2. Les objectifs du projet de loi initial pour le temps de paix
Le présent projet vise, d'une part, à poursuivre la réforme de 1982 en rapprochant la procédure militaire de la procédure de droit commun, et, d'autre part, à renforcer la cohérence des dispositions concernant le jugement des infractions commises par les justiciables du droit pénal militaire. Il ne modifie pas, en revanche, les règles de compétence fondées sur la distinction entre les infractions commises sur le territoire de la République -et relevant du code de procédure pénale- et les infractions commises à l'étranger.
a) Poursuivre le rapprochement entre le droit pénal militaire et le droit commun
- La
principale disposition relevant de cette logique est l'
instauration du droit
d'appel
, qui n'existait pas, sous l'empire de la loi du 21 juillet 1982,
devant les tribunaux aux armées et les tribunaux prévôtaux,
le seul recours accessible aux justiciables étant le pourvoi en
cassation. L'
absence de double degré de juridiction
, maintenue
par la loi du 21 juillet 1982, revient donc à priver les justiciables de
la possibilité qu'il soit procédé à un nouvel
examen des faits et de l'application de la loi.
- De manière générale, le projet de loi
étend
les dispositions de la procédure pénale
de droit
commun
aux justiciables du droit pénal militaire, selon la
méthode retenue à l'article 2 :
la norme devient
l'application du code de procédure pénale
(et donc, du droit
commun), sous réserve des quelques spécificités
prévues par le code de justice militaire et par le code de
procédure pénale. Les réformes à venir du code de
procédure pénale seront ainsi de plein droit étendues au
code de justice militaire en temps de paix, sans qu'il soit besoin de recourir
à une loi spécifique.
- Les
modifications récentes de la procédure
pénale
, résultant pour l'essentiel de la
loi du 4 janvier
1993
sont, dans le même esprit,
étendues au code de justice
militaire
par le présent projet de loi et concernent, par
conséquent, les infractions commises hors du territoire. Les
garanties
offertes au justiciable, notamment en matière de garde
à vue et d'instruction préparatoire ont ainsi vocation, de
même que les dispositions sur le
référé-liberté en matière de
détention provisoire, à bénéficier aux militaires,
exclus du champ d'application de la loi du 4 janvier 1993.
En dépit de ces dispositions concourant, dans une certaine mesure,
à la banalisation du droit pénal militaire, on observe que le
projet de loi maintient les
spécificités
suivantes du code
de procédure pénale :
- réquisition de l'autorité militaire préalable à
toute enquête dans un établissement militaire,
- détention des militaires dans des locaux séparés,
- composition spécifique (absence de jury populaire) de la cour
d'assises en cas de risque de divulgation d'une information couverte par le
secret de la défense nationale,
- limitation des possibilités de déclenchement de l'action
publique par la personne lésée aux cas de décès,
mutilation ou invalidité permanente.
En conclusion sur ce point, notons, comme le soulignait Mme le ministre de la
Justice lors de l'examen de ce projet de loi à l'Assemblée
nationale, que "
le présent projet de loi
limite la
spécificité du droit militaire en temps de paix à ce qui
est strictement nécessaire à la vie des armées,
en lui
permettant, dans toute la mesure du possible, de respecter les garanties
nouvelles offertes à l'ensemble des justiciables et de se conformer aux
exigences d'un Etat démocratique ".
b) Renforcer la cohérence de la procédure pénale en matière militaire
Ainsi
qu'il est dit dans l'exposé des motifs, le présent projet de loi
tend à
simplifier et corriger certaines dispositions de la loi du 21
juillet 1982
"
qui se sont révélées, dans la
pratique, inadaptées aux contraintes propres aux
armées ".
Il s'agit, d'une part, des règles déterminant la
compétence territoriale
des juridictions dont relèvent les
infractions commises à l'étranger
. Ces infractions, comme
votre rapporteur l'a précédemment souligné, peuvent, en
effet, être transmises :
- soit à un tribunal aux armées, lorsqu'un tel tribunal a
été établi en dehors du territoire national (
de
facto
n'existe, dans cette catégorie, que le tribunal aux
armées des Forces françaises stationnées en Allemagne),
- soit au tribunal des forces armées siégeant à Paris, en
fonction des engagements internationaux de la France (cas des accords de
défense liant la France à certains pays d'Afrique, et
prévoyant un privilège de juridiction au profit de la France),
- soit encore, en fonction du lieu d'établissement en France de
l'unité à laquelle appartient le militaire en opérations
extérieures, aux chambres spécialisées des juridictions de
droit commun.
