B. LES EFFETS NÉGATIFS DE L'INTÉGRATION DES REDEVANCES DES AGENCES DE L'EAU DANS L'ASSIETTE DE LA TGAP

1. Rappel chronologique

Dans un communiqué de presse en date du 22 juillet 1998 sur le projet de loi de finances pour 1999, Mme Dominique Voynet et M. Dominique Strauss-Kahn annonçaient la création de la TGAP. Ce communiqué, de façon lapidaire, annonçait que la TGAP avait " vocation à intégrer les redevances relatives à la pollution de l'eau en l'an 2000 ", en ajoutant cependant " après concertation avec les acteurs concernés ".

Cette affirmation brutale, même si le mot " concertation " était prononcé, s'inscrit en totale contradiction avec la communication du ministre en charge de l'environnement sur la politique de l'eau faite au Conseil des ministres du 20 mai dernier et sur la base de laquelle des premières réunions de concertation sérieuses et approfondies avaient commencé avec pour thème :

- mieux associer le Parlement à la redéfinition de la politique de l'eau ;

- améliorer la transparence du secteur de l'eau et de l'assainissement et renforcer le caractère démocratique du système des agences de l'eau ;

- élargir et mieux appliquer le principe général " pollueur-payeur " ;

- accroître l'efficacité de l'action publique dans le domaine de l'eau.

Ces grandes orientations avaient fait l'objet d'un accueil plutôt favorable et les groupes de travail avaient intégré les associations d'élus qui s'étaient déclarés prêts à accompagner la réforme des instruments d'intervention publique relatifs à l'eau, à réfléchir sur les redevances et sur leur évolution en termes de péréquation, tout en rappelant leur attachement au principe d'autonomie et de décentralisation des décisions.

Bien plus, cette annonce bouleverse et remet en cause les fondements mêmes de l'organisation de la politique de l'eau.

2. La politique de l'eau à travers le dispositif des agences de bassin

La loi de 1964, confirmée par celle de 1992, a mis en place, à partir de 1968, un système venant compléter l'action réglementaire de l'Etat dans le domaine de l'eau par une planification active et des financements complémentaires fondés sur le bassin hydrographique.

On peut en résumer comme suit les principes :

- une gestion décentralisée des ressources en eau en quantité et qualité établie à travers six bassins hydrographiques ;

- une programmation pluriannuelle des investissements nécessaires à partir d'une planification tripartite revue tous les cinq ans par des Comités de bassin et des agences de bassin, réunissant des responsables de l'Etat, des élus des départements et des régions ainsi que les usagers ;

- des ressources financières autonomes collectées et gérées par les organismes de bassin pesant sur les prélèvements d'eau, la pollution déversée et la modification du régime des eaux, destinés à aider au financement des ouvrages d'intérêt commun au bassin.

L'autonomie des organismes de bassin a été organisée par les pouvoirs publics, qui ont fixé le cadre, découpé la France en six bassins, arrêté le mode de désignation ou d'élection des membres des Comités de bassin et des Conseils d'administration des agences et défini les assiettes de redevances. L'Etat nomme enfin le président et le directeur des agences de l'eau et doit donner son approbation aux programmes pluriannuels de cinq ans pour qu'ils soient opérationnels, ainsi qu'aux redevances dont les taux sont votés par le Comité de bassin pour chaque programme. Les taux qui définissent les recettes des organismes de bassin sont fixés par le Comité sur proposition de l'agence, de façon à équilibrer les financements en subventions et prêts qu'ils apportent au programme de cinq ans.

Ce dispositif se trouve en quelque sorte consacré au niveau communautaire, puisque le projet de directive-cadre sur l'eau se fonde sur trois principes essentiels qui sont : la référence au bassin hydrographique, la participation des usagers et du public, et la mise en oeuvre du principe " pollueur-payeur ".

Sans être exempt de critiques et donc susceptible d'évolution et d'aménagements, le dispositif des agences de l'eau a néanmoins fonctionné avec succès, en permettant une forte réduction des pollutions industrielles déversées, l'organisation et le financement d'opérations concertées, et la préparation des schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau prescrits par la loi de 1992. Il faut certes convenir de résultats plus mitigés, s'agissant de l'épuration des rejets domestiques ou de l'amélioration trop lente des milieux naturels en raison notamment de l'insuffisante -ou de la tardive- prise en compte des pollutions d'origine agricole et de la non prise en compte de la pollution fluviale. Mais les chiffres sont là pour témoigner de l'ampleur des investissements réalisés au cours des derniers programmes des agences de bassin : 40 milliards de francs d'investissement au cours du Ve programme, 80 milliards de francs prévus et finalement 90 milliards de francs réalisés au cours du VIe programme et 105 milliards de francs d'investissement programmé pour le VIIe programme.

Il faut souligner également l'effet de levier considérable lié aux interventions des agences de l'eau : dans le cas de l'industrie, ces aides ont représenté globalement 25 % du montant total des investissements , qui sont souvent allés très au-delà des exigences réglementaires en vigueur. Il est donc faux d'affirmer que les entreprises récupéraient d'une main ce qu'elles donnaient de l'autre : elles ont investi pour dépolluer sans être subventionnées à 100 %.

