AVANT-PROPOS

Dans un contexte budgétaire difficile, le cinéma se retrouve pour l'instant relativement épargné, ce qui doit être salué par tous et interprété par la profession comme une marque de confiance, mais également comme une responsabilité.

Confiance, car les résultats de l'année 2024 ont une nouvelle fois montré la vitalité et la diversité de notre cinéma, qui bénéficie d'une politique publique de long terme. Responsabilité, car il appartient au secteur de poursuivre sa mutation et, au-delà de la qualité des oeuvres, de s'adapter aux nouveaux enjeux sociétaux, avec la prise en compte des révélations sur les violences sexuelles et sexistes faites aux femmes, ainsi qu'aux nouveaux défis réglementaires et technologiques qui nécessiteront une mobilisation sans faille des parties prenantes.

C'est à ce prix que le cinéma pourra préserver sa place privilégiée dans notre pays et dans l'imaginaire des Français.

I. 2024, VERS UN RETOUR À LA NORMALE ?

A. RETOUR VERS QUELLE « NORMALE » ?

Après des années 2020 et 2021 marquées par un climat de panique, où les inquiétudes conjoncturelles nées de la crise pandémique se doublaient d'interrogations sur la résilience du cinéma face à la poussée des plateformes de vidéos en ligne, les années 2022 et 2023 ont été celles de la reconquête.

Avec une progression de 15 % et une fréquentation qui a dépassé les attentes avec 181 millions d'entrées contre 175 prévues, l'année 2023 avait été au-delà de ses promesses, et beaucoup envisageaient le retour dès 2024 à un niveau de fréquentation proche des 200 millions.

Le rapporteur pour avis avait cependant mis en garde l'année dernière contre ce qu'il percevait comme un trop grand optimisme pour l'année 2024, avec une fréquentation alors estimée à 195 millions de spectateurs. Si les documents du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) tablaient au début du mois d'octobre sur 175 millions d'entrées, les dernières données communiquées se situeraient finalement « à mi-chemin » avec plus de 180 millions d'entrées, soit un chiffre quasi identique à 2023 et en tout état de cause inférieur à la prévision initiale.

FRÉQUENTATION CINÉMATOGRAPHIQUE 2010-2025 (PRÉVISIONS POUR 2024 ET 2025)
en millions d'entrées

Pour l'année 2025, le CNC anticipe une forme de stabilité à 180 millions d'entrées, et 185 millions pour les années suivantes.

 

Le cinéma serait donc actuellement dans une position intermédiaire entre des années 2010 exceptionnelles, avec près de 210 millions de spectateurs, et des années 90 décevantes.

Le nombre d'entrées serait ainsi, si la tendance se confirmait, proche de celui des années 2000.

De fait, la fréquentation cinématographique est devenue encore plus dépendante que précédemment des oeuvres projetées et de l'appétence du public, dans un monde où les spectateurs peuvent accéder à un catalogue illimité de films depuis chez eux pour une somme modique.

« Kaizen » d'Inoxtag, pente dangereuse ou précédent heureux ?

Produit par Inoxtag, star de YouTube où il rassemble une communauté de près de neuf millions d'abonnés, le documentaire « Kaizen » raconte sa préparation et son ascension de l'Everest. Le film a bénéficié d'un visa exceptionnel du CNC pour une projection durant deux jours dans 500 salles, qui le dispensait donc du respect de la chronologie des médias. La diffusion est cependant allée au-delà, avec 800 séances dans toute la France, ce qui n'a pas manqué d'être critiqué par la profession et pourrait constituer un précédent dangereux.

Pour autant, l'immense succès rencontré par le film, avec près de 400 000 spectateurs et la deuxième place du classement hebdomadaire, alors même qu'il allait être disponible gratuitement dès le lendemain, et l'engouement auprès d'un public particulièrement jeune qui a préféré payer sa place pour partager ensemble ce moment attendu, constituent une forme de reconnaissance pour le cinéma.

De facto, cette projection s'insère dans deux tendances relevées dans l'étude du CNC consacrée aux pratiques cinématographiques des Français en 20241(*). D'une part, le cinéma est avant tout un loisir qui se partage, avec 78,7 % de sorties en groupes, d'autre part, la première source d'information sur les films demeure, de très loin, la vision d'une bande-annonce en salle. Les jeunes publics qui ont assisté à une projection de Kaizen ont donc pu renforcer cette expérience collective et, pour certains, préparer leur prochaine sortie cinéma.

B. UNE ANNÉE CONTRASTÉE ET TRICOLORE

L'année 2024 a été celle de tous les contrastes. Le premier trimestre a vu s'effondrer la fréquentation, avec une diminution de 17 % des entrées par rapport à l'année précédente. Le deuxième trimestre, avec en particulier les sorties d'Un p'tit truc en plus et du Comte de Monte-Cristo (voir infra), a cependant inversé la tendance, avec une hausse de 7,5 %, ce dont a témoigné le succès historique de la Fête du Cinéma qui a rassemblé 4 millions de spectateurs. Enfin, le mois d'octobre est le meilleur enregistré depuis la crise sanitaire.

Entre grèves et Jeux Olympiques

L'année 2023 a été marquée par la grève de 146 jours des scénaristes d'Hollywood, la plus longue de leur histoire. Si elle a pris fin en novembre 2023, ses conséquences se font encore ressentir aujourd'hui, avec un décalage des sorties de films américains traditionnellement pourvoyeurs de spectateurs. Cette baisse des sorties avait été largement anticipée par la profession. À l'opposé, et hormis à proximité des sites des épreuves et lors des cérémonies de clôture et d'ouverture, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris n'ont pas eu d'impact sur les entrées en salle.

In fine, les résultats devraient donc s'avérer comparables à ceux de 2023.

La moindre exposition des films américains a pleinement bénéficié au cinéma français, qui enregistre sur les neuf premiers mois de l'année une part de marché de 45 %, en hausse de cinq points par rapport à 2023, contre 37,4 % pour les films américains.

BOX-OFFICE FRANCE AU 3 NOVEMBRE 2024

FILM

NOMBRE D'ENTRÉES

Un p'tit truc en plus

10,8 millions

Le Comte de Monte-Cristo

9,2 millions

Vice-Versa 2

8,5 millions

Moi, moche et méchant 4

4,4 millions

Dune, deuxième partie

4,2 millions

Le box-office de 2024 révèle à ce stade d'excellentes surprises, en particulier pour le cinéma français.

Alors que l'année n'est pas finie, pour la troisième fois seulement après 1962 et 1998, trois films dépassent les huit millions d'entrées.

Pour la première fois depuis 2014, deux films français figurent en tête du box-office.

C. TROIS SALLES, TROIS AMBIANCES

L'année 2024 témoigne de la diversité du cinéma français, qui se singularise par la variété aussi bien des sujets traités que des types de réalisation. Le rapporteur pour avis a souhaité, à travers trois films sortis en 2024, illustrer cette spécificité.

1. La production de prestige : Le Comte de Monte-Cristo

Le succès à l'écran de la nouvelle transposition du roman mondialement connu d'Alexandre Dumas pouvait être anticipé, compte tenu de son casting et de son important budget (43 millions d'euros, film le plus cher de l'année 2024), même si son ampleur dépasse les espérances.

Le Comte de Monte-Cristo s'inscrit dans la stratégie de « premiumisation » du groupe Pathé, telle que son président Jérôme Seydoux a pu l'exposer devant la commission de la culture le 15 mars 20232(*) : « Le public a pris l'habitude de regarder des films à travers les plateformes ou la télévision traditionnelle. Le choix est énorme, la qualité excellente et les prix sont bas au regard de ce que l'on paye mensuellement. Nous avons donc à faire face à une évolution de notre environnement. Pathé, face à cette évolution, a pris avant le Covid la décision de monter en gamme, que ce soit du côté des films ou du côté des salles.

[...] Côté films, ceux-ci doivent être indiscutables pour le spectateur. Le spectateur, aujourd'hui, a une offre formidable qui lui est proposée à domicile. Il faut donc lui donner des raisons d'aller en salle : il faut que ce soit un film qu'il ait vraiment envie de voir, dans un endroit où il a vraiment envie d'aller. »

Le modèle de ce film est donc celui d'une production « de prestige », en mesure d'être diffusée durant des décennies à la télévision, avec un réel potentiel international - près de deux millions d'entrées ayant déjà été enregistrées hors de France.

2. La surprise humaniste : Un p'tit truc en plus

À l'opposé de ce modèle, l'oeuvre d'Artus, pour un coût de 6,1 millions d'euros, à peine supérieur au devis moyen des films français, a constitué l'immense surprise de l'année.

Un p'tit truc en plus se classe d'ores et déjà 9ème plus grand succès français de l'histoire. Avec près de 11 millions d'entrées, cette comédie humaniste a également permis de mettre en avant le sujet de l'inclusion des personnes handicapées. À ce jour, le film a réalisé 800 000 entrées à l'international.

Les chiffres de fréquentation ont par ailleurs montré un coefficient province/Paris étonnamment élevé. Alors qu'il se situe en moyenne autour de 5, il s'établit pour ce film à plus de 14, même si l'écart s'est resserré en mai et juin. Ce phénomène, observé sur certaines productions, souligne les attentes différentes des publics de la capitale et de la province.

3. Un pari d'auteur ambitieux : Emilia Perez

Enfin, Emilia Perez de Jacques Audiard a bénéficié de son excellent accueil critique et des récompenses obtenues au Festival de Cannes. Réalisé pour un budget de 21 millions d'euros, qui s'explique en partie par sa distribution internationale avec des acteurs très identifiés (Zoé Saldana, Selena Gomez), il a réalisé plus d'un million d'entrées en France et devrait connaitre une belle carrière internationale.

OEuvre française tournée en espagnol dans les studios de Bry-sur-Marne, ce film musical au sujet atypique met en scène un chef de gang mexicain qui cherche par tous les moyens à bénéficier d'une chirurgie de réattribution sexuelle, avant de fonder une association d'aide aux victimes des cartels.

Emilia Perez a obtenu le prix du jury et le prix d'interprétation féminine pour l'ensemble des actrices au Festival de Cannes.

Le rapport de la mission d'information de la commission de la culture3(*) « Le cinéma contre-attaque » avait ainsi montré que parmi les objectifs du cinéma français figurent « une vocation assumée de stimuler la "recherche et développement", soit un cinéma ambitieux, fortement marqué par la personnalité et la vision du réalisateur et représentant à l'international de notre exception culturelle. », mais également « la volonté de conserver au cinéma son caractère de loisir populaire, accessible au grand public, ce qui passe par des films accessibles et qu'il est possible de partager en famille ou entre amis. »

Ces trois films très différents témoignent donc de la diversité et de la vitalité de la production française et du respect de ses objectifs.

II. LES CRÉDITS DU CINÉMA RELATIVEMENT ÉPARGNÉS EN 2025 

A. UN PRÉLÈVEMENT FINALEMENT SANS CONSÉQUENCE

Dans le contexte budgétaire difficile qui est celui du projet de loi de finances pour 2025, le CNC, grand financeur du cinéma français, pouvait légitimement craindre de faire les frais de coupes budgétaires drastiques ou de plafonnement des crédits d'impôt, notamment suite aux différents rapports qui avaient été consacrés à ce sujet l'année dernière4(*).

La solution finalement retenue s'avère avantageuse pour l'État, sans pour autant fragiliser la reprise du secteur. Le (11) de l'article 33 du projet de loi de finances pour 2025 prévoit un prélèvement de 450 millions d'euros sur les réserves du CNC.

Si la somme peut paraitre importante, elle correspond à la moitié des réserves du Centre, et était destinée à couvrir des engagements comptables conformément aux recommandations de la Cour des comptes. Ce prélèvement ne devrait donc pas avoir d'impact sur le financement du cinéma, qui aura apporté une contribution importante à la limitation du déficit. Cette opération ne pourra cependant pas être reconduite l'année prochaine, les réserves restantes constituant la trésorerie nécessaire au fonctionnement du CNC.

B. RETOUR À L'ÉQUILIBRE POUR LE CNC

Après des années marquées par les crédits exceptionnels de soutien à la filière, le temps est venu pour le CNC d'un retour à la normale.

1. Les ressources du CNC
 

Exécution 2023

Budget initial 2024

Reprévisions 2024

Prévisions 2025

TSA

146,6

152,9

143

149,9

TST

447

464,1

488,1

475

dont TST-E

245,3

258,7

256,6

261,4

dont TST-D

201,7

205,4

231,5

213,6

TSV

178,83

139,5

150

152,1

Recettes diverses

0,1

0,1

4

0,1

TOTAL

772

756,6

758,1

777,1

Le montant total des taxes affectées au CNC en 2024 est globalement en ligne avec les prévisions. Dans le détail, elles ont cependant connu des évolutions opposées :

ü la taxe sur les entrées en salles (TSA), basée sur une hypothèse de 195 millions d'entrées, devrait être inférieure aux prévisions. Le rapporteur pour avis avait appelé l'année dernière à la prudence face à cette estimation un peu trop optimiste ;

ü à l'opposé, la taxe sur les distributeurs de service de télévision (TST-D) s'est avérée très dynamique, ainsi que le marché de la vidéo à la demande (TSV). L'écart de 26,5 millions d'euros entre les prévisions initiales et recalibrées pour l'année 2024 s'explique par la surperformance d'un des opérateurs de télévision payante, pour des raisons que le CNC n'a pas encore été en mesure d'expliquer.

La stabilité des recettes globales du CNC en dépit des difficultés de la prévision montre l'intérêt de disposer d'une diversité de taxes, qui sont en mesure de fournir des ressources relativement prévisibles dans leur totalité.

Pour l'année 2025, le rapporteur pour avis estime que les hypothèses retenues par le CNC sont raisonnablement prudentes. Il n'est cependant pas exclu que la TSA soit d'un niveau supérieur à celui attendu, compte tenu de l'excellente dynamique des entrées en fin d'année 2024.

2. Des dépenses stables

Les dépenses du CNC sont concentrées à 85 % autour de trois grandes actions5(*).

Le soutien à la production et à la création cinématographiques, qui s'élève en 2024 à 138,7 millions d'euros. Pour 2025, il devrait s'établir à 133,6 millions d'euros.

Le soutien à la production et à la création audiovisuelles. Estimé à 290,4 millions d'euros en 2024, il devrait augmenter de 8 millions d'euros en 2025 pour tenir compte de son ouverture aux nouvelles plateformes en ligne.

Le soutien à la distribution, diffusion et promotion du cinéma et de l'audiovisuel, qui rassemble notamment les aides aux salles de cinéma et au secteur de la distribution. Il devrait être stabilisé en 2025 à 237,8 millions d'euros.

Sur le long terme, la répartition des soutiens entre le cinéma et l'audiovisuel demeure extrêmement stable. Cela confirme la permanence d'un fort engagement en faveur du cinéma, alors que le secteur audiovisuel a connu une très forte croissance ces dernières années.

Dernier levier d'action du CNC, les crédits d'impôt cinéma devraient être principalement marqués par la forte baisse du C2I, le CNC anticipant moins de tournages de productions étrangères en France.

Le rapporteur pour avis estime cependant que l'exposition du pays, en particulier de Paris, à l'occasion des Jeux Olympiques, pourrait au contraire conduire à une forte demande dans les années à venir.

Évolution des crédits d'impôt

En dépit d'un climat budgétaire dégradé, le CNC devrait donc être relativement épargné et pourra donc poursuivre sa mission de financement et de développement du 7ème art.

III. LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES DANS LE CINÉMA

La question des violences sexuelles et sexistes (VSS) dans le cinéma et l'audiovisuel occupe l'espace médiatique suite aux affaires judiciaires du producteur Harvey Weinstein, initiées en octobre 2017 par une série d'articles du New York Times.

Rapidement, des révélations sur une ambiance de travail toxique et des rapports trop souvent ambigus sur les plateaux de tournage ont été apportées, singulièrement par les femmes victimes, qui ont su trouver le courage de s'exprimer, parfois au péril de leur carrière.

A. LA CRISE FRAPPE LA FRANCE

En France, l'actrice Judith Godrèche a porté avec force ce combat, avec un dépôt de plainte en février 2024 contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon6(*). Ses interventions ont été à l'origine d'une prise de conscience pour de très nombreuses victimes, qui ont pu enfin s'exprimer et dénoncer une réalité parfois sordide.

De manière générale, il appartient au monde du cinéma et plus largement de l'image de se livrer à un examen de conscience approfondi sur des pratiques qui ont perduré à travers les âges, à tel point qu'elles ont pu littéralement « faire partie du décor », les spécificités de la création cinématographique servant alors d'alibi commode à des comportements délictueux.

Malgré les avancées sociétales majeures de ces dernières années qui vont toutes dans le sens d'une prise en compte de la parole des victimes et d'un traitement respectueux des acteurs, le cinéma s'est peut-être senti immunisé, et se trouve aujourd'hui confronté à une crise majeure qui rebondit médiatiquement chaque année.

