EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 27 NOVEMBRE 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen de l'avis préparé par Michel Laugier sur les crédits consacrés à la Presse au sein du PLF pour 2025.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la presse. - Je serais très heureux si je pouvais, à l'instar de notre collègue Jérémy Bacchi pour le cinéma, vous présenter chaque année des résultats plus qu'encourageants et annoncer des perspectives prometteuses pour le secteur de la presse. Hélas, tel n'est pas le cas, car la presse dans son ensemble va mal et voici quelques chiffres pour bien fixer les esprits : tout d'abord, en 2023, la presse écrite a encore connu une baisse de ses ventes, de 4,5 %, ce qui est dans la norme de ces dernières années ; ensuite, la vente au numéro de presse quotidienne est passée en 5 ans de 487 millions d'exemplaires à 290 millions, soit une baisse de 60 % ; enfin, sur 20 ans, les recettes liées aux ventes ont diminué de 48,2 % et celles liées à la publicité de 70 %.

Je ne vous apprends rien, et nous l'avons très récemment rappelé en séance publique grâce à la proposition de loi de notre collègue Sylvie Robert, que la presse est engagée dans une forme cercle vicieux. Elle est prise entre, d'un côté, des difficultés économiques considérables qui pèsent sur sa capacité à investir et à rétribuer correctement les journalistes : or sans équilibre économique, il n'y a pas de presse libre et indépendante. De plus, elle est confrontée à une mise en cause du statut de l'information dans nos sociétés, comme me l'indiquait lors de son audition le président de l'AFP Fabrice Fries, qui se traduit par une forme de suspicion généralisée sur la production éditoriale à laquelle beaucoup préfèrent désormais des médias « alternatifs » sur les réseaux sociaux, polarisés à l'extrême, et qui ont moins le souci d'offrir des faits de que propager des opinions. À ce mouvement de fond, qui interroge en profondeur nos sociétés, il faut ajouter les difficultés conjoncturelles qui, comme d'autres secteurs, ont frappé la presse, avec l'explosion de ses charges, notamment de papier - et vous vous rappelez que vous avions d'ailleurs su en 2023 obtenir une aide du Gouvernement dans ce domaine.

En bref, et pour citer - avec son autorisation - une des personnes auditionnées, la presse a « les charges de Gutenberg et la concurrence de Zuckerberg ».

Pourtant, on ne peut pas dire que les pouvoirs publics ne soutiennent pas le secteur en France, mais le font-ils bien ? Telle est la question à laquelle je me propose d'apporter des éléments de réponse. Tout d'abord, les crédits que nous examinons sont stables dans l'ensemble. Le seul mouvement notable est la baisse des aides à la diffusion, qui traduit l'impact de la réforme du portage et du postage, sur laquelle je me suis longuement exprimé ces dernières années. Les aides au pluralisme et à la modernisation n'évoluent donc qu'à la marge. Je voudrais attirer notre attention sur ce point : depuis plusieurs années, les crédits de la presse sont reconduits quasiment à l'identique, dans leur montant comme dans leur répartition, sans que les résultats se fassent sentir. On peut au mieux dire que ces aides constituent juste un frein sur une pente bien raide... Doit-on s'en satisfaire ?

Je vais ici rappeler, comme chaque année, deux sujets qui devraient faire l'objet de réformes profondes. Le premier concerne les aides directes à la presse qui présentent trois caractéristiques : elles sont intangibles, comme figées dans le temps ; elles sont opaques, divisées en plusieurs enveloppes réparties par décret qui ont été créées au fil des années pour répondre à telle ou telle situation particulière ; enfin, elles sont complexes car elles interdisent une lecture synthétique et une analyse globale. Cela dit, il faut se garder du réflexe consistant à accuser le Gouvernement de passivité et d'aveuglement. La réforme des aides directes à la presse n'est ni aisée, ni évidente, sans quoi elle aurait déjà au lieu. Les titres de presse aidés en ont certainement besoin et leur retirer brutalement les subventions ne ferait que les enfoncer davantage. Je souligne que ce sujet est sur la table depuis des années : j'ai interrogé, depuis que j'exerce cette fonction, pas moins de six ministres de la culture, dont Rachida Dati le 5 novembre dernier ; tous ont annoncé s'emparer du sujet, sans que la moindre tentative de réforme ne voie le jour par la suite. Ces aides directes devraient constituer des aides à l'évolution, et non à la préservation. Elles devraient encourager l'indépendance des rédactions, mieux accompagner la transition numérique et, en un mot, préparer le futur or elles ne le font pas, du moins, c'est ce que nous disent les résultats de la presse en 2024.

