EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 20 NOVEMBRE 2024

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M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Après plusieurs années de hausse, le projet de loi de finances pour 2025 nous propose de reconduire les crédits de l'enseignement supérieur au niveau atteint en 2024, soit 18,5 milliards d'euros.

Cette reconduction n'est cependant pas synonyme d'immobilisme. Le PLF porte en effet plusieurs abondements budgétaires, notamment sur la restauration étudiante. En sens inverse, l'impératif de maîtrise des finances publiques conduit le Gouvernement à réduire légèrement son soutien aux établissements, et à différer une partie des évolutions prévues par la loi de programmation de la recherche (LPR).

Ce cadre général étant posé, permettez-moi de vous présenter les grands enjeux des programmes 150 et 231.

Le programme 150, consacré aux formations supérieures et à la recherche universitaire, est principalement marqué par l'application partielle de la cinquième annuité de la LPR. Dans le contexte budgétaire contraint, le Gouvernement a en effet choisi de privilégier l'application du protocole salarial conclu en 2020. Près de 95 millions d'euros sont ainsi prévus pour revaloriser le régime statutaire et indemnitaire des différents professionnels exerçant dans les universités.

À l'inverse, les mesures non salariales de la cinquième marche de la LPR pour l'enseignement supérieur ne bénéficient pas des crédits attendus. Il s'agit principalement des mesures de sécurisation des débuts de carrière des enseignants-chercheurs, notamment les chaires de professeur junior, pour un écart à la trajectoire d'environ 32 millions d'euros.

Sans me réjouir de ce choix, j'observe que l'essentiel de la progression prévue par la LPR sera bien appliqué, puisque les trois quarts des crédits programmés trouvent une traduction budgétaire. J'observe également que le ministre a pris l'engagement de maintenir ses orientations : les mesures programmées ne seront donc pas annulées.

La décision de ne pas compenser aux établissements la hausse de la contribution au compte d'affectation spéciale des pensions, ou CAS Pensions, appelle davantage d'observations. Le Gouvernement choisit ainsi de faire contribuer les universités à l'effort global d'économies, ce qui n'est pas nécessairement inopportun. Il me semble cependant que nous devons faire preuve d'une grande vigilance sur ce sujet, et ce pour deux raisons :

- tout d'abord, cette mise à contribution des universités n'est pas la première. En 2022 et 2023, la revalorisation du point d'indice puis les mesures dites « Guerini » avaient été laissées à la charge des établissements pendant six mois. Les mesures « Guerini » n'ont ensuite été compensées qu'à 50 %, ce qui a laissé aux établissements un reste à charge pérenne de 145 millions d'euros annuels, auquel viendront désormais s'ajouter les 200 millions du CAS Pensions. Si l'on prend également en compte le glissement vieillesse technicité (GVT) ainsi que la hausse des coûts de fonctionnement des universités, la hausse cumulée atteint plus de 500 millions d'euros annuels, soit 3,5 % de leur subvention pour charge de service public (SCSP) ;

- cette augmentation intervient dans un contexte de détérioration de la situation financière des universités, qui puisent déjà depuis plusieurs années dans la part disponible de leur trésorerie pour faire face à ces dépenses supplémentaires. Selon le ministère, 40 établissements devraient se trouver en difficulté financière en 2024 et 2025, avec de fortes différences entre eux.

Il en résulte que la SCSP, qui est notamment destinée à couvrir la masse salariale des universités, couvre en réalité de plus en plus imparfaitement leur dépense de personnels.

Ce recul n'est pour l'heure pas compensé par le déploiement de leurs ressources contractuelles, puisque le financement à la performance issu des contrats d'objectifs, de moyens et de performances (COMP) représente 35 millions d'euros annuels, soit 0,8 % du montant de la SCSP.

Sur la base de ces équilibres, l'augmentation des dépenses assumée par les universités depuis 2022 ne pourra être absorbée à moyen et long termes sans entraîner une altération des conditions d'exercice de leurs missions fondamentales, un recul de leur capacité d'investissement, et même une remise en question de leur autonomie, dès lors que leur situation financière peut justifier leur placement sous le contrôle renforcé du rectorat.