B. DES INITIATIVES POUR ENTENDRE, PROTÉGER ET PRÉVENIR

La commission s'est saisie de cette problématique, qui met en jeu la crédibilité et l'image de l'ensemble de la filière.

D'une part, dans le cadre de l'examen en séance publique de sa proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France7(*), le Sénat a adopté le 14 février 2024 à l'initiative de Monique de Marco et de plusieurs de ses collègues un amendement à l'article 6 qui prive les producteurs des aides du CNC lorsque des faits de VSS ont été constatés sur les lieux de tournage et que les obligations de prévention n'ont pas été remplies.

À ce jour cependant, ce texte pourtant très attendu par la profession, n'a pas encore été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

D'autre part, la commission et la Délégation aux droits des femmes ont organisé une grande table ronde le 4 juin 20248(*) consacrée aux VSS dans le cinéma.

Cette matinée a donné l'occasion d'entendre toute l'industrie cinématographique, des acteurs, avec Anna Mouglalis, aux producteurs en passant par les responsables de casting, mais également le collectif 50/50, très actif dans la dénonciation des VSS.

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale avait initié une commission d'enquête sur les VSS, qui avait entamé ses travaux le 14 mai 2024 et mené neuf auditions avant que la dissolution n'y mette un terme le 9 juin.

Elle a cependant été reconstituée par la nouvelle législature et a désigné son Bureau le 22 octobre. La nouvelle commission d'enquête a repris le champ très large de la précédente, puisqu'elle a souhaité étendre son contrôle aux secteurs du spectacle vivant, de la mode et de la publicité en plus du cinéma et de l'audiovisuel.

Le rapporteur pour avis suivra bien entendu avec une grande attention les travaux et les conclusions de cette instance.

C. UNE VOLONTÉ CLAIRE D'AVANCER, MAIS UN COMBAT À POURSUIVRE

Le CNC est mobilisé, depuis 2020, en faveur de la lutte contre les VSS dans le cinéma et l'audiovisuel. En complément d'un rappel au code du travail, le Centre a principalement recouru au levier de la conditionnalité de l'accès aux aides publiques.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2021, l'accès à toutes les aides du CNC a été conditionné au respect par les entreprises de production des industries d'une obligation de prévenir, mettre fin et sanctionner les violences sexistes et sexuelles. Cette condition a été étendue en janvier 2022 aux exploitants de salles de cinéma.

Afin d'assurer la mise en oeuvre effective de cette obligation, le CNC a mis en place, à l'automne 2020, une formation obligatoire de tous les responsables d'entreprises du secteur à la prévention et à la lutte contre les VSS. Le CNC avait ainsi formé 6 200 professionnels à l'été 2024.

Aujourd'hui, le chef d'entreprise (producteur, distributeur, exploitant de salles...), responsable d'assurer la santé et la sécurité des salariés, est le seul à être visé par l'obligation de formation mise en place par le CNC. Pour amplifier le mouvement, l'échelon au niveau duquel il faut maintenant agir est celui des équipes de tournage, au moment où celui-ci démarre.

La mise en oeuvre de cette formation est une nouvelle condition d'accès aux aides au cinéma du CNC : avant le tournage, les producteurs devront s'engager à la mettre en oeuvre et si cet engagement n'est pas respecté, les aides pourront être retirées par la suite. La formation et la conditionnalité des aides au respect de cette formation vont pouvoir prendre effet pour tous les tournages qui débuteront à partir du 1er décembre 2024.

Il est aujourd'hui difficile de douter de la bonne volonté exprimée à tous les niveaux dans l'ensemble de la profession sur la question des VSS. Cependant, elle ne sera pas résolue sans une prise de conscience très claire de l'ensemble des éléments qui constituent ces violences : emprise, influence, chantage plus ou moins assumé, etc...

Le cinéma n'est pas le seul lieu où les femmes subissent des violences, il est cependant le plus emblématique et se doit, à ce titre, de devenir exemplaire.

IV. TROIS DOSSIERS À SUIVRE DÈS 2025

Le rapporteur pour avis a souhaité dans le cadre de ce rapport mettre en avant trois sujets d'attention, qui nécessiteront toute l'attention des pouvoirs publics à court, moyen et long terme.

A. À COURT TERME : LA CHRONOLOGIE DES MÉDIAS MENACÉE ?

La chronologie des médias constitue une singularité du cinéma français et un pilier de notre modèle de financement. Elle repose sur un principe simple, qui est de lier le niveau du financement dans le cinéma avec la faculté de proposer l'oeuvre plus tôt, principe qui donne lieu à chaque renouvellement à des débats particulièrement âpres. Signée le 24 janvier 2022 pour une durée de trois ans, l'actuelle chronologie, exposée en détail dans le rapport pour avis de 20239(*), s'achève donc en janvier prochain.

Or un « grain de sable » est venu perturber des négociations qui s'annonçaient comme à l'accoutumée complexes. Par une décision du 25 septembre 2024, l'Autorité de la Concurrence (ADLC) s'est saisie d'office d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la télévision payante et de l'acquisition des oeuvres cinématographiques. L'instruction, actuellement en cours, s'intéresse aux accords passés entre certains groupes audiovisuels qui financent le cinéma et les producteurs.

La simple hypothèse d'une remise en cause de cet équilibre est déjà lourde de conséquences pour le secteur.

- D'une part, l'instruction a suspendu de facto les négociations, les parties prenantes attendant la décision de l'ADLC pour évaluer leurs positions respectives.

- D'autre part, le niveau des engagements dans le cinéma des financeurs, en premier lieu du premier d'entre eux, Canal Plus, avec plus de 200 millions d'euros par an, dépend directement des accords qui sont passés avec les producteurs.

Le rapporteur pour avis ne peut en aucun cas préjuger de la décision qui sera prise par l'ADLC. Il met cependant en garde contre la remise en cause d'un mécanisme qui depuis les années 70 s'est avéré extrêmement protecteur et bénéfique pour le cinéma français.

B. À MOYEN TERME : LES RISQUES DE LA RENÉGOCIATION DE LA DIRECTIVE SMA

L'article 33 de la directive du 14 novembre 2018 sur les Services de médias audiovisuels (SMA) prévoit une évaluation par la Commission européenne du dispositif au plus tard le 19 décembre 2026. L'année 2025 devrait donc voir le lancement de cette réflexion, comme l'a annoncé Henna Virkkunen, candidate à la vice-présidence exécutive de la commission pour la Souveraineté technologique.

Transposée en droit français par l'ordonnance du 21 décembre 2020, cette directive a rendu possible l'insertion dans notre paysage audiovisuel des plateformes en ligne, qui supportent dorénavant des obligations d'investissement dans le cinéma français.

Ces grands acteurs internationaux pourraient profiter de cette revue pour demander des modifications, qui iraient dans le sens d'un assouplissement. Alors que nous sommes encore en amont, la France, qui a fortement pesé pour l'adoption de la directive de 2018, doit demeurer extrêmement attentive et plaider pour la préservation de ce système particulièrement vertueux.

De ce point de vue, la nomination rapide d'un nouveau Président au CNC au fait de ces sujets, suite au départ en juin 2024 de Dominique Boutonnat, s'avérerait un atout très précieux selon le rapporteur pour avis.

C. À (PLUS OU MOINS) LONG TERME : L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, OPPORTUNITÉ OU DANGER ?

Menace ou alliée ? Opportunité ou danger ? L'intelligence artificielle (IA) alimente les débats depuis la révélation de ses impressionnantes capacités avec le lancement de ChatGPT en novembre 2022.

L'irruption de l'IA met en balance, d'un côté, les opportunités offertes par ces nouvelles technologies, qui vont de la traduction à la production de décors numériques en passant par l'aide à l'écriture, et de l'autre des risques juridiques, éthiques et sociaux, avec un potentiel pillage des contenus pour alimenter les IA génératives, les potentielles destructions d'emplois ou encore la faculté à générer de faux contenus présentés comme réels. La commission de la culture a consacré à ces sujets une table ronde le 20 décembre 202310(*).

Les industries culturelles mondiales, singulièrement dans le domaine de la production audiovisuelle et cinématographique, n'échapperont pas à une profonde remise en cause de leur modèle dans les années à venir, tant les capacités de l'IA sont encore en devenir.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a émis, lors de sa réunion plénière du 13 novembre 2024, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 13 NOVEMBRE 2024

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons maintenant les crédits relatifs au cinéma.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits relatifs au cinéma. - Le cinéma est passé cette année par tous les états possibles. Secoué dans ses fondations par les révélations si fortes de Judith Godrèche, affecté par l'absence de films américains pendant un semestre, menacé par les projets de restriction budgétaire, il devrait finalement ressortir de cette année plus fort et - oserais-je dire - plus vertueux. Analyser le monde du cinéma en 2024, c'est donc vivre en quelque sorte en direct un scénario avec de multiples rebondissements, des parts d'ombre, de la lumière et beaucoup de clair-obscur.

Je vais m'efforcer dans cette présentation de vous retracer les moments marquants de cette année et d'éclairer les enjeux pour les années à venir.

En termes de fréquentation, l'année 2024 a été à la fois éprouvante et tricolore.

Éprouvante, car les premiers mois, comme je le craignais l'année dernière, ont été catastrophiques, avec une baisse de la fréquentation de 15 %. Il faut y voir les conséquences de la grève des scénaristes à Hollywood, qui a tari la source des films américains pour plusieurs mois.

Tricolore, car à partir du mois d'avril, l'entrée en lice du Comte de Monte-Cristo et surtout d'Un p'tit truc en plus a littéralement « boosté » la fréquentation. Pour la première fois depuis dix ans, deux films français occupent les premières places du box-office. Je reviendrai dans quelques minutes sur ces deux films.

Finalement, l'année 2024 devrait, sous toutes réserves, s'achever à des niveaux proches, voire légèrement supérieurs à 2023, autour de 185 millions d'entrées, ce qui est d'excellent augure pour la suite et illustre de façon éclatante l'attachement du public au cinéma.

Cet attachement s'est manifesté de manière un peu paradoxale avec la sortie limitée du film Kaizen du youtuber Inoxtag. Le film a bénéficié d'un visa dérogatoire pour sortir sur 500 écrans pendant une journée. Il semble que les diffuseurs aient outrepassé les conditions d'octroi au visa puisque finalement 800 séances auraient été organisées. Pourquoi parler ici de ce film ? Parce que 400 000 spectateurs, en général jeunes, ont payé un billet pour une oeuvre qui allait être disponible gratuitement dès le lendemain. Au-delà des aspects juridiques, c'est une formidable leçon sur l'attrait de la salle pour tous les publics, et très précisément ce que cherche à susciter le cinéma : voir ensemble un film, partager des moments avec des amis, de la famille.

Si Kaizen a triomphé pendant quelques jours, l'année 2024 a surtout été marquante, car elle est la démonstration de ce qui fait la spécificité de notre cinéma, à savoir la diversité.

Je vous propose d'analyser trois succès de cette année, dont les différences illustrent très bien, à mon sens, la richesse de la production.

Premier film, Le Comte de Monte-Cristo. La nouvelle transposition à l'écran de l'oeuvre d'Alexandre Dumas a enregistré plus de 9 millions d'entrées en France et 2 millions à l'étranger. Produit avec le plus gros budget de l'année - 43 millions d'euros - et conçu pour vivre des années sur les différents supports, Le Comte de Monte-Cristo illustre la stratégie que nous avait présenté Jérôme Seydoux lors de son audition devant la commission le 15 mars 2023 : des films à grand spectacle, pour lesquels les spectateurs sont prêts à se déplacer massivement dans les salles.

Deuxième film, Un p'tit truc en plus. Le film d'Artus a coûté nettement moins cher, 6 millions d'euros, juste au-dessus de la moyenne pour une oeuvre française. Avec près de 11 millions d'entrées, cette comédie humaniste est déjà le neuvième plus grand succès français de tous les temps. C'est un résultat plus qu'impressionnant et qui a constitué une immense surprise, car nul ne le voyait à ce niveau. Il y a parfois une alchimie magique qui se crée autour d'une oeuvre, un sujet qui sonne juste : c'est aussi cela, la beauté de la culture et du cinéma.

Deux éléments sont intéressants à relever. D'une part, au-delà de son humour, Un p'tit truc en plus fait pour l'acceptation des personnes handicapées plus que toutes les campagnes officielles. De ce point de vue, le cinéma a merveilleusement rempli son rôle de projecteur, de mise en avant d'une réalité, comme avait pu le faire en son temps Intouchable. D'autre part, fait très curieux, le film a été nettement plus populaire en province qu'à Paris, avec un coefficient province-Paris de 15, soit trois fois supérieur à la moyenne.

Troisième film, Emilia Pérez de Jacques Audiard. Sur un sujet a priori baroque - un chef de gang mexicain qui change de sexe avant de fonder une association d'aide aux victimes de la drogue -, ce film, tourné en espagnol dans les studios de Bry-sur-Marne avec un casting international, a reçu de prestigieuses récompenses internationales.

Nous avons donc trois films : une production de prestige à gros budget basée sur une oeuvre déjà connue, une comédie humaniste sur un sujet de société et un film porté par la vision d'un auteur. Peu de pays peuvent se targuer non seulement d'un tel succès, mais aussi d'une telle diversité de sujets et de genre. Voilà un vrai motif de fierté et une belle preuve de l'efficacité de notre système !

Ce système, il fallait donc le préserver, ce qui n'a pas toujours été facile.

Le cinéma a été longtemps menacé par des coupes budgétaires, des limitations de ses crédits d'impôt, et l'ambiance était plutôt tendue en septembre. In fine, et je crois que nous pouvons en remercier la ministre de la culture, l'écosystème de financement n'a pas été touché.

Pour autant, le cinéma a apporté une contribution significative au désendettement, avec un prélèvement de 450 millions d'euros sur les réserves du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) acté par l'article 33 du projet de loi de finances. C'est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup, car cela correspond à la moitié des réserves du CNC. Peu, car ces sommes étaient en réalité des provisions passées pour des raisons comptables et n'avaient donc pas vocation à irriguer le financement des films.

Il ne devrait donc pas y avoir de conséquences pour l'activité du CNC. Cela étant, j'attire l'attention sur un point : il s'agit d'un « fusil à un coup » ; il ne sera plus possible l'année prochaine de prélever sur les réserves restantes, qui sont nécessaires au fonctionnement du centre. Dès lors, nous pouvons être sûr que le débat reprendra sur le bien-fondé du soutien au cinéma.

Pour le reste, les prévisions de recettes et de dépenses du CNC pour 2025 me paraissent crédibles et sont tout à fait en ligne avec un retour à la normale annoncé l'année dernière après la période pandémique. Tout juste peut-on noter 8 millions d'euros supplémentaires pour la création audiovisuelle, qui correspondent à l'éligibilité des plateformes aux aides du CNC.

Cependant, une actualité plus sombre a marqué l'année, avec les révélations en cascade sur les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma. Nous nous rappelons tous du témoignage plein de courage et de dignité de Judith Godrèche, qui a libéré la parole de tant de victimes.

Notre commission n'est d'ailleurs pas restée insensible à ce sujet, avec une mesure forte adoptée dès le mois de février sur l'initiative de notre collègue Monique de Marco dans le cadre de la proposition de loi sénatoriale visant à conforter la filière cinématographique en France, texte sur lequel Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp étaient rapporteurs.

J'espère que notre texte pourra être rapidement examiné par l'Assemblée nationale afin que les aides du CNC puissent, comme prévu, être retirées aux producteurs qui n'ont pas établi les meilleurs dispositifs de protection sur les plateaux de tournage.

Le 4 juin dernier, nous avons également organisé, avec la délégation aux droits des femmes, une grande table ronde réunissant l'ensemble de la profession, dont l'actrice Anna Mouglalis.

Le cinéma a longtemps vécu dans l'illusion qu'il était un peu au-dessus des lois et l'acte de création a servi à certains d'alibi trop commode à des comportements pénalement répréhensibles. J'insiste sur ce point : le monde du cinéma et de l'audiovisuel doit faire son autocritique, et accepter de changer en profondeur. Le cinéma, si emblématique de notre culture, doit devenir irréprochable.

Je voudrais enfin souligner trois défis qui attendent le cinéma et qui pourraient, selon la manière dont ils seront traités, le renforcer durablement ou l'affaiblir définitivement.

Premier défi à court terme, la chronologie des médias.

Véritable marronnier du secteur, la négociation de la chronologie s'apparente à Un jour sans fin éternellement recommencé. Je vous rappelle que la chronologie règle le calendrier d'exposition des oeuvres sur les différents supports en fonction de l'investissement consenti dans le cinéma. Pour résumer, plus vous investissez, plus votre position est avantageuse. Cela pose d'innombrables difficultés entre les salles, les chaînes de télévision et les plateformes. L'actuelle chronologie doit s'achever le 24 janvier 2025. Le CNC a donc lancé un nouveau cycle de négociations au printemps que l'on imaginait être aussi fraternel qu'un film de Scorsese.