J'en viens au second point, à savoir le « marronnier » de la distribution. Juste un chiffre : les aides à la distribution physique des quotidiens, essentiellement IPG (information de politique générale), c'est-à-dire le portage, le postage et les soutiens aux marchands de presse, représentent 77 % de l'ensemble des crédits, soit 178 millions d'euros. On peut s'en réjouir, car nous sommes encore en mesure de distribuer des exemplaires papier sur l'ensemble du territoire et auprès des abonnés. On peut aussi trouver curieux qu'une telle proportion soit réservée à la presse quotidienne papier, alors même que l'essentiel de l'information passe désormais par le numérique. La réforme des aides au portage et au postage a été lancée : même si elle demeure encore inachevée et plus lente que prévu, elle a le mérite de proposer un chemin clair.

Tel n'est pas le cas de l'éternel dossier « France Messagerie », ex Presstalis et ex NMPP. Vous vous rappelez que France Messagerie a été créée suite à la faillite de Presstalis : cette société est la seule à distribuer les quotidiens et assure également la distribution de magazines. Avec 25 % du marché, elle est désormais derrière son éternel rival, les Messageries Lyonnais de Presse (MLP). France Messagerie bénéficie de deux mécanismes d'aide pour assurer la distribution des quotidiens : une aide d'État de 27 millions d'euros, dont 9 millions qui lui sont directement alloués et une péréquation en provenance des magazines, pour 8,3 millions d'euros, dont près de 5 millions de son concurrent MLP. France Messagerie a mené une politique plutôt saine et efficace, dans un marché en attrition constante ; elle a revendu des dépôts et considérablement réduit sa masse salariale.

Cependant, cette situation qui perdure depuis des années conduit à trois problèmes sérieux : tout d'abord, le champ exact couvert par l'aide à France Messagerie et par la péréquation n'apparait pas clairement, les deux étant supposées compenser les surcoûts liés à la distribution de la presse quotidienne ; une action contentieuse a d'ailleurs été récemment initiée par les MLP pour éclaircir ce point. Ensuite, les résultats financiers de France Messagerie ne peuvent qu'interroger. Ainsi, la société a dégagé un résultat net de 4,8 millions d'euros en 2022 et de 11,2 millions d'euros en 2023, en raison, pour cette année, d'une reprise comptable sur la liquidation de Presstalis. France Messagerie dégage donc des résultats constamment positifs et devrait poursuivre sur cette voie en 2024 et 2025 selon l'Arcep. En conséquence, si l'avenir de la société peut apparaitre assombri à moyen terme, il est assuré sur le court terme, sous l'hypothèse d'un maintien des niveaux actuels de soutien et de péréquation.

Enfin, les volumes d'aide au bénéfice de la presse quotidienne nationale d'information de politique générale (IPG) suscitent de fortes oppositions dans le reste du secteur, ce qui nuit à la cohésion d'ensemble de la presse. Vous m'entendez en parler chaque année, là encore, c'est parfois un peu désespérant... Un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires culturelles a permis d'élaborer plusieurs scénarios pour une solution définitive. On devrait donc parvenir, sous réserve de toutes déconvenues que nous avons déjà connues, à une mutualisation poussée de la distribution, notamment avec la presse quotidienne régionale (PQR). Un travail a été confié à Sébastien Soriano, ex-président de l'Arcep, et devrait être remis d'ici la fin de l'année. Je formule donc le souhait que 2025 soit une année d'action, après une année 2024 qui a surtout été celle de la déception.

