N° 149

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

TOME IV

Fascicule 2

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

Presse

Par M. Michel LAUGIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Mireille Conte Jaubert, Evelyne Corbière Naminzo, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Virginie Lucot Avril, Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Maurice Perrion, Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

AVANT-PROPOS

Les conditions de production, de diffusion et de réception de l'information ont connu ces dernières années une révolution que l'on peut seulement comparer à celle de l'imprimerie au XVème siècle. Le paysage médiatique traditionnel, encore attaché à la vérification des faits et à l'analyse, semble désormais marginalisé au profit d'entités polarisées plus soucieuses de capter les revenus publicitaires que de participer au débat public.

Depuis plusieurs années, le rapporteur pour avis souligne les difficultés économiques de la presse, qui persistent en dépit d'un soutien de l'État qui ne s'est jamais démenti. L'heure est venue, dans un contexte budgétaire difficile, de s'interroger sur la répartition et les modalités de ces aides, qui n'ont manifestement pas permis à la presse de remplir la première condition de son indépendance, à savoir son équilibre économique. Rendues publiques en septembre 2024, les conclusions très attendues des États Généraux de l'Information (EGI), qui s'appuient largement sur les travaux du Sénat, fournissent de nombreuses pistes pour tous les médias, encore faudra-t-il qu'elles trouvent un débouché législatif et réglementaire, conformément aux engagements pris par la ministre de la culture. Tel est bien évidemment le souhait du rapporteur pour avis, qui souligne une nouvelle fois l'urgence extrême de sortir d'un statu quo mortifère qui, bien au-delà de la presse, menace directement notre démocratie.

I. PAS D'AMÉLIORATION EN VUE : UNE PRESSE EN CRISE

A. DES CHIFFRES ENCORE ET TOUJOURS INQUIÉTANTS

Année après année, rien ne semble pouvoir inverser les courbes déclinantes des ventes de presse.

En 2023, la presse dans son ensemble a connu une baisse de ses ventes de 4,5 %, (2,6 milliards d'exemplaires vendus en 2023) confirmant la tendance morose de ces dernières années.

Ventes au numéro de la presse quotidienne

La baisse touche plus particulièrement la vente au numéro de la presse quotidienne nationale et régionale, qui est ainsi passée de 487 millions d'exemplaires en 2019 à 290 en 2023, ne représentant plus que 19 % du marché.

La presse nationale apparait plus touchée, avec une diminution de 60 %, alors que la presse régionale résiste un peu mieux avec une diminution de « seulement » 36 % sur la période.

B. « LES CHARGES DE GUTENBERG, LA CONCURRENCE DE ZUCKERBERG »

Selon l'enquête du ministère sur l'année 2022, la presse retire 70,2 % de ses recettes des ventes et 29,8 % de la publicité et des annonces.

Sur 20 ans :

ü les recettes de vente ont diminué de 48,2 % ;

ü les recettes tirées de la publicité de 70,2 %.

Les ressources de la presse en 2022

Les racines de cette crise sont connues et ont été amplement analysées par le rapporteur pour avis : captation des revenus publicitaires par les grandes plateformes numériques, qui perçoivent plus de 70 % du marché d'une publicité en ligne désormais dominante, concurrence de l'information disponible gratuitement en ligne - dont la fiabilité et l'objectivité sont au demeurant plus que contestables -, difficultés à assurer une transition rentable vers le numérique, hausse des charges supportées par les titres, avec ces dernières années le coût du papier et de l'énergie1(*). Pour reprendre la formule d'une personne auditionnée par le rapporteur pour avis, « la presse a les charges de Gutenberg et la concurrence de Zuckerberg », en référence au fondateur de Facebook.

Avant même tout débat sur l'indépendance des médias, le rapporteur pour avis rappelle que la première condition d'existence d'une presse libre et indépendante demeure sa viabilité économique, qui est aujourd'hui loin d'être assurée, d'autant plus que les auditions laissent entrevoir une année 2024 peu favorable.

II. UN BUDGET RELATIVEMENT PRÉSERVÉ

A. DES AIDES DIRECTES STABLES

Les montants inscrits dans le projet de loi de finances pour 2025 montrent que les crédits dédiés à la presse ont été relativement préservés. Pas de réforme des crédits d'impôt ni du régime des aides sociales, stabilité et maintien du format des aides directes, le budget 2025 n'est pas celui des réformes de structure.

1. Des aides qui évoluent peu

Évolution des aides à la presse en 2025

(en millions d'euros)

Aides

PLF 2025

Évolution 2025/2024

Aides à la diffusion

112,3

 - 2,1 %

Aides au pluralisme

25,9

=

Aides à la modernisation

55,6

+ 0,8 %

Total programme 180

193,8

- 1 %

Compensation versée à La Poste - programme 134

38,5

- 10 %

Total des deux programmes

232,3

- 2,6 %

Les aides à la diffusion enregistrent une diminution de 2,1 %. Cette baisse s'explique, d'une part, par la diminution de 15 % de l'aide unitaire à l'exemplaire posté, dans le but de favoriser le portage et, d'autre part, par la suppression de l'aide temporaire aux réseaux de portage inscrite dans les budgets 2023 et 2024 pour 2,4 millions d'euros (voir infra). A contrario, l'aide directe au portage bénéficie d'une dotation supplémentaire de 2,5 millions d'euros.

Les aides au pluralisme demeurent au même niveau qu'en 2024, année qui les avait vues progresser de 11,5 %. Elles sont réparties en six enveloppes distinctes.

QFRP : Quotidiens nationaux IPG (information politique et générale)
à faibles ressources publicitaires

PFRP : Publications IPG à faibles ressources publicitaires

QFRPA : Quotidiens régionaux, départementaux et locaux IPG
à faibles ressources de petites annonces

PPR : Pluralisme de la presse périodique régionale et locale

Les aides à la modernisation enregistrent une légère hausse de 0,8 %. Un peu moins de la moitié de l'enveloppe, soit 27 millions d'euros, est attribué directement ou indirectement à la société France Messagerie, qui a repris au 1er janvier 2020 les activités de distribution de Presstalis (voir infra). En 2019, le montant de l'aide avait été porté de 18 à 27 millions d'euros, le différentiel de 9 millions étant prélevé sur le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). Alors que cet abondement devait s'achever en 2024, et comme votre rapporteur le craignait l'année dernière, il a été reconduit dans le projet de loi de finances pour 2025.

Enfin, même si le montant ne figure pas dans le programme 180, le secteur de la presse bénéficie de 38,5 millions d'euros inscrits sur le programme 134 et fixés conformément à l'accord-cadre afin de compenser les tarifs préférentiels de La Poste.

2. Comment réformer les aides directes à la presse ?

Le rapporteur pour avis a analysé l'année dernière les raisons qui devraient pousser à une réforme des aides directes à la presse. Intangibles, ces aides semblent comme figées dans le temps. Opaques, elles se trouvent divisées en plusieurs enveloppes réparties par décret qui ont été créées au fil des années pour répondre à telle ou telle situation particulière. Complexes enfin, elles interdisent une lecture synthétique et une analyse globale.

Les huit entités qui ont reçu le plus d'aide en 2023

Le Parisien

12 685 355 €

Le Monde

5 744 320 €

Le Figaro

5 667 774 €

Ouest-France

5 455 395 €

La Centrale de l'Édition

5 395 000 €

Libération

5 199 912 €

Bayard Presse

4 990 510 €

L'Humanité

3 970 086 €

Lors de son audition le 24 octobre 2023, la ministre de l'époque s'était engagée à lancer le chantier de la réforme des aides à la presse. Si l'excuse de la dissolution peut être avancée pour justifier l'absence de réforme cette année, le rapporteur pour avis n'a été informé d'aucune réflexion en ce sens, et la ministre de la culture, en dépit d'une question du rapporteur pour avis lors de son audition le 5 novembre 2024, n'a pas plus apporté de réponses. L'extrême sensibilité du dossier dans un secteur en souffrance peut expliquer la prudence du gouvernement sur ce point. Cependant, des demandes de plus en plus pressantes se font sentir, dans les nombreux travaux du Sénat, de l'Assemblée nationale et des États Généraux de l'Information pour avancer sur cette question.

Le rapporteur pour avis renouvelle donc son souhait qu'une réforme d'ampleur, qui ne semble pas nécessiter des dispositions législatives, puisse être enfin concertée et entamée en 2025.

B. DES AIDES INDIRECTES TOUJOURS MAL ÉVALUÉES

Les aides indirectes demeurent pour certaines d'entre elles mal évaluées. Elles regroupent :

ü des aides sociales avec, en particulier, les dispositifs d'allègement des cotisations sociales des journalistes. Aucune évaluation n'a cependant été réalisée depuis 2014, année où l'enveloppe s'élevait à 172 millions d'euros. Sur la base de l'évolution du nombre de journalistes depuis 2014, on peut de manière sommaire estimer le montant en 2024 à environ 160 millions d'euros.

ü des crédits d'impôt, avec principalement le taux de TVA réduit de 2,1 % sur les titres de presse. Il convient de rappeler que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, le ministère des finances a modifié le mode de calcul des dépenses fiscales liées à la TVA, un changement qualifié de « bien opportun » par le rapporteur pour avis, rejoint par la commission des finances du Sénat. Ainsi, alors que la dépense fiscale dans le projet de loi de finances pour 2023 était évaluée à 160 millions d'euros, elle a été ramenée à 60 millions dans celui de 2024, montant inchangé dans le projet de loi de finances pour 2025. L'estimation pour l'année 2025 est pour sa part de 60 millions d'euros. Contrairement à l'année précédente, c'est ce dernier montant qui sera retenu dans le présent rapport, ce qui explique la baisse par rapport au montant de l'année précédente.

Dans l'ensemble, les aides à la presse représentent donc un montant de 462 millions d'euros. À périmètre inchangé, le montant des aides serait estimé à 564,5 millions d'euros en 2025.

En dépit du ralentissement de l'inflation, qui pourrait s'établir selon les dernières projections à 2,5 % en 2024 et 1,8 % en 2025, la stabilité relative des dotations traduit cependant une diminution des aides en termes réels qui se poursuit année après année.

III. ENCORE UNE ANNÉE PERDUE POUR LA RÉFORME DE LA DISTRIBUTION

Les montants consacrés à l'aide à la distribution en 2025 représentent 177,8 millions d'euros, soit plus des trois-quarts des crédits d'aide à la presse.

La distribution de la presse peut emprunter deux canaux :

ü directement chez le lecteur qui aura souscrit un abonnement. La presse est alors distribuée par La Poste, ou bien par un réseau spécialisé de portage ;

ü ou bien chez un vendeur de presse qui propose les titres à ses clients. Les journaux sont acheminés à travers les deux messageries de presse.

Ces deux types de commercialisation donnent lieu à des aides spécifiques de la part de l'État.

A. LA RÉFORME ENCORE INACHEVÉE DU PORTAGE ET DU POSTAGE

85 % de l'enveloppe destinée à la distribution, soit 150,8 millions d'euros, est destinée à soutenir les réseaux de portage et le postage.

Cette somme est divisée entre :

ü des aides à l'exemplaire posté, réservées aux éditeurs de publications IPG et à faibles ressources publicitaires (QFRP/QFRPA), pour 65,5 millions d'euros ;

ü des aides au portage, également destinées à la presse IPG et à faibles ressources publicitaires, pour 46,8 millions d'euros, dont 11,6 pour compenser les exonérations de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse ;

ü la compensation versée à La Poste, pour un montant de 38,5 millions d'euros.

Ces aides ont fait l'objet d'une réforme de grande ampleur, dite réforme « Giannesini », qui a fait l'objet de développements spécifiques dans le rapport pour avis pour 20222(*).

Le décret n° 2023-132 du 24 février 2023 institue ainsi une aide à l'exemplaire des titres de presse postés ou portés, réservée aux titres d'information politique et générale (IPG) d'une périodicité au maximum hebdomadaire, à leurs suppléments d'IPG et aux publications d'une périodicité au maximum quotidienne qui apportent régulièrement des informations et des commentaires sur l'actualité de l'ensemble des disciplines sportives.

Depuis 2023, l'ensemble des publications de presse, d'IPG ou non, bénéficient ainsi d'une grille tarifaire postale unique. Cet avantage, proposé dans le cadre de la mission de service public de transport et de distribution de la presse, est partiellement compensé à La Poste. L'avantage tarifaire complémentaire réservé aux publications d'IPG est remplacé par l'aide à l'exemplaire pour les titres de presse postés.

Le fonds d'aide au portage, institué en 1998, est quant à lui abrogé et remplacé par l'aide à l'exemplaire pour les titres de presse portés. Une aide temporaire aux réseaux de portage a également été instituée pour les années 2023 et 2024, afin d'accompagner les réseaux dans leur ouverture aux publications de presse éditées par d'autres sociétés que celles appartenant au même groupe.

Le principe de cette réforme est, de manière progressive, d'inciter les éditeurs à structurer des réseaux de portage là où cela est possible, l'objectif étant in fine de ne plus recourir à La Poste que dans les zones où il n'existe pas d'autres possibilités, notamment dans les territoires ruraux. Au 1er janvier 2024, à l'exception de ces territoires, le montant de l'aide postale a donc diminué de 15 %.

En comptabilisant la diminution de la compensation versée à La Poste, la réforme permet en 2025, à périmètre constant, une économie globale de 6,7 millions d'euros.

Pour autant, le rapporteur pour avis note que le déploiement des réseaux de portage semble prendre plus de temps qu'initialement prévu, ce qui est regrettable, d'autant plus que la qualité de service fournie par La Poste est loin de paraitre irréprochable aux éditeurs. Il est donc essentiel de poursuivre le mouvement entamé en 2022.

B. LES AIDES À LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE QUOTIDIENNE

Le rapporteur pour avis a développé, dans ses précédents rapports, l'historique des sociétés de distribution de la presse au numéro en France, marqué par les errements de la société Presstalis, dont le coût pour les finances publiques a dépassé en 14 ans les 600 millions d'euros. Comme il l'écrivait l'année dernière, la situation créée par la présence de deux opérateurs concurrents, dont l'un lourdement subventionné, s'apparente à un « duo mortifère » entretenu année après année.

 

La distribution de la presse au numéro en France est assurée par les Messageries Lyonnaises de presse (MLP), avec 75 % du marché, et France Messagerie, héritière des NMPP et de Presstalis. Cette dernière société est la seule à assurer la distribution de la presse quotidienne nationale, ce qui lui impose des contraintes spécifiques.

L'aide à la distribution de la presse chez les vendeurs est réservée aux titres de la presse quotidienne IPG. Leur mise à disposition chaque jour, en chaque point du territoire, relève en effet d'un objectif d'intérêt général.

Afin de permettre la distribution des quotidiens, deux mécanismes ont été mis en place :

ü une aide d'État s'élevant à 27 millions d'euros. Elle bénéficie de manière directe à France Messagerie pour 9 millions d'euros, et indirecte à travers les 18 millions d'euros destinés aux éditeurs afin de les aider à absorber les coûts ;

ü une péréquation, mise en place en 2012, qui vise à répartir entre tous les éditeurs les surcoûts induits par la distribution de la presse quotidienne. Concrètement, elle est versée par tous les éditeurs de presse magazine à France Messagerie pour lui permettre d'assurer cette mission. L'Arcep en a fixé le montant à 8,3 millions d'euros pour 2023, dont 4,9 millions à la charge des MLP.