Cependant, alors que l'on s'attendait à vivre des discussions avec claquements de portes et montées de tension médiatisées, un scénariste jusque-là non crédité au générique a décidé d'ajouter un peu de piquant. L'Autorité de la concurrence s'est en effet autosaisie le 25 septembre 2024 d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la télévision payante. Si son instruction, dont le résultat n'est pas attendu avant mi-2025, devait limiter la faculté des chaînes à conclure des accords avec les producteurs, ce serait tout l'édifice de la chronologie qu'il faudrait repenser. Nous ignorons encore s'il y aura un « twist » final façon Psychose, ou si l'Autorité de la concurrence confortera le système. Dans ce contexte, les négociations sont pour l'instant suspendues et les groupes hésitent à s'engager sur des montants d'investissements pour les années à venir.

Il s'agit donc d'un défi existentiel pour la production cinématographique en 2025, et je le suivrai avec une grande attention.

Deuxième défi, la directive Services de médias audiovisuels (SMA).

Adoptée le 14 novembre 2018 et transposée en droit français par l'ordonnance du 21 décembre 2020, cette directive a permis d'insérer les plateformes dans le financement des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. Je crois pouvoir dire, et mes collègues Sonia de La Provôté et Alexandra Borchio Fontimp ne me contrediront pas, qu'elle a donné un réel élan aux productions françaises et européennes. Cependant, son article 33 en prévoit l'évaluation pour la fin de l'année 2026. Or nous savons que cet exercice s'accompagnera inévitablement de son lot de pressions diverses et variées, et que les plateformes américaines excellent à ce jeu au moins autant qu'à la conception de « blockbusters ».

Dès lors, le Gouvernement devra être extrêmement vigilant. J'en profite pour signaler que, dans cette optique, la nomination rapide d'un président au CNC, poste vacant depuis le mois de juin, serait d'une grande utilité, l'actuelle titulaire par intérim, par ailleurs tout à fait remarquable, étant également directeur général. Il faudra donc, dès 2025, que notre pays se mette en ordre de bataille pour préserver les apports de cette directive si centrale dans la protection de nos intérêts.

Enfin, troisième et dernier défi de long terme, l'intelligence artificielle (IA).

La commission a consacré une table ronde passionnante à cette question le 20 décembre dernier. Les potentialités, les opportunités, mais aussi les risques de l'IA sont encore mal évalués. Côté pile, elle peut permettre de faciliter les tournages, d'assister à l'écriture de scénario ou aux traductions. Côté face, comment nous positionner face à ces nouvelles technologies, pour l'instant américaines, qui menacent notre diversité culturelle et font peu de cas des droits d'auteur ? Quand je dis qu'il s'agit là d'un défi à long terme, j'ai peur de pécher par optimisme, car tout va très vite, comme le cinéma l'avait d'ailleurs anticipé.

Avant de conclure et de proposer un avis que vous devinez favorable, je voudrais insister sur deux points. Le cinéma conforte en 2025 son statut très privilégié dans les industries culturelles, en étant relativement épargné par les restrictions budgétaires. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette marque de confiance.

Cependant, elle doit aller de pair avec la responsabilité. Le secteur du cinéma, très emblématique, doit se montrer exemplaire aussi bien sur la question des violences sexuelles et sexistes qu'en matière de gestion des deniers publics. Je crois que le CNC en a parfaitement conscience. Je suis donc optimiste, mais là encore, il nous appartiendra d'y veiller.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable sur les crédits alloués au cinéma en 2025.

M. Pierre-Antoine Levi. - Notre collègue Jérémy Bacchi, dans un excellent rapport sur les crédits du cinéma, a parfaitement détaillé les enjeux qui se présentent à nous. L'année 2024 a été marquée par les inquiétudes légitimes concernant la pérennité du modèle français de financement du cinéma. Dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, qui impose des efforts à l'ensemble des politiques publiques, certaines pistes évoquées, comme le plafonnement des taxes affectées ou leur réaffectation, auraient pu mettre en péril l'édifice patiemment construit depuis 1946.

Le projet de loi de finances qui nous est soumis apporte des réponses que nous jugeons équilibrées. Tout d'abord, le maintien du budget du CNC à 780 millions d'euros démontre la volonté de l'État de préserver les fondamentaux de notre politique cinématographique. L'effort demandé de 450 millions d'euros sur la trésorerie du CNC est certes substantiel, mais il a été calibré pour ne pas affecter sa capacité d'intervention.

C'est un point essentiel, l'argent des spectateurs continuera d'être intégralement consacré au soutien de la création et à la modernisation du parc de salles. Je veux souligner quatre avancées significatives.

Premièrement, la sanctuarisation des quatre dispositifs de crédits d'impôt. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : pour chaque euro de dépense fiscale, ce sont 6 à 7 euros de dépenses générées sur notre territoire, dont près de 3 euros de recettes sociales et fiscales. Le succès d'accueil de grandes productions internationales, comme Emily in Paris, en est la meilleure illustration.

Deuxièmement, l'engagement fort en direction des territoires ruraux. Le plan de 5 millions d'euros pour soutenir les festivals locaux et les circuits itinérants, auquel s'ajoutent un second volet d'un montant équivalent pour la modernisation des salles, et le soutien aux cinémathèques en région traduit une volonté réelle de maintenir un accès au cinéma sur l'ensemble du territoire.

Troisièmement, la poursuite du programme « La grande fabrique de l'image ». Avec 300 millions d'euros dans le cadre de France 2030, ces investissements dans nos studios et nos écoles sont essentiels pour maintenir notre compétitivité face à une concurrence internationale de plus en plus vive.

Quatrièmement, l'adaptation réussie de notre système de financement à l'ère numérique, avec désormais 20 % des ressources du CNC qui proviennent des plateformes internationales.

Cela a été rappelé, les succès publics récents, qu'il s'agisse d'Un p'tit truc en plus ou du Comte de Monte-Cristo, ne sont pas le fruit du hasard. Ils démontrent la pertinence de notre modèle de soutien à la création, qui permet de conjuguer ambitions artistiques et succès populaire.

Néanmoins, deux points de vigilance méritent d'être soulignés. Tout d'abord, la nécessité de nommer rapidement une présidence stable à la tête du CNC pour porter les nombreux chantiers en cours. Ensuite, le suivi attentif de la proposition de loi adoptée par notre Haute Assemblée pour conforter la filière cinéma, dont nous espérons qu'elle pourra prospérer sous cette forme ou reprise par le Gouvernement, comme vous l'avez suggéré.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste considère que ce budget, fruit d'un équilibre délicat, permet de préserver l'exception culturelle française tout en participant à l'effort de redressement des comptes publics. Notre groupe votera donc en faveur de ces crédits, tout en maintenant sa vigilance sur la bonne exécution au service de la création cinématographique française.

Mme Laure Darcos. - À mon tour de remercier notre rapporteur de son exposé et de son travail. Comme je l'ai dit à Mme la ministre, pour l'instant, tous les crédits d'impôt sont maintenus. Je suis néanmoins très inquiète de la position de la commission des finances du Sénat qui, chaque année, sans nous prévenir, dépose des amendements de suppression. Idem pour les sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (Sofica). Il faudrait peut-être, monsieur le rapporteur, que vous vous rapprochiez de la commission des finances pour être sûr qu'il y ait un accord avec le Gouvernement. Le maintien de ces crédits d'impôt est incontournable pour le milieu du cinéma. Faisons en sorte d'éviter les mauvaises surprises de fin de soirée lorsque les amendements de suppression nous sont présentés dans la discussion budgétaire.

Mme Sylvie Robert. - Nous suivrons l'avis favorable de notre rapporteur sur les crédits du cinéma. Les films extrêmement réjouissants qui ont été cités attestent de la vitalité et de la diversité de notre cinéma. J'invite celles et ceux qui ne l'auraient pas encore fait à aller voir cette comédie musicale assez inédite qu'est Emilia Pérez.

Nous sommes globalement satisfaits de l'équilibre trouvé pour préserver l'écosystème du cinéma par le maintien des crédits d'impôt. Il importe que nous nous mobilisions lors de l'examen du PLF pour défendre en séance ces crédits contre les éventuels assauts de la commission des finances. Ce système a eu des conséquences économiquement favorables sur notre territoire. Évitons d'affecter le rendement des taxes qui « nourrissent » le CNC et prélevons plutôt sur son important fonds de roulement - de l'ordre de 800 millions d'euros. Quoi qu'il en soit, notre rapporteur l'a souligné, il s'agit d'un one shot.

J'évoquerai quelques sujets de préoccupation. Comme notre rapporteur l'a rappelé, la chronologie des médias devra être revue l'année prochaine. Nous savons déjà que les plateformes souhaitent une réduction de leur fenêtre de diffusion.

Je pense aussi à l'évaluation de la directive SMA, qui interviendra en 2026. Le CNC a publié un rapport extrêmement intéressant qui propose de faire passer le quota d'oeuvres européennes dans le catalogue des plateformes de 30 % à 50 %, ce qui impliquerait d'introduire une dérogation au fameux principe du pays d'origine.

L'étude d'Unifrance est aussi intéressante : les oeuvres françaises sont particulièrement visionnées en Europe, mais elles arrivent très loin derrière les autres dans la sphère francophone hors Europe. Cela doit nous interroger.

Enfin, je me réjouis du nouveau dispositif mis en place par le CNC sur les cinémas itinérants. J'espère que la proposition de loi sénatoriale que nous avons votée à l'unanimité sera rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

J'évoquerai également les incertitudes persistantes autour de l'intelligence artificielle. Hollywood a été paralysé pendant près de six mois l'année dernière. Aujourd'hui, le monde culturel a choisi d'appliquer l'opt-out, ce qui signifie qu'il n'a pas confiance dans l'écosystème de l'intelligence artificielle. Nous aurions tout intérêt à diligenter une mission de suivi sur l'intelligence artificielle et le droit d'auteur dans le secteur du cinéma, de l'audiovisuel et de l'édition. Cela nous permettrait d'anticiper une éventuelle réouverture de la directive sur le droit d'auteur à l'échelle européenne.

Enfin, je suis toujours préoccupée par tous les dispositifs d'éducation à l'image. Le département du Nord, pour les raisons budgétaires, vient de supprimer le dispositif collège au cinéma. La ministre Belloubet avait reconnu que les effets de bord n'avaient pas été mesurés correctement : les enseignants ne peuvent donc plus procéder à ces séances de formation sur le temps scolaire. Beaucoup d'acteurs nous le disent, c'est tout l'écosystème qui s'en trouvera fragilisé. Aujourd'hui, nous n'avons pas de solution. Je n'ai pas entendu la nouvelle ministre de l'éducation nationale s'emparer de ce sujet, qu'elle doit trouver tout à fait accessoire...

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Nous nous réjouissons que le cinéma français se porte plutôt bien en dépit d'un contexte budgétaire difficile. Cependant, un certain nombre de défis restent encore à relever.

Tout t'abord, nos cinémas d'art et d'essai pâtissent de l'implantation des grands complexes. J'évoquerai également les cinémas implantés en zone rurale. Pouvez-vous nous rassurer quant à leur attractivité ?

En matière d'accès à la culture dans les territoires ruraux, nombreuses sont les communes à ne pas disposer d'espaces muséaux et de cinéma. À Cannes, la ministre de la culture avait annoncé un soutien pour les circuits de cinéma itinérants. Quel regard portez-vous sur ce dispositif qui a été acté le mois dernier par le CNC ?

Enfin, vous avez rapidement évoqué la lutte contre les violences sexuelles dans le cinéma. C'est un objectif que nous avions défendu ensemble au Sénat en tant que rapporteurs de la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, en introduisant des mesures pour prévenir et sanctionner ces violences. Une commission d'enquête a même été créée à l'Assemblée nationale. Notre texte sera-t-il examiné au Palais Bourbon ?

En tout état de cause, le groupe Les Républicains suivra l'avis favorable du rapporteur.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie notre rapporteur de la qualité de son travail et je le félicite de l'agilité dialectique avec laquelle il nous a expliqué que la ponction sur la trésorerie du CNC était une excellente chose !

Mon groupe n'est pas toujours favorable aux crédits d'impôt, mais ceux-là ont montré qu'ils avaient un effet de levier important et qu'ils rapportaient de l'argent. Il convient donc de les défendre, car ils participent au dynamisme économique du cinéma. De surcroît, ils procurent des recettes fiscales importantes au Gouvernement. Le contexte des élections américaines fait qu'entre nous et les États-Unis, « il va faire mauvais temps ». Nous pouvons présager que les attaques de l'administration américaine seront assez fortes contre ce qui fait la spécificité de la culture en France et en Europe, notamment le droit d'auteur. Il faudra absolument résister, mais je ne suis pas sûr que tous les pays européens aient la même vision que nous de la singularité culturelle et du droit d'auteur.

Notre groupe suivra l'avis du rapporteur.

Mme Sonia de La Provôté. - Certes, le cinéma a une place privilégiée dans les industries culturelles, mais il est également partie prenante de façon intégrale des politiques culturelles de la Nation. Il convient de le réaffirmer à l'occasion des discussions budgétaires, notamment par la participation financière, mais aussi par la participation au plan France ruralités - puisque, on le sait, l'accès au cinéma est très souvent l'une des principales portes d'entrée vers la culture dans de très nombreux territoires. La participation à la programmation du cinéma itinérant et à son développement est importante.

Deux sujets me semblent essentiels.

Tout d'abord, la question déjà soulevée du cinéma au collège et au lycée. Si on en est là, c'est aussi parce que l'on a un public de cinéphiles. Les Français aiment le cinéma et apprécient sa diversité. Il est donc important de favoriser l'accès aux oeuvres cinématographiques et à leur compréhension.

Ensuite, les réflexions sur le fait que la qualification « Art et Essai » soit accordée à des oeuvres qui ne relèvent pas toujours du cinéma d'auteur. Un travail devait être engagé sur la question. Le maintien des crédits d'impôt représentant un soutien à la filière, le CNC doit prouver que l'écosystème du cinéma est capable de mener une telle réflexion. S'il n'est pas choquant d'accompagner financièrement des oeuvres exigeantes et complexes pour favoriser la créativité des auteurs et l'émergence de grands films, il est important que les aides ne soient pas automatiquement adressées à ceux qui en ont le moins besoin.

Mme Monique de Marco. - En prenant connaissance du PLF, je me suis tout de suite inquiétée de la ponction de 450 millions d'euros prévue dans la trésorerie du CNC. Cela répond au rapport de la Cour des comptes jugeant disproportionnée la trésorerie du centre, au regard de celles des autres opérateurs distribuant les aides. Vous nous avez rassurés, monsieur le rapporteur, mais nous devrons nous montrer vigilants à l'avenir.

Notre vigilance doit également porter sur les discussions autour de la chronologie des médias, sur la directive SMA et sur l'essor de l'intelligence artificielle. À cet égard, je m'inquiète de la nomination d'Elon Musk dans l'administration Trump.

Toutefois, la vigilance n'exclut pas l'optimisme : le cinéma français est en bonne santé et nous pouvons nous en réjouir.

Nous attendons toujours que la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, que nous avons adoptée en février, soit inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Vous avez interrogé la ministre à ce sujet la semaine dernière, mais sa réponse n'était pas très claire, si ce n'est qu'elle souhaitait que l'Assemblée nationale s'en saisisse. Cette proposition de loi comporte notamment un important volet sur les violences sexistes et sexuelles, qu'il serait particulièrement opportun d'adopter après que plusieurs affaires ont été mises au jour dans le milieu.

Nous suivrons l'avis du rapporteur.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Notre rapporteur a souligné le fait que l'écosystème du financement du cinéma avait globalement été épargné. Il est vrai que les crédits d'impôt ont heureusement été reconduits et que nous avons sanctuarisé le soutien à la création cinématographique au travers de notre proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public.

J'attire votre attention sur le fait que la production française est également financée par les collectivités territoriales, en particulier les régions. À elles seules, elles financent davantage les tournages en région que le CNC. De plus, les collectivités investissent beaucoup dans les cinémas pour les moderniser et maintenir leur activité. L'idée du CNC de consacrer un dispositif aux circuits itinérants vient également des territoires. Aussi, l'effort que ce PLF fait peser sur les collectivités peut affecter indirectement l'écosystème et empêcher les collectivités d'investir autant qu'elles le voudraient.

Par ailleurs, Sylvie Robert a abordé la question des dispositifs d'éducation à l'image. Nous avons interrogé en vain la ministre de l'éducation nationale il y a quinze jours ; je lui ai donc écrit. Nicole Belloubet s'était engagée à trouver des solutions dans le cadre d'une réponse à une question écrite. Pour l'instant, pas de son, pas d'image...

