B. LA SITUATION ISSUE, EN TEMPS DE PAIX 5( * ), DE LA LOI DE 1982 : DE NOMBREUSES RÉFÉRENCES AU DROIT COMMUN, SOUS RÉSERVE DU MAINTIEN DE CERTAINES SPÉCIFICITÉS
La
réforme de 1982
6(
*
)
a
supprimé, pour le temps de paix, les tribunaux permanents des forces
armées et a chargé des chambres spécialisées des
juridictions de droit commun d'instruire et de juger, en appliquant
désormais le code de procédure pénale, les infractions
commises sur le territoire national.
Dans le même temps ont été préservés, sous
une nouvelle dénomination, les tribunaux militaires aux armées
compétents pour les infractions commises, en temps de paix, en dehors du
territoire de la République. Le dispositif issu de la loi du 21 juillet
1982 est donc particulièrement complexe, puisqu'il juxtapose, en temps
de paix, deux systèmes juridiques distincts (le code de procédure
pénale et le code de justice militaire), encore
caractérisés par des spécificités sur le maintien
desquelles la professionnalisation des armées invite désormais
à s'interroger.
1. Un système complexe, assis sur la distinction entre les infractions commises sur le territoire national et les infractions commises sur le lieu de stationnement des forces.
a) Infractions commises sur le territoire national : compétence des juridictions de droit commun et application du code de procédure pénale.
.
La loi n° 82-621 du 21 juillet 1982 a
confié, dans le ressort de chaque cour d'appel, à une
chambre
spécialisée d'un tribunal de grande instance
(article 697 du
code de procédure pénale) l'instruction et le jugement des
délits qui relevaient, sous l'empire de la loi de 1965, des TPFA.
.
Les
procédures
applicables en matière
d'instruction et de jugement sont celles que définit le
code de
procédure pénale,
sous réserve des
spécificités prévues par les articles 698 à 698-8
de ce code. Cette relative banalisation de la justice militaire a
été considérée, en 1982, comme un tournant
historique, mettant fin, au nom de l'unité de la justice, à un
système dérogatoire jugé inadapté au contexte
ordinaire du temps de paix.
.
La compétence de ces formations spécialisées
(article 697-1 du code de procédure pénale) , concerne :
-
les infractions militaires
(insoumission, capitulation,
insubordination, désertion...) définies par le code de justice
militaire (voir supra),
- les
crimes et délits de droit commun
commis par les militaires
dans l'exécution du service,
c'est-à-dire dans le cadre
de la mission de service qui leur est confiée : la réforme
de 1982 a donc supprimé la référence au critère de
l'
intérieur de l'établissement militaire
, qui fondait la
compétence des TPFA. Une infraction de droit commun commise à
l'intérieur d'un établissement militaire par un militaire qui
n'accomplit aucun devoir attaché à ses fonctions ne relève
donc ni des chambres spécialisées, ni des dispositions
spécifiques prévues par les articles 698 à 698-8 du code
de procédure pénale (titre onzième : des crimes et
délits en matière militaire et des crimes et délits contre
les intérêts fondamentaux de la Nation) du code de
procédure pénale.
.
S'agissant des
critères de compétence
personnelle
, l'article 697-1 du code de procédure pénale
renvoie à la
définition des militaires
établie par
les articles 61 à 63 du code de justice militaire : militaires de
carrière, appelés du contingent effectuant le service militaire
(définition qui paraît exclure aujourd'hui les jeunes effectuant
l'appel de préparation à la Défense), militaires servant
en vertu d'un contrat. L'article 61 du code de justice militaire ne concerne ni
les militaires en position hors cadre ou de retraite, ni les déserteurs.
L'article 63 étend la définition des justiciables du code de
justice militaire aux prisonniers de guerre, et aux personnels présents,
même à titre civil, sur le rôle d'équipage d'un
bâtiment de la marine ou le manifeste d'un aéronef militaire.
.
Les règles de
compétence territoriale
posées par l'article 697-3 du code de procédure pénale,
s'agissant
des infractions commises sur le territoire national
,
renvoient :
- aux juridictions des lieux de débarquement ou d'
affectation
du
militaire,
- au lieu de l'
infraction
, de la
résidence
de l'une des
personnes soupçonnées ou du lieu de l'
arrestation
de l'une
de ces personnes (articles 43, 52, 382 et 663 du code de procédure
pénale).
Votre rapporteur reviendra, à l'occasion des critères de
compétence applicable aux infractions commises par des militaires en
dehors du territoire national, sur les conséquences de l'article 697-3
du code de procédure pénale (voir infra, b).
b) La complexité des dispositions relatives aux infractions commises en dehors du territoire de la République
Cette
adaptation du droit pénal militaire au code de procédure
pénale, c'est-à-dire au droit commun, vaut essentiellement pour
les infractions commises sur le territoire national.
.
Le
code de justice militaire
, et donc un
droit pénal
spécifique
, s'applique, en effet, sous réserve des exceptions
ci-après commentées, aux infractions commises
en dehors du
territoire de la République
. L'
article 2
du code de
justice militaire
dispose à cet égard :
"
En temps de paix et hors du territoire de la République, les
infractions sont instruites et jugées selon les règles du
présent code ".
Le code de justice militaire renvoie ainsi,
pour le temps de paix, aux
tribunaux aux armées
susceptibles
d'être établis à l'étranger lorsque des forces
françaises "
stationnent ou opèrent hors du territoire de
la République
" (article 3 du code de justice militaire).
.
La mise en place de telles juridictions n'est cependant qu'une
faculté reconnue à la France par certains traités
internationaux
.