Selon les informations transmises au rapporteur pour avis, l'ensemble des aides couvrirait 68 % du coût de la distribution des quotidiens.

La perpétuation de cette situation présente trois risques majeurs :

ü tout d'abord, le champ exact couvert par l'aide à France Messagerie et par la péréquation n'apparait pas clairement, les deux étant supposées compenser les surcoûts liés à la distribution de la presse quotidienne. Une action contentieuse a été récemment initiée par les MLP pour éclaircir ce point ;

ü ensuite, si France Messagerie a su réduire ses coûts dans un marché en attrition, ses résultats financiers ne peuvent qu'interroger. Ainsi, la société a dégagé un résultat net de 4,8 millions d'euros en 2022 et de 11,2 en 2023, en raison pour cette année d'une reprise comptable sur la liquidation de Presstalis. France Messagerie dégage donc des résultats constamment positifs, et devrait poursuivre sur cette voie en 2024 et 2025 selon l'Arcep. En conséquence, si l'avenir de la société peut apparaitre assombri à moyen terme, il est assuré sur le court terme, sous l'hypothèse d'un maintien des niveaux actuels de soutien et de péréquation ;

ü enfin, les volumes d'aide au bénéfice de la presse quotidienne nationale IPG suscitent de fortes oppositions dans le reste du secteur, ce qui nuit à la cohésion d'ensemble de la presse.

Les ministres de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de la culture ont ainsi, par lettre du 23 mai 2023, chargé l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) d'une mission sur la distribution de la presse. Dans son rapport remis en novembre 2023 et publié en avril 20243(*), la mission d'inspection a dressé un état général du marché de la distribution de la presse et de ses perspectives d'évolution et proposé des pistes de réorganisation de la filière, de l'impression du titre jusqu'à sa remise au lecteur.

Plus précisément, le rapport envisage quatre scénarios :

- le premier vise à inciter les acteurs à restructurer la distribution de la presse quotidienne nationale (PQN) en prévoyant une réduction pluriannuelle du soutien public ;

- le deuxième scénario propose la création d'un service public de distribution de la presse au numéro ;

- le troisième scénario consiste en une optimisation et une clarification du système existant. Les leviers identifiés par ce scénario sont à la discrétion des acteurs de la filière qui ont déjà entrepris d'activer certains d'entre eux ;

- le quatrième scénario, en complément du précédent, propose une réforme structurelle assise sur la mutualisation de l'impression et de la distribution de la presse nationale et régionale au numéro et au portage.

À la suite de ce rapport, la ministre de la culture a annoncé une concertation de filière de 6 à 8 semaines à partir du lundi 22 avril dernier, pilotée par Sébastien Soriano, ancien président de l'Arcep. Conformément aux préconisations du rapport, notamment dans son quatrième scénario, cette concertation pourrait mener à une réforme législative et réglementaire et à des modifications dans les schémas logistiques, industriels et organisationnels de la filière. Cette réforme doit permettre une rationalisation des coûts et une diminution des pollutions induites par la presse imprimée grâce à une mutualisation des flux, de l'impression au lecteur, entre la presse quotidienne nationale et régionale et entre les flux vendus au numéro et distribués aux abonnés.

Cette mission a été suspendue suite à la dissolution de juin 2024, mais a repris ses travaux et devrait prochainement remettre ses conclusions.

Le rapporteur pour avis attend donc avec impatience les propositions de ce rapport et regrette cette année perdue pour une réforme de la distribution de la presse au numéro qui prend décidément trop de temps.

De manière générale, à l'heure où la diffusion de l'information en numérique s'impose comme le canal de communication dominant, il n'est pas inutile de s'interroger sur l'ampleur budgétaire de l'aide à la distribution physique, qui ne bénéficie en réalité très majoritairement qu'à une certaine famille de presse.

IV. DES RADIOS FINALEMENT SAUVÉES

Le secteur radiophonique local couvre un vaste ensemble de 746 stations. Présentes sur l'ensemble du territoire, en particulier dans les outre-mer et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, elles contribuent à la vitalité démocratique, la découverte de jeunes talents ou aux campagnes d'intérêt général.

La version initiale du projet de loi de finances pour 2025 prévoyait pourtant une économie de 10 millions d'euros sur le Fonds de Soutien à l'expression radiophonique (FSER), qui serait passé de 35,7 en 2024 à 25,3 millions d'euros en 2025, soit une baisse de 30 %.

Très rapidement, de nombreux élus de tous bords politiques se sont mobilisés pour alerter sur le risque de déstabilisation de tout un secteur et, au-delà, du lien social. Ils ont été rejoints notamment par le Président de l'Arcom, qui, lors de son audition devant la commission le 16 octobre4(*), a indiqué : « J'appelle d'ailleurs particulièrement votre attention sur le devenir des crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER), qui semblent menacés, alors qu'ils profitent principalement aux nombreuses radios associatives présentes sur nos territoires et nécessitant une attention particulière en cette période de déploiement du DAB+ ».

Les subventions attribuées par le FSER représentent en effet 40 % en moyenne des ressources de ces éditeurs, qui ne sont que marginalement récipiendaires des campagnes publicitaires.

La diminution drastique des crédits du FSER menaçait donc directement tout un secteur.

Finalement, interrogé par Béatrice Bellamy lors de la séance de questions au gouvernement, à l'Assemblée nationale du 29 octobre 2024, le ministre des comptes publics a indiqué renoncer à la ponction sur les crédits du FSER : « Nombre de nos concitoyens, dans tous nos territoires, y sont à juste titre très attachés. Il en existe plus de 750, dont le financement dépend pour plus de 40 % du FSER. Comme vous le dites très justement, les collectivités territoriales n'ont pas à prendre le relais de ce financement et ne le feront pas, ce qui pourrait mettre ces radios en danger. Le Gouvernement a entendu votre préoccupation. Je vous annonce que nous appliquerons la proposition faite de manière remarquablement transpartisane lors des travaux en commission. Nous rehausserons ainsi les crédits prévus pour le FSER au niveau qui était le leur en 2024, à savoir un peu plus de 10 millions d'euros. Cela permettra à ces radios locales et associatives de continuer d'émettre et d'assurer l'entretien des liens de proximité, le développement du lien social et le pluralisme de l'information, si important dans notre pays ». Interrogée par le rapporteur pour avis lors de son audition devant la commission le 5 novembre, la ministre de la culture a confirmé ce point : « Sur le sujet des radios associatives, j'ai reçu l'ensemble des représentants et je leur ai indiqué que l'on trouverait une solution ; c'est le cas, notamment concernant la baisse de 10 millions d'euros. Nous avons obtenu du ministre en charge des comptes publics qu'un amendement du Gouvernement puisse corriger cela dans le courant de la discussion de la loi de finances ».

Le rapporteur pour avis se félicite que le gouvernement ait entendu la voix des territoires et ait renoncé à ce projet funeste.

Il attend maintenant que toutes les conséquences en soient tirées sous forme d'amendement du gouvernement dans le projet de loi de finances.

Sur le fond, on peut cependant s'interroger sur les raisons qui ont pu pousser à faire porter l'intégralité de l'effort d'économies budgétaires de la mission « Médias, livre et industries culturelles » sur cette seule action, sans qu'aucune justification n'ait été apportée dans les documents budgétaires.

V. L'AFP DANS LE FRACAS DU MONDE

A. UNE SITUATION ÉCONOMIQUE NETTEMENT AMÉLIORÉE

La France dispose avec l'Agence France-Presse (AFP) d'une des trois plus grandes agences de presse au monde avec Reuters et AP.

Reconnue pour sa présence à l'international, avec 2 600 collaborateurs répartis dans 150 pays et 260 villes, l'AFP a su, ces dernières années, avec le soutien de l'État, conforter son modèle économique, dans une conjoncture pourtant peu favorable.

La dotation de l'État à l'AFP évolue en 2025 conformément aux engagements du COM 2024-2028, pour s'établir à 143 millions d'euros, en hausse de 0,9 %.

Elle se répartit entre :

- une enveloppe destinée à compenser les missions d'intérêt général (MIG) pour 120 millions d'euros ;

- les abonnements souscrits pour le compte des services de l'État (23 millions d'euros).

Résultat net de l'AFP entre 2018 et 2025

(en milliers d'euros, prévisions pour 2024 et 2025)

 

L'Agence a mené ces dernières années une politique d'accroissement de ses ressources et de maitrise de ses coûts qui porte ses fruits, avec un résultat net excédentaire depuis 2020. La baisse observée en 2024 s'explique par les charges liées à une actualité exceptionnelle marquée par des conflits militaires, des élections sur plusieurs continents et les Jeux Olympiques et Paralympiques.

L'Agence a réalisé 16 millions d'économies sur son précédent COM 2019-2023, et s'est engagée à un effort supplémentaire de 9 millions d'euros d'ici 2028.

L'endettement de l'AFP, qui était de 50 millions d'euros en 2018, devrait ainsi être nul en 2028, ce qui représentera une économie annuelle de 4 millions d'euros d'intérêts.

L'Agence a donc su composer dans un environnement économique difficile pour tous marqué par une forte inflation, mais plus spécifiquement pour un secteur des médias en pleine recomposition de son modèle.

Le rapporteur pour avis souligne la résistance et les efforts d'adaptation considérables de l'AFP ces dernières années.

B. LES DÉFIS DE L'AFP

En dépit de ses excellents résultats, l'AFP sera confrontée dans les années à venir à de nombreux défis.

1. Composer avec un marché difficile

Le rapporteur pour avis et les nombreux travaux du Sénat témoignent année après année des difficultés rencontrées par l'ensemble des médias, de la presse écrite aux télévisions, doublement fragilisées par la numérisation et l'émergence de nouveaux concurrents de plus en plus polarisés. L'AFP n'échappe pas à ce contexte morose.

Ainsi, les prévisions de croissance du chiffre d'affaires pour les années à venir ne s'établissent qu'à 1 %, contre 2,5 % précédemment. De nombreux éditeurs hésitent dorénavant à renouveler leurs abonnements AFP, ou bien, pour les plus grands, n'en conservent plus qu'un seul.

Agence de renommée mondiale qui réalise plus de 60 % de son chiffre d'affaires à l'international, l'AFP doit donc tenir l'équilibre délicat d'une maitrise de ses coûts, tout en s'imposant comme la source la plus fiable possible pour les médias ou les personnes qui recherchent des faits avérés et vérifiés.

Dans ce contexte, l'Agence bénéficie de l'image flatteuse de son réseau de journalistes implanté dans des endroits où elle fait partie des rares organes à pouvoir encore travailler, comme l'Afghanistan, et du soutien constant de l'État, conforté encore cette année par le respect du COM.

2. Des droits voisins à conforter

Le titre même de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse devrait suffire à éteindre toute forme de doute sur l'éligibilité de l'AFP à cette rémunération.

Si besoin en était, les avis de l'Autorité de la concurrence et le jugement de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2020 ont été parfaitement explicites sur ce point. L'AFP, qui bénéficie d'une position particulière dans l'écosystème français des agences de presse, a pu négocier des accords avec Google et Meta qui courent encore pour deux ans, mais n'est pas plus parvenue que les éditeurs à trouver un terrain d'entente avec le groupe Microsoft.

Il n'en demeure pas moins que la question de la rémunération des agences de presse demeure une source de contentieux et d'incompréhensions, comme ont pu en témoigner les débats sur l'article 7 de la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et mieux protéger les journalistes, déposée par Sylvie Robert et discutée au Sénat le 17 octobre 20245(*).

Le rapporteur pour avis est à l'origine de l'amendement de suppression du paragraphe qui proposait une nouvelle rédaction pour l'article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle, en apparence plus favorable à la reconnaissance des agences de presse. Comme il l'a indiqué en séance, il tient cependant à préciser que son amendement, qui a été adopté par le Sénat, ne remettait en aucun cas en cause le principe même de ces droits voisins pour les agences, mais a été présenté uniquement pour des raisons de conformité juridique à l'article 2 de la directive européenne du 17 avril 2019 qui fonde les droits voisins.

Le rapporteur pour avis estime qu'il est maintenant nécessaire d'établir un bilan de ces droits voisins au niveau national et européen afin, le cas échéant, de faire évoluer le cadre juridique et de conforter encore plus les agences de presse.

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La commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a émis, lors de sa réunion plénière du 27 novembre 2024, un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 27 NOVEMBRE 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen de l'avis préparé par Michel Laugier sur les crédits consacrés à la Presse au sein du PLF pour 2025.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la presse. - Je serais très heureux si je pouvais, à l'instar de notre collègue Jérémy Bacchi pour le cinéma, vous présenter chaque année des résultats plus qu'encourageants et annoncer des perspectives prometteuses pour le secteur de la presse. Hélas, tel n'est pas le cas, car la presse dans son ensemble va mal et voici quelques chiffres pour bien fixer les esprits : tout d'abord, en 2023, la presse écrite a encore connu une baisse de ses ventes, de 4,5 %, ce qui est dans la norme de ces dernières années ; ensuite, la vente au numéro de presse quotidienne est passée en 5 ans de 487 millions d'exemplaires à 290 millions, soit une baisse de 60 % ; enfin, sur 20 ans, les recettes liées aux ventes ont diminué de 48,2 % et celles liées à la publicité de 70 %.

Je ne vous apprends rien, et nous l'avons très récemment rappelé en séance publique grâce à la proposition de loi de notre collègue Sylvie Robert, que la presse est engagée dans une forme cercle vicieux. Elle est prise entre, d'un côté, des difficultés économiques considérables qui pèsent sur sa capacité à investir et à rétribuer correctement les journalistes : or sans équilibre économique, il n'y a pas de presse libre et indépendante. De plus, elle est confrontée à une mise en cause du statut de l'information dans nos sociétés, comme me l'indiquait lors de son audition le président de l'AFP Fabrice Fries, qui se traduit par une forme de suspicion généralisée sur la production éditoriale à laquelle beaucoup préfèrent désormais des médias « alternatifs » sur les réseaux sociaux, polarisés à l'extrême, et qui ont moins le souci d'offrir des faits de que propager des opinions. À ce mouvement de fond, qui interroge en profondeur nos sociétés, il faut ajouter les difficultés conjoncturelles qui, comme d'autres secteurs, ont frappé la presse, avec l'explosion de ses charges, notamment de papier - et vous vous rappelez que vous avions d'ailleurs su en 2023 obtenir une aide du Gouvernement dans ce domaine.

En bref, et pour citer - avec son autorisation - une des personnes auditionnées, la presse a « les charges de Gutenberg et la concurrence de Zuckerberg ».