Dans ma région, 30 % d'élèves en moins bénéficieront du dispositif. Dans un temps de difficultés budgétaires, inutile de dire que les collectivités territoriales trouvent une porte ouverte pour ne plus assumer le coût des transports scolaires et des billets de cinéma.

Alors que les États généraux de l'information ont conclu à l'importance de l'éducation à l'image, que peut-on faire pour soutenir celle-ci ?

Enfin, nous devrons nous montrer extrêmement vigilants par rapport au développement de l'intelligence artificielle. L'application du règlement européen sera observée avec attention, car certains points restent en suspens, notamment la question de l'opt-out, évoquée par Sylvie Robert, mais aussi le système des licences. La nouvelle commissaire doit trancher en décidant de revoir, ou non, la directive européenne sur le droit d'auteur.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis. - Nous pouvons nous réjouir des 300 millions d'euros programmés sur « La grande fabrique de l'image », dont 200 millions d'euros sont contractualisés et 77 millions ont déjà été versés.

Je partage la crainte que plusieurs d'entre vous ont exprimée sur la question des crédits d'impôt du cinéma, qui revient chaque année - avec peut-être moins d'insistance cette année. À mon sens, ceux-ci relèvent d'ailleurs davantage de l'investissement public, tant le retour sur investissement est important. Restons vigilants sur le sujet et soyons présents en séance lors de l'examen des crédits de la mission.

En ce qui concerne l'éducation à l'image, je ne peux que déplorer le constat que nous faisons tous. Le président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), Richard Patry, nous a dit souhaiter davantage de souplesse dans le choix des films par le corps enseignant, ce qui ne réglerait pas la question des moyens, mais pourrait faciliter l'accès à la salle de cinéma.

Sonia de La Provôté a évoqué la cinéphilie du public français ; celle-ci est rendue possible par l'éducation à l'image, qui offre aux spectateurs les clés pour apprécier les oeuvres cinématographiques à leur juste valeur. En y renonçant, nous mettons en péril des pans entiers de notre industrie cinématographique.

Toutefois, notre corps enseignant demeure impliqué. J'ai d'ailleurs visité la semaine dernière un lycée marseillais ayant récemment ouvert des filières de préparation aux écoles de cinéma. Il nous faut cultiver cette richesse.

En 2023, la fréquentation des salles de cinéma labellisées « Art et Essai » a atteint un record historique : plus de 70 millions de billets y ont été vendus, ce qui représente 40 % de l'ensemble des billets vendus en France ; leur nombre a progressé de 30 % en dix ans ; elles accueillent 41 % des écrans. Ces salles diffusent des films d'une grande diversité, certains étant plutôt grand public tandis que d'autres sont plus exigeants.

En ce qui concerne le cinéma en zone rurale - qui désigne également les zones urbaines de moins de 20 000 habitants -, il représente 3,2 millions d'entrées annuelles, soit environ 2 % du total. Cela confirme malheureusement la relative concentration des salles : sur les 36 000 communes françaises, moins de 2 000 sont équipées d'une salle ; c'est le cas de seulement 2,8 % des villes de moins de 10 000 habitants. Cela dit, le cinéma demeure un loisir relativement accessible d'un point de vue géographique grâce au maillage territorial efficace.

Nous avons abordé la question des cinémas itinérants dans notre rapport d'information intitulé Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l'avenir. Il en existe une centaine, dont plus de la moitié est classée « art et essai ». En 2019, ces cinémas ont réalisé 1,5 million d'entrées, ce qui est à la fois peu et beaucoup. Cela prouve l'utilité de cette itinérance pour couvrir l'ensemble de notre territoire.

Enfin, en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, j'espère comme vous que notre proposition de loi sera inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Si la ministre s'est montrée évasive lors de son audition, son cabinet m'a rappelé par la suite pour préciser qu'il poussait pour que le texte soit inscrit dans le cadre d'une niche transpartisane. À défaut, le Gouvernement devrait prendre ses responsabilités et l'inscrire dans son espace réservé. Une adoption de cette proposition de loi n'a pas vocation à régler tous les problèmes, mais elle constituerait une grande avancée contre les violences sexistes et sexuelles.

Enfin, les collectivités territoriales jouent effectivement un rôle important dans le financement du cinéma : leur contribution a atteint 77 millions d'euros en 2023. Je partage donc les inquiétudes exprimées. Les collectivités sont prises à la gorge et devront opérer des choix. Nous devrons faire preuve d'une vigilance accrue pour que les régions continuent de soutenir la production cinématographique et que les communes continuent d'investir dans les salles de cinéma.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 22 octobre 2024

- Centre national du cinéma et de l'image animée : M. Olivier HENRARD, directeur général.

- Fédération nationale des cinémas français : M. Richard PATRY, président, M. Erwan ESCOUBET, directeur des affaires réglementaires et institutionnelles.

Jeudi 24 octobre 2024

- Groupe Canal+ : M. Marc BIRSTEIN, directeur adjoint des affaires réglementaires, Mme Amélie MEYNARD, Responsable des affaires publiques.

ANNEXE

Audition de Mme Rachida Dati, ministre de la culture

MARDI 5 NOVEMBRE 2024

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons Mme Rachida Dati, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire de l'automne. Je dis traditionnelle, mais peut-être ne devrais-je pas, car il s'agit pour vous d'une première à ce ministère, dans la mesure où vous avez été nommée le 11 janvier dernier. Madame la ministre, votre vaste domaine de compétences recouvre un champ allant du patrimoine aux jeux vidéo, en passant par le spectacle vivant et le cinéma. Chacun de ces secteurs exprime des attentes fortes, et de nombreux défis d'ampleur sont à relever.

Les crédits de votre ministère s'élèvent à 4,7 milliards d'euros, soit environ 6 % des dépenses du budget général. En y adjoignant les crédits liés à l'audiovisuel public et aux grands opérateurs comme le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), près de 10 milliards d'euros sont consacrés à la culture sous ses différentes expressions. Je donne ces chiffres à titre illustratif, tant la situation peut encore évoluer.

Le ministre des comptes publics a ainsi annoncé que les 10 millions d'euros d'économie prévus sur les radios associatives ne seraient finalement pas prélevés, tandis que les projets d'amendements du Gouvernement font état de 100 millions d'euros d'économies supplémentaires sur les missions « Culture » et « Livre et industries culturelles ». L'audiovisuel public, quant à lui, subirait 50 millions d'euros d'économies, et des ajustements sont attendus sur le programme dédié au patrimoine.

Nous sommes conscients aussi bien de la situation budgétaire de notre pays que des conditions dans lesquelles ce projet de loi de finances (PLF) a été élaboré. Vous pourrez cependant nous aider à y voir plus clair sur les crédits que le Gouvernement souhaite affecter au domaine culturel.

En matière patrimoniale, vous avez fait récemment des propositions remarquées sur le financement du patrimoine religieux et des musées, en préconisant la mise en place d'un droit d'entrée touristique pour la cathédrale Notre-Dame de Paris, et d'une tarification différenciée pour les visiteurs non européens de certains monuments et musées. S'il est vrai que ces pratiques ont déjà cours chez plusieurs de nos proches voisins, leur mise en application au sein de nos frontières pourrait se heurter à plusieurs obstacles. Comment, madame la ministre, avez-vous l'intention de concrétiser ces annonces ?

La commission de la culture poursuit, par ailleurs, ses travaux relatifs aux restitutions d'oeuvres d'art, sujet sur lequel plusieurs de ses membres sont engagés de longue date. À l'occasion d'un récent déplacement en Côte d'Ivoire, nous avons constaté la forte attente des autorités ivoiriennes concernant la restitution du « tambour parleur » Djidji Ayôkwé, à laquelle la France s'est engagée en 2021. Nous avons observé l'investissement opérationnel et financier des autorités ivoiriennes, mais aussi des instances de coopération françaises, afin de préparer son retour dans le cadre d'un projet muséal très abouti. Pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur votre approche de ce dossier ?

Le domaine des industries culturelles, entendu au sens large, appelle également toute votre attention. Vous nous informerez des contours du projet de loi annoncé dans le cadre des États généraux de l'information (EGI), qui devra assurer un subtil équilibre entre les exigences démocratiques liées à l'information et la situation économique des acteurs. Michel Laugier, qui connaît bien les sujets relatifs à la presse, vous interrogera sans doute sur le sujet de France Messagerie, toujours pas réglé après des années d'atermoiements.

En matière de démocratisation culturelle, l'actualité est dominée par votre annonce d'une réforme du pass Culture. Notre commission a toujours considéré que ce dispositif ne pouvait constituer l'alpha et l'oméga de la politique de l'État en la matière. Nous accueillons donc favorablement votre volonté de refonte. Cependant, nous sommes aussi conscients des obstacles opérationnels auxquels celle-ci peut se heurter. À quel stade se trouve aujourd'hui votre projet de réforme ? Comment comptez-vous procéder pour le mener à bien ? Le Parlement y sera-t-il associé ?

Enfin, nous venons d'adopter la proposition de loi organique (PPLO) sur le financement de l'audiovisuel public, qui sera examinée le 19 novembre prochain à l'Assemblée nationale. Nous espérons un vote conforme qui permettrait de réintroduire dans le PLF le compte de concours financier (CCF) « Avances à l'audiovisuel public », transformé dans le texte initial en mission ministérielle. 

Les moyens alloués pour l'audiovisuel public sont en deçà de la trajectoire financière prévue par les projets de contrats d'objectifs et de moyens (COM) des sociétés publiques. Nous nous interrogeons sur la crédibilité de ces contrats dans le contexte budgétaire actuel, et nous nous demandons si votre ministère travaille d'ores et déjà sur des COM révisés, plus réalistes, en fonction des dernières annonces financières ? Ou bien attendez-vous la réforme de la gouvernance que nous appelons de nos voeux ?

Voilà les nombreux sujets sur lesquels nous attendons des précisions. Mes collègues auront sans doute également des questions sur d'autres thèmes. Depuis votre prise de fonction, vous avez bien compris que notre commission était pour vous un allié précieux mais résolument exigeant, qui garde la mémoire tant de ses travaux que de vos annonces.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. - Il arrive parfois, comme je l'avais déclaré lors de ma nomination, que l'on considère le ministère de la culture comme un ministère du loisir. À mes yeux, il s'agit d'un ministère fondamental, pour ne pas dire régalien, qui incarne l'idéal républicain et joue un rôle essentiel pour réduire les inégalités et permettre à l'ensemble de nos concitoyens de prendre part à la vie en société.

Ce budget a été débattu dans un contexte difficile pour nos finances publiques. Une première réduction budgétaire avait été annoncée il y a quelques mois de cela, avant le changement de gouvernement. L'État se doit d'être exemplaire, et le ministère de la culture doit prendre sa part dans les efforts demandés. À ce titre, je me réjouis de défendre devant vous un texte proposant un budget stabilisé à un niveau historique pour le ministère de la culture : 4,45 milliards d'euros. Depuis l'élection du Président de la République en 2017, le budget de la culture a augmenté de plus d'un milliard d'euros. Cela nous permet aujourd'hui de préserver dans tous les secteurs les moyens et l'action du ministère.

Monsieur le président, je tiens à vous remercier. Comme vous l'avez précisé dans votre introduction, vous êtes pour moi un soutien précieux et vous avez la mémoire de tout ; en espérant que ce soit toujours le cas, afin que les engagements puissent être tenus.

Je commence mon tour d'horizon par la mission « Culture ». Dans le secteur de la création artistique, les crédits de paiement (CP) s'élèvent à 1,041 milliard d'euros, dont plus de la moitié - 550 millions d'euros environ - sera consacrée au secteur subventionné en région. Lors des annulations de crédits en février dernier, j'avais indiqué que pas un euro ne manquerait au spectacle vivant dans les territoires, et cela a été le cas. L'État a répondu présent pour soutenir ces structures avec des crédits consacrés au spectacle vivant, hors opérateurs nationaux, en hausse de 45 millions d'euros entre 2022 et 2024, dont près de 9 millions d'euros en 2024 dans le cadre du plan « Mieux produire, mieux diffuser ».

Après une première année, le bilan est très positif. Aux 9 millions d'euros du ministère de la culture s'est ajoutée la participation à hauteur de 12,5 millions d'euros des collectivités. Le partenariat entre l'État et les collectivités est donc encourageant. Ce plan a fait naître de nombreux projets créatifs, et nous allons poursuivre notre double effort collectif : mieux produire, avec des mutualisations à opérer afin de maîtriser les coûts de production ; et mieux diffuser, notamment avec des séries plus longues.

L'objectif de mieux travailler avec les élus et les collectivités s'incarne pleinement dans les contrats territoriaux d'éducation artistique et culturelle (CTEAC) dont je suis à l'initiative. Le premier contrat a été signé dans le département de la Charente-Maritime il y a quelques semaines. Je tiens à valoriser le travail remarquable effectué par les collectivités en leur donnant de la visibilité, mais aussi en les incitant à s'engager aux côtés de l'État et des acteurs culturels.

En toute transparence, l'État ne pourra pas améliorer seul la situation financière du spectacle vivant. Ces dernières années, la seule réponse est venue de l'État, qui n'a cessé d'augmenter le niveau de financement de son soutien. Dans un contexte difficile, je sauvegarde le budget dédié à la création artistique, mais cette mobilisation de l'État ne suffira pas.

Il s'agit à la fois de convaincre les collectivités de poursuivre leur engagement et d'inciter le secteur à réfléchir aux leviers à sa disposition ; je pense notamment à la politique tarifaire. Je reste attachée à des prix bas pour certains publics, mais nous devons mener une réflexion globale sur le modèle économique du spectacle vivant, sans quoi ce modèle sera menacé. Cet été, j'ai reçu l'ensemble des représentants du spectacle vivant afin de pouvoir avancer sur ces questions. Encore une fois, l'État va continuer de prendre toute sa part, mais il ne peut être le seul à assumer ses responsabilités. Je sais que le sujet est essentiel pour le Sénat, et je remercie Karine Daniel pour sa compétence et sa vigilance sur le sujet.

Enfin, les moyens dédiés aux festivals sont également reconduits à hauteur de 32 millions d'euros.

La démocratisation culturelle et l'accès aux métiers de la culture constituent une priorité de ma politique, avec un budget s'élevant à 807 millions d'euros. Nous ferons en sorte, dans la suite des discussions, de ne renoncer à aucun dispositif. Je souhaite évoquer ici la réforme du pass Culture. Comme je l'ai exprimé lors de ma première audition, ce pass Culture me semblait favoriser la reproduction sociale, notamment pour ce qui concerne la part individuelle. Les publics qui en avaient le plus besoin n'étaient pas touchés, comme cela m'a été confirmé par une mission de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et par un rapport de la Cour des comptes.

Le pass Culture doit être un instrument pour faire accéder à la culture ceux qui en sont les plus éloignés, notamment en milieu rural - c'est tout le sens du plan Culture et Ruralité - et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville où, trop souvent, ce dispositif est dévoyé en n'étant qu'un simple instrument de consommation culturelle.

La part individuelle du pass Culture sera réformée en profondeur. Florence Philbert, en sa qualité de directrice générale des médias et des industries culturelles (MIC), aura pour mission de suivre l'évolution de cette réforme à partir des cinq orientations suivantes : une prise en compte des conditions de ressources des jeunes éligibles au pass ; une part réservée au spectacle vivant, ce qui n'était pas le cas jusque-là ; une meilleure articulation entre la part collective, qui bénéficie à 90 % à des enfants accédant pour la première fois à la culture ou à un équipement culturel, et la part individuelle, qui intervient plus tard ; une meilleure éditorialisation et médiation pour davantage intéresser les publics, les spectacles proposés relevant trop du listing ; et enfin, de nouvelles fonctionnalités ouvertes à un large public - je pense notamment à la géolocalisation.

J'ai diligenté deux missions afin d'assurer ces nouveaux développements sans mettre en danger le secteur du livre. En effet, le pass Culture a été beaucoup utilisé dans les librairies, non seulement pour les mangas mais aussi pour l'achat de livres nécessaires aux études supérieures. Il convient donc de ne pas se priver d'un tel accès à la culture, qui apporte par ailleurs un soutien au réseau des librairies indépendantes.

J'ai fait évoluer l'application avec de nouvelles fonctionnalités comme la géolocalisation. Pour d'autres fonctionnalités, nous avons lancé une expérimentation dans la région Grand Est ; un retour d'expérience devrait intervenir rapidement.

Certains diront que cette réforme entérine des économies, mais je ne vois pas les choses ainsi. Elle vise une meilleure utilisation des deniers publics pour un plus large accès à la culture, notamment pour ceux qui en sont éloignés.