Dans ces conditions, il me semble que l'enjeu est moins de débattre année après année de l'opportunité de compenser les mesures salariales qui s'imposent aux universités, que de nous interroger plus globalement sur leur mode de financement, et donc sur le périmètre de leurs dépenses que nous souhaitons voir pris en charge par le budget de l'État - et, à l'inverse, sur les contours de ce qui pourrait relever de leur autonomie. Les conclusions de la mission d'inspection sur le modèle économique des universités, attendues pour la fin de l'année, constitueront à ce titre un éclairage précieux, et il me semble primordial que notre commission assure un suivi attentif de ce sujet fondamental.

J'en viens à présent aux crédits du programme 231 consacré à la vie étudiante.

L'ensemble des professionnels que j'ai entendus m'ont alerté sur la dégradation de la situation matérielle et sanitaire des étudiants, qui sont notamment touchés par des difficultés psychologiques et relationnelles depuis la pandémie de Covid. Le programme 231 comporte une ligne de crédits permettant de financer plusieurs actions de soutien à la santé mentale ; il me semble que ces crédits constituent une base indispensable qui doit être préservée.

Dans le contexte d'inflation, de nombreux étudiants se trouvent par ailleurs en situation de précarité économique - même s'il existe de fortes disparités dans le niveau de vie des étudiants, selon notamment qu'ils cohabitent ou non avec leur famille. Les derniers travaux de l'Observatoire de la vie étudiante montrent que certains profils sont plus fortement touchés par la précarité, notamment les étudiants internationaux et les étudiants des formations privées non éligibles aux bourses. La deuxième édition du baromètre annuel sur les conditions de vie des étudiants pointe en particulier « une situation de précarité alimentaire sévèrement ancrée dans la population étudiante » : plus d'un tiers des jeunes interrogés déclarent sauter des repas par manque d'argent (36 %).

Ce constat préoccupant se reflète dans la fréquentation des restaurants universitaires, qui font face à une très forte hausse de la demande. Cette hausse porte principalement sur le repas à 1€, mis en place lors de la crise sanitaire et pérennisé depuis 2023 pour les étudiants boursiers et les non-boursiers précaires, avec une augmentation de 23 % du nombre de repas servis entre 2023 et 2024. Elle concerne également, quoique dans de moindres proportions, le repas à 3,30 € - le coût réel de chaque repas étant évalué à 8 euros pour le réseau des centres régionaux des oeuvres universitaires et sociales, les Crous. Lors de son audition, la présidente de leur tête de réseau, le Cnous, m'a indiqué que cette situation représentait un véritable défi logistique et de ressources humaines pour son organisation.

Il me semble que le budget qui nous est proposé prend la mesure de la situation en allouant plus de 42 millions de crédits nouveaux à la restauration étudiante. 3 millions sont prévus pour compenser le coût du repas à 1€, 9 millions pour faire face à l'inflation, et 17 millions pour financer de nouvelles places et structures de restauration. 13 millions sont enfin budgétés pour la montée en charge de la loi d'initiative sénatoriale du 13 avril 2023, connue sous le nom de loi « Levi ».

Permettez-moi de consacrer quelques instants au premier bilan de cette mesure, qui a été salué comme très positif par tous mes interlocuteurs, qu'ils viennent de l'université ou des établissements privés. Pour mémoire, cette loi garantit l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, y compris ceux dont le lieu de formation n'est pas couvert par un point de vente du Crous. Dans ce cas, les établissements doivent mettre en place un conventionnement avec des restaurants collectifs tiers pour les habiliter à accueillir les étudiants aux tarifs Crous ou, à défaut, leur proposer un soutien financier sous la forme de chèques alimentaires. Un an après l'entrée en vigueur de la loi, 171 structures ont été agréées et une cinquantaine le seront prochainement, selon des modalités unanimement décrites comme fluides et satisfaisantes. La mise en oeuvre de l'aide financière interviendra dès l'année prochaine, la publication des arrêtés ministériels et rectoraux nécessaires étant prévue pour la fin 2024.