Pourtant, on ne peut pas dire que les pouvoirs publics ne soutiennent pas le secteur en France, mais le font-ils bien ? Telle est la question à laquelle je me propose d'apporter des éléments de réponse. Tout d'abord, les crédits que nous examinons sont stables dans l'ensemble. Le seul mouvement notable est la baisse des aides à la diffusion, qui traduit l'impact de la réforme du portage et du postage, sur laquelle je me suis longuement exprimé ces dernières années. Les aides au pluralisme et à la modernisation n'évoluent donc qu'à la marge. Je voudrais attirer notre attention sur ce point : depuis plusieurs années, les crédits de la presse sont reconduits quasiment à l'identique, dans leur montant comme dans leur répartition, sans que les résultats se fassent sentir. On peut au mieux dire que ces aides constituent juste un frein sur une pente bien raide... Doit-on s'en satisfaire ?

Je vais ici rappeler, comme chaque année, deux sujets qui devraient faire l'objet de réformes profondes. Le premier concerne les aides directes à la presse qui présentent trois caractéristiques : elles sont intangibles, comme figées dans le temps ; elles sont opaques, divisées en plusieurs enveloppes réparties par décret qui ont été créées au fil des années pour répondre à telle ou telle situation particulière ; enfin, elles sont complexes car elles interdisent une lecture synthétique et une analyse globale. Cela dit, il faut se garder du réflexe consistant à accuser le Gouvernement de passivité et d'aveuglement. La réforme des aides directes à la presse n'est ni aisée, ni évidente, sans quoi elle aurait déjà au lieu. Les titres de presse aidés en ont certainement besoin et leur retirer brutalement les subventions ne ferait que les enfoncer davantage. Je souligne que ce sujet est sur la table depuis des années : j'ai interrogé, depuis que j'exerce cette fonction, pas moins de six ministres de la culture, dont Rachida Dati le 5 novembre dernier ; tous ont annoncé s'emparer du sujet, sans que la moindre tentative de réforme ne voie le jour par la suite. Ces aides directes devraient constituer des aides à l'évolution, et non à la préservation. Elles devraient encourager l'indépendance des rédactions, mieux accompagner la transition numérique et, en un mot, préparer le futur or elles ne le font pas, du moins, c'est ce que nous disent les résultats de la presse en 2024.

J'en viens au second point, à savoir le « marronnier » de la distribution. Juste un chiffre : les aides à la distribution physique des quotidiens, essentiellement IPG (information de politique générale), c'est-à-dire le portage, le postage et les soutiens aux marchands de presse, représentent 77 % de l'ensemble des crédits, soit 178 millions d'euros. On peut s'en réjouir, car nous sommes encore en mesure de distribuer des exemplaires papier sur l'ensemble du territoire et auprès des abonnés. On peut aussi trouver curieux qu'une telle proportion soit réservée à la presse quotidienne papier, alors même que l'essentiel de l'information passe désormais par le numérique. La réforme des aides au portage et au postage a été lancée : même si elle demeure encore inachevée et plus lente que prévu, elle a le mérite de proposer un chemin clair.

Tel n'est pas le cas de l'éternel dossier « France Messagerie », ex Presstalis et ex NMPP. Vous vous rappelez que France Messagerie a été créée suite à la faillite de Presstalis : cette société est la seule à distribuer les quotidiens et assure également la distribution de magazines. Avec 25 % du marché, elle est désormais derrière son éternel rival, les Messageries Lyonnais de Presse (MLP). France Messagerie bénéficie de deux mécanismes d'aide pour assurer la distribution des quotidiens : une aide d'État de 27 millions d'euros, dont 9 millions qui lui sont directement alloués et une péréquation en provenance des magazines, pour 8,3 millions d'euros, dont près de 5 millions de son concurrent MLP. France Messagerie a mené une politique plutôt saine et efficace, dans un marché en attrition constante ; elle a revendu des dépôts et considérablement réduit sa masse salariale.

Cependant, cette situation qui perdure depuis des années conduit à trois problèmes sérieux : tout d'abord, le champ exact couvert par l'aide à France Messagerie et par la péréquation n'apparait pas clairement, les deux étant supposées compenser les surcoûts liés à la distribution de la presse quotidienne ; une action contentieuse a d'ailleurs été récemment initiée par les MLP pour éclaircir ce point. Ensuite, les résultats financiers de France Messagerie ne peuvent qu'interroger. Ainsi, la société a dégagé un résultat net de 4,8 millions d'euros en 2022 et de 11,2 millions d'euros en 2023, en raison, pour cette année, d'une reprise comptable sur la liquidation de Presstalis. France Messagerie dégage donc des résultats constamment positifs et devrait poursuivre sur cette voie en 2024 et 2025 selon l'Arcep. En conséquence, si l'avenir de la société peut apparaitre assombri à moyen terme, il est assuré sur le court terme, sous l'hypothèse d'un maintien des niveaux actuels de soutien et de péréquation.

Enfin, les volumes d'aide au bénéfice de la presse quotidienne nationale d'information de politique générale (IPG) suscitent de fortes oppositions dans le reste du secteur, ce qui nuit à la cohésion d'ensemble de la presse. Vous m'entendez en parler chaque année, là encore, c'est parfois un peu désespérant... Un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires culturelles a permis d'élaborer plusieurs scénarios pour une solution définitive. On devrait donc parvenir, sous réserve de toutes déconvenues que nous avons déjà connues, à une mutualisation poussée de la distribution, notamment avec la presse quotidienne régionale (PQR). Un travail a été confié à Sébastien Soriano, ex-président de l'Arcep, et devrait être remis d'ici la fin de l'année. Je formule donc le souhait que 2025 soit une année d'action, après une année 2024 qui a surtout été celle de la déception.

J'en viens à un thème qui nous a énormément mobilisé ces dernières semaines, à savoir les radios associatives. J'en parle avec d'autant plus d'émotion que c'est dans l'une d'entre elles que j'ai commencé ma carrière professionnelle il y a un certain nombre d'années... De manière totalement incompréhensible, les premiers arbitrages budgétaires ont sabré le tiers des subventions de ces acteurs essentiels de la vie démocratique locale, soit 10,4 millions d'euros. Le président de l'Arcom lui-même s'en est ému lors de son audition devant notre commission le 16 octobre dernier. L'enveloppe qui leur est réservée représente pour beaucoup d'entre elles 40 % de leurs ressources.

L'existence même des 746 radios locales était donc directement menacée, et ce, sans aucune explication, les documents budgétaires étant muets sur les raisons de cette baisse. Fort heureusement, de nombreux élus, en particulier de notre commission, sont montés au créneau pour dénoncer cette très grave atteinte à ce média, et le Gouvernement a dû faire machine arrière devant l'Assemblée nationale le 29 octobre dernier en s'engageant au rétablissement de ces crédits, ce qui a été confirmé par la ministre de la culture devant nous le 5 novembre. J'ai, de mon côté, obtenu l'assurance ferme que le rétablissement des crédits du Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) sera bien acté par le dépôt d'un amendement du Gouvernement sur la seconde partie de la loi de finances. Nous attendons donc désormais le dépôt de cet amendement.

Avant de conclure, je veux dire un mot de l'Agence France-Presse. Il s'agit d'un véritable rayon de soleil dans ce programme et d'un soleil courageux qui montre, dans un contexte très difficile pour les agences de presse, qu'une bonne gestion peut avoir des effets significatifs sur une entreprise. L'AFP affiche un résultat net excédentaire depuis 2020, après plusieurs années de déficit. L'AFP a su mener une vraie réflexion sur ses axes de développement - en restant dans l'enveloppe fixée par son COM (contrats d'objectifs et de moyens) - et investir dans des activités à plus forte valeur ajoutée, comme la vidéo et la photographie, sans renoncer pour autant à son exceptionnelle implantation dans le monde. 16 millions d'euros d'économies ont été réalisés entre 2019 et 2023 et 9 millions d'euros sont prévus d'ici 2028. Son endettement, de 50 millions en 2018, devrait à cette date être nul, ce qui nous fait bien sûr tous rêver au milieu de l'examen d'un budget en déséquilibre. Le tableau n'est cependant pas absolument rose car l'AFP est confrontée à deux grands défis : le premier est que l'Agence ne peut pas s'abstraire du contexte général de l'information que je vous ai décrit. Ses principaux clients sont des médias dangereusement fragilisés, et à ce titre, il existe des risques évidents sur ses recettes à moyen terme. L'AFP, qui réalise 60 % de son chiffre d'affaires à l'international, va donc devoir lutter face à ses deux grands concurrents pour « arracher de nouveaux contrats ».

Le second défi, que nous connaissons bien ici, porte sur la renégociation des droits voisins. Nous avons longuement abordé cette question à l'occasion de la discussion de la proposition de loi de Sylvie Robert en septembre dernier mais je précise que l'AFP présente ici deux caractéristiques qui la singularise. D'un côté, elle a les mêmes difficultés que les éditeurs à obtenir des accords favorables qui lui permettent d'être rétribuée à sa juste valeur ; de l'autre, en tant qu'agence de presse majeure, elle a plus facilement pu négocier que les petites agences de presse qui souffrent de l'imprécision des termes de la directive de 2019 dont la loi française constitue la transposition. Je rappelle pourtant que le jugement de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2020 est parfaitement explicite sur l'éligibilité des agences de presse aux droits voisins, même si nous pouvons convenir que les modalités pratiques sont complexes à établir. Dès lors, l'année qui vient sera cruciale non seulement pour l'AFP, mais également pour toutes les agences et pour les éditeurs.

Je ne saurais conclure sans mentionner les États généraux de l'information (EGI), devant lesquels un certain nombre d'entre nous ont été entendus. Ils ont remis leurs conclusions en septembre, et la ministre a annoncé le prochain dépôt d'un projet de loi sur le sujet. Nous ignorons encore l'ampleur de ce texte : sera-t-il une simple adaptation, ou bien la profonde réforme que nous attendons ? Vous avez compris que la presse en souffrance attend des décisions fortes, courageuses et concertées, et donc, je veux croire la ministre quand elle indique avoir pris le sujet à bras-le-corps !

Sous le bénéfice de ces observations, je propose un avis favorable sur les crédits de la presse pour l'année 2025 et permettez-moi de remercier nos services pour leur accompagnement efficace.

Alexandra Borchio Fontimp. - Merci monsieur le rapporteur pour ce rapport lucide sur les crédits consacrés à la presse. Nous partageons bien entendu vos constats qui ne sont pas toujours d'ailleurs très positifs mais néanmoins réalistes. Je souhaite vous remercier pour votre mobilisation en faveur de l'avenir de nos radios associatives locales dont nos collègues ont été largement saisis dans leurs départements. Je fais pleinement confiance aux engagements pris par la ministre de la culture ; cependant, pour éviter une « saison 2 », conformément à mes engagements et parce que je suis par nature un peu méfiante, j'ai déposé, au nom de mon groupe, un amendement tendant à maintenir les crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique. Il s'agit de ne pas voir disparaître ce média de proximité et de marquer notre solidarité ainsi que notre engagement à ce sujet.

Mme Sylvie Robert. - Je remercie notre rapporteur pour son exposé, comme toujours très intéressant, sur ce sujet qu'il connaît bien. J'ai l'impression que d'année en année on retrouve quasiment les mêmes constats, à ceci près que l'horizon est de plus en plus sombre. Notre rapporteur a dessiné un état des lieux - la presse va mal, son équilibre économique fait défaut, ses charges comme celle du papier s'alourdissent, une suspicion plane sur elle - que je partage tout à fait et qui met en évidence la nécessité pour le Gouvernement de prendre enfin à bras le corps les difficultés de ce secteur.

Le rapporteur a également souligné qu'on parle depuis plusieurs années déjà des aides à la presse ainsi que de la distribution. J'espère vraiment qu'un projet de loi issu des EGI pourra enfin apporter des solutions ; je le dis avec d'autant plus de gravité que la situation à la fois économique et géopolitique de notre pays nous impose cet engagement. Comme le confirme l'audition du président de l'AFP à laquelle j'ai assisté, on voit bien, dans le monde qui nous entoure, la nécessité de pouvoir continuer à bénéficier d'une presse indépendante : c'est absolument capital en termes de souveraineté pour notre pays. Je partage donc en tout point les propos du rapporteur et j'espère que les engagements des différents ministres vont enfin se concrétiser.

Je voudrais rapidement évoquer la question des radios associatives. Nous faisons certes confiance à la ministre pour maintenir les crédits du FSER, mais, à l'instar de l'intervenante qui m'a précédée, je préfère qu'on puisse par amendement sénatorial écarter le risque d'une saison 2 ou 1 bis. Permettez-moi également de pointer ce qui peut apparaitre comme un détail au plan budgétaire mais qui est un sujet important, à savoir l'aide au podcast. Notre rapporteur a opportunément rappelé que la presse est liée à l'évolution de nos pratiques et de nos usages ; or on constate aujourd'hui le très fort développement du podcast et de son écoute. Je signale d'ailleurs que dans le Livre blanc de la radio publié par l'Arcom, le président de cette autorité de régulation avait souligné la nécessité de prendre à bras le corps la question des podcasts. Je rappelle que l'année dernière, l'Assemblée nationale avait supprimé dans le FSER l'aide au podcast qui représentait pourtant une somme modeste avoisinant, de mémoire, 500 000 euros. Je pense qu'il y a là un signal à envoyer en réintégrant cette somme dans le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale car celui-ci travaille beaucoup sur le développement des podcasts, ce qui permettrait de pouvoir adapter l'écoute de ces radios aux usages d'aujourd'hui. Or je ne suis pas sûre que le Gouvernement ait pris la décision d'intégrer l'aide au podcast dans l'enveloppe budgétaire qu'il envisage de rétablir en déposant un amendement que je ne connais pas à ce jour. Je préfère donc, à mon tour, garantir qu'il n'y aura pas de « saison 2 » et susciter un débat à ce sujet sur la base d'une initiative sénatoriale.

J'en termine en vous disant que nous suivrons l'avis du rapporteur.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je veux tout d'abord remercier notre rapporteur pour la qualité et la précision de son travail d'analyse sur les crédits du programme « Presse et médias » du projet de loi de finances pour 2025. Son rapport met en lumière avec une grande clarté les défis majeurs auxquels est confronté ce secteur essentiel à notre démocratie. La situation de la presse française demeure particulièrement préoccupante et comme l'a indiqué notre rapporteur, les chiffres sont une nouvelle fois alarmants avec une baisse de 4,5 % des ventes en 2023, une chute vertigineuse de 60 % pour la presse nationale et de 36 % pour la presse régionale sur la période récente. La phrase citée par Michel Laugier - « La presse a les charges de Gutenberg et la concurrence de Zuckerberg » - résume parfaitement le double défi auquel est confronté ce secteur qui doit maintenir une infrastructure de production et de distribution coûteuse tout en faisant face à la concurrence des plateformes numériques qui captent désormais plus de 70 % des revenus publicitaires en ligne.