Le 11 juillet dernier, j'ai lancé le plan Culture et Ruralité. Financé pour les trois prochaines années, il dispose dès cette année d'une enveloppe de 34 millions d'euros. La ruralité concerne 22 millions d'habitants, soit un tiers de la population française, et je tiens à ce que celle-ci ne soit pas un impensé de nos politiques culturelles. On retrouve le financement de ce plan dans le budget 2025, avec 14 millions d'euros qui s'ajoutent aux 20 millions mobilisables dès maintenant, et sans doute un complément à venir que je vous détaillerai ultérieurement.

Comme je l'avais déjà exprimé lors de ma première audition devant votre commission, le patrimoine est une autre priorité très claire ; je sais que Sabine Drexler est très engagée sur ce sujet. Dans le texte initial, les crédits connaissaient une légère augmentation pour un total annuel de 1,2 milliard d'euros. Avec ce budget, nous nous donnons les moyens de poursuivre les grands chantiers déjà lancés. Il s'agit, le plus souvent, d'un enjeu de sécurité et de remise aux normes après un drame, comme pour la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes qui va bénéficier d'un financement de 6 millions d'euros. Nous financerons également l'extension du site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, avec un investissement à hauteur de 17,7 millions d'euros.

Un sujet concerne le Centre Pompidou. Celui-ci n'avait fait l'objet d'aucune restauration d'ampleur depuis son ouverture en 1977, et les travaux représentent un coût de 29 millions d'euros pour le ministère l'année prochaine.

Parmi les autres projets importants pour la revitalisation de nos territoires, on peut évoquer la restauration de l'abbaye-prison de Clairvaux pour 14,3 millions d'euros, ou encore le programme de valorisation du château de Gaillon en Normandie pour 4,3 millions d'euros. La seule sécurisation du site de Clairvaux requiert 3 millions d'euros par an.

Le budget consacré à la restauration des monuments historiques connaît une baisse. Il s'agit d'un point d'inquiétude sur lequel je reviendrai à la fin de mon propos. Les besoins de notre patrimoine, déjà importants, sont aggravés par l'inflation et le « mur d'investissements » auquel nous faisons face avec un budget à son plus haut niveau historique. Mais nous ne sommes pas en mesure de répondre à une situation elle-même exceptionnelle.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », je souhaite poursuivre l'accompagnement des acteurs d'un secteur en pleine mutation. Je sais que votre commission suit cela de près. Au coeur des grandes mutations numériques, les industries culturelles françaises ont plus que jamais besoin de notre soutien en faveur de la diversité, du renouvellement et de la création.

Je remercie Jérémy Bacchi pour son travail sur le cinéma. La pertinence de nos modalités de soutien au cinéma a été reconnue, puisque les taxes du CNC ne seront pas plafonnées ; cela a été notre crainte, et ce ne sera pas le cas. Notre opérateur disposera donc de la totalité de ses moyens opérationnels, soit environ 780 millions d'euros en 2025. Ce budget, alimenté par une surfiscalité prélevée sur les entreprises du secteur, notamment les plateformes américaines, permettra de financer des mesures en faveur de la diffusion, comme j'ai pu l'annoncer dernièrement à Lyon.

Je me réjouis également que ce texte préserve les différents crédits d'impôt pour le cinéma, l'audiovisuel, les tournages internationaux ou encore les jeux vidéo, dans un contexte de compétition fiscale internationale. Après évaluation, il s'avère que ces crédits rapportent 6 à 7 euros d'activité en France pour 1 euro de dépense fiscale.

Concernant le secteur du jeu vidéo, quelque 200 studios ont bénéficié du crédit d'impôt, ce qui a permis à notre industrie de retrouver sa croissance. En dix ans, le chiffre d'affaires a plus que doublé, et le nombre d'emplois est passé de 3 500 en 2010 à 14 000 aujourd'hui.

C'est un enjeu de cohérence de nos politiques ; on ne peut pas, dans le cadre du plan France 2030, investir 300 millions d'euros dans nos studios et nos écoles pour les vider ensuite en provoquant la délocalisation des tournages. Des studios et des lieux de tournage ont ainsi bénéficié de cet engagement. Pour exemple, le dernier film de Jacques Audiard, dont l'action se déroule en Amérique du Sud, a été tourné en studio en région parisienne.

Je salue le travail de Michel Laugier concernant la presse et les médias. L'État maintient son soutien de 365,7 millions d'euros et préserve les crédits de 26 millions d'euros alloués au pluralisme, ainsi que le fonds de soutien aux médias d'information sociale de proximité. Sur le sujet des radios associatives, j'ai reçu l'ensemble des représentants et je leur ai indiqué que l'on trouverait une solution ; c'est le cas, notamment concernant la baisse de 10 millions d'euros. Nous avons obtenu du ministre en charge des comptes publics qu'un amendement du Gouvernement puisse corriger cela dans le courant de la discussion de la loi de finances.

Sur le sujet de l'audiovisuel public, je sais pouvoir compter sur la vigilance de Cédric Vial. Comme vous le savez, avant la dissolution de la précédente Assemblée nationale, je soutenais une réforme ambitieuse, fondée sur votre proposition de loi, monsieur le président. Les raisons qui motivaient cette réforme n'ont pas disparu, et mon constat reste le même. En revanche, nous devons prendre en compte le nouveau contexte politique. Je reste à l'écoute de toutes les sensibilités pour avancer non seulement sur le mode de financement mais aussi sur la gouvernance.

Le financement de l'audiovisuel est prévu dans le cadre du budget général. Je souhaite toutefois que ce texte initial soit amendé avant la fin de l'année, afin d'éviter une budgétisation. L'objectif est d'assurer la pérennité et la prévisibilité du financement du secteur. Grâce au vote de la proposition de loi organique (PPLO) des sénateurs Vial, Morin-Desailly, Karoutchi, Lafon et Hugonet, une première partie du chemin a été effectuée. Cette réforme du financement, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, est liée à celle de la gouvernance.

Concernant le budget de l'audiovisuel public, une mesure d'économie par rapport à 2024, de l'ordre de 50 millions d'euros, va être mise en oeuvre. Cela ne manquera pas de susciter des passions. Mais après avoir étudié le sujet avec les acteurs du secteur, je suis convaincue que nous pouvons y arriver. Il convient pour cela de travailler ensemble et en toute transparence.

Avant de conclure, je souhaite revenir sur le sujet du patrimoine. Dans certains endroits du territoire, les monuments historiques constituent le premier accès à la culture, et c'est pourquoi nous avons fait en sorte dans ce budget, comme pour chacun des volets de notre politique culturelle, de préserver l'essentiel. Nous connaissons cependant actuellement une situation exceptionnelle. L'état de notre patrimoine est alarmant, et sa dégradation s'avère extrêmement rapide : notre pays compte 45 000 monuments historiques et, parmi eux, 20 % se trouvent en mauvais état et 5 % en état de péril. Cela signifie que plus de 2 000 monuments risquent de disparaître dans les prochains mois ; voilà la réalité.

Je suis particulièrement attachée au patrimoine religieux ; il ne s'agit pas d'une affaire cultuelle ou confessionnelle, mais d'un enjeu culturel, et davantage encore. À l'heure où l'on se demande comment intéresser notre jeunesse à ce qui fonde une Nation, nous devrions tous nous battre pour défendre un tel patrimoine. On a vu également la mobilisation pour Notre-Dame de Paris après l'incendie. Sur les 15 000 édifices religieux protégés au titre des monuments historiques, 4 000 sont actuellement en danger. Le plus souvent, ils sont localisés dans des zones rurales, loin de toute attention médiatique. Je le redis : cela n'est pas acceptable.

À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, dans la continuité de l'effort porté par le Président de la République qui a notamment permis de reconstruire Notre-Dame de Paris en cinq ans et de lancer le loto du patrimoine : à mon initiative, le Gouvernement va présenter un amendement qui ajoutera 300 millions d'euros en autorisations d'engagement et 200 millions d'euros en crédits de paiement au budget du ministère de la culture en 2025, afin de répondre à cette urgence patrimoniale. Cela n'était pas encore acquis après mon audition à l'Assemblée nationale ; aujourd'hui, la décision est prise.

Le PLF pour 2025 prévoit un budget historique pour notre patrimoine, avec 7 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'an passé. Mais le chiffre s'avère en trompe-l'oeil, car le « mur d'investissements » est devant nous. Avec cet amendement, nous changeons la donne et faisons du patrimoine la grande priorité du Gouvernement. C'est un enjeu de cohésion nationale, et cela a beaucoup de sens que le ministère de la culture porte un tel projet. Dans un pays divisé, le patrimoine renvoie à l'essentiel, il est ce qui peut nous rassembler. Un pays qui ne s'engage pas pour son patrimoine ne se préoccupe pas de son avenir.

Pour le moment, nous n'avons effectué aucun fléchage précis de ces crédits supplémentaires ; nous prendrons le temps de réfléchir à leur répartition. Seront en tous cas concernés en premier lieu les monuments historiques dans tous nos territoires, et en particulier dans la ruralité. Les trois priorités de ma politique sont l'accès à la culture, le souci de la ruralité et le patrimoine. Cet amendement permettra notamment un effort supplémentaire de 55 millions d'euros pour les monuments historiques en région, en plus de ce que prévoyait déjà le budget 2025. À cela s'ajoute une enveloppe de 23 millions d'euros pour les musées dans les territoires, avec une attention spécifique - à hauteur de 8 millions d'euros - pour les petits musées qui fonctionnent souvent avec les moyens du bord et méritent beaucoup plus d'attention. Dans les communes rurales, ces petits musées s'avèrent souvent des lieux culturels beaucoup plus larges, de même que les librairies.

D'autres équipements en région, comme les centres de conservation et d'études archéologiques (CCEA), maillons essentiels de notre politique archéologique, vont recevoir des financements attendus depuis des années.

Depuis ma prise de fonction, je me suis efforcée de reconnaître le rôle primordial des collectivités. Rapidement, j'ai réuni le Conseil national des territoires pour la culture (CTC), qui porte les deux tiers de la dépense culturelle dans notre pays, tout en renforçant l'exemplarité du rôle de l'État. Aujourd'hui plus que jamais, l'État et les collectivités doivent avancer ensemble aux côtés des acteurs culturels.

Au-delà des investissements majeurs et nécessaires pour nos territoires, le Gouvernement aura une attention particulière pour les besoins les plus impérieux de nos grands établissements. Le Centre Pompidou s'avère, à ce titre, un exemple édifiant ; quand on entretient mal un monument emblématique pendant 40 ans, on en paye le prix à un moment donné. Alors que le budget pour 2025 intégrait la prise en charge des travaux du Centre Pompidou, plusieurs établissements majeurs se trouvaient confrontés à une année blanche en matière de financement de leurs investissements. La situation s'avérait problématique, notamment pour le château et domaine de Versailles qui a entamé il y a plusieurs années une démarche vertueuse de schéma directeur afin de planifier ses besoins de restauration et de remise aux normes. Aussi, pour le château et le domaine de Versailles, mais aussi pour ceux de Fontainebleau et Chambord, ainsi que pour le mobilier national, le palais de la Porte-Dorée et d'autres établissements encore - nous sommes en train d'établir la liste -, cet amendement permettra d'être à la hauteur de la situation.

Les besoins d'investissement concernent l'ensemble des champs du ministère. Un théâtre ou un conservatoire à moderniser constituent un patrimoine à l'adresse des générations futures. Cet amendement en tiendra compte. J'aurai une attention particulière pour la filière liée à la sauvegarde de notre patrimoine ; je pense à ces petites entreprises qui ont fait de la restauration des monuments un savoir-faire d'exception, que le monde entier nous envie. Au moment où s'achève le chantier de Notre-Dame de Paris, il était normal que nous offrions d'autres perspectives à cette filière, alors que les besoins sont criants.

Je voulais vous annoncer le principe de cet amendement en souhaitant que la représentation nationale soutienne le Gouvernement dans cet effort sans précédent. Là encore, l'État ne pourra subvenir seul aux besoins du patrimoine au cours des prochaines années. C'est la raison pour laquelle, en complément de cet effort, j'ai proposé plusieurs pistes : la tarification de l'entrée de Notre-Dame de Paris, qui pourrait dégager 75 millions d'euros afin de financer la restauration de l'ensemble du patrimoine religieux en région ; ou encore des tarifs différenciés au sein des grands opérateurs recevant plus de 60 % de publics étrangers.

Ces pratiques existent ailleurs, et nous devons les examiner avec lucidité pour faire face aux besoins de notre patrimoine. Pour récupérer ces fonds, nous n'avons notamment pas besoin, comme j'ai pu l'entendre, de remettre en cause la loi de 1905. Je suis à votre disposition pour les questions.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, merci pour ces annonces et notamment pour ces 300 millions d'euros de crédits supplémentaires en faveur du patrimoine. Si vous faites des annonces de ce type chaque fois que vous venez au Sénat, nous vous réinviterons plus souvent !

M. Cédric Vial, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public. - Ma première question porte sur l'effort supplémentaire demandé aux sociétés audiovisuelles publiques, qui représente environ 50 millions d'euros. Cette somme correspond à 1,5 % du budget des sociétés audiovisuelles publiques. L'effort peut être soutenable si la répartition s'établit correctement et si les discussions avec les organismes publics sont bien menées. Avez-vous aujourd'hui une idée de la répartition de cette somme entre les différents organismes ? Concernant France Télévisions, par exemple, l'effort portera-t-il sur les programmes, sachant qu'il faudrait alors revoir certains engagements pris par le groupe, ou bien sur les fonctions support ? Irez-vous jusqu'à ce degré de détail, ou indiquerez-vous seulement un montant d'économies à réaliser ?

Je souhaite également évoquer les COM. Nous devons rendre un avis la semaine prochaine sur le sujet. De ces COM il ne reste plus que le principe d'un contrat, car les objectifs ne sont plus atteignables, et les moyens ne sont plus disponibles. Je m'interroge donc sur l'avenir de ces COM. Madame la ministre, souhaitez-vous vraiment entendre notre avis la semaine prochaine ? Ou ces COM seront-ils prochainement modifiés ?

Les crédits de transformation sont, à ce stade, toujours prévus dans le budget. Selon la loi de 1986, le Parlement vote les montants et affecte les crédits aux sociétés publiques. Ces crédits, aujourd'hui, ne sont pas affectés à chaque société publique. Si la PPLO était votée par l'Assemblée nationale, il serait judicieux que les crédits de transformation soient réintégrés à la dotation de chaque organisme de l'audiovisuel public.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse. - Je vous remercie d'avoir trouvé une solution concernant les 10 millions d'euros pour les radios associatives. Allez-vous en profiter pour lancer une réforme des procédures d'attribution ? À mon sens, ce serait opportun.

Lors de votre précédente audition, vous vous étiez engagée à lancer le chantier des aides à la presse. Je comprends que la dissolution ait pu constituer un frein à cette réforme. Comptez-vous toutefois avancer dans le sens souhaité aussi bien par la commission que par les conclusions des EGI, demandant une plus grande conditionnalité de ces aides ?

La dissolution de l'Assemblée nationale a également décalé le rendu des travaux confiés à Sébastien Soriano sur les suites à donner au rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) sur la distribution de la presse. Ce dossier, crucial pour le secteur, trouvera-t-il enfin sa conclusion en 2025 ? Le prélèvement de 9 millions d'euros sur les crédits dédiés à la modernisation de la presse devait s'achever en 2022, puis 2024, mais celui-ci figure toujours dans le PLF pour 2025...

Le débat sur la proposition de loi de Sylvie Robert a souligné la nécessité d'une réflexion autour de l'évolution de la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins. Le texte annoncé lors des EGI sera-t-il l'occasion de revenir sur cette loi, notamment pour mieux définir les titres éligibles ?

Enfin, même si ces crédits ne figurent pas tout à fait dans le périmètre du programme, je constate que le projet de Maison du dessin de presse, annoncé par le Président de la République en janvier 2020, est au point mort. Aucune dotation n'est prévue. Ce projet est-il abandonné, retardé ou revu à la baisse ?

Mme Karine Daniel, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture. - Vous avez fait du renforcement des services publics culturels en milieu rural un des axes majeurs de votre politique. Parmi les 23 mesures annoncées, trois concernent plus particulièrement le secteur de la création : l'aide à l'embauche temporaire d'artistes par les mairies, les associations et les cafés ; le soutien aux festivals en ruralité ; et le développement du réseau des artothèques. Vous avez évoqué les crédits de manière globale. Pouvez-vous nous indiquer les modalités de mise en oeuvre pour chacune de ces mesures ?

Concernant le plan Culture et Ruralité, vous avez évoqué la question des tiers lieux, dont 34 % se situent en milieu rural. Où en sommes-nous sur ce sujet très attendu dans les communes rurales ?