Les moyens prévus pour la restauration permettront ainsi de couvrir entièrement la hausse de la demande, ce dont je me félicite. Alors que des débats ont pu avoir lieu sur l'extension du repas à 1€ à tous les étudiants, j'estime pour ma part qu'il serait opportun de le réserver aux seuls étudiants boursiers, en raison de la charge financière et du défi organisationnel que représente ce dispositif pour les Crous.

Je quitte à présent le champ des aides indirectes aux étudiants pour passer à celui des aides directes, c'est-à-dire aux bourses sur critères sociaux.

Je souhaite tout d'abord exprimer quelques réserves sur la projection budgétaire qui nous est proposée, avec, à dispositif constant, l'anticipation d'une baisse de 105 millions. Le ministère justifie cette anticipation par la baisse de la démographie étudiante, la montée en puissance de l'apprentissage et l'évolution des salaires. Il me semble qu'une augmentation de plus de 1 % de la population étudiante est au contraire attendue pour 2024-2025 ; je relève par ailleurs que d'autres mesures du PLF pourraient freiner le développement de l'apprentissage. La baisse devra donc principalement découler de l'évolution des salaires, c'est-à-dire de l'absence d'indexation du barème des bourses sur l'inflation.

Je m'interroge sur la cohérence de cette non-indexation avec les mesures prises il y a un an dans le cadre de la première phase de la réforme des bourses, qui a abouti à une hausse du nombre de boursiers. Si l'on peut comprendre que la deuxième phase de la réforme, qui devait être annoncée pour la fin de l'année, ait été mise en suspens dans le contexte budgétaire et politique, j'appelle le Gouvernement à clarifier rapidement ses intentions afin d'assurer la lisibilité de la politique menée.

J'ai enfin souhaité me pencher sur la situation particulière de l'enseignement supérieur privé, en distinguant entre la sphère du privé d'intérêt général (représentée par les EESPIG, c'est-à-dire les établissements d'enseignement supérieur d'intérêt général) et celle du privé à but lucratif.

En ce qui concerne tout d'abord les EESPIG, je souhaite attirer votre attention sur la baisse d'attractivité que connaît désormais ce statut. Les EESPIG sont des établissements de grande qualité, qui accueillent près de 160 000 étudiants, et dont le fonctionnement se rapproche sur plusieurs points de celui des établissements publics - ils bénéficient en effet de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) et leurs formations sont accessibles via Parcoursup ; surtout, ils sont soumis à une évaluation périodique, notamment par le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) ou la commission des titres d'ingénieur (CTI). En contrepartie, ils reçoivent une subvention de l'État.

Nous sommes, je crois, nombreux à observer que tandis que ces obligations leur imposent une charge croissante, le montant de cette subvention, lorsqu'on le rapporte au nombre d'étudiants accueillis, est en constante et rapide diminution ; de 925 euros par étudiant en 2013, il est aujourd'hui passé à 485 euros. La tendance à la hausse des contraintes par rapport aux bénéfices retirés du statut débouche logiquement sur la tentation pour certains établissements d'en sortir, d'autant que des groupes financiers leur présentent des offres de rachat.

Il me semble dès lors important de réaffirmer notre attachement au statut d'EESPIG - lequel avait d'ailleurs été mis en place à l'initiative du Sénat dans la loi « Fioraso » de 2013 -, synonyme d'un enseignement privé de qualité, indispensable aux filières économiques de notre pays. Je déposerai donc, à titre personnel, plusieurs amendements visant à préserver son attractivité.

En dehors des EESPIG, l'enseignement privé lucratif, qui recrute aujourd'hui 26 % des étudiants, connaît un développement massif porté par des établissements dispensant des formations de qualité variable. À l'autre bout du spectre de la qualité, on trouve ainsi des écoles détenues par des fonds d'investissement et aux pratiques concurrentielles incontrôlées. Leur communication, centrée sur des diplômes non reconnus à l'échelle nationale et la mise en avant de simples certifications professionnelles offrant des perspectives limitées, n'est pas toujours décryptée par les jeunes et leurs familles, tandis que l'absence d'obligations législatives ou réglementaires relatives au taux d'encadrement ou au taux de cours assurés en présentiel favorise de graves dérives. Certaines de ces écoles ont pu être créées grâce à la location de titres professionnels, qui est à ce jour autorisée par la loi ; toutes ou presque prospèrent grâce à la massification de l'apprentissage dans le supérieur, qui leur a permis d'accéder à des financements publics aussi importants que peu contrôlés.