Dans ce contexte difficile, notre groupe politique note avec satisfaction que les crédits dédiés à la presse ont été globalement préservés, avec un total de 194 millions d'euros alloués au programme 180. Nous saluons particulièrement le maintien des aides au pluralisme à hauteur de 26 millions d'euros, essentiel pour garantir la diversité de notre paysage médiatique. Comme cela a été souligné, nous nous félicitons tout particulièrement que le Gouvernement ait entendu raison concernant le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) : restons cependant vigilants car la baisse initialement envisagée de 10 millions d'euros, soit 30 % de l'enveloppe, aurait été catastrophique pour les 746 radios locales qui maillent notre territoire ; avec 40 % de leurs ressources provenant du FSER, leur survie même aurait été menacée.

Quelques points d'attention méritent cependant d'être soulignés. Tout d'abord, la réforme de la distribution de la presse prend un retard préoccupant : une année a été perdue à la suite de la dissolution, alors même que le rapport conjoint de l'inspection générale des finances et de l'inspection des affaires culturelles propose des pistes intéressantes de réorganisation de la filière. La situation actuelle que notre rapporteur avait qualifié l'année dernière de duo mortifère entre deux opérateurs dont l'un est lourdement subventionné n'est pas tenable : le coût pour les finances publiques est considérable avec près de 600 millions d'euros en 14 ans pour la seule société Presstalis et ses avatars. Il est donc urgent d'avancer sur les quatre scénarios proposés par la mission d'inspection pour réorganiser cette filière de manière plus efficiente. Deuxièmement, la question des droits voisins pour les agences de presse, et particulièrement pour l'AFP, doit être clarifiée. Si nous nous réjouissons des efforts de gestion de l'agence et de ses bons résultats, avec un désendettement qui devrait être total en 2028, son modèle économique reste fragile dans un marché en pleine mutation. Un cadre juridique global concernant les droits voisins est donc indispensable pour sécuriser ses ressources futures.

Troisièmement, nous regrettons vivement que la réforme des aides directes à la presse, pourtant maintenant maintes fois évoquée, ne soit toujours pas engagée. Ces aides qualifiées à juste titre d'intangibles, opaques et complexes par notre rapporteur mériteraient une refonte en profondeur pour gagner en efficacité et en lisibilité. Enfin, nous devons nous interroger sur l'équilibre global du système d'aide. Comme le souligne le rapport, à l'heure où la diffusion de l'information numérique s'impose comme le canal dominant, il est légitime de s'interroger sur l'ampleur budgétaire de l'aide à la distribution physique qui ne bénéficie en réalité très majoritairement qu'à une certaine famille de presse.

Pour autant, notre groupe considère que ce budget, s'il n'est pas parfait, permet de maintenir les équilibres essentiels du secteur et votera donc en faveur des crédits du programme « presse et médias » pour 2025.

M. Jérémy Bacchi. - Je voudrais à mon tour remercier et féliciter notre collègue Michel Laugier pour son rapport très complet. Les données qu'il expose ne sont pas toujours très enthousiasmantes mais le rapporteur n'y est pour rien et, en tout cas, il a décrit à merveille les difficultés qu'affronte un secteur ô combien important pour notre démocratie et pour notre pays. Je ne reviens pas sur les chiffres qui illustrent son propos et je fais observer que la tendance longue au déclin de la presse écrite est une réalité qui dépasse les frontières de notre pays. Cependant, je relève un paradoxe : dans l'imaginaire collectif et lorsqu'on interroge les Françaises et les Français, la presse écrite reste une valeur refuge de véracité de l'information contre les infox ou contre la perception des informations qu'ils peuvent glaner notamment sur les médias numériques. On a donc parfois du mal à comprendre le décalage entre le déclin continu de ce secteur et le besoin de véracité de l'information pour lequel la presse écrite reste une valeur refuge.

Plusieurs sujets ont été évoqués par le rapporteur : je partage ses propos mais, à mon sens, certaines questions doivent faire l'objet de débats et de plus longues discussions. On a ainsi évoqué les IPG qui captent en réalité une grande partie des aides à la presse, avec une dénomination et une définition de ces IPG suffisamment large pour que cela ne garantisse pas nécessairement et automatiquement le pluralisme de l'information ainsi que de la diffusion des idées des uns et des autres. Je ne sais pas s'il faut, dès lors, revoir la définition des IPG mais cela nécessite à tout le moins qu'on ouvre un débat sur ce sujet qui crée des tensions au sein du secteur et une sorte de concurrence entre les différents groupes. S'y ajoute, bien évidemment, la question de la concentration des médias : sept grands groupes concentrent à eux seuls près de 189 millions d'euros d'aide et, de prime abord, on peut penser que ce ne sont pas tous des groupes qui ont le plus besoin de ces aides publiques. Les enjeux de pluralisme et de concentration des médias ne sont assurément pas des thématiques que l'on peut traiter en une ou deux minutes.

Le deuxième point que je voulais aborder porte sur le rôle d'amortisseur des aides publiques : celles-ci ont permis a minima d'amoindrir le déclin de la presse. Cependant, la vraie question est de savoir si ce rôle est suffisant ou si notre pays a besoin d'une presse mieux diffusée. J'insiste à ce sujet sur la problématique de la distribution de la presse dans l'ensemble des territoires, y compris les plus reculés et en ruralité. On sait que la distribution y est plus coûteuse, mais il s'agit là d'un enjeu démocratique, en particulier dans la période actuelle. Si un projet de loi fait suite aux États généraux de l'information, tous ces sujets devront évidemment être mis en débat : peut-être aurons-nous des perceptions sensiblement différentes mais telle est la démocratie et la culture du débat.

Je tiens en tout cas à saluer, comme vous monsieur le rapporteur, les avancées concernant les radios et notamment l'AFP. Pour toutes ces raisons, nous suivons votre avis avec malgré tout beaucoup de vigilance.

Mme Monique de Marco. - Je tiens à remercier le rapporteur pour ses analyses toujours pertinentes et claires sur le sujet que nous traitons. Je souligne la baisse des crédits que subissent les aides à la presse malgré la crise économique aiguë que subit ce secteur. L'émergence des plateformes numériques et l'évolution radicale des comportements des citoyens a bouleversé l'économie de la presse écrite, notamment en raison d'un transfert massif des revenus publicitaires de la presse d'information vers les géants du numérique. Entre 2010 et 2020, le chiffre d'affaires tiré des ventes a baissé de 22 % tandis que les recettes publicitaires ont diminué de 56 %. La crise sanitaire a fragilisé encore davantage le secteur de la presse papier avec la fermeture de près de 20 % des points de vente. À mon sens, les aides à la presse ne doivent pas constituer une variable d'ajustement d'un budget d'austérité. La presse écrite contribue de façon essentielle à la production d'informations fiables, de qualité, plurielles, libres et indépendantes. Ce sujet a été abordé lors des EGI qui ont pointé du doigt la nécessité de rééquilibrer les rapports économiques entre la presse et les géants du numérique. Vendredi dernier, j'ai assisté à Bordeaux à l'événement « les Tribunes de la Presse ». J'ai participé à une table ronde intitulée « L'information locale a-t-elle encore un avenir ? » et j'en suis sortie un peu déprimée car aussi bien les radios que la presse écrite sont dans une impasse et n'arrivent pas à entrevoir un avenir désirable. J'observe par exemple que le journal Sud-Ouest en est à son deuxième ou troisième plan de suppression de postes ; pour sa part, le quotidien 20 Minutes, qui a décliné avec la crise Covid, ne retrouve pas dans sa version numérique un public suffisamment nombreux pour s'assurer des recettes publicitaires suffisantes. Nous vivons une période de bascule et de crise et peut-être allons-nous voir émerger en France, comme aux États-Unis, ce que l'on appelle les « déserts de l'information ».

Je reviens sur la baisse des allocations au fonds de soutien à l'expression radiophonique locale qui finance plus de 770 radios associatives : dans l'attente d'amendements du Gouvernement, je pense que notre groupe pourra aussi déposer un amendement pour remettre les 10 millions qui ont été perdus. Je préfère ici appliquer le principe de précaution et ne pas me contenter d'attendre l'amendement du Gouvernement, tout en observant que nous sommes plusieurs à adopter une telle ligne de conduite. Je crois qu'il nous faut marquer l'occasion et il aurait, à mon sens, été souhaitable que notre commission puisse, en son nom, prendre une telle initiative.

J'indique enfin que notre groupe ne suivra pas l'avis favorable suggéré par le rapporteur : nous nous abstiendrons, pour les raisons que j'ai évoquées.

M. Max Brisson. - J'aime beaucoup entendre chaque année le rapport de Michel Laugier, d'abord, parce que sa voix radiophonique me rappelle celle des radios d'autrefois (exclamations) que j'adorais. De plus, ce rapport annuel est quand même un formidable marronnier avec, au final, un diagnostic toujours aussi implacable et un objectif consensuel : tout le problème est de trouver un cheminement de sortie de crise et, à cet égard, il faut tout de même faire preuve d'un peu d'humilité car nos propositions ne sont pas meilleures que celles des gouvernements successifs ; en effet, la bascule est très difficile à réaliser. Je trouve ici une belle illustration du mal français : on empile les aides pour éviter le naufrage mais on est bien incapables d'opérer une bascule complète qui nous permettrait peut-être d'offrir de nouvelles perspectives et une espérance. Je trouve d'ailleurs que nos débats sur les radios associatives sont tout à fait intéressants et j'y ai participé. Nous avons fait le nécessaire et je pense que la ministre n'était pas totalement « coincée dans les cordes du ring » : elle a sans doute pris l'initiative d'un rétablissement des crédits et nous l'avons appuyée afin qu'elle obtienne des arbitrages gouvernementaux favorables. Au final, il y aura de nombreux amendements qui iront tous dans le même sens. Pour autant, on n'aura pas traité la question essentielle de la maison qui brûle : celle de la presse écrite. Le principal enjeu se situe autour du rôle des journalistes dans notre société et dans leur capacité, qui est le coeur même de leur métier, à certifier l'information dans un monde où circulent toutes sortes de données non fiabilisées et dont un certain nombre sont des infox. À l'évidence, les journalistes ont ici un rôle irremplaçable et essentiel à notre démocratie : pourtant, nous nous focalisons encore sur un système d'aide aux entreprises et aux structures, en continuant de soutenir une presse écrite dont on voit bien la bascule irrémédiable. Personnellement, j'adore non seulement les voix radiophoniques d'autrefois mais aussi prendre mon petit déjeuner en lisant la presse écrite fabriquée avec de l'encre et du papier mais, soyons réalistes, je m'aperçois bien que pour mes enfants, le papier et l'encre, appartiennent à la paléo-histoire. La bascule est donc bien là et on aura beau essayer de l'empêcher, on ne parviendra qu'à retarder le naufrage. En revanche, les journalistes, eux, sont irremplaçables, et donc il va bien falloir à un moment que l'on change de logiciel. Nous ne sommes néanmoins pas encore capables de le faire et il nous faut honnêtement reconnaitre qu'à travers nos propositions, on n'a pas trouvé le cheminement adéquat, même si nous partageons le diagnostic et les objectifs. J'imagine que l'année prochaine, nous aurons le plaisir d'entendre la voix radiophonique de Michel Laugier constater le malaise implacable de la presse écrite ainsi que les difficultés à sortir de l'ornière ; nous mettrons beaucoup d'espérance dans les EGI mais je doute que ces derniers puissent faire preuve de plus d'intelligence collective que nous n'en avons dans nos réunions.

M. Bernard Fialaire. - Dans le prolongement des propos de Max Brisson, je compte revenir l'année prochaine, comme les années précédentes, sur le thème de l'évolution de la déontologie des journalistes avec, une fois encore, la volonté de pousser la réflexion jusqu'à envisager la création d'un ordre des journalistes. Cela me parait tout à fait possible car, comme les sondages le montrent, si on instituait un ordre et une déontologie - à la carte, je le précise - plus officielle du journalisme, il y aurait une plus grande confiance dans la presse de la part de nos concitoyens.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis. - En réponse à Max Brisson, je fais observer que chaque année je propose des pistes de travail : celles-ci doivent aujourd'hui passer par des réformes importantes, au-delà des mesures budgétaires. Comme l'a indiqué si justement notre collègue, nous sommes aujourd'hui dans un véritable passage de la presse écrite traditionnelle vers le numérique : la presse quotidienne nationale a déjà largement avancé sur la numérisation et il revient maintenant à la presse régionale d'emprunter le même chemin, ce qui nécessite un accompagnement. Je fais observer que le travail des journalistes restera le même, qu'un journal arrive dans une boîte aux lettres, qu'on aille l'acheter au kiosque ou qu'il soit acheminé par voie numérique sur nos tablettes. Telle est la raison pour laquelle il faut aussi faire en sorte que les rédactions soient maintenues et les réformes des aides à la presse que je propose incorporent la nécessité d'aider la presse à pouvoir s'appuyer sur des journalistes professionnels à temps complet. Je pense donc qu'un certain nombre de pistes intéressantes peuvent être appliquées tout de suite.

Il est vrai qu'on attend beaucoup de la loi qui doit normalement être présentée en 2025 : la ministre de la culture s'y est engagée à la suite des EGI, mais je pense qu'elle va aller beaucoup plus loin dans les réformes qu'elle peut proposer. Je rejoins ainsi les propos de Max Brisson : nous faisons face aujourd'hui à des transitions incontournables. Je signale que la prochaine loi devra également être l'occasion d'examiner les incidences sur les réseaux sociaux : en effet, il n'est pas normal que certains aient uniquement une information tirée des réseaux sociaux alors qu'il y a un travail journalistique reconnu qui doit faire foi.

S'agissant de la rédaction d'un amendement visant à allouer 10 millions d'euros supplémentaires au FSER, le principe est incontestable mais je rappelle que seul le Gouvernement peut abonder ces crédits sans être contraint, comme les parlementaires, de compenser cette augmentation par une ponction sur d'autres lignes de la mission budgétaire : faut-il dès lors diminuer de 10 millions d'euros les crédits du programme « Livre industries culturelles » essentiellement consacrés à la BnF ? Rédiger un amendement au niveau sénatorial à la satisfaction de tous n'est donc pas aussi simple que ça et sachez tout de même que nous avons obtenu l'engagement du ministre du budget ainsi que de la ministre de la culture auxquels s'ajoutent des amendements déposés par nos collègues au nom de la commission des finances : telles sont les raisons qui nous permettent d'aborder le débat avec une certaine confiance sur ce sujet.

Pour le reste, vous avez surtout partagé les constats et la vision exprimés par le rapport que j'ai pu vous présenter aujourd'hui. Je vous en remercie et j'espère l'année prochaine pouvoir porter avec une voix tout aussi radiophonique - selon la formule de Max Brisson - un message qui insistera encore plus sur les évolutions possibles.

M. Laurent Lafon, président. - Avant de passer au vote, je vous informe que nous entendrons mercredi prochain en commission Bruno Patino au titre de la présidence qu'il a assurée des EGI : ce sera l'occasion de parler des États généraux de l'information ainsi que des discussions qu'il mène avec le ministère de la culture à propos des futurs textes de loi que nous avons évoqués.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 22 octobre 2024

Alliance de la presse d'information générale (APIG) : MM. Pierre LOUETTE, président, et Pierre PETILLAULT, directeur général, et Mme Léa BOCCARA, responsable du pôle juridique de l'Alliance de la presse d'information générale.