Pour la mise en oeuvre de ce plan Culture et Ruralité, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) sont en première ligne. Or, nous observons aujourd'hui une certaine dévitalisation des Drac. Se pose donc la question de la gestion déconcentrée de ces crédits. De façon prosaïque, cela peut consister à mettre de l'essence dans les voitures pour aller voir les opérateurs dans les territoires. De nombreux retours invitent à une meilleure décentralisation ; je pense, par exemple, à la gouvernance du plan « Mieux produire, mieux diffuser » et à son articulation avec les collectivités territoriales.

Dans ce PLF pour 2025, les collectivités subissent d'importantes coupes budgétaires ; annoncées à 5 milliards d'euros, nous les évaluons plutôt à 10 milliards. Elles ne seront pas sans conséquence sur les projets culturels, les investissements et le fonctionnement.

Je souhaite également revenir sur le sujet de la filière musicale. La semaine dernière, le président du Centre national de la musique (CNM) a dressé un tableau contrasté. Malgré de beaux succès, une partie de la filière connaît des difficultés, avec notamment un problème de viabilité économique des salles. On a évoqué les scènes de musiques actuelles (Smac), d'autres salles connaissent des difficultés ; j'ai une pensée particulière pour les personnels et les bénévoles de trois salles qui ont fermé : l'Entonnoir à Besançon, l'Arrosoir à Chalon-sur-Saône et la Péniche Cancale à Dijon. De son côté, le K'fé Quoi à Forcalquier a pu être repris, mais sur un format plus restreint.

Je laisse Sonia de La Provôté évoquer le sujet des festivals. Nous aurons également un point d'attention sur le sujet de l'enseignement supérieur artistique, notamment dans les écoles d'art territoriales.

Où en est le plan global de réforme que vous aviez annoncé en mars dernier, à la suite du diagnostic confié à l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et à la direction générale de la création artistique (DGCA) ?

Du reste, le pass Culture retiendra toute notre attention lors de l'examen du budget. Nous organiserons une table ronde consacrée à ce sujet avec l'ensemble des parties prenantes au dispositif.

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - Votre plan en faveur de la ruralité suscite de fortes attentes dans les territoires. Je me félicite que vous y associiez la mise en valeur du patrimoine de nos campagnes, y compris religieux. Ce patrimoine souvent modeste et parfois ignoré n'en demeure pas moins constitutif de nos paysages.

Comme chaque année, nos auditions budgétaires soulèvent des questions sur les critères d'éligibilité aux dispositifs fiscaux profitant au patrimoine, notamment le dispositif Malraux. Celui-ci semble créer des effets d'aubaine et, dans certains cas, il encourage la spéculation immobilière dans les centres anciens déjà très attractifs, où la valeur de revente des immeubles réhabilités couvre largement les frais engagés. Cette situation est d'autant plus préoccupante que le contexte budgétaire exige une rigueur accrue dans l'évaluation de l'efficacité des mesures financées par des fonds publics. Travaillez-vous actuellement à améliorer le ciblage de ce dispositif ?

Nous le savons, le diagnostic de performance énergétique (DPE) n'est pas adapté aux spécificités du bâti patrimonial ancien. L'ajustement de sa méthodologie serait nécessaire pour permettre une évaluation plus juste de la performance énergétique. Bien que la prise de conscience progresse sur ce point, le DPE continue d'inquiéter, car il a de lourdes conséquences sur les possibilités de mise en location, sur la valeur marchande des biens et, même aujourd'hui, sur la possibilité pour les propriétaires d'obtenir des prêts pour leurs travaux de rénovation. Le temps presse : les effets néfastes et non anticipés du DPE sont déjà visibles. Dans ce contexte, pourriez-vous préciser le contenu des annonces faites par le Premier ministre et votre ministère pour assurer l'adaptation du DPE au bâti patrimonial ancien ?

Il est aujourd'hui nécessaire de s'inquiéter du sort réservé au bâti vernaculaire, qui ne fait l'objet d'aucune protection alors qu'il participe à l'attractivité de nos régions, surtout les plus reculées. Ce patrimoine, parfois méconnu mais si riche, dit tant de choses sur notre pays. Pourtant
- j'insiste -, il est menacé par des rénovations inadaptées et des destructions qui s'accélèrent. Pour faire obstacle à ce saccage patrimonial, il est urgent de réfléchir collectivement aux moyens d'assurer son identification, voire de réaliser son inventaire complet, afin qu'il figure dans les documents d'urbanisme. Il en va ainsi en matière de protection de la biodiversité : chaque particularité floristique ou faunistique est prise en compte pour favoriser une urbanisation durable et respectueuse. Envisagez-vous d'identifier et d'inventorier ce patrimoine ?

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma. - Je me réjouis que le budget du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ait été finalement épargné par les mesures d'économie, en dépit d'un prélèvement de 450 millions d'euros sur ses réserves, cette somme étant destinée à couvrir des engagements comptables.

Le 14 février dernier, le Sénat a adopté l'ambitieuse proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France. Savez-vous si elle pourra être inscrite rapidement à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale ? Je rappelle qu'elle contient des dispositions précieuses pour sanctionner les producteurs qui ne lutteraient pas efficacement contre les violences sexistes et sexuelles sur les plateaux de tournage.

Par ailleurs, la directive sur les médias audiovisuels (SMA) doit être réexaminée par la Commission européenne en 2025. Cela nécessitera un fort engagement de la part de la France. Dans ce contexte, il serait très utile qu'un président du CNC puisse être rapidement nommé ; la vacance de poste depuis juin dernier peut se révéler très pénalisante. Avez-vous des informations à nous communiquer sur ce sujet ?

Enfin, le 25 septembre dernier, l'Autorité de la concurrence s'est saisie « d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la télévision payante et de l'acquisition d'oeuvres cinématographiques ». De sa décision dépend, en réalité, tout l'équilibre de la chronologie des médias, pilier du financement de notre cinéma. Quelles options ont été mises sur la table et comptez-vous vous associer à cette procédure ?

Mme Sonia de La Provôté. - La programmation, le calendrier et l'attractivité des festivals de l'été dernier ont été parasités par les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris et la phase électorale qui a suivi la dissolution de l'Assemblée nationale.

Finalement, selon les syndicats et les professionnels du milieu, la fréquentation a été plutôt bonne. Pourtant, le bilan budgétaire de ces festivals est plutôt mauvais, voire moins bon que celui de l'année dernière, ce pour plusieurs raisons.

D'abord, l'inflation a affecté les frais de déplacement des artistes, entre autres. Ensuite, l'application des réglementations environnementales est complexe et coûteuse. Résultat : à la fin de l'été, 50 % des festivals étaient en situation déficitaire - le déficit moyen oscillant entre 75 000 et 100 000 euros - et 14 % d'entre eux annonçaient ne pas pouvoir se dérouler l'année prochaine.

Le modèle économique des festivals est un vrai sujet. À cet égard, nous avions alerté le Gouvernement sur la nécessité de maintenir et de faire évoluer le fonds festival, compte tenu des besoins nouveaux et de cette période particulière où les contraintes s'accumulent.

Le ministère envisage-t-il d'évaluer la situation actuelle ? Il conviendrait d'abonder le fonds festival, vu l'aggravation des besoins ces dernières années. Voir disparaître les festivals, c'est voir disparaître l'accès à la culture dans tous les territoires.

Mme Rachida Dati, ministre. - Nous souhaitons revoir les contrats d'objectifs et de moyens de l'audiovisuel public tout en maintenant trois priorités : la proximité, le numérique et la jeunesse, la qualité de l'information. D'ailleurs, ce sont elles qui motivent la réforme de la gouvernance. Pour rappel, lorsque le président Lafon et moi-même avions discuté de la création d'une holding, voire d'une fusion de l'audiovisuel public, c'était en maintenant ces trois priorités.

Nous aimerions trouver un créneau à l'Assemblée nationale pour discuter d'une réforme de la gouvernance, afin de mener en parallèle la réforme du financement et celle de la gouvernance, mais l'incertitude demeure.

Lors de l'examen de la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public, j'ai indiqué que les crédits de transformation devaient être intégrés aux dotations de base des sociétés.

Vous m'avez interrogé sur la répartition des 50 millions d'euros d'économies demandées à l'audiovisuel public : France Télévisions en assumera la plus grande part, à hauteur de 10 millions d'euros de plus.

Le budget de la culture est compris entre 8 milliards et 9 milliards d'euros, la moitié étant réservée aux sociétés de l'audiovisuel public. Dès lors, les économies qui leur sont demandées sont inférieures à leur poids dans ce budget.

In fine, c'est bien au Parlement qu'il reviendra de décider des affectations de crédits et des mesures d'économie. Nous pourrons en discuter ensemble, ainsi qu'avec les sociétés concernées.

M. Cédric Vial. - Allez-vous indiquer aux sociétés de l'audiovisuel public les domaines dans lesquels elles doivent réaliser des coupes budgétaires ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Pour tout vous dire, nous en discutons toujours. Je ne veux pas imposer des mesures dont la mise en oeuvre serait difficile : je préfère la concertation. En effet, les économies doivent être les plus consensuelles possible, surtout qu'elles ont été annoncées tardivement.

Quelques mots sur les droits voisins, qui sont un sujet autant national qu'européen. Nous souhaitons traduire législativement les conclusions des États généraux de l'information, qui sont d'une très grande qualité, en identifiant les titres concernés.

Dans le même esprit, nous pourrions compléter ou renforcer la protection du secret des sources des journalistes, dans la continuité de la loi du 4 janvier 2010 que j'avais défendue en tant que garde des Sceaux.

Par ailleurs, la situation de France Messagerie demeure fragile. Aussi, j'ai demandé que la mission Soriano sur la distribution de la presse, interrompue par la dissolution de l'Assemblée nationale, soit relancée. En attendant qu'elle rende ses conclusions, nous avons maintenu l'aide à la distribution au même niveau qu'auparavant.

M. Laurent Lafon, président. - Quid du projet de création d'une Maison du dessin de presse ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Je suis en train de négocier les aspects budgétaires. Pour les journalistes, notamment, la maison du dessin de presse n'a de sens que si elle permet d'exposer des caricatures. Sur ce point, les discussions ont été vives.

En tant que ministre de la culture, je considère que l'engagement pris pour la création de cette institution doit être tenu. Encore faut-il trouver des financements. Il est par ailleurs nécessaire de tenir compte des enjeux de sécurité.

Je suis prête à discuter du contrôle sur les attributions de fréquences et à revoir les critères. Toutefois, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) accomplit déjà très bien ses missions.

Par ailleurs, ce serait une très bonne chose d'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France. Or, pour l'heure, il n'y a pas de fenêtre d'inscription. Ainsi, le Gouvernement prendra ses responsabilités : dans la mesure où cette proposition de loi contient des dispositions très intéressantes, nous pourrons les reprendre à notre compte dans un projet de loi.

La chronologie des médias est fixée non plus pour cinq ans, mais pour trois ans. Les acteurs se plaignent de devoir procéder à des renégociations en permanence, le nouveau délai impliquant de discuter de la chronologie seulement dix-huit mois après qu'elle a été fixée. En réalité, c'est un débat de nature législative. Doit-on maintenir ce délai ? La chronologie convient-elle bien à tout le monde aujourd'hui ? Certains acteurs apprécient de mener des renégociations sur un temps court, compte tenu de l'évolution du paysage cinématographique. D'autres préfèrent une chronologie plus longue, pour disposer de suffisamment de retours et de bilans.

Depuis mon entrée en fonction, j'ai découvert le sens de l'anticipation et l'énergie dont font preuve tous les agents du CNC. Cette institution accomplit un excellent travail, avec des résultats assez spectaculaires, ne serait-ce que sur la dernière année.

Je vous renvoie au bilan du cinéma sur l'attractivité de l'économie française : le CNC fonctionne très bien et doit fonctionner encore mieux. D'où la nécessité de procéder à la nomination de son président, ce qui ne saurait tarder.

Parlons des festivals. Aujourd'hui, il en existe partout en France, dans les communes de 600 habitants comme dans celles qui en comptent 1 million. Il existe des divergences quant aux financements, aux partenaires et aux thématiques, mais les festivals font tous l'objet du même engouement. Ils garantissent un véritable accès à la culture puisqu'ils sont souvent gratuits.

Notre plan en faveur de la ruralité, d'un montant de 100 millions d'euros sur trois ans, permettra de financer de façon pérenne les festivals. Plus de 200 événements festifs seront déclinés : festivals, « villages en fête », fanfares, etc. Chaque territoire utilisera les fonds alloués pour organiser ces événements comme il le souhaite.

En outre, 200 résidences d'artistes seront organisées. En ce domaine, il y a eu une forte demande, puisqu'il est question de la mobilité des artistes dans les zones rurales.

Quant au CNC, il soutiendra près de 150 circuits itinérants. Du reste, les artothèques seront comprises dans les financements.

Les tiers-lieux ont également été intégrés au plan en faveur de la ruralité, avec un développement d'ampleur. Ils sont essentiels en ce qu'ils permettent de transformer les bâtis patrimoniaux rénovés mais non utilisés en lieux d'exposition, de projection, de rencontres ou de débats.

J'ai mobilisé des moyens beaucoup plus importants pour les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), qui sont très utiles en zone rurale.

Bref, notre plan comporte des mesures pour chaque secteur de la culture : cinéma, festivals, patrimoine, événements festifs, résidences d'artistes, etc.

L'éducation artistique et culturelle (EAC) en fait aussi partie. Je serai honnête avec vous : même si nous finançons des associations, des artistes et des formations, il n'y a pas de ligne politique en ce domaine. Je serais donc bien en peine de dresser le bilan de l'EAC. Je peux vous indiquer les montants que nous y avons alloués, mais je ne saurais vous dire quels volets ont été développés, pour quels objectifs

L'EAC est désormais de plus en plus intégrée aux programmes pédagogiques. La part collective du pass Culture y participe. J'ai ainsi été particulièrement émue de voir des enfants découvrir des oeuvres alors qu'ils n'avaient jamais mis les pieds dans un musée, même si celui-ci est situé à 40 mètres de leur domicile. L'articulation de la part collective et de la part individuelle du pass Culture est donc essentielle pour accompagner le cheminement des jeunes vers la culture.

Par ailleurs, le ministère de l'éducation nationale considère que l'EAC relève davantage du ministère de la culture, si bien que nous n'avons pas la même ligne en la matière. Il conviendrait de définir une politique publique cohérente à destination des enfants.

En résumé, les crédits alloués par le ministère en faveur de l'EAC ne sont pas négligeables. Il reste à définir une politique cohérente, faute de quoi nous serons condamnés à faire du saupoudrage via la distribution de subventions. On ne peut pas parler d'accès à la culture sans indiquer, au préalable, à quoi sert la politique que nous conduisons. L'EAC est une noble mission : elle doit avoir un sens et c'est ensemble que nous devons la bâtir.

Autre sujet : nous sommes en train de revoir les dispositifs fiscaux applicables au patrimoine en raison d'effets d'aubaine, voire d'effets de rente. Nous souhaitons également faciliter la tâche des propriétaires privés qui possèdent un patrimoine historique : cela leur coûte très cher d'entretenir ou de rénover leur bien, alors même qu'ils permettent au public d'y accéder. Nous travaillons donc à réduire certains dispositifs fiscaux et à en amplifier d'autres. En ce qui concerne en particulier le dispositif Malraux, nous pouvons unifier le taux de réduction d'impôts, mais aussi rehausser le taux pour les immeubles en site patrimonial qui sont insalubres ou en ruines. Nous souhaitons le rehausser à 50 %, à la condition que des travaux de rénovation énergétique soient menés. Sur ce sujet, je n'ai pas gagné le combat vis-à-vis de Bercy, mais sachez que c'est la solution qui est défendue par le ministère de la culture.

Avant la dissolution de l'Assemblée nationale, nous nous étions engagés à la mise en place d'une disposition relative au DPE du bâti ancien avant le 31 décembre prochain, et cet engagement sera respecté.

Le Président de la République nous avait demandé de recenser l'ensemble de biens du patrimoine et d'inciter, via les directions régionales des affaires culturelles (Drac), à leur classement. L'État et les collectivités devraient y contribuer. Voilà qui permettra de sauvegarder le patrimoine, y compris privé.

Le fonds festival a été préservé, mais les zones rurales sont tout de même en fragilité.

Il faut que nous engagions une réflexion sur le modèle économique du spectacle vivant. À cet égard, j'ai demandé à la mission consacrée à ce sujet, lancée avant la dissolution, de reprendre ses travaux. Tous les représentants du spectacle vivant, quelle que soit leur tendance, s'accordent à dire que la pérennisation du financement est un problème majeur. On finance souvent des structures, mais on ne finance plus de projets.