Face à cette situation, deux rapports ont récemment tiré la sonnette d'alarme. En juin 2023, Laurent Batsch a ainsi établi que le marché de l'enseignement supérieur lucratif se distinguait, dans le paysage économique, par une absence complète de régulation par les pouvoirs publics, alors même qu'il est marqué par une forte asymétrie entre des jeunes souvent très vulnérables d'une part, et des établissements dont le but principal est de réaliser des profits d'autre part. Une image utilisée par l'auteur est particulièrement parlante : il est aujourd'hui plus difficile d'ouvrir un salon de coiffure qu'une école d'enseignement supérieur, qui est soumise à un simple régime de déclaration.

Partageant largement ces constats, les anciennes députées Béatrice Descamps et Estelle Folest ont formulé en avril dernier 22 propositions visant à mieux réguler et à mieux piloter ce secteur économique.

J'appelle le Gouvernement à s'emparer au plus vite de ces recommandations pour mettre fin à cette anomalie et aux dommages considérables infligés aux étudiants et à leurs familles, aux établissements de qualité soumis à une concurrence inégale, mais aussi aux comptes publics. Je crois pour ma part que cette régulation doit moins passer par la création d'un nouveau label, qui contribuerait à brouiller encore la lisibilité du paysage du supérieur, que par la mise en place de conditions minimales pour l'ouverture et le fonctionnement d'un établissement, ainsi que par un encadrement plus strict de l'accès aux financements de l'apprentissage.

Telles sont, mes chers collègues, les observations dont je souhaitais vous faire part sur ces crédits. J'analyse au total ce budget comme un budget préservé (puisque ses crédits sont reconduits sur le haut niveau atteint en 2024) et comme un budget d'attente (puisque plusieurs évolutions attendues, sans être annulées, sont renvoyées à des arbitrages ultérieurs).

Dans ces conditions, et en souhaitant que certaines des pistes que j'ai évoquées devant vous puissent rapidement trouver une traduction concrète, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

Mme Catherine Belrhiti. - Ce PLF 2025 traduit une tension entre ambitions et contraintes, étroitement liée à la situation financière sans précédent de notre pays. Dans ce contexte inédit, j'insiste sur le fait que le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche aura augmenté de 4,3 milliards d'euros entre 2017 et 2025, et de 2,7 milliards d'euros depuis le début de la mise en oeuvre de la LPR. C'est un constat dont on ne peut que se réjouir.

Il est vrai que les objectifs initiaux de la LPR fixés pour 2025 ne seront atteints qu'à hauteur d'un tiers, ce qui n'est toutefois pas catastrophique compte tenu des nombreuses perturbations économiques et sociales que nous connaissons.

Si des efforts sont perceptibles pour préserver certaines priorités, d'autres chantiers nécessitent une réponse plus audacieuse : la soutenabilité financière des universités, la lutte contre la précarité étudiante, ou encore le positionnement de la France dans la compétition scientifique mondiale. Tous ces sujets appellent des solutions durables.

Je tiens à saluer le Gouvernement d'avoir réussi, malgré tout, à maintenir un cap et de s'être fixé les priorités suivantes : la revalorisation des carrières scientifiques, l'amélioration de la réussite des étudiants et la modernisation des établissements d'enseignement supérieur.

Face à ces défis, il est impératif de continuer le travail pour tenter de bâtir un modèle d'enseignement supérieur et de recherche à la hauteur des enjeux de notre époque et de notre pays.

Dans ce contexte sous tension, je m'interroge tout de même sur la manière d'assurer la pérennité financière des universités, compte tenu de l'augmentation du nombre d'étudiants et de la disparité de leurs ressources propres, et plus globalement, sur le risque de perte de compétitivité scientifique de notre pays.