Jeudi 24 octobre 2024

Culture Presse : MM. Jean-Michel DETCHART, président, et Philippe DI MARZIO, directeur général.

Mardi 5 novembre 2024

- France Messagerie : MM. Éric MATTON, directeur général, et Thomas LIÉBEL, directeur financier.

- Messageries lyonnaises de presse (MLP) : M. José FERREIRA, président.

Jeudi 7 novembre 2024

Agence France-Presse (AFP) : M. Fabrice FRIES, président-directeur général.

Vendredi 8 novembre 2024

Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) : Mme Marie DE LA TAILLE, sous-directrice de la presse écrite et des métiers de l'information.

Mardi 12 novembre 2024

Syndicat national des radios libres (SNRL) : MM. Sylvain DELFAU, président du SNRL, Jean-Marc COURRÈGES-CÉNAC, co-président de la Confédération nationale des radios associatives (CNRA), Farid BOULACEL, co-président de la CNRA, et Emmanuel BOUTTERIN, président d'honneur du SNRL.

ANNEXE

Audition de Mme Rachida Dati, ministre de la culture

MARDI 5 NOVEMBRE 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Nous accueillons Mme Rachida Dati, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire de l'automne. Je dis traditionnelle, mais peut-être ne devrais-je pas, car il s'agit pour vous d'une première à ce ministère, dans la mesure où vous avez été nommée le 11 janvier dernier. Madame la ministre, votre vaste domaine de compétences recouvre un champ allant du patrimoine aux jeux vidéo, en passant par le spectacle vivant et le cinéma. Chacun de ces secteurs exprime des attentes fortes, et de nombreux défis d'ampleur sont à relever.

Les crédits de votre ministère s'élèvent à 4,7 milliards d'euros, soit environ 6 % des dépenses du budget général. En y adjoignant les crédits liés à l'audiovisuel public et aux grands opérateurs comme le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), près de 10 milliards d'euros sont consacrés à la culture sous ses différentes expressions. Je donne ces chiffres à titre illustratif, tant la situation peut encore évoluer.

Le ministre des comptes publics a ainsi annoncé que les 10 millions d'euros d'économie prévus sur les radios associatives ne seraient finalement pas prélevés, tandis que les projets d'amendements du Gouvernement font état de 100 millions d'euros d'économies supplémentaires sur les missions « Culture » et « Livre et industries culturelles ». L'audiovisuel public, quant à lui, subirait 50 millions d'euros d'économies, et des ajustements sont attendus sur le programme dédié au patrimoine.

Nous sommes conscients aussi bien de la situation budgétaire de notre pays que des conditions dans lesquelles ce projet de loi de finances (PLF) a été élaboré. Vous pourrez cependant nous aider à y voir plus clair sur les crédits que le Gouvernement souhaite affecter au domaine culturel.

En matière patrimoniale, vous avez fait récemment des propositions remarquées sur le financement du patrimoine religieux et des musées, en préconisant la mise en place d'un droit d'entrée touristique pour la cathédrale Notre-Dame de Paris, et d'une tarification différenciée pour les visiteurs non européens de certains monuments et musées. S'il est vrai que ces pratiques ont déjà cours chez plusieurs de nos proches voisins, leur mise en application au sein de nos frontières pourrait se heurter à plusieurs obstacles. Comment, madame la ministre, avez-vous l'intention de concrétiser ces annonces ?

La commission de la culture poursuit, par ailleurs, ses travaux relatifs aux restitutions d'oeuvres d'art, sujet sur lequel plusieurs de ses membres sont engagés de longue date. À l'occasion d'un récent déplacement en Côte d'Ivoire, nous avons constaté la forte attente des autorités ivoiriennes concernant la restitution du « tambour parleur » Djidji Ayôkwé, à laquelle la France s'est engagée en 2021. Nous avons observé l'investissement opérationnel et financier des autorités ivoiriennes, mais aussi des instances de coopération françaises, afin de préparer son retour dans le cadre d'un projet muséal très abouti. Pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur votre approche de ce dossier ?

Le domaine des industries culturelles, entendu au sens large, appelle également toute votre attention. Vous nous informerez des contours du projet de loi annoncé dans le cadre des États généraux de l'information (EGI), qui devra assurer un subtil équilibre entre les exigences démocratiques liées à l'information et la situation économique des acteurs. Michel Laugier, qui connaît bien les sujets relatifs à la presse, vous interrogera sans doute sur le sujet de France Messagerie, toujours pas réglé après des années d'atermoiements.

En matière de démocratisation culturelle, l'actualité est dominée par votre annonce d'une réforme du pass Culture. Notre commission a toujours considéré que ce dispositif ne pouvait constituer l'alpha et l'oméga de la politique de l'État en la matière. Nous accueillons donc favorablement votre volonté de refonte. Cependant, nous sommes aussi conscients des obstacles opérationnels auxquels celle-ci peut se heurter. À quel stade se trouve aujourd'hui votre projet de réforme ? Comment comptez-vous procéder pour le mener à bien ? Le Parlement y sera-t-il associé ?

Enfin, nous venons d'adopter la proposition de loi organique (PPLO) sur le financement de l'audiovisuel public, qui sera examinée le 19 novembre prochain à l'Assemblée nationale. Nous espérons un vote conforme qui permettrait de réintroduire dans le PLF le compte de concours financier (CCF) « Avances à l'audiovisuel public », transformé dans le texte initial en mission ministérielle. 

Les moyens alloués pour l'audiovisuel public sont en deçà de la trajectoire financière prévue par les projets de contrats d'objectifs et de moyens (COM) des sociétés publiques. Nous nous interrogeons sur la crédibilité de ces contrats dans le contexte budgétaire actuel, et nous nous demandons si votre ministère travaille d'ores et déjà sur des COM révisés, plus réalistes, en fonction des dernières annonces financières ? Ou bien attendez-vous la réforme de la gouvernance que nous appelons de nos voeux ?

Voilà les nombreux sujets sur lesquels nous attendons des précisions. Mes collègues auront sans doute également des questions sur d'autres thèmes. Depuis votre prise de fonction, vous avez bien compris que notre commission était pour vous un allié précieux mais résolument exigeant, qui garde la mémoire tant de ses travaux que de vos annonces.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. - Il arrive parfois, comme je l'avais déclaré lors de ma nomination, que l'on considère le ministère de la culture comme un ministère du loisir. À mes yeux, il s'agit d'un ministère fondamental, pour ne pas dire régalien, qui incarne l'idéal républicain et joue un rôle essentiel pour réduire les inégalités et permettre à l'ensemble de nos concitoyens de prendre part à la vie en société.

Ce budget a été débattu dans un contexte difficile pour nos finances publiques. Une première réduction budgétaire avait été annoncée il y a quelques mois de cela, avant le changement de gouvernement. L'État se doit d'être exemplaire, et le ministère de la culture doit prendre sa part dans les efforts demandés. À ce titre, je me réjouis de défendre devant vous un texte proposant un budget stabilisé à un niveau historique pour le ministère de la culture : 4,45 milliards d'euros. Depuis l'élection du Président de la République en 2017, le budget de la culture a augmenté de plus d'un milliard d'euros. Cela nous permet aujourd'hui de préserver dans tous les secteurs les moyens et l'action du ministère.

Monsieur le président, je tiens à vous remercier. Comme vous l'avez précisé dans votre introduction, vous êtes pour moi un soutien précieux et vous avez la mémoire de tout ; en espérant que ce soit toujours le cas, afin que les engagements puissent être tenus.

Je commence mon tour d'horizon par la mission « Culture ». Dans le secteur de la création artistique, les crédits de paiement (CP) s'élèvent à 1,041 milliard d'euros, dont plus de la moitié - 550 millions d'euros environ - sera consacrée au secteur subventionné en région. Lors des annulations de crédits en février dernier, j'avais indiqué que pas un euro ne manquerait au spectacle vivant dans les territoires, et cela a été le cas. L'État a répondu présent pour soutenir ces structures avec des crédits consacrés au spectacle vivant, hors opérateurs nationaux, en hausse de 45 millions d'euros entre 2022 et 2024, dont près de 9 millions d'euros en 2024 dans le cadre du plan « Mieux produire, mieux diffuser ».

Après une première année, le bilan est très positif. Aux 9 millions d'euros du ministère de la culture s'est ajoutée la participation à hauteur de 12,5 millions d'euros des collectivités. Le partenariat entre l'État et les collectivités est donc encourageant. Ce plan a fait naître de nombreux projets créatifs, et nous allons poursuivre notre double effort collectif : mieux produire, avec des mutualisations à opérer afin de maîtriser les coûts de production ; et mieux diffuser, notamment avec des séries plus longues.

L'objectif de mieux travailler avec les élus et les collectivités s'incarne pleinement dans les contrats territoriaux d'éducation artistique et culturelle (CTEAC) dont je suis à l'initiative. Le premier contrat a été signé dans le département de la Charente-Maritime il y a quelques semaines. Je tiens à valoriser le travail remarquable effectué par les collectivités en leur donnant de la visibilité, mais aussi en les incitant à s'engager aux côtés de l'État et des acteurs culturels.

En toute transparence, l'État ne pourra pas améliorer seul la situation financière du spectacle vivant. Ces dernières années, la seule réponse est venue de l'État, qui n'a cessé d'augmenter le niveau de financement de son soutien. Dans un contexte difficile, je sauvegarde le budget dédié à la création artistique, mais cette mobilisation de l'État ne suffira pas.

Il s'agit à la fois de convaincre les collectivités de poursuivre leur engagement et d'inciter le secteur à réfléchir aux leviers à sa disposition ; je pense notamment à la politique tarifaire. Je reste attachée à des prix bas pour certains publics, mais nous devons mener une réflexion globale sur le modèle économique du spectacle vivant, sans quoi ce modèle sera menacé. Cet été, j'ai reçu l'ensemble des représentants du spectacle vivant afin de pouvoir avancer sur ces questions. Encore une fois, l'État va continuer de prendre toute sa part, mais il ne peut être le seul à assumer ses responsabilités. Je sais que le sujet est essentiel pour le Sénat, et je remercie Karine Daniel pour sa compétence et sa vigilance sur le sujet.

Enfin, les moyens dédiés aux festivals sont également reconduits à hauteur de 32 millions d'euros.

La démocratisation culturelle et l'accès aux métiers de la culture constituent une priorité de ma politique, avec un budget s'élevant à 807 millions d'euros. Nous ferons en sorte, dans la suite des discussions, de ne renoncer à aucun dispositif. Je souhaite évoquer ici la réforme du pass Culture. Comme je l'ai exprimé lors de ma première audition, ce pass Culture me semblait favoriser la reproduction sociale, notamment pour ce qui concerne la part individuelle. Les publics qui en avaient le plus besoin n'étaient pas touchés, comme cela m'a été confirmé par une mission de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et par un rapport de la Cour des comptes.

Le pass Culture doit être un instrument pour faire accéder à la culture ceux qui en sont les plus éloignés, notamment en milieu rural - c'est tout le sens du plan Culture et Ruralité - et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville où, trop souvent, ce dispositif est dévoyé en n'étant qu'un simple instrument de consommation culturelle.

La part individuelle du pass Culture sera réformée en profondeur. Florence Philbert, en sa qualité de directrice générale des médias et des industries culturelles (MIC), aura pour mission de suivre l'évolution de cette réforme à partir des cinq orientations suivantes : une prise en compte des conditions de ressources des jeunes éligibles au pass ; une part réservée au spectacle vivant, ce qui n'était pas le cas jusque-là ; une meilleure articulation entre la part collective, qui bénéficie à 90 % à des enfants accédant pour la première fois à la culture ou à un équipement culturel, et la part individuelle, qui intervient plus tard ; une meilleure éditorialisation et médiation pour davantage intéresser les publics, les spectacles proposés relevant trop du listing ; et enfin, de nouvelles fonctionnalités ouvertes à un large public - je pense notamment à la géolocalisation.

J'ai diligenté deux missions afin d'assurer ces nouveaux développements sans mettre en danger le secteur du livre. En effet, le pass Culture a été beaucoup utilisé dans les librairies, non seulement pour les mangas mais aussi pour l'achat de livres nécessaires aux études supérieures. Il convient donc de ne pas se priver d'un tel accès à la culture, qui apporte par ailleurs un soutien au réseau des librairies indépendantes.

J'ai fait évoluer l'application avec de nouvelles fonctionnalités comme la géolocalisation. Pour d'autres fonctionnalités, nous avons lancé une expérimentation dans la région Grand Est ; un retour d'expérience devrait intervenir rapidement.

Certains diront que cette réforme entérine des économies, mais je ne vois pas les choses ainsi. Elle vise une meilleure utilisation des deniers publics pour un plus large accès à la culture, notamment pour ceux qui en sont éloignés.

Le 11 juillet dernier, j'ai lancé le plan Culture et Ruralité. Financé pour les trois prochaines années, il dispose dès cette année d'une enveloppe de 34 millions d'euros. La ruralité concerne 22 millions d'habitants, soit un tiers de la population française, et je tiens à ce que celle-ci ne soit pas un impensé de nos politiques culturelles. On retrouve le financement de ce plan dans le budget 2025, avec 14 millions d'euros qui s'ajoutent aux 20 millions mobilisables dès maintenant, et sans doute un complément à venir que je vous détaillerai ultérieurement.

Comme je l'avais déjà exprimé lors de ma première audition devant votre commission, le patrimoine est une autre priorité très claire ; je sais que Sabine Drexler est très engagée sur ce sujet. Dans le texte initial, les crédits connaissaient une légère augmentation pour un total annuel de 1,2 milliard d'euros. Avec ce budget, nous nous donnons les moyens de poursuivre les grands chantiers déjà lancés. Il s'agit, le plus souvent, d'un enjeu de sécurité et de remise aux normes après un drame, comme pour la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes qui va bénéficier d'un financement de 6 millions d'euros. Nous financerons également l'extension du site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, avec un investissement à hauteur de 17,7 millions d'euros.

Un sujet concerne le Centre Pompidou. Celui-ci n'avait fait l'objet d'aucune restauration d'ampleur depuis son ouverture en 1977, et les travaux représentent un coût de 29 millions d'euros pour le ministère l'année prochaine.

Parmi les autres projets importants pour la revitalisation de nos territoires, on peut évoquer la restauration de l'abbaye-prison de Clairvaux pour 14,3 millions d'euros, ou encore le programme de valorisation du château de Gaillon en Normandie pour 4,3 millions d'euros. La seule sécurisation du site de Clairvaux requiert 3 millions d'euros par an.

Le budget consacré à la restauration des monuments historiques connaît une baisse. Il s'agit d'un point d'inquiétude sur lequel je reviendrai à la fin de mon propos. Les besoins de notre patrimoine, déjà importants, sont aggravés par l'inflation et le « mur d'investissements » auquel nous faisons face avec un budget à son plus haut niveau historique. Mais nous ne sommes pas en mesure de répondre à une situation elle-même exceptionnelle.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », je souhaite poursuivre l'accompagnement des acteurs d'un secteur en pleine mutation. Je sais que votre commission suit cela de près. Au coeur des grandes mutations numériques, les industries culturelles françaises ont plus que jamais besoin de notre soutien en faveur de la diversité, du renouvellement et de la création.