Ainsi, la convention de Londres du 19 juillet 1951 entre les parties aux
traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces,
autorise-t-elle (article VII) les Etats d'origine des personnels
affectés aux forces séjournant sur le territoire d'une autre
partie contractante de la région de l'Atlantique-Nord à exercer
les pouvoirs de juridiction pénale et disciplinaire "
sur toute
personnes sujette à la loi militaire de cet Etat
". Les
autorités militaires de l'état d'origine ont donc "
le
droit d'exercer par priorité leur juridiction sur le membre d'une force
ou d'un élément civil ".
Cette priorité
concerne :
- les infractions portant atteinte à la sûreté ou à
la propriété de l'état d'origine,
- les infractions portant atteinte à la personne ou à la
propriété d'un membre de la force, d'un élément
civil de cet état ou d'une personne à charge,
- les infractions résultant de tout acte ou négligence accomplis
dans l'exécution du service.
Sur ce dernier point, précisons que :
La convention entre Etats parties au traité de l'Atlantique-Nord sur
le statut de leurs forces en ce qui concerne les forces
étrangères stationnées en République
fédérale d'Allemagne
du 3 août 1959 stipule que
le droit de l'Etat d'origine l'emporte en cas de doute sur le lien entre une
infraction et un acte ou une négligence accomplis dans
l'exécution du service (article 18). La même convention (article
19) oblige la République Fédérale d'Allemagne à
renoncer au droit de priorité de juridiction au profit d'un Etat qui
déciderait d'user de la faculté d'exercer sa propre juridiction
dans les conditions prévues par la convention de 1951.
Notons que, d'après le code de justice militaire, la mise en place de
tribunaux aux armées en dehors du territoire national relève du
pouvoir
réglementaire
. C'est en effet un
décret
, pris sur le rapport du garde des Sceaux et du ministre de
la Défense, qui "
fixe la liste des tribunaux aux armées,
le nombre de leurs chambres de jugement ainsi que les limites territoriales ou
maritimes dans lesquelles s'exerce leur juridiction "
(article 4 du
code de justice militaire).
Dans le même esprit, les
accords de défense
conclu avec
huit
Etats d'Afrique
(Madagascar, Djibouti, Burkina-faso, Côte
d'Ivoire, Gabon, Sénégal, Togo, Centrafrique), attribuent la
compétence pénale et disciplinaire aux juridictions
françaises.
.
La réforme de 1982, tout en supprimant les tribunaux permanents
des forces armées, a maintenu
deux tribunaux militaires
compétents pour les infractions commises par des justiciables du code de
justice militaire en dehors du territoire national :
- d'une part, le tribunal militaire aux armées de
Baden
,
créé sur la base des accords internationaux
précités de 1951 et 1959, et dont le champ de compétence
vise les infractions commises dans le cadre des Forces françaises
stationnées en Allemagne (ex Forces Françaises en Allemagne),
- d'autre part, le
tribunal des forces armées siégeant
à Paris
(article 10 de la loi du 21 juillet 1982), dont la
compétence concerne les infractions commises par des militaires dans les
Etats liés à la France par les accords de défense
ci-dessus mentionnés, et qui prévoient une attribution de
compétence au profit des juridictions militaires françaises.
L'intervention de ces juridictions, liée à une stipulation
explicite d'une convention internationale, entraîne l'application du
code de justice militaire
.
Enfin, les
tribunaux prévôtaux
sont constitués par
la Gendarmerie, en temps de paix et en dehors du territoire de la
République, pour connaître des
infractions de police
mineures.
.
Il convient toutefois de rappeler que les
seules juridictions
constituées, sur la base d'une convention internationale, pour juger les
infractions commises à l'étranger
par des justiciables du
code de justice militaire, sont les tribunaux aux armées de Paris et de
Baden. Les infractions commises en dehors des territoires induisant la
compétence de ces juridictions relèvent donc de l'intervention du
tribunal de droit commun du lieu de stationnement dont est originaire le
prévenu
.
En cas d'infraction commise en dehors du territoire national, par un
justiciable du droit pénal militaire (c'est-à-dire, dans la
plupart des cas, un militaire ou une personne " à la suite des
forces "), on distingue ainsi
trois cas de figure
, qui soulignent
l'excessive complexité des dispositions applicables :
1
er
cas : un tribunal aux armées a été
établi hors du territoire de la République, conformément
à une convention internationale : ce tribunal est compétent,
et le
code de justice militaire
s'applique (cas du tribunal aux
armées de Baden).
2
è
cas : aucun tribunal aux armées n'a
été établi hors du territoire national. Deux
possibilités sont alors envisageables :
- soit une
convention internationale
attribue à la France un
privilège de juridiction
: le tribunal des forces
armées siégeant à Paris est alors compétent, et le
code de justice militaire
s'applique ;
- soit
aucun engagement international
n'a été
conclu : est alors compétente la
chambre
spécialisée
de la juridiction de droit commun du lieu
d'origine de l'unité à laquelle appartient le prévenu, et
le
code de procédure pénale
s'applique.
Les
inconvénients de ce dispositif
ressortent plus clairement si
l'on considère que,
en cas d'infraction commise à
l'étranger par des militaires originaires d'unités
différentes
,
la même loi, à situation pourtant
identique, n'est pas applicable à tous.
Certains peuvent, en effet,
relever du code de justice militaire et comparaître devant le tribunal
des forces armées de Paris (cas de militaires appartenant aux forces
prépositionnées en Afrique), ou devant le tribunal aux
armées de Baden (cas des militaires affectés aux Forces
française stationnées en Allemagne). D'autres militaires peuvent
relever de la chambre spécialisée du tribunal de grande instance
du lieu dont est originaire leur régiment et se voir appliquer, de ce
fait, le code de procédure pénale. Dans ce cas, les justiciables
relèveraient, en matière criminelle, de l'intervention d'un jury
populaire, ce qu'exclut, en revanche, le code de justice militaire.