M. Yan Chantrel. - Je félicite le rapporteur pour cet avis budgétaire, dont je partage un certain nombre de diagnostics mais pas la conclusion.

La situation financière des établissements d'enseignement supérieur s'aggrave. Selon France Universités, 60 universités sur 75 sont en déficit. Rappelons que 80 % de leur budget est constitué de la masse salariale. Pour la financer, elles sont obligées d'aller puiser dans leurs fonds propres, car les dotations de l'État ne suivent pas. Souvenez-vous, en février dernier, le secteur de l'ESR a subi d'importes coupes budgétaires ! Il y a les mesures « Guerini », le GVT, les surcoûts énergétiques... auxquels viennent désormais s'ajouter 200 millions d'euros supplémentaires du fait de la mesure « CAS Pensions ». En deux ans, 500 millions d'euros de dépenses ont donc été imposés par l'État aux universités, sans compensation. Bercy continue à s'en prendre à leurs fonds de roulement, espérant y trouver un trésor caché. Or les trois quarts de ces fonds sont fléchés ! Leur part vraiment disponible sert la plupart du temps à des investissements ou à des achats de matériels non programmés.

Un autre enjeu fondamental est la baisse du taux d'encadrement des étudiants, qui suit la même pente que la dépense par étudiant, qui accuse une perte de 15 %.

Nous avons bien conscience que ce budget est contraint. Mais l'ESR, comme l'a dit le ministre lors de sa prise de fonction, est un investissement et non une dépense. Certains pays, pourtant en difficulté financière, ont su porter leurs efforts sur l'ESR, estimant à juste titre que ce secteur est un puissant relais de croissance. La bonne gestion des finances publiques implique de mettre l'accent sur les secteurs décisifs pour l'avenir. Ne pas les abonder revient à s'exposer à des budgets potentiellement récessifs à moyen et long terme.

Pour toutes ces raisons, notre groupe donne un avis défavorable à ce budget.

M. Pierre Ouzoulias. - Je félicite le rapporteur pour sa connaissance fine du secteur. Il a mis le doigt sur les incohérences et les difficultés que ce Gouvernement ne veut pas résoudre.

D'autres pays, dans des circonstances budgétaires plus compliquées que celles que nous connaissons, ont fait des choix différents. Je pense notamment au Royaume-Uni qui a décidé d'investir massivement dans l'ESR, mais aussi à l'Allemagne ou à la Corée du Sud. Nous faisons l'inverse. Le budget de l'ESR est tout juste stabilisé. J'aimerais comprendre pourquoi. Il y a un problème entre la France et ses chercheurs, entre la France et ses universités, que j'impute à une forme de mépris et de méconnaissance de nos élites vis-à-vis du monde académique. Quelque chose est à changer dans la perception qu'a notre pays de l'ESR. Dans la recherche privée, nous avons l'un des taux de docteurs les plus bas au monde, moins de 10 % me semble-t-il. Le titre de docteur bénéficie à l'international d'une reconnaissance qu'il n'a pas en France.

Merci d'avoir évalué à 500 millions d'euros la non-compensation par l'État des mesures liées à la masse salariale des établissements.

L'État est dans l'incapacité de résoudre le problème de la sous-dotation des plus petits d'entre eux, qui présentent pourtant de très bons résultats en termes de réussite étudiante. Ce sont ces établissements que nous devrions aider !

J'alerte sur la nécessité de donner une visibilité aux étudiants engagés en doctorat : ils ont besoin de savoir quels seront leurs débouchés sur le marché de l'emploi. Je rappelle aussi que la moitié des doctorants en France sont étrangers, ce qui montre bien le caractère très peu attractif de ce diplôme aux yeux de nos étudiants. Or ce sujet n'avance pas...

Sur les bourses, j'avais exprimé un très fort soutien à la réforme proposée par la précédente ministre, Sylvie Retailleau. Ce qu'elle proposait était intelligent et tenait compte de l'ensemble des difficultés structurelles du système actuel. Je suis d'accord avec le rapporteur : nous ne connaissons pas les intentions du Gouvernement sur sujet. Nous devrons obtenir des précisions en séance publique.