Je remercie Jérémy Bacchi pour son travail sur le cinéma. La pertinence de nos modalités de soutien au cinéma a été reconnue, puisque les taxes du CNC ne seront pas plafonnées ; cela a été notre crainte, et ce ne sera pas le cas. Notre opérateur disposera donc de la totalité de ses moyens opérationnels, soit environ 780 millions d'euros en 2025. Ce budget, alimenté par une surfiscalité prélevée sur les entreprises du secteur, notamment les plateformes américaines, permettra de financer des mesures en faveur de la diffusion, comme j'ai pu l'annoncer dernièrement à Lyon.

Je me réjouis également que ce texte préserve les différents crédits d'impôt pour le cinéma, l'audiovisuel, les tournages internationaux ou encore les jeux vidéo, dans un contexte de compétition fiscale internationale. Après évaluation, il s'avère que ces crédits rapportent 6 à 7 euros d'activité en France pour 1 euro de dépense fiscale.

Concernant le secteur du jeu vidéo, quelque 200 studios ont bénéficié du crédit d'impôt, ce qui a permis à notre industrie de retrouver sa croissance. En dix ans, le chiffre d'affaires a plus que doublé, et le nombre d'emplois est passé de 3 500 en 2010 à 14 000 aujourd'hui.

C'est un enjeu de cohérence de nos politiques ; on ne peut pas, dans le cadre du plan France 2030, investir 300 millions d'euros dans nos studios et nos écoles pour les vider ensuite en provoquant la délocalisation des tournages. Des studios et des lieux de tournage ont ainsi bénéficié de cet engagement. Pour exemple, le dernier film de Jacques Audiard, dont l'action se déroule en Amérique du Sud, a été tourné en studio en région parisienne.

Je salue le travail de Michel Laugier concernant la presse et les médias. L'État maintient son soutien de 365,7 millions d'euros et préserve les crédits de 26 millions d'euros alloués au pluralisme, ainsi que le fonds de soutien aux médias d'information sociale de proximité. Sur le sujet des radios associatives, j'ai reçu l'ensemble des représentants et je leur ai indiqué que l'on trouverait une solution ; c'est le cas, notamment concernant la baisse de 10 millions d'euros. Nous avons obtenu du ministre en charge des comptes publics qu'un amendement du Gouvernement puisse corriger cela dans le courant de la discussion de la loi de finances.

Sur le sujet de l'audiovisuel public, je sais pouvoir compter sur la vigilance de Cédric Vial. Comme vous le savez, avant la dissolution de la précédente Assemblée nationale, je soutenais une réforme ambitieuse, fondée sur votre proposition de loi, monsieur le président. Les raisons qui motivaient cette réforme n'ont pas disparu, et mon constat reste le même. En revanche, nous devons prendre en compte le nouveau contexte politique. Je reste à l'écoute de toutes les sensibilités pour avancer non seulement sur le mode de financement mais aussi sur la gouvernance.

Le financement de l'audiovisuel est prévu dans le cadre du budget général. Je souhaite toutefois que ce texte initial soit amendé avant la fin de l'année, afin d'éviter une budgétisation. L'objectif est d'assurer la pérennité et la prévisibilité du financement du secteur. Grâce au vote de la proposition de loi organique (PPLO) des sénateurs Vial, Morin-Desailly, Karoutchi, Lafon et Hugonet, une première partie du chemin a été effectuée. Cette réforme du financement, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, est liée à celle de la gouvernance.

Concernant le budget de l'audiovisuel public, une mesure d'économie par rapport à 2024, de l'ordre de 50 millions d'euros, va être mise en oeuvre. Cela ne manquera pas de susciter des passions. Mais après avoir étudié le sujet avec les acteurs du secteur, je suis convaincue que nous pouvons y arriver. Il convient pour cela de travailler ensemble et en toute transparence.

Avant de conclure, je souhaite revenir sur le sujet du patrimoine. Dans certains endroits du territoire, les monuments historiques constituent le premier accès à la culture, et c'est pourquoi nous avons fait en sorte dans ce budget, comme pour chacun des volets de notre politique culturelle, de préserver l'essentiel. Nous connaissons cependant actuellement une situation exceptionnelle. L'état de notre patrimoine est alarmant, et sa dégradation s'avère extrêmement rapide : notre pays compte 45 000 monuments historiques et, parmi eux, 20 % se trouvent en mauvais état et 5 % en état de péril. Cela signifie que plus de 2 000 monuments risquent de disparaître dans les prochains mois ; voilà la réalité.

Je suis particulièrement attachée au patrimoine religieux ; il ne s'agit pas d'une affaire cultuelle ou confessionnelle, mais d'un enjeu culturel, et davantage encore. À l'heure où l'on se demande comment intéresser notre jeunesse à ce qui fonde une Nation, nous devrions tous nous battre pour défendre un tel patrimoine. On a vu également la mobilisation pour Notre-Dame de Paris après l'incendie. Sur les 15 000 édifices religieux protégés au titre des monuments historiques, 4 000 sont actuellement en danger. Le plus souvent, ils sont localisés dans des zones rurales, loin de toute attention médiatique. Je le redis : cela n'est pas acceptable.

À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, dans la continuité de l'effort porté par le Président de la République qui a notamment permis de reconstruire Notre-Dame de Paris en cinq ans et de lancer le loto du patrimoine : à mon initiative, le Gouvernement va présenter un amendement qui ajoutera 300 millions d'euros en autorisations d'engagement et 200 millions d'euros en crédits de paiement au budget du ministère de la culture en 2025, afin de répondre à cette urgence patrimoniale. Cela n'était pas encore acquis après mon audition à l'Assemblée nationale ; aujourd'hui, la décision est prise.

Le PLF pour 2025 prévoit un budget historique pour notre patrimoine, avec 7 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'an passé. Mais le chiffre s'avère en trompe-l'oeil, car le « mur d'investissements » est devant nous. Avec cet amendement, nous changeons la donne et faisons du patrimoine la grande priorité du Gouvernement. C'est un enjeu de cohésion nationale, et cela a beaucoup de sens que le ministère de la culture porte un tel projet. Dans un pays divisé, le patrimoine renvoie à l'essentiel, il est ce qui peut nous rassembler. Un pays qui ne s'engage pas pour son patrimoine ne se préoccupe pas de son avenir.

Pour le moment, nous n'avons effectué aucun fléchage précis de ces crédits supplémentaires ; nous prendrons le temps de réfléchir à leur répartition. Seront en tous cas concernés en premier lieu les monuments historiques dans tous nos territoires, et en particulier dans la ruralité. Les trois priorités de ma politique sont l'accès à la culture, le souci de la ruralité et le patrimoine. Cet amendement permettra notamment un effort supplémentaire de 55 millions d'euros pour les monuments historiques en région, en plus de ce que prévoyait déjà le budget 2025. À cela s'ajoute une enveloppe de 23 millions d'euros pour les musées dans les territoires, avec une attention spécifique - à hauteur de 8 millions d'euros - pour les petits musées qui fonctionnent souvent avec les moyens du bord et méritent beaucoup plus d'attention. Dans les communes rurales, ces petits musées s'avèrent souvent des lieux culturels beaucoup plus larges, de même que les librairies.

D'autres équipements en région, comme les centres de conservation et d'études archéologiques (CCEA), maillons essentiels de notre politique archéologique, vont recevoir des financements attendus depuis des années.

Depuis ma prise de fonction, je me suis efforcée de reconnaître le rôle primordial des collectivités. Rapidement, j'ai réuni le Conseil national des territoires pour la culture (CTC), qui porte les deux tiers de la dépense culturelle dans notre pays, tout en renforçant l'exemplarité du rôle de l'État. Aujourd'hui plus que jamais, l'État et les collectivités doivent avancer ensemble aux côtés des acteurs culturels.

Au-delà des investissements majeurs et nécessaires pour nos territoires, le Gouvernement aura une attention particulière pour les besoins les plus impérieux de nos grands établissements. Le Centre Pompidou s'avère, à ce titre, un exemple édifiant ; quand on entretient mal un monument emblématique pendant 40 ans, on en paye le prix à un moment donné. Alors que le budget pour 2025 intégrait la prise en charge des travaux du Centre Pompidou, plusieurs établissements majeurs se trouvaient confrontés à une année blanche en matière de financement de leurs investissements. La situation s'avérait problématique, notamment pour le château et domaine de Versailles qui a entamé il y a plusieurs années une démarche vertueuse de schéma directeur afin de planifier ses besoins de restauration et de remise aux normes. Aussi, pour le château et le domaine de Versailles, mais aussi pour ceux de Fontainebleau et Chambord, ainsi que pour le mobilier national, le palais de la Porte-Dorée et d'autres établissements encore - nous sommes en train d'établir la liste -, cet amendement permettra d'être à la hauteur de la situation.

Les besoins d'investissement concernent l'ensemble des champs du ministère. Un théâtre ou un conservatoire à moderniser constituent un patrimoine à l'adresse des générations futures. Cet amendement en tiendra compte. J'aurai une attention particulière pour la filière liée à la sauvegarde de notre patrimoine ; je pense à ces petites entreprises qui ont fait de la restauration des monuments un savoir-faire d'exception, que le monde entier nous envie. Au moment où s'achève le chantier de Notre-Dame de Paris, il était normal que nous offrions d'autres perspectives à cette filière, alors que les besoins sont criants.

Je voulais vous annoncer le principe de cet amendement en souhaitant que la représentation nationale soutienne le Gouvernement dans cet effort sans précédent. Là encore, l'État ne pourra subvenir seul aux besoins du patrimoine au cours des prochaines années. C'est la raison pour laquelle, en complément de cet effort, j'ai proposé plusieurs pistes : la tarification de l'entrée de Notre-Dame de Paris, qui pourrait dégager 75 millions d'euros afin de financer la restauration de l'ensemble du patrimoine religieux en région ; ou encore des tarifs différenciés au sein des grands opérateurs recevant plus de 60 % de publics étrangers.

Ces pratiques existent ailleurs, et nous devons les examiner avec lucidité pour faire face aux besoins de notre patrimoine. Pour récupérer ces fonds, nous n'avons notamment pas besoin, comme j'ai pu l'entendre, de remettre en cause la loi de 1905. Je suis à votre disposition pour les questions.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la ministre, merci pour ces annonces et notamment pour ces 300 millions d'euros de crédits supplémentaires en faveur du patrimoine. Si vous faites des annonces de ce type chaque fois que vous venez au Sénat, nous vous réinviterons plus souvent !

M. Cédric Vial, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public. - Ma première question porte sur l'effort supplémentaire demandé aux sociétés audiovisuelles publiques, qui représente environ 50 millions d'euros. Cette somme correspond à 1,5 % du budget des sociétés audiovisuelles publiques. L'effort peut être soutenable si la répartition s'établit correctement et si les discussions avec les organismes publics sont bien menées. Avez-vous aujourd'hui une idée de la répartition de cette somme entre les différents organismes ? Concernant France Télévisions, par exemple, l'effort portera-t-il sur les programmes, sachant qu'il faudrait alors revoir certains engagements pris par le groupe, ou bien sur les fonctions support ? Irez-vous jusqu'à ce degré de détail, ou indiquerez-vous seulement un montant d'économies à réaliser ?

Je souhaite également évoquer les COM. Nous devons rendre un avis la semaine prochaine sur le sujet. De ces COM il ne reste plus que le principe d'un contrat, car les objectifs ne sont plus atteignables, et les moyens ne sont plus disponibles. Je m'interroge donc sur l'avenir de ces COM. Madame la ministre, souhaitez-vous vraiment entendre notre avis la semaine prochaine ? Ou ces COM seront-ils prochainement modifiés ?

Les crédits de transformation sont, à ce stade, toujours prévus dans le budget. Selon la loi de 1986, le Parlement vote les montants et affecte les crédits aux sociétés publiques. Ces crédits, aujourd'hui, ne sont pas affectés à chaque société publique. Si la PPLO était votée par l'Assemblée nationale, il serait judicieux que les crédits de transformation soient réintégrés à la dotation de chaque organisme de l'audiovisuel public.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse. - Je vous remercie d'avoir trouvé une solution concernant les 10 millions d'euros pour les radios associatives. Allez-vous en profiter pour lancer une réforme des procédures d'attribution ? À mon sens, ce serait opportun.

Lors de votre précédente audition, vous vous étiez engagée à lancer le chantier des aides à la presse. Je comprends que la dissolution ait pu constituer un frein à cette réforme. Comptez-vous toutefois avancer dans le sens souhaité aussi bien par la commission que par les conclusions des EGI, demandant une plus grande conditionnalité de ces aides ?

La dissolution de l'Assemblée nationale a également décalé le rendu des travaux confiés à Sébastien Soriano sur les suites à donner au rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) sur la distribution de la presse. Ce dossier, crucial pour le secteur, trouvera-t-il enfin sa conclusion en 2025 ? Le prélèvement de 9 millions d'euros sur les crédits dédiés à la modernisation de la presse devait s'achever en 2022, puis 2024, mais celui-ci figure toujours dans le PLF pour 2025...

Le débat sur la proposition de loi de Sylvie Robert a souligné la nécessité d'une réflexion autour de l'évolution de la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins. Le texte annoncé lors des EGI sera-t-il l'occasion de revenir sur cette loi, notamment pour mieux définir les titres éligibles ?

Enfin, même si ces crédits ne figurent pas tout à fait dans le périmètre du programme, je constate que le projet de Maison du dessin de presse, annoncé par le Président de la République en janvier 2020, est au point mort. Aucune dotation n'est prévue. Ce projet est-il abandonné, retardé ou revu à la baisse ?

Mme Karine Daniel, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture. - Vous avez fait du renforcement des services publics culturels en milieu rural un des axes majeurs de votre politique. Parmi les 23 mesures annoncées, trois concernent plus particulièrement le secteur de la création : l'aide à l'embauche temporaire d'artistes par les mairies, les associations et les cafés ; le soutien aux festivals en ruralité ; et le développement du réseau des artothèques. Vous avez évoqué les crédits de manière globale. Pouvez-vous nous indiquer les modalités de mise en oeuvre pour chacune de ces mesures ?

Concernant le plan Culture et Ruralité, vous avez évoqué la question des tiers lieux, dont 34 % se situent en milieu rural. Où en sommes-nous sur ce sujet très attendu dans les communes rurales ?

Pour la mise en oeuvre de ce plan Culture et Ruralité, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) sont en première ligne. Or, nous observons aujourd'hui une certaine dévitalisation des Drac. Se pose donc la question de la gestion déconcentrée de ces crédits. De façon prosaïque, cela peut consister à mettre de l'essence dans les voitures pour aller voir les opérateurs dans les territoires. De nombreux retours invitent à une meilleure décentralisation ; je pense, par exemple, à la gouvernance du plan « Mieux produire, mieux diffuser » et à son articulation avec les collectivités territoriales.