3. Une remise en cause inacceptable du dispositif des agences de l'eau par l'instauration de la TGAP

L'impossibilité d'établir une taxe forfaitaire sur une assiette simplifiée.

Comme le rappellent les acteurs économiques concernés, la perception des redevances est nécessairement assise sur un système complexe.

En effet, les assujettis aux redevances de pollution ne paient -en fait- qu'une " redevance nette " qui est la différence entre une redevance brute (liée à chaque activité polluante ou à une mesure réelle de la pollution) diminuée d'une " prime d'épuration " représentative de l'effort réalisé par l'assujetti pour dépolluer.

La détermination de cette redevance nette (redevance pollution moins prime) nécessite des calculs particulièrement difficiles qui varient avec la situation de chaque redevable et il a fallu des années, au début de la mise en place des agences entre 1967 et 1970, pour mettre au point les méthodes actuellement utilisées, qui ont été formalisées par un arrêté de 1975.

Parmi les problèmes les plus complexes, il y a celui des entreprises exerçant des activités multiples, des modalités d'appréciation des performances des dispositifs d'épuration, ainsi que celui des dispositions particulières à l'épandage ou d'une façon plus spécifique à la destination finale des boues.

Si l'on ajoute à l'ensemble de ces paramètres -complexes mais relativement maîtrisables- la possibilité de recourir à des mesures directes, nécessitant des analyses de laboratoire, il est quasiment impossible d'harmoniser un tel système avec celui d'une taxe " générale ".

En optant pour une taxe forfaitaire générale, on va à l'encontre du principe " pollueur/payeur " puisque -finalement- les entreprises paieraient tout autant qu'elles aient ou non réalisé des efforts importants pour dépolluer. On les décourage de plus, d'accepter des surcoûts importants s'ajoutant à celui de la taxe.

L'impossibilité d'accepter un taux dissuasif unique sur le prix de l'eau.

Si la TGAP doit générer un double dividende, -c'est-à-dire, tout en dissuadant les pratiques polluantes, procurer des ressources permettant de réduire les prélèvements pesant sur l'emploi-, une part très importante de la TGAP sera affectée à cette compensation. En conséquence, soit la part restante consacrée à la lutte contre la pollution sera fortement diminuée, soit le taux de la TGAP sera très élevé pour rester dissuasif et viendra grever lourdement le prix de l'eau.

La très forte augmentation des taxes vis-à-vis de la redevance et la non-redistribution des produits aux pollueurs, va avoir un double effet :

- accroître les coûts des produits industriels ou agricoles par leur impact direct et par le remplacement d'aides versées sous forme de subvention par des emprunts plus coûteux. L'effet sera identique sur le prix de l'eau ;

- peser donc sur les citoyens par le prix des produits achetés ou par le prix de l'eau. A court terme, cette TGAP pourrait devenir une " TVA bis ", et les maires auraient à répondre de cette aggravation du prix de l'eau, alors qu'ils n'en seront pas responsables.

Ces effets pourront-ils être totalement effacés, directement, par l'affectation des produits des taxes à la réduction des impôts ou indirectement par le bénéfice résultant par exemple de la création de nouveaux emplois ?

On peut enfin craindre que le nouveau système ait un coût de gestion important s'agissant de la perception des taxes et de leur redistribution partielle dans des circuits de lutte contre la pollution.

L'incertitude sur la validité des aides dans le système de la TGAP

A l'heure actuelle, les aides qui sont attribuées par les agences sur des opérations de dépollution, d'amélioration du milieu naturel ou de mobilisation de ressources supplémentaires ne sont pas contrôlées par la Commission européenne, car le dispositif qui les attribue est mutualiste. Le régime actuel est donc dérogatoire, mais lorsque ces aides -déconnectées du montant des taxes versées par les acteurs économiques- transiteront par le budget de l'Etat, elles seront, selon toute vraisemblance, soumises aux règles de plafonnement européen.

Ainsi, s'agissant du domaine de l'eau, caractérisé par son extrême complexité, il apparaît que l'instauration de la taxe générale serait une erreur grave, car elle fait peser trop d'incertitudes sur l'avenir d'un dispositif qui a fait ses preuve jusqu'à présent.

Au nom du " principe de précaution " qu'on se doit d'appliquer pour la protection de l'environnement, votre rapporteur pour avis refuse l'instauration de la TGAP dans le domaine de l'eau ; il opte pour l'amélioration du système des agences, à travers l'intervention du Parlement qui devrait pouvoir se prononcer sur les programmes quinquennaux des agences, la mise en oeuvre d'actions d'intérêt commun, et l'amélioration de la connaissance des milieux naturels.

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La commission, sur les propositions de son rapporteur pour avis, a alors émis -les commissaires des groupes communiste républicain et citoyen et socialiste s'abstenant - un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'environnement inscrits dans le projet de loi de finances pour 1999 .

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