Enfin, le rapporteur a eu tout à fait raison de mettre l'accent sur le dossier de l'enseignement privé. La différence de traitement entre le privé non lucratif et le privé lucratif est incompréhensible : l'État défavorise le premier au profit du second. Il y a là une forme de désinvolture coupable de la part du ministère. La création d'un label ne suffira pas ; l'on reportera ainsi sur les parents la charge qui incombe normalement à l'État.

Pour l'ensemble de ces raisons, et en dépit du travail remarquable du rapporteur, je ne peux souscrire au budget qui nous est soumis.

M. Jean Hingray. - Je félicite à mon tour le rapporteur dont nous partageons les constats et la conclusion.

Le modèle économique des universités suscite beaucoup d'interrogations dans nos territoires, car les collectivités sont des partenaires importants sur un certain nombre de projets. La coupe de 5 milliards d'euros sur les recettes de ces dernières ne sera donc pas sans conséquence.

Malgré le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons, beaucoup de bonnes choses sont poursuivies.

Un point de vigilance toutefois : en 2024, le financement des bourses sur critères sociaux avait nécessité une ligne supplémentaire de crédits en fin d'année. Il faudrait que cela ne se reproduise pas l'année prochaine, donc que leur montant soit bien budgété dès maintenant.

Je me félicite que la loi Levi, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, trouve sa pleine effectivité avec 171 conventions partenariales signées. Dans les Vosges, ce dispositif permet enfin un égal accès de tous les étudiants à une offre de restauration. C'était très attendu !

Nous voterons ce budget.

Mme Mathilde Ollivier. - J'adresse mes félicitations au rapporteur. Comme j'ai pu le dire tout à l'heure à propos de la recherche, les budgets qui nous sont proposés pour l'ESR sont insuffisants pour compenser les surcoûts liés aux mesures salariales.

Alors qu'une première phase de la réforme structurelle des bourses était en cours, le budget qui leur est consacré est en baisse de 120 millions d'euros, ce qui suscite des interrogations sur le devenir de la deuxième phase. Nous avions proposé à la précédente ministre de travailler à la création d'une allocation universelle d'étude ; elle s'y était opposée, en indiquant que le deuxième volet de la réforme allait permettre de répondre à la précarité étudiante. Son premier volet, auquel nous souscrivons, n'a pas réglé le problème des sorties du système des bourses : ils étaient 30 000 étudiants en 2021 et 50 000 en 2022. Il serait intéressant d'avoir le chiffre pour 2024 et la prévision pour 2025.

La santé mentale des étudiants est une problématique majeure : 39 % d'entre eux présentent des signes de détresse psychologique. Alors que le Premier ministre a fait de la santé mentale une grande Cause nationale en 2025, je ne vois aucun engagement dans ce budget en faveur de la santé mentale des étudiants. Je rappelle que 55 % d'entre eux ne connaissent pas le dispositif Santé Psy Étudiant et que le ratio est d'un psychologue pour 16 000 étudiants.

Un autre point d'attention concerne la rénovation du patrimoine immobilier. Les communautés universitaire et étudiante s'étaient fortement mobilisées pour lutter contre l'insalubrité de certains établissements. Or il n'y a pas d'enveloppe particulière prévue dans ce budget.

Je souscris pleinement aux propos de Pierre Ouzoulias sur la trop faible valorisation du doctorat en France. Nous devons avoir une réflexion de fond sur ce sujet. Dans l'espace germanique, que je connais bien, le fait d'être docteur est très valorisé. En France, ce n'est pas le cas ; il y a peu de docteurs dans les entreprises, la haute administration et en politique.

L'avis de notre groupe sera défavorable.

M. Bernard Fialaire. - Je souhaite insister sur la question du bien-être des étudiants : faire des études dans de bonnes conditions est un gage de réussite.