Dans ce PLF pour 2025, les collectivités subissent d'importantes coupes budgétaires ; annoncées à 5 milliards d'euros, nous les évaluons plutôt à 10 milliards. Elles ne seront pas sans conséquence sur les projets culturels, les investissements et le fonctionnement.

Je souhaite également revenir sur le sujet de la filière musicale. La semaine dernière, le président du Centre national de la musique (CNM) a dressé un tableau contrasté. Malgré de beaux succès, une partie de la filière connaît des difficultés, avec notamment un problème de viabilité économique des salles. On a évoqué les scènes de musiques actuelles (Smac), d'autres salles connaissent des difficultés ; j'ai une pensée particulière pour les personnels et les bénévoles de trois salles qui ont fermé : l'Entonnoir à Besançon, l'Arrosoir à Chalon-sur-Saône et la Péniche Cancale à Dijon. De son côté, le K'fé Quoi à Forcalquier a pu être repris, mais sur un format plus restreint.

Je laisse Sonia de La Provôté évoquer le sujet des festivals. Nous aurons également un point d'attention sur le sujet de l'enseignement supérieur artistique, notamment dans les écoles d'art territoriales.

Où en est le plan global de réforme que vous aviez annoncé en mars dernier, à la suite du diagnostic confié à l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et à la direction générale de la création artistique (DGCA) ?

Du reste, le pass Culture retiendra toute notre attention lors de l'examen du budget. Nous organiserons une table ronde consacrée à ce sujet avec l'ensemble des parties prenantes au dispositif.

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - Votre plan en faveur de la ruralité suscite de fortes attentes dans les territoires. Je me félicite que vous y associiez la mise en valeur du patrimoine de nos campagnes, y compris religieux. Ce patrimoine souvent modeste et parfois ignoré n'en demeure pas moins constitutif de nos paysages.

Comme chaque année, nos auditions budgétaires soulèvent des questions sur les critères d'éligibilité aux dispositifs fiscaux profitant au patrimoine, notamment le dispositif Malraux. Celui-ci semble créer des effets d'aubaine et, dans certains cas, il encourage la spéculation immobilière dans les centres anciens déjà très attractifs, où la valeur de revente des immeubles réhabilités couvre largement les frais engagés. Cette situation est d'autant plus préoccupante que le contexte budgétaire exige une rigueur accrue dans l'évaluation de l'efficacité des mesures financées par des fonds publics. Travaillez-vous actuellement à améliorer le ciblage de ce dispositif ?

Nous le savons, le diagnostic de performance énergétique (DPE) n'est pas adapté aux spécificités du bâti patrimonial ancien. L'ajustement de sa méthodologie serait nécessaire pour permettre une évaluation plus juste de la performance énergétique. Bien que la prise de conscience progresse sur ce point, le DPE continue d'inquiéter, car il a de lourdes conséquences sur les possibilités de mise en location, sur la valeur marchande des biens et, même aujourd'hui, sur la possibilité pour les propriétaires d'obtenir des prêts pour leurs travaux de rénovation. Le temps presse : les effets néfastes et non anticipés du DPE sont déjà visibles. Dans ce contexte, pourriez-vous préciser le contenu des annonces faites par le Premier ministre et votre ministère pour assurer l'adaptation du DPE au bâti patrimonial ancien ?

Il est aujourd'hui nécessaire de s'inquiéter du sort réservé au bâti vernaculaire, qui ne fait l'objet d'aucune protection alors qu'il participe à l'attractivité de nos régions, surtout les plus reculées. Ce patrimoine, parfois méconnu mais si riche, dit tant de choses sur notre pays. Pourtant
- j'insiste -, il est menacé par des rénovations inadaptées et des destructions qui s'accélèrent. Pour faire obstacle à ce saccage patrimonial, il est urgent de réfléchir collectivement aux moyens d'assurer son identification, voire de réaliser son inventaire complet, afin qu'il figure dans les documents d'urbanisme. Il en va ainsi en matière de protection de la biodiversité : chaque particularité floristique ou faunistique est prise en compte pour favoriser une urbanisation durable et respectueuse. Envisagez-vous d'identifier et d'inventorier ce patrimoine ?

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma. - Je me réjouis que le budget du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ait été finalement épargné par les mesures d'économie, en dépit d'un prélèvement de 450 millions d'euros sur ses réserves, cette somme étant destinée à couvrir des engagements comptables.

Le 14 février dernier, le Sénat a adopté l'ambitieuse proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France. Savez-vous si elle pourra être inscrite rapidement à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale ? Je rappelle qu'elle contient des dispositions précieuses pour sanctionner les producteurs qui ne lutteraient pas efficacement contre les violences sexistes et sexuelles sur les plateaux de tournage.

Par ailleurs, la directive sur les médias audiovisuels (SMA) doit être réexaminée par la Commission européenne en 2025. Cela nécessitera un fort engagement de la part de la France. Dans ce contexte, il serait très utile qu'un président du CNC puisse être rapidement nommé ; la vacance de poste depuis juin dernier peut se révéler très pénalisante. Avez-vous des informations à nous communiquer sur ce sujet ?

Enfin, le 25 septembre dernier, l'Autorité de la concurrence s'est saisie « d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la télévision payante et de l'acquisition d'oeuvres cinématographiques ». De sa décision dépend, en réalité, tout l'équilibre de la chronologie des médias, pilier du financement de notre cinéma. Quelles options ont été mises sur la table et comptez-vous vous associer à cette procédure ?

Mme Sonia de La Provôté. - La programmation, le calendrier et l'attractivité des festivals de l'été dernier ont été parasités par les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris et la phase électorale qui a suivi la dissolution de l'Assemblée nationale.

Finalement, selon les syndicats et les professionnels du milieu, la fréquentation a été plutôt bonne. Pourtant, le bilan budgétaire de ces festivals est plutôt mauvais, voire moins bon que celui de l'année dernière, ce pour plusieurs raisons.

D'abord, l'inflation a affecté les frais de déplacement des artistes, entre autres. Ensuite, l'application des réglementations environnementales est complexe et coûteuse. Résultat : à la fin de l'été, 50 % des festivals étaient en situation déficitaire - le déficit moyen oscillant entre 75 000 et 100 000 euros - et 14 % d'entre eux annonçaient ne pas pouvoir se dérouler l'année prochaine.

Le modèle économique des festivals est un vrai sujet. À cet égard, nous avions alerté le Gouvernement sur la nécessité de maintenir et de faire évoluer le fonds festival, compte tenu des besoins nouveaux et de cette période particulière où les contraintes s'accumulent.

Le ministère envisage-t-il d'évaluer la situation actuelle ? Il conviendrait d'abonder le fonds festival, vu l'aggravation des besoins ces dernières années. Voir disparaître les festivals, c'est voir disparaître l'accès à la culture dans tous les territoires.

Mme Rachida Dati, ministre. - Nous souhaitons revoir les contrats d'objectifs et de moyens de l'audiovisuel public tout en maintenant trois priorités : la proximité, le numérique et la jeunesse, la qualité de l'information. D'ailleurs, ce sont elles qui motivent la réforme de la gouvernance. Pour rappel, lorsque le président Lafon et moi-même avions discuté de la création d'une holding, voire d'une fusion de l'audiovisuel public, c'était en maintenant ces trois priorités.

Nous aimerions trouver un créneau à l'Assemblée nationale pour discuter d'une réforme de la gouvernance, afin de mener en parallèle la réforme du financement et celle de la gouvernance, mais l'incertitude demeure.

Lors de l'examen de la proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public, j'ai indiqué que les crédits de transformation devaient être intégrés aux dotations de base des sociétés.

Vous m'avez interrogé sur la répartition des 50 millions d'euros d'économies demandées à l'audiovisuel public : France Télévisions en assumera la plus grande part, à hauteur de 10 millions d'euros de plus.

Le budget de la culture est compris entre 8 milliards et 9 milliards d'euros, la moitié étant réservée aux sociétés de l'audiovisuel public. Dès lors, les économies qui leur sont demandées sont inférieures à leur poids dans ce budget.

In fine, c'est bien au Parlement qu'il reviendra de décider des affectations de crédits et des mesures d'économie. Nous pourrons en discuter ensemble, ainsi qu'avec les sociétés concernées.

M. Cédric Vial. - Allez-vous indiquer aux sociétés de l'audiovisuel public les domaines dans lesquels elles doivent réaliser des coupes budgétaires ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Pour tout vous dire, nous en discutons toujours. Je ne veux pas imposer des mesures dont la mise en oeuvre serait difficile : je préfère la concertation. En effet, les économies doivent être les plus consensuelles possible, surtout qu'elles ont été annoncées tardivement.

Quelques mots sur les droits voisins, qui sont un sujet autant national qu'européen. Nous souhaitons traduire législativement les conclusions des États généraux de l'information, qui sont d'une très grande qualité, en identifiant les titres concernés.

Dans le même esprit, nous pourrions compléter ou renforcer la protection du secret des sources des journalistes, dans la continuité de la loi du 4 janvier 2010 que j'avais défendue en tant que garde des Sceaux.

Par ailleurs, la situation de France Messagerie demeure fragile. Aussi, j'ai demandé que la mission Soriano sur la distribution de la presse, interrompue par la dissolution de l'Assemblée nationale, soit relancée. En attendant qu'elle rende ses conclusions, nous avons maintenu l'aide à la distribution au même niveau qu'auparavant.

M. Laurent Lafon, président. - Quid du projet de création d'une Maison du dessin de presse ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Je suis en train de négocier les aspects budgétaires. Pour les journalistes, notamment, la maison du dessin de presse n'a de sens que si elle permet d'exposer des caricatures. Sur ce point, les discussions ont été vives.

En tant que ministre de la culture, je considère que l'engagement pris pour la création de cette institution doit être tenu. Encore faut-il trouver des financements. Il est par ailleurs nécessaire de tenir compte des enjeux de sécurité.

Je suis prête à discuter du contrôle sur les attributions de fréquences et à revoir les critères. Toutefois, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) accomplit déjà très bien ses missions.

Par ailleurs, ce serait une très bonne chose d'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France. Or, pour l'heure, il n'y a pas de fenêtre d'inscription. Ainsi, le Gouvernement prendra ses responsabilités : dans la mesure où cette proposition de loi contient des dispositions très intéressantes, nous pourrons les reprendre à notre compte dans un projet de loi.

La chronologie des médias est fixée non plus pour cinq ans, mais pour trois ans. Les acteurs se plaignent de devoir procéder à des renégociations en permanence, le nouveau délai impliquant de discuter de la chronologie seulement dix-huit mois après qu'elle a été fixée. En réalité, c'est un débat de nature législative. Doit-on maintenir ce délai ? La chronologie convient-elle bien à tout le monde aujourd'hui ? Certains acteurs apprécient de mener des renégociations sur un temps court, compte tenu de l'évolution du paysage cinématographique. D'autres préfèrent une chronologie plus longue, pour disposer de suffisamment de retours et de bilans.

Depuis mon entrée en fonction, j'ai découvert le sens de l'anticipation et l'énergie dont font preuve tous les agents du CNC. Cette institution accomplit un excellent travail, avec des résultats assez spectaculaires, ne serait-ce que sur la dernière année.

Je vous renvoie au bilan du cinéma sur l'attractivité de l'économie française : le CNC fonctionne très bien et doit fonctionner encore mieux. D'où la nécessité de procéder à la nomination de son président, ce qui ne saurait tarder.

Parlons des festivals. Aujourd'hui, il en existe partout en France, dans les communes de 600 habitants comme dans celles qui en comptent 1 million. Il existe des divergences quant aux financements, aux partenaires et aux thématiques, mais les festivals font tous l'objet du même engouement. Ils garantissent un véritable accès à la culture puisqu'ils sont souvent gratuits.

Notre plan en faveur de la ruralité, d'un montant de 100 millions d'euros sur trois ans, permettra de financer de façon pérenne les festivals. Plus de 200 événements festifs seront déclinés : festivals, « villages en fête », fanfares, etc. Chaque territoire utilisera les fonds alloués pour organiser ces événements comme il le souhaite.

En outre, 200 résidences d'artistes seront organisées. En ce domaine, il y a eu une forte demande, puisqu'il est question de la mobilité des artistes dans les zones rurales.

Quant au CNC, il soutiendra près de 150 circuits itinérants. Du reste, les artothèques seront comprises dans les financements.

Les tiers-lieux ont également été intégrés au plan en faveur de la ruralité, avec un développement d'ampleur. Ils sont essentiels en ce qu'ils permettent de transformer les bâtis patrimoniaux rénovés mais non utilisés en lieux d'exposition, de projection, de rencontres ou de débats.

J'ai mobilisé des moyens beaucoup plus importants pour les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), qui sont très utiles en zone rurale.

Bref, notre plan comporte des mesures pour chaque secteur de la culture : cinéma, festivals, patrimoine, événements festifs, résidences d'artistes, etc.

L'éducation artistique et culturelle (EAC) en fait aussi partie. Je serai honnête avec vous : même si nous finançons des associations, des artistes et des formations, il n'y a pas de ligne politique en ce domaine. Je serais donc bien en peine de dresser le bilan de l'EAC. Je peux vous indiquer les montants que nous y avons alloués, mais je ne saurais vous dire quels volets ont été développés, pour quels objectifs

L'EAC est désormais de plus en plus intégrée aux programmes pédagogiques. La part collective du pass Culture y participe. J'ai ainsi été particulièrement émue de voir des enfants découvrir des oeuvres alors qu'ils n'avaient jamais mis les pieds dans un musée, même si celui-ci est situé à 40 mètres de leur domicile. L'articulation de la part collective et de la part individuelle du pass Culture est donc essentielle pour accompagner le cheminement des jeunes vers la culture.

Par ailleurs, le ministère de l'éducation nationale considère que l'EAC relève davantage du ministère de la culture, si bien que nous n'avons pas la même ligne en la matière. Il conviendrait de définir une politique publique cohérente à destination des enfants.

En résumé, les crédits alloués par le ministère en faveur de l'EAC ne sont pas négligeables. Il reste à définir une politique cohérente, faute de quoi nous serons condamnés à faire du saupoudrage via la distribution de subventions. On ne peut pas parler d'accès à la culture sans indiquer, au préalable, à quoi sert la politique que nous conduisons. L'EAC est une noble mission : elle doit avoir un sens et c'est ensemble que nous devons la bâtir.

Autre sujet : nous sommes en train de revoir les dispositifs fiscaux applicables au patrimoine en raison d'effets d'aubaine, voire d'effets de rente. Nous souhaitons également faciliter la tâche des propriétaires privés qui possèdent un patrimoine historique : cela leur coûte très cher d'entretenir ou de rénover leur bien, alors même qu'ils permettent au public d'y accéder. Nous travaillons donc à réduire certains dispositifs fiscaux et à en amplifier d'autres. En ce qui concerne en particulier le dispositif Malraux, nous pouvons unifier le taux de réduction d'impôts, mais aussi rehausser le taux pour les immeubles en site patrimonial qui sont insalubres ou en ruines. Nous souhaitons le rehausser à 50 %, à la condition que des travaux de rénovation énergétique soient menés. Sur ce sujet, je n'ai pas gagné le combat vis-à-vis de Bercy, mais sachez que c'est la solution qui est défendue par le ministère de la culture.