J'en viens à un thème qui nous a énormément mobilisé ces dernières semaines, à savoir les radios associatives. J'en parle avec d'autant plus d'émotion que c'est dans l'une d'entre elles que j'ai commencé ma carrière professionnelle il y a un certain nombre d'années... De manière totalement incompréhensible, les premiers arbitrages budgétaires ont sabré le tiers des subventions de ces acteurs essentiels de la vie démocratique locale, soit 10,4 millions d'euros. Le président de l'Arcom lui-même s'en est ému lors de son audition devant notre commission le 16 octobre dernier. L'enveloppe qui leur est réservée représente pour beaucoup d'entre elles 40 % de leurs ressources.

L'existence même des 746 radios locales était donc directement menacée, et ce, sans aucune explication, les documents budgétaires étant muets sur les raisons de cette baisse. Fort heureusement, de nombreux élus, en particulier de notre commission, sont montés au créneau pour dénoncer cette très grave atteinte à ce média, et le Gouvernement a dû faire machine arrière devant l'Assemblée nationale le 29 octobre dernier en s'engageant au rétablissement de ces crédits, ce qui a été confirmé par la ministre de la culture devant nous le 5 novembre. J'ai, de mon côté, obtenu l'assurance ferme que le rétablissement des crédits du Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) sera bien acté par le dépôt d'un amendement du Gouvernement sur la seconde partie de la loi de finances. Nous attendons donc désormais le dépôt de cet amendement.

Avant de conclure, je veux dire un mot de l'Agence France-Presse. Il s'agit d'un véritable rayon de soleil dans ce programme et d'un soleil courageux qui montre, dans un contexte très difficile pour les agences de presse, qu'une bonne gestion peut avoir des effets significatifs sur une entreprise. L'AFP affiche un résultat net excédentaire depuis 2020, après plusieurs années de déficit. L'AFP a su mener une vraie réflexion sur ses axes de développement - en restant dans l'enveloppe fixée par son COM (contrats d'objectifs et de moyens) - et investir dans des activités à plus forte valeur ajoutée, comme la vidéo et la photographie, sans renoncer pour autant à son exceptionnelle implantation dans le monde. 16 millions d'euros d'économies ont été réalisés entre 2019 et 2023 et 9 millions d'euros sont prévus d'ici 2028. Son endettement, de 50 millions en 2018, devrait à cette date être nul, ce qui nous fait bien sûr tous rêver au milieu de l'examen d'un budget en déséquilibre. Le tableau n'est cependant pas absolument rose car l'AFP est confrontée à deux grands défis : le premier est que l'Agence ne peut pas s'abstraire du contexte général de l'information que je vous ai décrit. Ses principaux clients sont des médias dangereusement fragilisés, et à ce titre, il existe des risques évidents sur ses recettes à moyen terme. L'AFP, qui réalise 60 % de son chiffre d'affaires à l'international, va donc devoir lutter face à ses deux grands concurrents pour « arracher de nouveaux contrats ».

Le second défi, que nous connaissons bien ici, porte sur la renégociation des droits voisins. Nous avons longuement abordé cette question à l'occasion de la discussion de la proposition de loi de Sylvie Robert en septembre dernier mais je précise que l'AFP présente ici deux caractéristiques qui la singularise. D'un côté, elle a les mêmes difficultés que les éditeurs à obtenir des accords favorables qui lui permettent d'être rétribuée à sa juste valeur ; de l'autre, en tant qu'agence de presse majeure, elle a plus facilement pu négocier que les petites agences de presse qui souffrent de l'imprécision des termes de la directive de 2019 dont la loi française constitue la transposition. Je rappelle pourtant que le jugement de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2020 est parfaitement explicite sur l'éligibilité des agences de presse aux droits voisins, même si nous pouvons convenir que les modalités pratiques sont complexes à établir. Dès lors, l'année qui vient sera cruciale non seulement pour l'AFP, mais également pour toutes les agences et pour les éditeurs.

Je ne saurais conclure sans mentionner les États généraux de l'information (EGI), devant lesquels un certain nombre d'entre nous ont été entendus. Ils ont remis leurs conclusions en septembre, et la ministre a annoncé le prochain dépôt d'un projet de loi sur le sujet. Nous ignorons encore l'ampleur de ce texte : sera-t-il une simple adaptation, ou bien la profonde réforme que nous attendons ? Vous avez compris que la presse en souffrance attend des décisions fortes, courageuses et concertées, et donc, je veux croire la ministre quand elle indique avoir pris le sujet à bras-le-corps !