Quant aux écoles d'art, il n'y a aucun désengagement de notre part, comme en matière de patrimoine. Le ministère ne possède toutefois ni direction de la formation ni direction de l'enseignement, ce qui rend difficile l'observation fine de ces écoles. Il en existe 99 à ce jour : 41 écoles nationales et 58 écoles territoriales, auxquelles s'ajoutent des préparatoires publiques. J'ai demandé qu'on procède au recensement de l'ensemble des écoles d'art et qu'on réalise une cartographie. Il n'y a pas de mystère : les écoles d'État sont souvent situées en milieu urbain, d'où le fait qu'elles ne soient pas forcément accessibles au plus grand nombre. Certaines écoles, telles que les Beaux-Arts ou l'École du Louvre, sont également fortement marquées par un phénomène de reproduction sociale. D'autres ne comptent pratiquement aucun élève boursier. Dans les écoles d'art payantes, les élèves n'ont pas accès aux bénéfices du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), comme les repas dans les restaurants universitaires ou les bourses.

Soyez assurés que nous allons préserver et renforcer les écoles d'art, mais que nous mènerons aussi une évaluation, car nous n'avons pas de contrôle sur les résultats de certaines écoles qui bénéficient pourtant de financements très importants de la part de l'État. Je précise que nous avons par ailleurs relancé l'apprentissage et l'alternance, qui étaient pratiquement inexistants dans les actions menées par le ministère.

M. Laurent Lafon, président. - Je vais maintenant donner successivement la parole aux rapporteurs spéciaux de la commission des finances qui ont souhaité s'exprimer dans le cadre de la présente audition.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - Quel bonheur de vous entendre ainsi parler du pass Culture, madame la ministre ! Dès le départ, Sylvie Robert, Sonia de La Provôté, Pierre Ouzoulias et moi-même avions animé un groupe de travail sur ce sujet. Il aura fallu user quatre ministres pour entendre la cinquième nous dire, sans haine ni violence, et avec une certaine diplomatie, ce que nous affirmons depuis six ans déjà.

Par ailleurs, la condition sine qua non de la réussite de l'EAC se trouve dans les territoires, notamment les communes. À 35 kilomètres de Paris, je vous invite à visiter l'une des communes d'Île-de-France qui a été pionnière en ce domaine, dès lors qu'elle a été labellisée à 100 %.

Vous verrez à quel point le dispositif en place est performant. Il repose sur le travail des communes, comme la majorité de la culture dans notre pays.

Enfin, qui, à Bercy, en veut au fonds de soutien à l'expression radiophonique (FESR) ? Ce budget, monté en quinze jours, est un document martyr que le Sénat s'efforcera d'améliorer. Toutefois, l'amputer de 10 millions d'euros, sans même prendre attache avec le ministère de la culture, ne relève pas du hasard : c'est une décision insupportable, madame la ministre ! Avez-vous des informations sur ce sujet ?

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Au sein de la commission des finances, Vincent Éblé et moi-même avons coécrit un rapport d'information sur le pass Culture. D'ailleurs, je me félicite que vous ayez repris nos recommandations, madame la ministre.

Je prends acte de votre volonté de reformater ce dispositif. Vous n'avez pas manqué d'évoquer l'écueil de la reproduction sociale, à juste titre. Pour ma part, je souhaiterais insister sur un deuxième écueil, celui du manque d'offre culturelle pour les jeunes habitants des zones rurales ou périurbaines.

Je viens d'une bourgade rurale où, dans un rayon de 20 kilomètres, il n'y a ni salle de spectacle, ni cinéma, ni théâtre, ni librairie digne de ce nom. Quant aux musées, ils sont situés encore plus loin, à au moins 40 kilomètres.

Je crois beaucoup au pass Culture. Il conviendrait toutefois d'ajouter un volet transport et mobilités à destination des jeunes qui sont éloignés de l'offre culturelle.

Mme Anne Ventalon. - Dans la période de disette économique que nous connaissons, il faut saluer les crédits alloués à la culture pour l'année 2025 et la stabilité annoncée. Néanmoins, les chantiers qui vous attendent sont de taille.

Je me félicite de votre engagement de faire de 2025 l'année du patrimoine. Les 300 millions d'euros que vous avez annoncés permettront de répondre à l'impérieuse nécessité de sécuriser, de restaurer et de valoriser le patrimoine, cher à l'ensemble des Français.

Je m'interroge sur la collecte nationale en faveur du patrimoine religieux des petites communes, lancée en septembre 2023 à l'initiative du Président de la République. En un an, celle-ci totalise près de 12 millions d'euros de dons auprès de la Fondation du patrimoine : nous sommes très loin de l'objectif de collecter 200 millions d'euros d'ici à 2027.

Ce premier bilan décevant doit nous amener à élaborer, ensemble, une nouvelle politique patrimoniale. Comment pourrions-nous rassurer et accompagner les élus locaux - eux aussi soumis à de fortes contraintes budgétaires - dans l'entretien et la valorisation du patrimoine communal, notamment religieux, sans politique claire et de long terme ?

Les attentes des maires sont très fortes. Les conclusions des États généraux du patrimoine religieux seront rendues prochainement et contribueront à l'élaboration collective d'un plan adéquat.

Au demeurant, vous avez précisé vos annonces récentes concernant l'accès payant des visiteurs à la cathédrale Notre-Dame de Paris, une fois les travaux de rénovation achevés. Selon vous, la loi du 9 décembre 1905 n'est pas un obstacle à ce projet. Pouvez-vous nous en dire plus, madame la ministre ?

Quel que soit l'avis de chacun, la question du financement de notre patrimoine mérite d'être posée. Pensez-vous que l'entrée payante de Notre-Dame de Paris s'inscrit bien dans la mission de service public et d'ouverture culturelle de la cathédrale, ou privilégiez-vous une autre forme de financement pour préserver son accès libre, en tenant compte des valeurs historiques et symboliques qu'elle incarne pour notre patrimoine national ?

Enfin, j'ai un doute sur la possibilité de financer de façon significative et pérenne la restauration des édifices religieux en milieu rural. Comment pouvez-vous concrètement garantir que les recettes seront reversées dans les territoires qui en ont le plus besoin ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous saluons votre ténacité et tous les efforts que vous déployez pour défendre un budget de la culture solide, madame la ministre.

Je vous remercie d'avoir soutenu notre proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public. Nous espérons qu'elle puisse suivre son cours assez rapidement, dans le cadre de la navette parlementaire.

Par ailleurs, je me réjouis du maintien des crédits d'impôt pour le cinéma. Cela fera la grande satisfaction des régions, qui financent la production cinématographique. C'est un système donnant-donnant avec le CNC.

Vous avez affirmé qu'un pays qui ne s'occupe pas de son patrimoine ne s'occupe pas de son avenir. Or, ces dernières années, l'État et les collectivités ont fait le maximum pour investir dans le patrimoine, en particulier religieux. On peut se satisfaire d'une vraie prise de conscience et d'un effort réel, ce dont témoignent les colloques qui ont été organisés au Sénat et les rapports rédigés par plusieurs de nos collègues.

Cependant, nous devrions taper davantage à la porte de l'Union européenne. En 2023, Louis-Jean de Nicolaÿ et moi-même avons écrit un rapport d'information révélant que la compétence en matière de culture n'est pas revendiquée par l'Union européenne. Pourtant, les traités ne s'y opposent pas. Dans une logique de subsidiarité, mais surtout de complémentarité, l'Union européenne pourrait faire usage de cette compétence. À cet égard, nous avions formulé plusieurs propositions et même sollicité la commissaire Mariya Gabriel, dans l'espoir que l'Union européenne ouvre enfin la porte d'un financement direct affecté à la sauvegarde du patrimoine.

De même, les programmes Europe créative sont essentiels et pourraient être mis en oeuvre dans le domaine du patrimoine.

Par ailleurs, dans quelle mesure les collectivités seront-elles affectées par votre plan en faveur de la ruralité ? Pour rappel, elles verront leur budget amputé de 5 milliards d'euros, voire de 10 milliards.

Les collectivités ont déjà été privées de tout levier fiscal en raison de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe d'habitation. Elles se trouvent prises dans un effet de ciseaux, alors qu'elles accompagnent 80 % des structures du spectacle vivant.

Les collectivités s'efforcent d'opérer les choix les moins douloureux possible, à l'heure où tout le maillage territorial est affaibli, au risque de se désagréger.

Au Sénat, nous défendons les collectivités territoriales. Vous avez raison, nous devons réfléchir au modèle économique du spectacle vivant. Toutefois, les collectivités vont se trouver dans une impasse budgétaire cette année.

Enfin, vous revendiquez l'ambition louable de faire du Centre national de la musique (CNM) l'équivalent du CNC. Cependant, comparaison ne vaut pas raison : le spectacle vivant, en particulier la musique, est hautement subventionné, à hauteur de 80 %, ce qui n'est pas le cas du secteur du cinéma. Cela suscite donc quelques inquiétudes.

Va-t-on complètement « agenciariser » le secteur de la musique ? Le cas échéant, le ministère de la culture ne jouerait plus son rôle de structuration avec les collectivités territoriales, à moins que vous ne conserviez la direction de la musique.

Mme Sylvie Robert. - Je me réjouis que les crédits de transformation soient intégrés aux crédits de base des sociétés d'audiovisuel public. Ces crédits étaient devenus une variable d'ajustement : en 2024, un certain nombre d'entre eux ont été annulés, voire non versés, dès lors qu'ils étaient suspendus à la réforme de la gouvernance. Ces crédits de transformation vont-ils être finalement versés aux sociétés ?

Vu les 50 millions d'euros d'économies qui pèseront essentiellement sur France Télévisions, l'équation va être très complexe ; nous aurons quelques difficultés à accepter les trajectoires annoncées. Les économies de 200 millions d'euros annoncées sur quatre ans sont-elles réelles ?

Au demeurant, je suis très intéressée par votre plan en faveur de la ruralité. Pour autant, de nombreuses questions posées par mes collègues démontrent qu'il n'y a pas forcément de transparence dans la façon dont il sera déployé dans les territoires.

Nous aimerions en savoir plus sur la manière dont ce plan sera déployé dans les territoires. S'agira-t-il de crédits déconcentrés aux Drac, en fonction de leurs besoins et de leurs demandes ? Elles n'ont pas toujours les moyens de procéder à des expertises notamment dans les communes très rurales, isolées, où il est difficile de se déplacer et d'accompagner les élus. Quelle sera la méthode pour définir les crédits octroyés : ceux-ci seront-ils définis de manière centralisée, en fonction des besoins du terrain ou selon d'autres critères, tels que le nombre d'habitants, etc. ?

Demain, avec Else Joseph et Monique de Marco, nous rendrons les conclusions de notre rapport sur la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP. Nos auditions ont révélé un nombre important d'atteintes à la liberté de la création. Cela pose la question de l'effectivité de la loi. Avez-vous été alertée sur ce sujet ? Envisagez-vous d'intervenir pour essayer de comprendre ce qui se passe ?

Mme Monique de Marco. - Une baisse des crédits de l'audiovisuel public de 50 millions est envisagée l'année prochaine. Dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public, une holding devrait être créée. Quel sera son financement ? Bénéficiera-t-elle de moyens spécifiques ? Des crédits supplémentaires sont-ils prévus ou bien la réforme se fera-t-elle à moyens constants ?

Le Centre national de la musique a été créé en 2020. Il a pour vocation d'être le centre de toutes les musiques et de garantir la diversité, le renouvellement et la liberté de la création musicale. Lors de son audition, M. Thiellay, son président, nous a indiqué que la taxe streaming avait rapporté moins que prévu, en raison de diverses réticences ou de difficultés d'application. La taxe sur la billetterie constitue la principale source de financement du CNM. Son produit est amené à croître dans les prochaines années, comme l'indique le contrat pluriannuel d'objectifs et de performances du CNM. Le montant affecté au CNM est plafonné à 50 millions aujourd'hui, mais les recettes issues de cette taxe dépassent cette somme. Comptez-vous déplafonner cette taxe ?

Mme Laure Darcos. - Je me réjouis de vos propos sur le crédit d'impôt en faveur du cinéma et des sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (Sofica), mais chaque année Bercy et les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat cherchent à le réduire. Nous devrons donc être vigilants sur le sujet. L'an passé, avec Sylvie Robert, nous avons bataillé sur cette question et le vote s'est joué à deux voix !

Les grandes plateformes, comme Amazon, se masquent derrière le secret des affaires pour ne pas révéler leur chiffre d'affaires et donc se soustraire à leurs obligations de financement de la création cinématographique.

Amazon va contourner la loi qui l'oblige à facturer au minimum 3 euros chaque livraison de livres, puisque ses clients pourront bénéficier d'une livraison gratuite s'ils récupèrent leur commande dans un des 2 500 points de retrait situés dans un endroit qui vend également des livres. C'est très grave, car cela aggravera la situation des libraires. Il importe que les frais de port soient les mêmes pour Amazon et les libraires indépendants.

Mme Else Joseph. - Vous avez évoqué un recentrage du pass Culture. L'année dernière nous nous étions interrogés sur l'opportunité d'une ouverture du dispositif au patrimoine. Qu'en pensez-vous ?

Dans le cadre de notre mission d'évaluation des dispositions de la loi LCAP, nous avons pu constater que les Drac étaient dans une situation de grande fragilité. Leur mission d'expertise et de soutien en matière d'ingénierie est pourtant cruciale pour les collectivités.

L'année dernière, avec Catherine Morin-Desailly, nous avons rédigé un rapport intitulé : Expertise patrimoniale internationale française : des atouts à valoriser, une stratégie qui reste à affirmer et coordonner. La compétence de notre pays dans ce domaine est reconnue dans le monde. Comment comptez-vous développer ce volet de notre politique culturelle au niveau international ? Envisagez-vous d'accroître la collaboration avec le ministère des affaires étrangères sur ce sujet ?

M. Adel Ziane. - Je partage les inquiétudes de Catherine Morin-Desailly. Les villes sont en première ligne sur les questions culturelles. Elles constituent des leviers puissants pour faire rayonner la culture dans les territoires. Or il est question d'opérer une ponction sur leurs budgets.

Vous souhaitez que 2025 soit l'année du patrimoine. Nous nous en réjouissons. Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen présenteront demain le rapport de la mission d'information sénatoriale sur les architectes des bâtiments de France. Nos auditions ont confirmé l'importance de leur rôle. Vous avez évoqué une enveloppe de 300 millions d'euros pour le patrimoine. Il y a urgence. Les professionnels de la restauration et du secteur des monuments historiques ont besoin de savoir dès maintenant comment l'année 2025 se passera, comment ces crédits seront utilisés.

Vous avez mentionné les grands travaux dans les musées parisiens, en particulier au centre Pompidou. Vous avez aussi évoqué des pistes de financement, comme des tarifs différenciés pour les touristes étrangers. La France accorde la gratuité des collections permanentes des musées nationaux aux jeunes de moins de 26 ans ressortissants de l'Union européenne, mais certains pays européens, comme l'Italie ou l'Espagne, ne pratiquent pas cette gratuité. Comment comptez-vous avancer sur cette question pour trouver de nouveaux financements pour les musées ?

Les crédits d'acquisition et d'enrichissement des collections publiques restent stables, à 9,7 millions d'euros. Les grands musées parisiens ont la capacité de lever des fonds et de recourir au mécénat, mais pour les établissements en région, c'est plus difficile et ces crédits semblent bien faibles pour leur permettre d'enrichir leurs collections.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - J'avais alerté le Président de l'Arcom, lors de son audition le 16 octobre par notre commission, sur la coupe budgétaire de plus de 10 millions d'euros prévue par le projet de loi de finances 2025 des crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale. Consciente des conséquences dramatiques de cette baisse pour nos radios associatives, vous avez tenu à réagir rapidement, madame la ministre, à la suite à mon intervention et de celle des syndicats. Je tiens à vous remercier.

La semaine dernière vous avez ainsi annoncé lors de la séance des questions d'actualité au Gouvernement à l'Assemblée nationale que la baisse annoncée de 35 % des crédits de ce fonds n'aurait pas lieu. Je me réjouis donc sincèrement de cette bonne nouvelle qui a été perçue comme une véritable marque de reconnaissance par les radios associatives. Toutefois, le Gouvernement n'a pas précisé les modalités de l'annulation de cette baisse. Dans la mesure où le fonds de soutien à l'expression radiophonique est également financé par le plan Culture et Ruralité, qui est inclus dans la mission « Culture » du PLF, le Gouvernement pourrait-il envisager une augmentation du budget de ce plan ? Cette annulation sera-t-elle préservée en cas de recours à l'article 49.3 ?

Enfin, les radios associatives s'interrogent sur l'avenir. Pouvez-vous les rassurer en leur affirmant que la question ne se posera pas à nouveau l'année prochaine ? Ce fonds est au coeur de leur modèle économique. Il contribue à hauteur de 40 % à leur budget. On comprend leurs inquiétudes. Je ne doute pas une seule seconde, madame la ministre, de votre engagement à leur côté.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je tiens à mon tour à vous remercier d'avoir convaincu vos collègues de Bercy de renoncer au projet de réduction de près d'un tiers des crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique, dont l'annonce avait mis en émoi les radios associatives. Cette subvention est en effet vitale pour leur équilibre financier et pour les emplois.

