III. DES EFFORTS INDISPENSABLES QUI RESTENT À MENER, HÉLAS REMIS À PLUS TARD
A. UN EFFORT EN FAVEUR DE LA POLICE ET DE LA GENDARMERIE RENDU INDISPENSABLE DANS LE CONTEXTE SÉCURITAIRE ACTUEL
L'effort budgétaire mené en faveur de la police et de la gendarmerie nationales est pleinement justifié au regard du contexte sécuritaire auquel notre pays fait face, et que le succès de l'organisation des JOP ne saurait occulter.
L'expérience des années récentes montre que les tensions qui traversent notre pays, qu'elles soient de nature politique, sociale ou économique, présentent désormais un risque élevé de dérives violentes, jusqu'à produire des crises pour la sécurité et l'ordre publics.
En outre, la France continue de faire face à des menaces importantes liées au terrorisme et à la criminalité organisée. En particulier, notre pays semble aujourd'hui pris au « piège du narcotrafic », comme l'a souligné la commission d'enquête sénatoriale qui a rendu ses conclusions en mai 20243(*).
Enfin, la criminalité et la délinquance continuent de s'établir à des niveaux élevés. Le nombre de victimes de violences physiques non crapuleuses et sexuelles s'élevait en 2023 à 356 316 personnes, soit une hausse par rapport à l'année précédente (+ 15 286), qui touche particulièrement les femmes (+ 10 044). Le nombre de cambriolages, stable par rapport à 2022, s'établissait quant à lui à 125 0444(*).
B. DES SCHÉMAS D'EMPLOIS NULS EN 2025, QUI ENTRENT EN CONTRADICTION AVEC LES MISSIONS SUPPLÉMENTAIRES DEMANDÉES AUX FORCES POUR LES ANNÉES À VENIR
1. Pour la gendarmerie nationale, un renoncement susceptible de compromettre les objectifs de la LOPMI
S'agissant de la gendarmerie nationale, le PLF 2025 prévoit un schéma d'emplois nul. Il traduit ainsi un renoncement important par rapport à la programmation de la LOPMI, qui prévoyait une cible de + 500 équivalents temps plein (ETP) cette même année. En d'autres termes, la gendarmerie ne sera autorisée à recruter qu'à hauteur des besoins de compensation des sorties d'effectifs (estimées à 12 972 ETP, dont 3 135 départs en retraite), sans possibilité de créer de nouveaux emplois.
Ce renoncement interroge d'autant plus que les objectifs opérationnels fixés par la LOPMI restent inchangés, au premier rang desquels l'armement de 7 nouveaux escadrons de gendarmerie mobile ainsi que de 239 nouvelles brigades (dont 94 brigades fixes et 145 brigades mobiles), dans le but de renforcer l'empreinte au sol et le maillage des unités de la gendarmerie nationale.
Les 7 escadrons prévus ont bien été créés entre la fin de l'année 2023 et le printemps 2024. Composés de 115 ETP chacun, dont environ 40 % de militaires expérimentés, ils ont ainsi été en mesure de contribuer à soutenir le rythme d'emploi soutenu des forces dans le cadre des JOP et de la crise en Nouvelle-Calédonie.
S'agissant des brigades, les 80 premières créations devront avoir été créées au 31 décembre 2024, dont 52 brigades mobiles et 28 brigades fixes - 72 dans l'hexagone et 8 dans les outre-mer. Elles supposent d'ores et déjà la mobilisation de près de 600 militaires5(*), ainsi que des moyens financiers hors T2 à hauteur de 13,3 millions d'euros (loyers, acquisitions de véhicules, etc.).
57 brigades supplémentaires sont appelées à être créées au cours de l'année 2025. Lors de son audition par la commission des lois, le 12 novembre 2024, le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, a indiqué qu'il entendait établir très prochainement un calendrier de créations précis, de façon à pouvoir envoyer aux maires un engagement écrit sur la date de création de chaque brigade.
L'atteinte de la cible, ramenée à 238 brigades selon le ministre, supposerait d'en créer 101 supplémentaires au cours des deux prochaines années. La préservation de cet objectif suppose inévitablement un rattrapage conséquent des créations d'emplois au cours des exercices 2026 et 2027 pour atteindre les 3 540 créations d'emplois prévues par la LOPMI : là où la trajectoire initiale imposait sur ces deux années une croissance des effectifs de 41,9 %, une trajectoire de « rattrapage » demanderait une croissance de 77,4 % : un véritable « combat », selon les mots du ministre.
Trajectoire des créations d'emplois dans la
gendarmerie nationale
prévue par la LOPMI
(en ETP)
Source : commission des lois du Sénat, d'après les données du ministère de l'intérieur
En l'absence de ces créations d'emplois, l'atteinte de l'objectif sera inévitablement compromise, sauf à « désarmer » partiellement certaines brigades fixes existantes, ce qui paraît difficilement acceptable compte tenu des besoins actuels.
2. L'ampleur des enjeux auxquels la police nationale fait face supposera également d'importantes créations d'emplois pour les prochains exercices
Comme pour la gendarmerie nationale, le PLF 2025 comporte un schéma d'emplois nul pour la police nationale, soit un renoncement par rapport aux 356 créations d'emplois prévues pour 2025 dans le cadre de la programmation LOPMI.
Le problème se pose toutefois différemment pour les deux forces, car la police nationale avait déjà bénéficié d'importantes augmentations d'effectifs en 2023 et en 2024, avec respectivement 1 947 et 1 139 ETP supplémentaires, permettant d'atteindre environ 80 % de la cible de créations d'emplois prévue par la LOPMI sur la période 2023-2027.
Ces effectifs supplémentaires ont déjà permis la création des quatre nouvelles unités de force mobiles prévues par la LOPMI au cours des années 2023 et 2024.
Pour autant, le schéma d'emplois nul prévu pour 2025 suscite d'importantes interrogations, eu égard aux enjeux auxquels fait face la police nationale. Peuvent notamment être relevées :
- la mise en oeuvre prévue des nouveaux systèmes « entrées-sorties Schengen » (ESS) - systèmes informatiques automatisés d'enregistrement et de contrôle des données personnelles des ressortissants de pays dits tiers aux frontières de l'Union européenne - qui suppose la création de 462 ETP supplémentaires selon la direction générale de la police nationale (DGPN), dont 229 policiers actifs déjà recrutés, et 233 assistants contrôle frontière (ACF), dont le plan de recrutement reste à définir ;
- la mise en oeuvre du plan « CRA 3 000 » lancé en 2023, prévoyant la création de 3 000 places supplémentaires dans les centres de rétention administrative (CRA) pour les étrangers faisant l'objet d'une décision d'éloignement, qui supposeront des besoins de policiers importants pour en assurer la sécurité. On peut relever à cet égard que les CRA de l'hexagone connaissent déjà des besoins en effectifs importants, estimés à 170 ETP par la DGPN.
Quoique cela soit effectivement justifié par la situation actuelle des finances publiques, le rapporteur souligne qu'à nouveau, des efforts, indispensables, sont remis à plus tard.
* 3 « Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic », rapport n° 588 (2023-2024) fait par Étienne Blanc au nom de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, présidée par Jérôme Durain, tome I, déposé le 7 mai 2024
* 4 Source : projet annuel de performances de la mission « Sécurité » annexé au projet de loi de finances pour 2025.
* 5 À raison de 6 militaires en moyenne par brigade mobile et 10 militaires en moyenne par brigade fixe.