Sous le bénéfice de ces observations, je propose un avis favorable sur les crédits de la presse pour l'année 2025 et permettez-moi de remercier nos services pour leur accompagnement efficace.

Alexandra Borchio Fontimp. - Merci monsieur le rapporteur pour ce rapport lucide sur les crédits consacrés à la presse. Nous partageons bien entendu vos constats qui ne sont pas toujours d'ailleurs très positifs mais néanmoins réalistes. Je souhaite vous remercier pour votre mobilisation en faveur de l'avenir de nos radios associatives locales dont nos collègues ont été largement saisis dans leurs départements. Je fais pleinement confiance aux engagements pris par la ministre de la culture ; cependant, pour éviter une « saison 2 », conformément à mes engagements et parce que je suis par nature un peu méfiante, j'ai déposé, au nom de mon groupe, un amendement tendant à maintenir les crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique. Il s'agit de ne pas voir disparaître ce média de proximité et de marquer notre solidarité ainsi que notre engagement à ce sujet.

Mme Sylvie Robert. - Je remercie notre rapporteur pour son exposé, comme toujours très intéressant, sur ce sujet qu'il connaît bien. J'ai l'impression que d'année en année on retrouve quasiment les mêmes constats, à ceci près que l'horizon est de plus en plus sombre. Notre rapporteur a dessiné un état des lieux - la presse va mal, son équilibre économique fait défaut, ses charges comme celle du papier s'alourdissent, une suspicion plane sur elle - que je partage tout à fait et qui met en évidence la nécessité pour le Gouvernement de prendre enfin à bras le corps les difficultés de ce secteur.

Le rapporteur a également souligné qu'on parle depuis plusieurs années déjà des aides à la presse ainsi que de la distribution. J'espère vraiment qu'un projet de loi issu des EGI pourra enfin apporter des solutions ; je le dis avec d'autant plus de gravité que la situation à la fois économique et géopolitique de notre pays nous impose cet engagement. Comme le confirme l'audition du président de l'AFP à laquelle j'ai assisté, on voit bien, dans le monde qui nous entoure, la nécessité de pouvoir continuer à bénéficier d'une presse indépendante : c'est absolument capital en termes de souveraineté pour notre pays. Je partage donc en tout point les propos du rapporteur et j'espère que les engagements des différents ministres vont enfin se concrétiser.

Je voudrais rapidement évoquer la question des radios associatives. Nous faisons certes confiance à la ministre pour maintenir les crédits du FSER, mais, à l'instar de l'intervenante qui m'a précédée, je préfère qu'on puisse par amendement sénatorial écarter le risque d'une saison 2 ou 1 bis. Permettez-moi également de pointer ce qui peut apparaitre comme un détail au plan budgétaire mais qui est un sujet important, à savoir l'aide au podcast. Notre rapporteur a opportunément rappelé que la presse est liée à l'évolution de nos pratiques et de nos usages ; or on constate aujourd'hui le très fort développement du podcast et de son écoute. Je signale d'ailleurs que dans le Livre blanc de la radio publié par l'Arcom, le président de cette autorité de régulation avait souligné la nécessité de prendre à bras le corps la question des podcasts. Je rappelle que l'année dernière, l'Assemblée nationale avait supprimé dans le FSER l'aide au podcast qui représentait pourtant une somme modeste avoisinant, de mémoire, 500 000 euros. Je pense qu'il y a là un signal à envoyer en réintégrant cette somme dans le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale car celui-ci travaille beaucoup sur le développement des podcasts, ce qui permettrait de pouvoir adapter l'écoute de ces radios aux usages d'aujourd'hui. Or je ne suis pas sûre que le Gouvernement ait pris la décision d'intégrer l'aide au podcast dans l'enveloppe budgétaire qu'il envisage de rétablir en déposant un amendement que je ne connais pas à ce jour. Je préfère donc, à mon tour, garantir qu'il n'y aura pas de « saison 2 » et susciter un débat à ce sujet sur la base d'une initiative sénatoriale.