Les possibilités offertes par la CVEC, qui avait fait l'objet d'un rapport de notre commission, sont mal connues. Au moment de la rentrée universitaire, davantage d'informations doivent être délivrées aux étudiants, dans un cadre qui mériterait d'être un peu plus solennisé. Ce serait aussi l'occasion de rappeler aux étudiants certaines règles de comportement qu'il leur faut respecter - je renvoie notamment aux conclusions de notre récent rapport d'information sur la question de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.

S'agissant des officines privées délivrant des pseudo-diplômes, il faut davantage de contrôles. Ces structures n'ont rien à voir avec les EESPIG. En première année de médecine, ces officines sont devenues incontournables. C'est aux universités de prendre en charge l'accompagnement de leurs étudiants.

Sur la question du doctorat, je remarque qu'il est presque discriminant d'en être titulaire ! Lorsqu'un ingénieur annonce à son entreprise vouloir faire un doctorat, cela est presque perçu comme suspect. Il nous faut travailler sur la plus-value de ce diplôme.

Notre avis sur ce budget est favorable.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Plusieurs d'entre vous ont évoqué le sujet des bourses sur critères sociaux, pour lesquelles une baisse de dépenses de l'ordre de 105 millions d'euros est en effet anticipée. La réforme de 2023 a conduit à une augmentation du nombre de boursiers après plusieurs années de baisse ; en particulier, 30 000 étudiants qui ne satisfaisaient pas aux critères précédemment en vigueur ont intégré le dispositif. L'absence d'indexation des barèmes sur l'inflation pourra effectivement conduire certains d'entre eux à en sortir cette année, d'autant que les revenus pris en compte dans les dossiers sont ceux de l'année n-2 - or, il y a deux ans, le contexte d'inflation a pu pousser à une hausse des salaires.

Dans sa feuille de route rendue publique hier, le ministre évoque désormais une mise en oeuvre de la seconde phase de la réforme à la rentrée 2026. L'évolution visée soulève un problème mathématique intéressant : pour lisser les effets de seuil, il faudra définir une fonction affine par morceaux, ce qui entraînera mécaniquement un surcoût.

Jean Hingray a évoqué une insincérité budgétaire sur les crédits des bourses ; je crois en tous cas qu'il faudra être attentifs à l'exécution des financements inscrits dans le PLF.

Il faudra nous faire préciser ces différents points par le ministre en séance, notamment en ce qui concerne le nombre de sorties du dispositif cette année.

Sur l'enseignement privé, je voudrais tout d'abord redire que je n'ai pas d'opposition de principe au statut privé. On trouve cependant parmi les établissements privés des formations de grande qualité et d'autres dont les pratiques posent problème. À l'image des écoles privées sous contrat de l'enseignement secondaire, les EESPIG représentent le privé de qualité.

Ce que je souhaite pointer, c'est le privé très lucratif qui n'observe pas de règles déontologiques, par exemple sur l'encadrement des étudiants. On ne pourra probablement pas interdire la création de tels établissements, mais il faut au moins empêcher qu'ils aient accès aux financements publics de l'apprentissage.

Il me semble difficile de faire des comparaisons entre notre système d'enseignement supérieur et ses équivalents internationaux, quand le statut et le financement des établissements sont très spécifiques en France. Les établissements anglais sont privés et demandent des droits d'inscription incomparables avec ceux des universités françaises. Le modèle français doit accepter de bouger quelques lignes pour trouver des financements supplémentaires, notamment en ce qui concerne leurs ressources propres.

La baisse de la subvention par étudiant des EESPIG vient aussi de l'intégration récente de nouveaux établissements dans ce statut, tandis que le montant de la subvention n'évolue pas aussi rapidement. J'ai plusieurs fois défendu un amendement au PLF visant à ce que cette ligne budgétaire couvre 10 % du coût de la scolarité de chaque étudiant ; je ne le ferai pas cette année en raison de l'impératif de maîtrise des finances publiques, mais je continuerai à travailler sur ce sujet, qui suscite des interrogations.

Je souhaite enfin rappeler que mon parcours me pousse à défendre avec la même force l'université publique que l'enseignement supérieur privé de qualité.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'enseignement supérieur au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2025.

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