2. Un équilibre difficile entre besoins particuliers de l'institution militaire et adaptation au droit commun.
a) Un certain recul du particularisme du droit pénal militaire depuis 1982.
La
suppression des TPFA et la création de chambres
spécialisées en matière militaire au sein de juridictions
de droit commun ont conduit à appliquer le code de procédure
pénale, c'est-à-dire le droit pénal
général, à la plupart des affaires mettant en cause des
militaires.
Parmi les conséquences de cette extension du droit commun aux
militaires, on relève :
- le fait que les jugements rendus, en matière militaire, par les
chambres spécialisées des tribunaux correctionnels soient
susceptibles d'
appel
, alors que les jugements des tribunaux militaires
ne demeurent attaquables que par la voie du pourvoi en cassation ;
- l'
engagement des poursuites par le procureur de la République,
magistrat civil
dépendant du garde des Sceaux, alors que cette
prérogative, considérée, sous l'empire de la loi de 1965,
comme un prolongement du pouvoir disciplinaire, et appartenait au ministre de
la Défense ainsi qu'à certaines autorités militaires
titulaires de grands commandements ;
- la possibilité, pour la victime d'une infraction, d'exercer
l'
action civile tendant à la réparation du préjudice,
irrecevable devant les TPFA ;
- le fait que la
mise en mouvement de l'action publique
ait
été autorisée, pour la partie lésée, en cas
de
décès
, de
mutilation
ou d'
infirmité
permanente
(loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992), qu'il s'agisse
des chambres spécialisées des juridictions de droit commun ou des
juridictions militaires : jusqu'à cette réforme, la mise en
mouvement de l'action publique appartenait, dans tous les cas, au procureur de
la République après dénonciation de l'autorité
militaire ;
- l'
appartenance au corps judiciaire de tous les magistrats chargés
des fonctions de poursuites, d'instruction et de jugement
, devant les
chambres spécialisées des juridictions de droit commun comme
devant les tribunaux militaires de Paris et de Baden. Sur ce dernier point,
rappelons que le corps des
magistrats militaires
recrutés parmi
les militaires titulaires d'un diplôme de droit, a été
placé en extinction par la
loi du 29 décembre 1966
relative à l'exercice des fonctions judiciaires militaires, et que
les 14 magistrats affectés au tribunal des forces armées
siégeant à Paris (3 magistrats) et au tribunal aux
armées de Baden (3 magistrats), ainsi qu'à la Direction
générale de la gendarmerie, sont des
magistrats de l'ordre
judiciaire détachés auprès du ministre de la
défense
7(
*
)
-
et
à ce titre, titulaires d'un grade attribué par équivalence
pour la durée de leur détachement.
Dans le même esprit, notons que le
commissaire du Gouvernement
-l'équivalent, dans le cadre de la justice militaire, du procureur de la
République- exerce ses attributions
sous l'autorité du garde
des Sceaux
, et n'a
pas de lien fonctionnel avec le département de
la défense
.
L'
indépendance
des magistrats
compétents
en
matière militaire a donc incontestablement été
renforcée par la loi du 21 juillet 1982. Celle-ci a également
permis, il convient de le souligner, aux victimes de se constituer partie
civile pour obtenir réparation des dommages subis.
b) Le maintien de procédures spécifiques
Le
tournant réalisé en 1982 trouve ses limites dans les dispositions
dérogatoires maintenues, par rapport au droit commun, tant par le code
de justice militaire que par les dispositions du code de procédure
pénale applicables aux chambres spécialisées. L'existence
de procédures spécifiques peut conduire, en effet, selon
certaines interprétations, à considérer la réforme
de 1982 comme une " réforme inachevée "
8(
*
)
, et justifient les ajustements du code
de procédure pénale et du code de justice militaire prévus
par le présent projet de loi.
Ces particularités tiennent, pour l'essentiel :
- à la limitation de l'engagement de l'action publique par les victimes
aux cas de décès, de mutilation ou d'infirmité permanente,
(voir supra, 2) ;
- à la nécessité, pour les magistrats ou les officiers de
police judiciaire, d'adresser une
réquisition à
l'autorité militaire
, avant de pénétrer dans les
établissements militaires, soit pour y faire des constatations, soit
pour effectuer des perquisitions ou arrestations ;
- au fait que le jugement des crimes par le tribunal aux armées (article
6 du code de justice militaire) exclut l'intervention d'un
jury
populaire
;
- à l'obligation de demander l'
avis du ministre de la
défense
avant d'engager des poursuites pénales, (sauf dans
les cas de
flagrance
ou d'
urgence
), à défaut de
dénonciation des faits par l'autorité militaire ;
- à l'impossibilité d'appliquer le
contrôle
judiciaire
aux militaires en activité ;
- à la faculté de détenir un justiciable des tribunaux aux
armées en
détention provisoire
pendant
cinq jours
et, si le commissaire du Gouvernement décide de traduire directement
devant le tribunal la personne détenue,
jusqu'à soixante jours
;
- à la possibilité d'imputer des mesures disciplinaires de
privation de liberté sur les peines d'emprisonnement ferme ;
- à l'
absence d'un double degré de juridiction
: les
décisions des tribunaux militaires et des tribunaux
prévôtaux ne peuvent faire l'objet que d'un
pourvoi en
cassation
, fondé sur l'appréciation de questions de droit et
non de questions de fait, alors que la voie de l'appel permet un nouvel examen
des faits.
Enfin, les aspects dérogatoires du droit pénal militaire ont
été soulignés par les nouvelles garanties offertes aux
justiciables dans le cadre des
récentes adaptations du code de
procédure pénale
(loi du 4 janvier 1993), essentiellement
dans le domaine de la
garde à vue
et de la
détention
provisoire
.
Compromis entre les contraintes propres aux activités militaires et les
impératifs propres à la Défense nationale, et le souci de
garantir les droits et libertés du citoyen, le droit pénal
militaire est donc encore susceptible d'aménagements sur la
portée desquels la professionnalisation invite, d'ailleurs, à
s'interroger.