.
La
complexité des règles de compétence
ayant pour conséquence une regrettable
inégalité de
traitement
entre justiciables militaires -le responsable d'une même
infraction étant susceptible de relever de systèmes juridiques
distincts- le projet de loi, si l'on se réfère à sa
version initiale, propose de
confier systématiquement au tribunal des
forces armées siégeant à Paris une compétence
générale pour connaître des infractions commises par les
militaires hors du territoire de la République
, lorsqu'aucun
tribunal aux armées n'a été établi auprès
d'une force stationnant ou opérant à l'étranger.
Dans cet esprit de simplification, le projet de loi, tel qu'il a
été transmis à l'Assemblée nationale, proposait de
dénommer le tribunal des forces armées de Paris " tribunal
aux armées de Paris " , de même que le tribunal de Baden
est officiellement dénommé " tribunal aux armées des
Forces françaises stationnant en Allemagne ".
. D'autre part, le projet de loi, dans sa version initiale, visait à
étendre la compétence des juridictions de droit commun
spécialisées aux infractions commises par des militaires dans une
enceinte militaire
, alors que les dispositions actuellement en vigueur se
réfèrent aux infractions de droit commun commises par des
militaires
dans l'exercice du service.
La compétence des chambres
spécialisées des juridictions de droit commun devait donc
s'appuyer, dans la logique du texte initial du projet, sur
deux
critères
: d'une part, l'
établissement militaire
(que les infractions considérées aient été commises
dans le service ou non) et, d'autre part, l'
exécution du service
en dehors des enceintes militaires. L'extension de cette compétence aux
infractions commises à l'intérieur des établissements
militaires avait pour objectif, dans un souci de " bonne administration de
la justice ", de corriger les difficultés posées par la
définition de la notion de service, à l'origine, selon
l'exposé des motifs, de retards de procédure et de contentieux.
.
Enfin, le projet de loi permet de prononcer le huis-clos des
débats en cas de risque de divulgation d'un secret de la défense
nationale.
c) Préserver, voire étendre, les interventions du ministre de la défense
Le texte
initial du projet de loi préservait les dispositions du code de justice
militaire et du code de procédure pénale renvoyant à un
avis du ministre de la défense
préalable à toute
poursuite à l'encontre des justiciables du droit pénal militaire.
. Le
code de justice militaire
(article 97)
subordonne les
poursuites à l'encontre de ses justiciables (militaires, civils
" à la suite " des armées et, dans certains cas,
membres des familles des militaires à l'étranger) à un
avis préalable du ministre de la défense
. L'article 97 invite
le commissaire du gouvernement à solliciter l'avis du ministre de la
défense (ou de l'autorité militaire) préalablement
à tout acte de poursuite, sauf en cas de flagrance, et si le ministre de
la défense a de lui-même dénoncé l'infraction. Par
ailleurs, l'article 95 du code de justice militaire subordonne les poursuites
à l'encontre des maréchaux et amiraux de France, des officiers
généraux et des membres du contrôle général
des armées à un avis du ministre de la défense. De
même, cet article subordonne les poursuites à l'encontre des
magistrats de l'ordre judiciaire détachés à un avis
préalable du Garde des Sceaux.
. Les dispositions du
code de procédure pénale
concernant
les chambres spécialisées des juridictions de droit commun
prévoient, dans une logique comparable, que le Procureur de la
République met en mouvement l'action publique sur avis du ministre de la
défense, sauf dans les hypothèses suivantes :
- crime ou délit flagrant,
- dénonciation du ministre de la défense ou de l'autorité
militaire.
L'avis du ministre de la défense doit être donné dans un
délai d'un mois, hormis le cas d'urgence. L'absence d'avis est un cas de
nullité, sauf urgence ou si l'avis n'a pas été rendu dans
les délais requis.
. Le présent projet de loi, dans sa version initiale, non seulement
préservait ces dispositions
requérant l'avis du
ministre de la défense
, mais prévoyait même une
extension des cas d'intervention de cet avis
à l'hypothèse
de la
mise en mouvement de l'action publique par la partie
lésée.