Je vous remercie aussi pour la priorité que vous accordez au patrimoine. Je voudrais insister sur la nécessaire sauvegarde du patrimoine religieux remarquable, qui n'est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques, mais qui est très emblématique de nos territoires, notamment ruraux. Dans la situation que l'on connaît actuellement, cette sauvegarde ne peut pas être une priorité des collectivités : l'État doit venir à leur aide pour assurer les travaux les plus urgents. C'est pourquoi je soutiens votre proposition visant à instaurer un droit d'entrée pour les touristes. La recette escomptée de 75 millions sera-t-elle déconcentrée dans les Drac, afin que cet argent ruisselle un peu dans tous les territoires ? En flécherez-vous une partie vers ce patrimoine religieux qui n'est ni classé ni inscrit ?

2025 sera l'année du patrimoine. Ne pourriez-vous pas demander aux préfets, grâce à a la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de mettre un accent particulier sur les questions relatives au patrimoine pour aider les collectivités qui connaissent des difficultés financières ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Nous présenterons demain, avec Pierre-Jean Verzelen, les conclusions de notre rapport sur les architectes des bâtiments de France (ABF). Nous mettons en lumière le sous-effectif des ABF, ce qui fait qu'ils ne peuvent pas toujours exercer leurs missions de conseil et d'accompagnement auprès des élus locaux. Nous préconisons le recrutement d'un ABF supplémentaire par département, pour faire face à la hausse du nombre d'avis qu'ils doivent rendre, puisque ces derniers ont augmenté de 63 % entre 2013 et 2023. Nous plaiderons en ce sens lors de l'examen du projet de loi de finances. Qu'en pensez-vous ? Je soutiens à cet égard les propos d'Anne Ventalon, qui avait corédigé avec Pierre Ouzoulias un rapport sur l'état du patrimoine religieux.

Nous soulignons également le manque d'ingénierie juridique et technique des communes rurales pour entretenir et valoriser leur patrimoine. Comment comptez-vous renforcer l'accompagnement des collectivités dans ce domaine ?

Vous avez annoncé l'octroi de 300 millions supplémentaires pour le programme 175. L'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements. L'un d'eux vise à augmenter de 2 millions les crédits du fonds incitatif et partenarial, qui joue un rôle précieux pour soutenir les petites communes, dotées de faibles ressources, dans leur politique de restauration du patrimoine. Un autre amendement prévoit la création d'un fonds de 6 millions d'euros pour soutenir les collectivités territoriales dans l'entretien et la valorisation du patrimoine local. Quel regard porterez-vous sur ces différents amendements ?

Nous avons été interpellés par le Groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques sur un autre amendement qui prévoit la suppression de l'affichage publicitaire sur les monuments pendant les travaux de restauration. Cela aurait un impact sur le financement des projets de restauration. Quel est votre avis sur cet amendement ?

Comment expliquer la baisse de 10 ETP pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ?

Enfin, je rejoins entièrement les propos de Sabine Drexler sur le DPE pour le bâti ancien.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Décloisonner la culture dans tous les territoires et pour tous les publics est l'un des axes majeurs de votre politique. Le 11 juillet dernier, vous avez ainsi annoncé le plan Culture et Ruralité.

Le fonds de soutien au développement des activités périscolaires a été supprimé par le dernier projet de loi de finances. Ce fonds, qui dépend du ministère de l'éducation nationale, finançait de nombreux projets culturels pour les scolaires. Faute de financement, de nombreuses communes n'auront plus d'autre choix que d'opter pour la semaine des quatre jours et d'abandonner de nombreux projets culturels. La ministre de l'éducation s'est engagée, sans autre précision, à mettre en place une aide spécifique aux communes rurales. Votre ministère est-il associé à ces travaux ? Les projets menés sur le temps périscolaire pourraient-ils bénéficier du plan Culture et Ruralité ou d'un autre dispositif de votre ministère ?

L'entretien du patrimoine de proximité est le point noir du budget de la culture. Les besoins de fonctionnement et d'investissement dépassent le montant de la dotation budgétaire. Ce domaine mériterait un plan Marshall. Le rapport sénatorial Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite paru en juillet 2023 indique qu'entre 2 500 et 5 000 édifices sont menacés d'être abandonnés, vendus ou détruits d'ici à 2030.

Vous nous invitez à bâtir une nouvelle politique patrimoniale. Mais la première mesure ne devrait-elle pas de réfléchir aux prescriptions des architectes des bâtiments de France, dont les exigences peuvent parfois conduire à l'abandon des projets de restauration ? On ne peut avoir en effet les mêmes exigences pour nos églises rurales que pour la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Par ailleurs, beaucoup de communes rurales ne connaissent pas le fonds incitatif et partenarial pour le patrimoine. Ne faudrait-il pas améliorer la communication à ce sujet ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Je salue, madame la ministre, votre effort budgétaire en faveur de l'archéologie préventive dans le projet de loi de finances pour 2025, puisque 47,6 millions d'euros sont prévus pour soutenir les opérations de terrain : 33,4 millions pour le fonds national d'archéologie préventive et 14,2 millions pour accompagner les collectivités dans les diagnostics. Néanmoins, certaines communes rurales rencontrent encore de grosses difficultés pour mener à bien des projets d'intérêt général, tels que la construction de maisons de santé, en raison du niveau du reste à charge des fouilles préventives qu'elles doivent acquitter. Dans ce contexte, ne serait-il pas possible de moduler les taux d'intervention du fonds d'archéologie préventive pour tenir compte à la fois de la fragilité financière des communes et de la nature des projets, notamment quand ils répondent à des enjeux de services publics ?

Mme Rachida Dati, ministre. - C'est à l'échelon local que l'on sait le mieux quelles sont les actions les plus pertinentes en matière d'éducation artistique et culturelle (EAC). Nous continuerons à attribuer des labels 100 % EAC, mais dans un souci de cohérence et en évitant le saupoudrage qui a pu être pratiqué parfois. Sinon, personne n'est content. Les élus locaux sont déçus et, finalement, la politique culturelle en pâtit. Ce label doit s'inscrire dans une collaboration avec les collectivités.

Nous sommes d'accord sur le pass Culture. Le dispositif était complexe : on ne savait pas comment y accéder. L'utilisateur devait déjà connaître l'activité culturelle qu'il recherchait. Rien n'était proposé spontanément. En somme, on pouvait aller voir un spectacle à la Comédie française avec ce pass, à la condition de connaître déjà l'existence du pass, le titre du spectacle et l'existence de la Comédie française ! Ce n'est pas le rôle que je souhaitais assigner à ce pass, notamment dans sa partie individuelle. Or l'articulation entre les parties collective et individuelle me semble capitale.

J'avoue que je n'ai pas essayé de comprendre pourquoi il était prévu de supprimer le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale. Mais chacun sait dans quelles conditions le budget a été élaboré. Ce n'est pas la seule erreur que j'ai pu rattraper in extremis : par exemple, il était prévu de supprimer des postes dans un établissement qui était en travaux, car celui-ci avait été considéré à tort comme étant fermé définitivement. La suppression du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale était un loupé, que j'ai corrigé : je l'avais indiqué avant même mon audition à l'Assemblée nationale, car je connais l'importance des radios associatives, qui sont très implantées dans les territoires et très imprégnées des problématiques locales.

Je me suis posée, comme vous, la question comme vous de savoir s'il fallait intégrer une part relative à la mobilité dans le pass Culture. J'y ai renoncé, car cela reviendrait à amputer à due proportion la part consacrée à l'accès à la culture. C'est pourquoi nous avons préféré travailler avec les collectivités, notamment avec les régions, qui ont la compétence transport. Dans des endroits où le transport est compliqué, des expérimentations de covoiturage culturel ont vu le jour, notamment durant la période des festivals. Il est donc intéressant de financer des associations qui réalisent un tel covoiturage. De même, on pourrait aussi utiliser le transport scolaire pour emmener les enfants à une activité culturelle. La question de la mobilité est sensible, car elle soulève un sujet de responsabilité pénale pour le transport, notamment pour le personnel de l'éducation nationale.

La collecte nationale en faveur du patrimoine religieux des petites communes a permis de récolter 12 millions d'euros. Les petites souscriptions sont très utiles pour financer l'entretien du patrimoine religieux qui n'est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques, car ce patrimoine ne bénéficie pas de subventions. Cette collecte a eu du mal à démarrer. L'objectif était de récolter 200 millions d'euros en 4 ans. Nous en sommes loin. C'est pourquoi nous cherchons à revoir les modalités de cette souscription. Les Français veulent savoir ce qu'ils financent. C'est d'ailleurs pour cela que le loto du patrimoine marche bien, ou que les dons pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris ont été nombreux. Nous sommes donc en train de revoir les modalités de cette souscription afin de mieux identifier le patrimoine que l'on souhaite financer.

J'en viens à la politique de tarifs différenciés. Je voulais pratiquer des tarifs différenciés entre les Français et les étrangers, mais on doit traiter à l'identique les citoyens français et les ressortissants des pays de l'Union européenne, même s'il est vrai que tous les pays européens ne respectent pas cette exigence de réciprocité. Cette politique de tarifs différenciés visera donc les ressortissants de pays tiers à l'Union européenne. Les recettes permettront de financer évidemment les établissements visités, mais elles pourront aussi être redistribuées le cas échéant pour financer le patrimoine sur tout le territoire.

Les droits d'entrée à Notre-Dame de Pa ris pourraient être collectés par le Centre des monuments nationaux. Une partie des 75 millions perçus seraient reversés au diocèse de Paris et le reste serait redistribué sur les territoires pour financer la rénovation du patrimoine. On n'a pas besoin de toucher à la loi de 1905. C'est faire preuve de mauvaise foi que de prétendre le contraire !

Pour répondre à votre question sur le désengagement de l'État en matière culturelle et sur la baisse des dotations pour les collectivités, je trouve que l'État finance beaucoup en la matière et ne se désengage pas. Certaines collectivités ont fait le choix politique de réduire des subventions culturelles. L'État et le ministère de la culture ne se désengagent pas. Les crédits augmentent. Ce n'est pas un affichage ou un système de vases communicants entre les différentes dotations, c'est un choix politique que nous faisons. Ensuite, comme je l'ai dit lorsque j'ai annoncé la mise en oeuvre d'un tarif différencié à Notre-Dame, nous devons être innovants, sinon on sera obligé de multiplier les taxes, les impôts et finalement de fermer la boutique ! Il serait possible aussi d'imaginer, en lien avec la Banque des territoires l'octroi de prêts à taux zéro pour les petites communes. Les avances des Drac pourraient être plus importantes et être négociées plus en amont d'un projet. Le plan Culture et Ruralité renforce l'appui en maîtrise d'ouvrage des Drac.

Ce plan consiste, pour l'essentiel, en un financement déconcentré, mais celui-ci est décidé en proximité. Ce plan n'a pas été décidé au niveau central. Nous nous sommes appuyés sur les près de 50 000 contributions que nous avons reçues - 35 000 nous ont été adressées de manière très formalisée, les autres par mail - de la part de tous les acteurs : élus ruraux, associations, collectifs, acteurs culturels, etc.

La diversité de notre territoire national fait la richesse et la beauté de notre pays. Gap et Briançon, ce n'est pas la région parisienne. Les enjeux varient selon les lieux. Nous avons donc essayé de faire du sur-mesure. Les crédits déconcentrés varieront en fonction du plan qui a été élaboré : selon les endroits et les demandes des communes, on financera des résidences d'artistes, des festivals, des actions patrimoniales, etc.

Les unités départementales de l'architecture et du patrimoine sont en sous-effectif. Je considère que ces services sont sous-dimensionnés et c'est l'objet d'un combat que je mène avec Bercy. J'essaie d'y pallier avec le plan Culture et Ruralité. Si ce plan fonctionne et si l'on fait la preuve de sa pertinence pour les Udap, les ABF ou l'accompagnement en maîtrise d'ouvrage et en ingénierie, je ne vois pas comment il serait possible, au terme des trois ans, de revenir en arrière. Je me sers donc de ce plan pour obtenir à terme une pérennisation de ces dispositifs, qui, j'y insiste, n'ont pas été conçus uniquement de manière centralisée.

En ce qui concerne le CNM, je ne veux pas non plus affaiblir ce qui fonctionne aujourd'hui. La question du plafonnement des taxes est un sujet. Le rendement de la taxe streaming n'est pas encore très élevé, mais il faudra à terme que l'on parvienne à rehausser les plafonds. Nous pouvons y arriver, même si, vous avez raison, l'écosystème du cinéma n'est pas le même que celui de la musique. La musique est beaucoup plus subventionnée que le cinéma. J'aimerais toutefois que le Centre national de la musique devienne un genre de CNC à terme et qu'il fonctionne davantage en autonomie. On peut aussi réfléchir à l'articulation entre le CNM et la direction générale de la création artistique du ministère de la culture. Le CNM a été créé il y a quatre ans, ce qui est récent. Mais je vous rejoins et nous pourrons nous battre ensemble pour relever les plafonds des taxes affectées.

J'ai saisi le médiateur du livre à la suite des annonces d'Amazon.

En ce qui concerne les crédits de transformation de l'audiovisuel public, j'ai indiqué que je souhaitais, comme vous, qu'ils soient intégrés dans les dotations de base. La réforme a été décalée dans le temps : les crédits de 2024 seront versés en 2025 et ceux de 2025 le seront en 2026.

J'annoncerai un plan avant la fin du mois sur la liberté de création. L'enjeu dépasse la création artistique. Il s'agit d'une liberté fondamentale.

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez indiqué que la billetterie de Notre-Dame de Paris serait gérée par le CMN. Cela signifie-t-il que les projets qui ne seraient pas gérés par cet organisme ne pourraient pas bénéficier de ces fonds ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Il s'agit de précisions que l'on doit encore apporter. On aurait pu confier la collecte au diocèse avant de redistribuer les crédits ensuite, mais il semble plus judicieux de charger le CMN de la collecte. Notre-Dame sera dotée d'une billetterie. Des billets gratuits pourront donc être délivrés. La billetterie peut ainsi être utilisée pour la contribution que vous évoquez. Il ne s'agit donc pas d'un dispositif nouveau à imaginer. Il serait possible de le mettre en oeuvre très rapidement si le diocèse est d'accord.

Enfin, j'indique que je souhaite avoir votre aide pour développer notre expertise culturelle à l'international. Vous avez raison : le ministère de la culture ne se vend pas très bien à l'international. Pourtant, à chaque fois que je me déplace à l'étranger, je suis sollicitée pour obtenir un soutien en matière d'expertise architecturale, archéologique, muséale ou patrimoniale. Je viens ainsi de signer avec le Kazakhstan un accord en la matière. D'autres pays sont intéressés par notre expertise : l'Inde, certains pays africains, etc. Nous sommes très sollicités sur cet aspect-là, qui constitue un élément majeur pour notre rayonnement. Or le ministère de la culture est assez en retrait sur cette question. Nous ne travaillons pas assez avec le ministère des Affaires étrangères, même si je ne sais pas si c'est le rôle du Quai d'Orsay de « vendre » notre expertise. Le ministère de la culture pourrait s'emparer de cette question pour mieux mettre en valeur notre expertise à l'international. Tous les accords que nous avons signés en ce domaine l'ont été parce que nous avons été sollicités par les autres pays. D'une manière générale, une demande existe sur les opérateurs de la culture, sur le mobilier national ou sur les céramiques de Sèvres, mais il nous appartient aussi de pousser ces sujets.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.


* 1 https://www.cnc.fr/professionnels/etudes-et-rapports/etudes-prospectives/les-pratiques-cinematographiques-des-francais-en-2024_2265285

* 2 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230313/cult.html

* 3 https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-630-notice.html

* 4 Voir à ce propos le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2024 : https://www.senat.fr/rap/a23-133-43/a23-133-43.html

* 5 Pour une description exhaustive de ces aides, voir le rapport précité de la commission « Le cinéma contre-attaque ».

* 6 Judith Godrèche a été auditionnée par la Délégation aux droits des femmes du Sénat le 29 février 2024 : https://videos.senat.fr/video.4408472_65de6dfe60fe6.droits-des-femmes--audition-de-judith-godreche

* 7 Cette proposition de loi est la traduction législative du rapport précité « Le cinéma contre-attaque », réalisé par Jérémy Bacchi, Sonia de La Provôté et Céline Boulay-Espéronnier.

* 8 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240603/cult.html#toc2

* 9 https://www.senat.fr/rap/a22-120-43/a22-120-43-syn.pdf

* 10  https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-de-la-culture-de-leducation-et-de-la-communication/actualite-1/le-droit-dauteur-au-defi-de-lintelligence-artificielle-2129.html

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