J'en termine en vous disant que nous suivrons l'avis du rapporteur.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je veux tout d'abord remercier notre rapporteur pour la qualité et la précision de son travail d'analyse sur les crédits du programme « Presse et médias » du projet de loi de finances pour 2025. Son rapport met en lumière avec une grande clarté les défis majeurs auxquels est confronté ce secteur essentiel à notre démocratie. La situation de la presse française demeure particulièrement préoccupante et comme l'a indiqué notre rapporteur, les chiffres sont une nouvelle fois alarmants avec une baisse de 4,5 % des ventes en 2023, une chute vertigineuse de 60 % pour la presse nationale et de 36 % pour la presse régionale sur la période récente. La phrase citée par Michel Laugier - « La presse a les charges de Gutenberg et la concurrence de Zuckerberg » - résume parfaitement le double défi auquel est confronté ce secteur qui doit maintenir une infrastructure de production et de distribution coûteuse tout en faisant face à la concurrence des plateformes numériques qui captent désormais plus de 70 % des revenus publicitaires en ligne.

Dans ce contexte difficile, notre groupe politique note avec satisfaction que les crédits dédiés à la presse ont été globalement préservés, avec un total de 194 millions d'euros alloués au programme 180. Nous saluons particulièrement le maintien des aides au pluralisme à hauteur de 26 millions d'euros, essentiel pour garantir la diversité de notre paysage médiatique. Comme cela a été souligné, nous nous félicitons tout particulièrement que le Gouvernement ait entendu raison concernant le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) : restons cependant vigilants car la baisse initialement envisagée de 10 millions d'euros, soit 30 % de l'enveloppe, aurait été catastrophique pour les 746 radios locales qui maillent notre territoire ; avec 40 % de leurs ressources provenant du FSER, leur survie même aurait été menacée.

Quelques points d'attention méritent cependant d'être soulignés. Tout d'abord, la réforme de la distribution de la presse prend un retard préoccupant : une année a été perdue à la suite de la dissolution, alors même que le rapport conjoint de l'inspection générale des finances et de l'inspection des affaires culturelles propose des pistes intéressantes de réorganisation de la filière. La situation actuelle que notre rapporteur avait qualifié l'année dernière de duo mortifère entre deux opérateurs dont l'un est lourdement subventionné n'est pas tenable : le coût pour les finances publiques est considérable avec près de 600 millions d'euros en 14 ans pour la seule société Presstalis et ses avatars. Il est donc urgent d'avancer sur les quatre scénarios proposés par la mission d'inspection pour réorganiser cette filière de manière plus efficiente. Deuxièmement, la question des droits voisins pour les agences de presse, et particulièrement pour l'AFP, doit être clarifiée. Si nous nous réjouissons des efforts de gestion de l'agence et de ses bons résultats, avec un désendettement qui devrait être total en 2028, son modèle économique reste fragile dans un marché en pleine mutation. Un cadre juridique global concernant les droits voisins est donc indispensable pour sécuriser ses ressources futures.

Troisièmement, nous regrettons vivement que la réforme des aides directes à la presse, pourtant maintenant maintes fois évoquée, ne soit toujours pas engagée. Ces aides qualifiées à juste titre d'intangibles, opaques et complexes par notre rapporteur mériteraient une refonte en profondeur pour gagner en efficacité et en lisibilité. Enfin, nous devons nous interroger sur l'équilibre global du système d'aide. Comme le souligne le rapport, à l'heure où la diffusion de l'information numérique s'impose comme le canal dominant, il est légitime de s'interroger sur l'ampleur budgétaire de l'aide à la distribution physique qui ne bénéficie en réalité très majoritairement qu'à une certaine famille de presse.

Pour autant, notre groupe considère que ce budget, s'il n'est pas parfait, permet de maintenir les équilibres essentiels du secteur et votera donc en faveur des crédits du programme « presse et médias » pour 2025.

