2. Le code de justice militaire de 1857 : une rigueur souvent contestée
.
Le
code de justice militaire de 1857
relève de cette logique d'un droit pénal militaire fortement
dérogatoire au droit commun. Il mit en place un
conseil de guerre
,
constitué de juges militaires de carrière, et
compétents pour juger toutes les infractions, même de droit
commun, commises par les militaires.
.
L'inadaptation de cette organisation, conçue dans le cadre
d'un régime relativement autoritaire, apparut clairement à
l'époque de la IIIè République. La
démocratisation du régime et l'évolution de la
société firent, en effet, apparaître la justice militaire
comme incompatible avec l'
importance
croissante de la
conscription
, qui faisait dans le même temps de l'armée
française une armée de citoyens. L'
affaire Dreyfus
révéla la sévérité, jugée alors par
certains excessive, de la justice militaire. On recense, entre 1894 et 1926,
quelque 30 propositions de loi ayant pour objet la suppression ou la
réorganisation de la justice militaire
2(
*
)
, qui attestent l'absence de consensus
sur les rigueurs de celle-ci.
.
La sévérité et l'impopularité des
conseils de guerre spéciaux
instaurés dès 1914
inspirèrent la loi du 9 mars 1928 (étendue en 1934 à
l'armée de l'Air, puis en 1938 à la Marine), qui substitua aux
conseils de guerre des
tribunaux militaires
. Ceux-ci étaient, en
temps de paix, présidés par un magistrat civil, ce qui permettait
un certain rapprochement par rapport à la justice pénale commune,
tout en maintenant d'importantes dérogations.
3. La réforme de 19653( * )
. La volonté de ménager les contraintes propres au métier des armes en autorisant des procédures pénales spécifiques, tout en consacrant, dans des proportions certes encore modestes, un certain souci d'ouverture, caractérise la réforme du 8 juillet 1965 . Celle-ci mit en place des juridictions spécifiques, les tribunaux permanents des forces armées , et consacra le principe d'un code pénal particulier (le code de justice militaire ), fondé sur des procédures dérogatoires, tout en intégrant des magistrats civils , appartenant au corps judiciaire et détachés auprès du ministre de la Défense.
a) Des juridictions spécifiques
- La
compétence des
huit tribunaux permanents des forces armées
(Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Rennes, Marseille, Metz, Papeete) concernait les
infractions d'ordre militaire et les infractions de droit commun commises par
des militaires, soit dans le service, soit à l'intérieur d'un
établissement militaire.
Les infractions militaires
relèvent de trois
catégories : infractions tendant à soustraire leur auteur
à ses obligations militaires (mutilation volontaire, désertion,
insoumission), infractions contre l'honneur et le devoir (capitulation,
trahison, pillage, complot, destruction, outrage au drapeau...), infractions
contre la discipline (refus d'obéissance, insubordination, abus
d'autorité, voie de fait ou outrage envers des supérieurs ou des
subordonnés...).
- Le
haut tribunal permanent des forces armées
avait pour
vocation de juger les officiers généraux, les maréchaux de
France et les membres des corps militaires de contrôle.
- Les
tribunaux militaires aux armées
pouvaient être
créés,
en temps de paix
, en cas de stationnement de forces
en dehors du territoire national
. En réalité, un seul
tribunal militaire aux armées fut constitué jusqu'à ce
jour à l'étranger : celui de Baden-Baden, en
République fédérale d'Allemagne, auprès des Forces
Françaises en Allemagne. La compétence des tribunaux militaires
aux armées concernait les infractions de toute nature commises par des
militaires ou par des personnes dites à la suite de l'armée
(personnels civils, et personnes à charge lorsqu'elles accompagnent le
chef de famille hors du territoire de la République).
- Enfin, les
tribunaux prévôtaux
dépendent de la
gendarmerie. Ils sont compétents pour juger les auteurs de
contraventions
de gravité mineure (quatre premières
classes). Ils sont constitués,
en dehors du territoire de la
République
, dans la zone de stationnement ou d'intervention des
forces dont ils relèvent.
b) Des procédures dérogatoires
A bien
des égards, le droit pénal militaire instauré en 1965
s'appuyait sur des procédures spécifiques, qu'il s'agisse :
- de la faculté de délivrer des ordres d'
incarcération
provisoire
dont la durée peut aller
jusqu'à 60 jours
,
- du fait que
la mise en mouvement de l'action publique
relève du
seul ministre de la Défense,
- de l'
impossibilité
,
pour une personne lésée,
de se constituer partie civile
(la justice militaire ne se
prononçant, en effet, que sur la culpabilité des prévenus,
et non sur la réparation du préjudice résultant de
l'infraction),
- de l'
inexistence
d'un double degré de juridiction
,
l'
appel
étant exclu du code de justice militaire (les jugements
rendus par les juridictions militaires pouvant cependant être
attaqués par la voie du pourvoi en cassation),
- de l'
absence
de jury populaire
dans les TPFA,
- de la faculté reconnue au ministre de la Défense de
suspendre l'exécution de la peine sans avoir à motiver sa
décision
,
- de la
désignation des juges militaires selon le principe
hiérarchique
.
Relevons, sur ce dernier point, que les trois juges militaires siégeant
dans les TPFA devaient être d'un grade supérieur (ou, à
grade égal, d'une ancienneté supérieure) à celui du
prévenu à l'époque des faits. Deux des trois juges
titulaires au moins devaient être officiers (dont un officier
supérieur). L'un d'entre eux devait être du même grade que
le prévenu, sans toutefois pouvoir être d'un grade
inférieur à celui de sous-officier. Ainsi que le faisait
observer, à l'Assemblée nationale, le rapporteur du projet de loi
portant suppression des TPFA, "
aucun soldat n'est appelé
à juger ses pairs, privilège réservé aux
gradés "
4(
*
)
.
c) L'intervention des magistrats de l'ordre judiciaire
Si l'on
fait exception des juges militaires (trois dans chaque TPFA et quatre dans les
tribunaux militaires aux armées), la justice militaire était,
dès avant l'entrée en vigueur de la réforme de 1982,
rendue par des
magistrats de l'ordre judiciaire
, détachés
par le ministre de la Justice auprès du ministre de la Défense
pour exercer les fonctions de magistrats militaires. La loi du 29
décembre 1966 relative à l'exercice des fonctions judiciaires
militaires a, en effet, fait du corps des magistrats militaires, recruté
au sein des armées parmi les titulaires d'une licence en droit, un corps
en extinction.
Avant même la suppression des tribunaux permanents des forces
armées, la justice militaire relevait donc, pour l'essentiel, de
magistrats civils et non de juges militaires.