b) La libéralisation : un processus indispensable mais nécessairement progressif
Choix ou nécessité dictés par les bailleurs de fonds, les responsables africains ont pris le parti des réformes. Ici, seules les apparences changent, là, les structures se transforment en profondeur. Les vieilles structures étatiques commencent à se fissurer. Il n'est plus question que de libéralisation, de privatisation, d'intégration régionale et la direction prise n'est guère contestable même si le choix des méthodes n'échappe pas toujours à un examen critique.
. La privatisation : un exercice progressif
Dans presque tous les pays africains, les privatisations sont à l'ordre du jour. Elles conditionnent souvent la signature des programmes d'ajustement structurel sous l'égide de la Banque Mondiale et du FMI et l'octroi d'importants financements - aide budgétaire, aide à l'ajustement, aide projet parfois.
Les programmes de privatisation concernent ainsi aujourd'hui quelque 58 sociétés en Côte d'Ivoire , 25 au Togo , 20 au Cameroun , 9 au Mali ... Les exemples pourraient être multipliés même si le processus connaît parfois certains retards. Comment s'en étonner ? Les résistances des pouvoirs soucieux d'éviter le tarissement d'une source de revenus parfois substantielle ne sont pas ici seules en cause. La situation financière dégradée de certaines entreprises, le souci -certes légitime- de faire prévaloir des intérêts nationaux constituent autant d'obstacles parfois difficiles à surmonter.
Les privatisations ont, dans la majorité des cas, des effets heureux sur les structures économiques ; elles permettent de réduire les coûts de production ou de fonctionnement, ou encore d'assainir les conditions de gestion grevées, sous statut étatique, de contraintes que n'imposaient pas toujours les seules nécessités d'intérêt général. L'impéritie de l'administration avait, dans certains cas, hypothéquée jusqu'au bon fonctionnement des services publics ; l'ouverture au privé s'est alors traduite par une amélioration globale des prestations au bénéfice des usagers. La concession, par exemple, de l'exploitation du réseau de chemins de fer Abidjan-Ouagadougou à une société privée 3 ( * ) a permis d'améliorer notablement le fonctionnement régulier de la ligne.
La privatisation ne signifie pas nécessairement liquidation du patrimoine public : dans l'exemple précédent, les sociétés de chemins de fer des deux pays concernés ont été maintenues en sociétés de patrimoine. De même, le principe d'une concession de service public a été retenu pour la production et la distribution de l'électricité en Côte d'Ivoire .
Si utile qu'elle puisse paraître, la privatisation ne peut toutefois être appliquée sans discernement à des secteurs économiques fragiles. La filière coton se prête mal ainsi à la privatisation par compartiments que préconisait la Banque mondiale. Les sociétés nationales cotonnières assurent non seulement le traitement et la commercialisation du coton, mais dotées d'un monopole d'achat du coton-graine, elles assurent aux petits producteurs un prix garanti et leur fournissent également les intrants nécessaires. La libéralisation doit ménager les intérêts des petits producteurs qui, en l'absence de prix garantis, pourraient se décourager et se détourner d'une production pourtant extrêmement prometteuse pour le développement économique des zones rurales. Pour votre rapporteur, la libéralisation doit constituer l'auxiliaire du développement. Elle ne saurait représenter une fin en soi.
Eviter l'esprit de système dans un monde complexe où les équilibres paraissent précaires, cette préoccupation devrait également inspirer le processus d'intégration régionale.
. L'intégration régionale : un processus à conduire avec méthode
Le fractionnement des marchés nationaux, héritage des tracés souvent arbitraires de la colonisation, constitue un frein certain au développement. Dans la zone franc, la rupture salutaire apportée par la dévaluation s'est 00000également accompagnée de la signature de traités permettant la constitution d'ensembles économiques sous-régionaux, l'Union monétaire et économique d'Afrique de l'Ouest, d'une part, la Communauté économique et monétaire d'Afrique Centrale, d'autre part. Ces organisations peuvent se prévaloir sans doute de l'expérience acquise par les deux banques centrales, la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et la Banque des Etats d'Afrique centrale (BEAC). La Communauté de développement de l'Afrique Australe (SADC) témoigne que le mouvement d'intégration ne se cantonne pas à l'Afrique francophone. Ces ensembles régionaux visent généralement la mise en place d'union douanières puis la constitution de marchés communs.
Si l'Afrique de l'Ouest s'est engagée résolument sur la voie de l'intégration, l'Afrique Centrale surmonte difficilement l'antagonisme entre certains de ses Etats-membres, notamment entre le Gabon et le Cameroun. Les difficultés économiques rencontrées par cette zone, la constance toute relative dans l'application des programmes d'ajustement, s'ils ne remettent pas en cause l'objectif d'intégration, rendu au contraire encore plus nécessaire, n'en facilitent guère l'application.
En Afrique de l'Ouest cependant, les avantages attendus de l'intégration ne se répartissent pas également entre les pays de la zone, compte tenu de l'inégalité des niveaux de développement. La Côte d'Ivoire dotée d'un potentiel économique sans exemple dans la région bénéficiera la première de l'ouverture des marchés voisins. Mais, au Burkina Faso, certaines industries (dans le secteur textile ou le caoutchouc) ne survivent que par la grâce de tarifs douaniers particulièrement protecteurs. Sans doute, la libéralisation se traduira-t-elle par une baisse des coûts pour les consommateurs mais elle peut laminer également un tissu industriel d'un pays enclavé et privé de tout avantage comparatif. Dans ces conditions, le processus d'intégration ne peut être que progressif. Il doit prévoir, en outre, des mesures d'accompagnement, notamment sociales, nécessaires pour limiter l'impact perturbateur de l'ouverture des frontières. Dans cette phase, l'appui des bailleurs de fonds étrangers constitue un impératif.
* 3 Société dont le capital est détenu à hauteur de 15 % par les Etats burkinabé et ivoirien et de 67 % par une holding - Sitarail - composées de sociétés privées européennes, burkinabé et ivoiriennes.