M. Jérémy Bacchi. - Je voudrais à mon tour remercier et féliciter notre collègue Michel Laugier pour son rapport très complet. Les données qu'il expose ne sont pas toujours très enthousiasmantes mais le rapporteur n'y est pour rien et, en tout cas, il a décrit à merveille les difficultés qu'affronte un secteur ô combien important pour notre démocratie et pour notre pays. Je ne reviens pas sur les chiffres qui illustrent son propos et je fais observer que la tendance longue au déclin de la presse écrite est une réalité qui dépasse les frontières de notre pays. Cependant, je relève un paradoxe : dans l'imaginaire collectif et lorsqu'on interroge les Françaises et les Français, la presse écrite reste une valeur refuge de véracité de l'information contre les infox ou contre la perception des informations qu'ils peuvent glaner notamment sur les médias numériques. On a donc parfois du mal à comprendre le décalage entre le déclin continu de ce secteur et le besoin de véracité de l'information pour lequel la presse écrite reste une valeur refuge.

Plusieurs sujets ont été évoqués par le rapporteur : je partage ses propos mais, à mon sens, certaines questions doivent faire l'objet de débats et de plus longues discussions. On a ainsi évoqué les IPG qui captent en réalité une grande partie des aides à la presse, avec une dénomination et une définition de ces IPG suffisamment large pour que cela ne garantisse pas nécessairement et automatiquement le pluralisme de l'information ainsi que de la diffusion des idées des uns et des autres. Je ne sais pas s'il faut, dès lors, revoir la définition des IPG mais cela nécessite à tout le moins qu'on ouvre un débat sur ce sujet qui crée des tensions au sein du secteur et une sorte de concurrence entre les différents groupes. S'y ajoute, bien évidemment, la question de la concentration des médias : sept grands groupes concentrent à eux seuls près de 189 millions d'euros d'aide et, de prime abord, on peut penser que ce ne sont pas tous des groupes qui ont le plus besoin de ces aides publiques. Les enjeux de pluralisme et de concentration des médias ne sont assurément pas des thématiques que l'on peut traiter en une ou deux minutes.

Le deuxième point que je voulais aborder porte sur le rôle d'amortisseur des aides publiques : celles-ci ont permis a minima d'amoindrir le déclin de la presse. Cependant, la vraie question est de savoir si ce rôle est suffisant ou si notre pays a besoin d'une presse mieux diffusée. J'insiste à ce sujet sur la problématique de la distribution de la presse dans l'ensemble des territoires, y compris les plus reculés et en ruralité. On sait que la distribution y est plus coûteuse, mais il s'agit là d'un enjeu démocratique, en particulier dans la période actuelle. Si un projet de loi fait suite aux États généraux de l'information, tous ces sujets devront évidemment être mis en débat : peut-être aurons-nous des perceptions sensiblement différentes mais telle est la démocratie et la culture du débat.

Je tiens en tout cas à saluer, comme vous monsieur le rapporteur, les avancées concernant les radios et notamment l'AFP. Pour toutes ces raisons, nous suivons votre avis avec malgré tout beaucoup de vigilance.

Mme Monique de Marco. - Je tiens à remercier le rapporteur pour ses analyses toujours pertinentes et claires sur le sujet que nous traitons. Je souligne la baisse des crédits que subissent les aides à la presse malgré la crise économique aiguë que subit ce secteur. L'émergence des plateformes numériques et l'évolution radicale des comportements des citoyens a bouleversé l'économie de la presse écrite, notamment en raison d'un transfert massif des revenus publicitaires de la presse d'information vers les géants du numérique. Entre 2010 et 2020, le chiffre d'affaires tiré des ventes a baissé de 22 % tandis que les recettes publicitaires ont diminué de 56 %. La crise sanitaire a fragilisé encore davantage le secteur de la presse papier avec la fermeture de près de 20 % des points de vente. À mon sens, les aides à la presse ne doivent pas constituer une variable d'ajustement d'un budget d'austérité. La presse écrite contribue de façon essentielle à la production d'informations fiables, de qualité, plurielles, libres et indépendantes. Ce sujet a été abordé lors des EGI qui ont pointé du doigt la nécessité de rééquilibrer les rapports économiques entre la presse et les géants du numérique. Vendredi dernier, j'ai assisté à Bordeaux à l'événement « les Tribunes de la Presse ». J'ai participé à une table ronde intitulée « L'information locale a-t-elle encore un avenir ? » et j'en suis sortie un peu déprimée car aussi bien les radios que la presse écrite sont dans une impasse et n'arrivent pas à entrevoir un avenir désirable. J'observe par exemple que le journal Sud-Ouest en est à son deuxième ou troisième plan de suppression de postes ; pour sa part, le quotidien 20 Minutes, qui a décliné avec la crise Covid, ne retrouve pas dans sa version numérique un public suffisamment nombreux pour s'assurer des recettes publicitaires suffisantes. Nous vivons une période de bascule et de crise et peut-être allons-nous voir émerger en France, comme aux États-Unis, ce que l'on appelle les « déserts de l'information ».

