AVANT-PROPOS
Dans un contexte budgétaire difficile, le cinéma se retrouve pour l'instant relativement épargné, ce qui doit être salué par tous et interprété par la profession comme une marque de confiance, mais également comme une responsabilité.
Confiance, car les résultats de l'année 2024 ont une nouvelle fois montré la vitalité et la diversité de notre cinéma, qui bénéficie d'une politique publique de long terme. Responsabilité, car il appartient au secteur de poursuivre sa mutation et, au-delà de la qualité des oeuvres, de s'adapter aux nouveaux enjeux sociétaux, avec la prise en compte des révélations sur les violences sexuelles et sexistes faites aux femmes, ainsi qu'aux nouveaux défis réglementaires et technologiques qui nécessiteront une mobilisation sans faille des parties prenantes.
C'est à ce prix que le cinéma pourra préserver sa place privilégiée dans notre pays et dans l'imaginaire des Français.
I. 2024, VERS UN RETOUR À LA NORMALE ?
A. RETOUR VERS QUELLE « NORMALE » ?
Après des années 2020 et 2021 marquées par un climat de panique, où les inquiétudes conjoncturelles nées de la crise pandémique se doublaient d'interrogations sur la résilience du cinéma face à la poussée des plateformes de vidéos en ligne, les années 2022 et 2023 ont été celles de la reconquête.
Avec une progression de 15 % et une fréquentation qui a dépassé les attentes avec 181 millions d'entrées contre 175 prévues, l'année 2023 avait été au-delà de ses promesses, et beaucoup envisageaient le retour dès 2024 à un niveau de fréquentation proche des 200 millions.
Le rapporteur pour avis avait cependant mis en garde l'année dernière contre ce qu'il percevait comme un trop grand optimisme pour l'année 2024, avec une fréquentation alors estimée à 195 millions de spectateurs. Si les documents du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) tablaient au début du mois d'octobre sur 175 millions d'entrées, les dernières données communiquées se situeraient finalement « à mi-chemin » avec plus de 180 millions d'entrées, soit un chiffre quasi identique à 2023 et en tout état de cause inférieur à la prévision initiale.
FRÉQUENTATION CINÉMATOGRAPHIQUE
2010-2025 (PRÉVISIONS POUR 2024 ET 2025)
en
millions d'entrées
Pour l'année 2025, le CNC anticipe une forme de stabilité à 180 millions d'entrées, et 185 millions pour les années suivantes.
Le cinéma serait donc actuellement dans une position intermédiaire entre des années 2010 exceptionnelles, avec près de 210 millions de spectateurs, et des années 90 décevantes.
Le nombre d'entrées serait ainsi, si la tendance se confirmait, proche de celui des années 2000.
De fait, la fréquentation cinématographique est devenue encore plus dépendante que précédemment des oeuvres projetées et de l'appétence du public, dans un monde où les spectateurs peuvent accéder à un catalogue illimité de films depuis chez eux pour une somme modique.
« Kaizen » d'Inoxtag, pente dangereuse ou précédent heureux ?
Produit par Inoxtag, star de YouTube où il rassemble une communauté de près de neuf millions d'abonnés, le documentaire « Kaizen » raconte sa préparation et son ascension de l'Everest. Le film a bénéficié d'un visa exceptionnel du CNC pour une projection durant deux jours dans 500 salles, qui le dispensait donc du respect de la chronologie des médias. La diffusion est cependant allée au-delà, avec 800 séances dans toute la France, ce qui n'a pas manqué d'être critiqué par la profession et pourrait constituer un précédent dangereux.
Pour autant, l'immense succès rencontré par le film, avec près de 400 000 spectateurs et la deuxième place du classement hebdomadaire, alors même qu'il allait être disponible gratuitement dès le lendemain, et l'engouement auprès d'un public particulièrement jeune qui a préféré payer sa place pour partager ensemble ce moment attendu, constituent une forme de reconnaissance pour le cinéma.
De facto, cette projection s'insère dans deux tendances relevées dans l'étude du CNC consacrée aux pratiques cinématographiques des Français en 20241(*). D'une part, le cinéma est avant tout un loisir qui se partage, avec 78,7 % de sorties en groupes, d'autre part, la première source d'information sur les films demeure, de très loin, la vision d'une bande-annonce en salle. Les jeunes publics qui ont assisté à une projection de Kaizen ont donc pu renforcer cette expérience collective et, pour certains, préparer leur prochaine sortie cinéma.
* 1 https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/les-pratiques-cinematographiques-des-francais-en-2024_2265285