin pour mener une politique
concurrentielle notamment du point de vue des frais vendeurs...
Enfin, pour votre rapporteur pour avis, cette taxe d'un faible rendement - et
qui viendrait grossir les rangs de ces petites taxes récemment
dénoncées par un rapport de l'inspection des finances sur le
coût de perception de l'impôt - contribue à entretenir des
confusions chez un certain nombre d'intéressés, qui croient que
son produit viendra s'ajouter à celui des crédits
déjà inscrits, ce qui va tout à fait à l'encontre
de ce que l'on sait des intentions du Gouvernement.