Je reviens sur la baisse des allocations au fonds de soutien à l'expression radiophonique locale qui finance plus de 770 radios associatives : dans l'attente d'amendements du Gouvernement, je pense que notre groupe pourra aussi déposer un amendement pour remettre les 10 millions qui ont été perdus. Je préfère ici appliquer le principe de précaution et ne pas me contenter d'attendre l'amendement du Gouvernement, tout en observant que nous sommes plusieurs à adopter une telle ligne de conduite. Je crois qu'il nous faut marquer l'occasion et il aurait, à mon sens, été souhaitable que notre commission puisse, en son nom, prendre une telle initiative.

J'indique enfin que notre groupe ne suivra pas l'avis favorable suggéré par le rapporteur : nous nous abstiendrons, pour les raisons que j'ai évoquées.

M. Max Brisson. - J'aime beaucoup entendre chaque année le rapport de Michel Laugier, d'abord, parce que sa voix radiophonique me rappelle celle des radios d'autrefois (exclamations) que j'adorais. De plus, ce rapport annuel est quand même un formidable marronnier avec, au final, un diagnostic toujours aussi implacable et un objectif consensuel : tout le problème est de trouver un cheminement de sortie de crise et, à cet égard, il faut tout de même faire preuve d'un peu d'humilité car nos propositions ne sont pas meilleures que celles des gouvernements successifs ; en effet, la bascule est très difficile à réaliser. Je trouve ici une belle illustration du mal français : on empile les aides pour éviter le naufrage mais on est bien incapables d'opérer une bascule complète qui nous permettrait peut-être d'offrir de nouvelles perspectives et une espérance. Je trouve d'ailleurs que nos débats sur les radios associatives sont tout à fait intéressants et j'y ai participé. Nous avons fait le nécessaire et je pense que la ministre n'était pas totalement « coincée dans les cordes du ring » : elle a sans doute pris l'initiative d'un rétablissement des crédits et nous l'avons appuyée afin qu'elle obtienne des arbitrages gouvernementaux favorables. Au final, il y aura de nombreux amendements qui iront tous dans le même sens. Pour autant, on n'aura pas traité la question essentielle de la maison qui brûle : celle de la presse écrite. Le principal enjeu se situe autour du rôle des journalistes dans notre société et dans leur capacité, qui est le coeur même de leur métier, à certifier l'information dans un monde où circulent toutes sortes de données non fiabilisées et dont un certain nombre sont des infox. À l'évidence, les journalistes ont ici un rôle irremplaçable et essentiel à notre démocratie : pourtant, nous nous focalisons encore sur un système d'aide aux entreprises et aux structures, en continuant de soutenir une presse écrite dont on voit bien la bascule irrémédiable. Personnellement, j'adore non seulement les voix radiophoniques d'autrefois mais aussi prendre mon petit déjeuner en lisant la presse écrite fabriquée avec de l'encre et du papier mais, soyons réalistes, je m'aperçois bien que pour mes enfants, le papier et l'encre, appartiennent à la paléo-histoire. La bascule est donc bien là et on aura beau essayer de l'empêcher, on ne parviendra qu'à retarder le naufrage. En revanche, les journalistes, eux, sont irremplaçables, et donc il va bien falloir à un moment que l'on change de logiciel. Nous ne sommes néanmoins pas encore capables de le faire et il nous faut honnêtement reconnaitre qu'à travers nos propositions, on n'a pas trouvé le cheminement adéquat, même si nous partageons le diagnostic et les objectifs. J'imagine que l'année prochaine, nous aurons le plaisir d'entendre la voix radiophonique de Michel Laugier constater le malaise implacable de la presse écrite ainsi que les difficultés à sortir de l'ornière ; nous mettrons beaucoup d'espérance dans les EGI mais je doute que ces derniers puissent faire preuve de plus d'intelligence collective que nous n'en avons dans nos réunions.

M. Bernard Fialaire. - Dans le prolongement des propos de Max Brisson, je compte revenir l'année prochaine, comme les années précédentes, sur le thème de l'évolution de la déontologie des journalistes avec, une fois encore, la volonté de pousser la réflexion jusqu'à envisager la création d'un ordre des journalistes. Cela me parait tout à fait possible car, comme les sondages le montrent, si on instituait un ordre et une déontologie - à la carte, je le précise - plus officielle du journalisme, il y aurait une plus grande confiance dans la presse de la part de nos concitoyens.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis. - En réponse à Max Brisson, je fais observer que chaque année je propose des pistes de travail : celles-ci doivent aujourd'hui passer par des réformes importantes, au-delà des mesures budgétaires. Comme l'a indiqué si justement notre collègue, nous sommes aujourd'hui dans un véritable passage de la presse écrite traditionnelle vers le numérique : la presse quotidienne nationale a déjà largement avancé sur la numérisation et il revient maintenant à la presse régionale d'emprunter le même chemin, ce qui nécessite un accompagnement. Je fais observer que le travail des journalistes restera le même, qu'un journal arrive dans une boîte aux lettres, qu'on aille l'acheter au kiosque ou qu'il soit acheminé par voie numérique sur nos tablettes. Telle est la raison pour laquelle il faut aussi faire en sorte que les rédactions soient maintenues et les réformes des aides à la presse que je propose incorporent la nécessité d'aider la presse à pouvoir s'appuyer sur des journalistes professionnels à temps complet. Je pense donc qu'un certain nombre de pistes intéressantes peuvent être appliquées tout de suite.

Il est vrai qu'on attend beaucoup de la loi qui doit normalement être présentée en 2025 : la ministre de la culture s'y est engagée à la suite des EGI, mais je pense qu'elle va aller beaucoup plus loin dans les réformes qu'elle peut proposer. Je rejoins ainsi les propos de Max Brisson : nous faisons face aujourd'hui à des transitions incontournables. Je signale que la prochaine loi devra également être l'occasion d'examiner les incidences sur les réseaux sociaux : en effet, il n'est pas normal que certains aient uniquement une information tirée des réseaux sociaux alors qu'il y a un travail journalistique reconnu qui doit faire foi.

S'agissant de la rédaction d'un amendement visant à allouer 10 millions d'euros supplémentaires au FSER, le principe est incontestable mais je rappelle que seul le Gouvernement peut abonder ces crédits sans être contraint, comme les parlementaires, de compenser cette augmentation par une ponction sur d'autres lignes de la mission budgétaire : faut-il dès lors diminuer de 10 millions d'euros les crédits du programme « Livre industries culturelles » essentiellement consacrés à la BnF ? Rédiger un amendement au niveau sénatorial à la satisfaction de tous n'est donc pas aussi simple que ça et sachez tout de même que nous avons obtenu l'engagement du ministre du budget ainsi que de la ministre de la culture auxquels s'ajoutent des amendements déposés par nos collègues au nom de la commission des finances : telles sont les raisons qui nous permettent d'aborder le débat avec une certaine confiance sur ce sujet.

Pour le reste, vous avez surtout partagé les constats et la vision exprimés par le rapport que j'ai pu vous présenter aujourd'hui. Je vous en remercie et j'espère l'année prochaine pouvoir porter avec une voix tout aussi radiophonique - selon la formule de Max Brisson - un message qui insistera encore plus sur les évolutions possibles.

M. Laurent Lafon, président. - Avant de passer au vote, je vous informe que nous entendrons mercredi prochain en commission Bruno Patino au titre de la présidence qu'il a assurée des EGI : ce sera l'occasion de parler des États généraux de l'information ainsi que des discussions qu'il mène avec le ministère de la culture à propos des futurs textes de loi que nous avons évoqués.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.

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