Avant la dissolution de l'Assemblée nationale, nous nous étions engagés à la mise en place d'une disposition relative au DPE du bâti ancien avant le 31 décembre prochain, et cet engagement sera respecté.

Le Président de la République nous avait demandé de recenser l'ensemble de biens du patrimoine et d'inciter, via les directions régionales des affaires culturelles (Drac), à leur classement. L'État et les collectivités devraient y contribuer. Voilà qui permettra de sauvegarder le patrimoine, y compris privé.

Le fonds festival a été préservé, mais les zones rurales sont tout de même en fragilité.

Il faut que nous engagions une réflexion sur le modèle économique du spectacle vivant. À cet égard, j'ai demandé à la mission consacrée à ce sujet, lancée avant la dissolution, de reprendre ses travaux. Tous les représentants du spectacle vivant, quelle que soit leur tendance, s'accordent à dire que la pérennisation du financement est un problème majeur. On finance souvent des structures, mais on ne finance plus de projets.

Quant aux écoles d'art, il n'y a aucun désengagement de notre part, comme en matière de patrimoine. Le ministère ne possède toutefois ni direction de la formation ni direction de l'enseignement, ce qui rend difficile l'observation fine de ces écoles. Il en existe 99 à ce jour : 41 écoles nationales et 58 écoles territoriales, auxquelles s'ajoutent des préparatoires publiques. J'ai demandé qu'on procède au recensement de l'ensemble des écoles d'art et qu'on réalise une cartographie. Il n'y a pas de mystère : les écoles d'État sont souvent situées en milieu urbain, d'où le fait qu'elles ne soient pas forcément accessibles au plus grand nombre. Certaines écoles, telles que les Beaux-Arts ou l'École du Louvre, sont également fortement marquées par un phénomène de reproduction sociale. D'autres ne comptent pratiquement aucun élève boursier. Dans les écoles d'art payantes, les élèves n'ont pas accès aux bénéfices du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), comme les repas dans les restaurants universitaires ou les bourses.

Soyez assurés que nous allons préserver et renforcer les écoles d'art, mais que nous mènerons aussi une évaluation, car nous n'avons pas de contrôle sur les résultats de certaines écoles qui bénéficient pourtant de financements très importants de la part de l'État. Je précise que nous avons par ailleurs relancé l'apprentissage et l'alternance, qui étaient pratiquement inexistants dans les actions menées par le ministère.

M. Laurent Lafon, président. - Je vais maintenant donner successivement la parole aux rapporteurs spéciaux de la commission des finances qui ont souhaité s'exprimer dans le cadre de la présente audition.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - Quel bonheur de vous entendre ainsi parler du pass Culture, madame la ministre ! Dès le départ, Sylvie Robert, Sonia de La Provôté, Pierre Ouzoulias et moi-même avions animé un groupe de travail sur ce sujet. Il aura fallu user quatre ministres pour entendre la cinquième nous dire, sans haine ni violence, et avec une certaine diplomatie, ce que nous affirmons depuis six ans déjà.

Par ailleurs, la condition sine qua non de la réussite de l'EAC se trouve dans les territoires, notamment les communes. À 35 kilomètres de Paris, je vous invite à visiter l'une des communes d'Île-de-France qui a été pionnière en ce domaine, dès lors qu'elle a été labellisée à 100 %.

Vous verrez à quel point le dispositif en place est performant. Il repose sur le travail des communes, comme la majorité de la culture dans notre pays.

Enfin, qui, à Bercy, en veut au fonds de soutien à l'expression radiophonique (FESR) ? Ce budget, monté en quinze jours, est un document martyr que le Sénat s'efforcera d'améliorer. Toutefois, l'amputer de 10 millions d'euros, sans même prendre attache avec le ministère de la culture, ne relève pas du hasard : c'est une décision insupportable, madame la ministre ! Avez-vous des informations sur ce sujet ?

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Au sein de la commission des finances, Vincent Éblé et moi-même avons coécrit un rapport d'information sur le pass Culture. D'ailleurs, je me félicite que vous ayez repris nos recommandations, madame la ministre.

Je prends acte de votre volonté de reformater ce dispositif. Vous n'avez pas manqué d'évoquer l'écueil de la reproduction sociale, à juste titre. Pour ma part, je souhaiterais insister sur un deuxième écueil, celui du manque d'offre culturelle pour les jeunes habitants des zones rurales ou périurbaines.

Je viens d'une bourgade rurale où, dans un rayon de 20 kilomètres, il n'y a ni salle de spectacle, ni cinéma, ni théâtre, ni librairie digne de ce nom. Quant aux musées, ils sont situés encore plus loin, à au moins 40 kilomètres.

Je crois beaucoup au pass Culture. Il conviendrait toutefois d'ajouter un volet transport et mobilités à destination des jeunes qui sont éloignés de l'offre culturelle.

Mme Anne Ventalon. - Dans la période de disette économique que nous connaissons, il faut saluer les crédits alloués à la culture pour l'année 2025 et la stabilité annoncée. Néanmoins, les chantiers qui vous attendent sont de taille.

Je me félicite de votre engagement de faire de 2025 l'année du patrimoine. Les 300 millions d'euros que vous avez annoncés permettront de répondre à l'impérieuse nécessité de sécuriser, de restaurer et de valoriser le patrimoine, cher à l'ensemble des Français.

Je m'interroge sur la collecte nationale en faveur du patrimoine religieux des petites communes, lancée en septembre 2023 à l'initiative du Président de la République. En un an, celle-ci totalise près de 12 millions d'euros de dons auprès de la Fondation du patrimoine : nous sommes très loin de l'objectif de collecter 200 millions d'euros d'ici à 2027.

Ce premier bilan décevant doit nous amener à élaborer, ensemble, une nouvelle politique patrimoniale. Comment pourrions-nous rassurer et accompagner les élus locaux - eux aussi soumis à de fortes contraintes budgétaires - dans l'entretien et la valorisation du patrimoine communal, notamment religieux, sans politique claire et de long terme ?

Les attentes des maires sont très fortes. Les conclusions des États généraux du patrimoine religieux seront rendues prochainement et contribueront à l'élaboration collective d'un plan adéquat.

Au demeurant, vous avez précisé vos annonces récentes concernant l'accès payant des visiteurs à la cathédrale Notre-Dame de Paris, une fois les travaux de rénovation achevés. Selon vous, la loi du 9 décembre 1905 n'est pas un obstacle à ce projet. Pouvez-vous nous en dire plus, madame la ministre ?

Quel que soit l'avis de chacun, la question du financement de notre patrimoine mérite d'être posée. Pensez-vous que l'entrée payante de Notre-Dame de Paris s'inscrit bien dans la mission de service public et d'ouverture culturelle de la cathédrale, ou privilégiez-vous une autre forme de financement pour préserver son accès libre, en tenant compte des valeurs historiques et symboliques qu'elle incarne pour notre patrimoine national ?

Enfin, j'ai un doute sur la possibilité de financer de façon significative et pérenne la restauration des édifices religieux en milieu rural. Comment pouvez-vous concrètement garantir que les recettes seront reversées dans les territoires qui en ont le plus besoin ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous saluons votre ténacité et tous les efforts que vous déployez pour défendre un budget de la culture solide, madame la ministre.

Je vous remercie d'avoir soutenu notre proposition de loi organique portant réforme du financement de l'audiovisuel public. Nous espérons qu'elle puisse suivre son cours assez rapidement, dans le cadre de la navette parlementaire.

Par ailleurs, je me réjouis du maintien des crédits d'impôt pour le cinéma. Cela fera la grande satisfaction des régions, qui financent la production cinématographique. C'est un système donnant-donnant avec le CNC.

Vous avez affirmé qu'un pays qui ne s'occupe pas de son patrimoine ne s'occupe pas de son avenir. Or, ces dernières années, l'État et les collectivités ont fait le maximum pour investir dans le patrimoine, en particulier religieux. On peut se satisfaire d'une vraie prise de conscience et d'un effort réel, ce dont témoignent les colloques qui ont été organisés au Sénat et les rapports rédigés par plusieurs de nos collègues.

Cependant, nous devrions taper davantage à la porte de l'Union européenne. En 2023, Louis-Jean de Nicolaÿ et moi-même avons écrit un rapport d'information révélant que la compétence en matière de culture n'est pas revendiquée par l'Union européenne. Pourtant, les traités ne s'y opposent pas. Dans une logique de subsidiarité, mais surtout de complémentarité, l'Union européenne pourrait faire usage de cette compétence. À cet égard, nous avions formulé plusieurs propositions et même sollicité la commissaire Mariya Gabriel, dans l'espoir que l'Union européenne ouvre enfin la porte d'un financement direct affecté à la sauvegarde du patrimoine.

De même, les programmes Europe créative sont essentiels et pourraient être mis en oeuvre dans le domaine du patrimoine.

Par ailleurs, dans quelle mesure les collectivités seront-elles affectées par votre plan en faveur de la ruralité ? Pour rappel, elles verront leur budget amputé de 5 milliards d'euros, voire de 10 milliards.

Les collectivités ont déjà été privées de tout levier fiscal en raison de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe d'habitation. Elles se trouvent prises dans un effet de ciseaux, alors qu'elles accompagnent 80 % des structures du spectacle vivant.

Les collectivités s'efforcent d'opérer les choix les moins douloureux possible, à l'heure où tout le maillage territorial est affaibli, au risque de se désagréger.

Au Sénat, nous défendons les collectivités territoriales. Vous avez raison, nous devons réfléchir au modèle économique du spectacle vivant. Toutefois, les collectivités vont se trouver dans une impasse budgétaire cette année.

Enfin, vous revendiquez l'ambition louable de faire du Centre national de la musique (CNM) l'équivalent du CNC. Cependant, comparaison ne vaut pas raison : le spectacle vivant, en particulier la musique, est hautement subventionné, à hauteur de 80 %, ce qui n'est pas le cas du secteur du cinéma. Cela suscite donc quelques inquiétudes.

Va-t-on complètement « agenciariser » le secteur de la musique ? Le cas échéant, le ministère de la culture ne jouerait plus son rôle de structuration avec les collectivités territoriales, à moins que vous ne conserviez la direction de la musique.

Mme Sylvie Robert. - Je me réjouis que les crédits de transformation soient intégrés aux crédits de base des sociétés d'audiovisuel public. Ces crédits étaient devenus une variable d'ajustement : en 2024, un certain nombre d'entre eux ont été annulés, voire non versés, dès lors qu'ils étaient suspendus à la réforme de la gouvernance. Ces crédits de transformation vont-ils être finalement versés aux sociétés ?

Vu les 50 millions d'euros d'économies qui pèseront essentiellement sur France Télévisions, l'équation va être très complexe ; nous aurons quelques difficultés à accepter les trajectoires annoncées. Les économies de 200 millions d'euros annoncées sur quatre ans sont-elles réelles ?

Au demeurant, je suis très intéressée par votre plan en faveur de la ruralité. Pour autant, de nombreuses questions posées par mes collègues démontrent qu'il n'y a pas forcément de transparence dans la façon dont il sera déployé dans les territoires.

Nous aimerions en savoir plus sur la manière dont ce plan sera déployé dans les territoires. S'agira-t-il de crédits déconcentrés aux Drac, en fonction de leurs besoins et de leurs demandes ? Elles n'ont pas toujours les moyens de procéder à des expertises notamment dans les communes très rurales, isolées, où il est difficile de se déplacer et d'accompagner les élus. Quelle sera la méthode pour définir les crédits octroyés : ceux-ci seront-ils définis de manière centralisée, en fonction des besoins du terrain ou selon d'autres critères, tels que le nombre d'habitants, etc. ?

Demain, avec Else Joseph et Monique de Marco, nous rendrons les conclusions de notre rapport sur la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP. Nos auditions ont révélé un nombre important d'atteintes à la liberté de la création. Cela pose la question de l'effectivité de la loi. Avez-vous été alertée sur ce sujet ? Envisagez-vous d'intervenir pour essayer de comprendre ce qui se passe ?

Mme Monique de Marco. - Une baisse des crédits de l'audiovisuel public de 50 millions est envisagée l'année prochaine. Dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public, une holding devrait être créée. Quel sera son financement ? Bénéficiera-t-elle de moyens spécifiques ? Des crédits supplémentaires sont-ils prévus ou bien la réforme se fera-t-elle à moyens constants ?

Le Centre national de la musique a été créé en 2020. Il a pour vocation d'être le centre de toutes les musiques et de garantir la diversité, le renouvellement et la liberté de la création musicale. Lors de son audition, M. Thiellay, son président, nous a indiqué que la taxe streaming avait rapporté moins que prévu, en raison de diverses réticences ou de difficultés d'application. La taxe sur la billetterie constitue la principale source de financement du CNM. Son produit est amené à croître dans les prochaines années, comme l'indique le contrat pluriannuel d'objectifs et de performances du CNM. Le montant affecté au CNM est plafonné à 50 millions aujourd'hui, mais les recettes issues de cette taxe dépassent cette somme. Comptez-vous déplafonner cette taxe ?

Mme Laure Darcos. - Je me réjouis de vos propos sur le crédit d'impôt en faveur du cinéma et des sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle (Sofica), mais chaque année Bercy et les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat cherchent à le réduire. Nous devrons donc être vigilants sur le sujet. L'an passé, avec Sylvie Robert, nous avons bataillé sur cette question et le vote s'est joué à deux voix !

Les grandes plateformes, comme Amazon, se masquent derrière le secret des affaires pour ne pas révéler leur chiffre d'affaires et donc se soustraire à leurs obligations de financement de la création cinématographique.

Amazon va contourner la loi qui l'oblige à facturer au minimum 3 euros chaque livraison de livres, puisque ses clients pourront bénéficier d'une livraison gratuite s'ils récupèrent leur commande dans un des 2 500 points de retrait situés dans un endroit qui vend également des livres. C'est très grave, car cela aggravera la situation des libraires. Il importe que les frais de port soient les mêmes pour Amazon et les libraires indépendants.

Mme Else Joseph. - Vous avez évoqué un recentrage du pass Culture. L'année dernière nous nous étions interrogés sur l'opportunité d'une ouverture du dispositif au patrimoine. Qu'en pensez-vous ?

Dans le cadre de notre mission d'évaluation des dispositions de la loi LCAP, nous avons pu constater que les Drac étaient dans une situation de grande fragilité. Leur mission d'expertise et de soutien en matière d'ingénierie est pourtant cruciale pour les collectivités.

L'année dernière, avec Catherine Morin-Desailly, nous avons rédigé un rapport intitulé : Expertise patrimoniale internationale française : des atouts à valoriser, une stratégie qui reste à affirmer et coordonner. La compétence de notre pays dans ce domaine est reconnue dans le monde. Comment comptez-vous développer ce volet de notre politique culturelle au niveau international ? Envisagez-vous d'accroître la collaboration avec le ministère des affaires étrangères sur ce sujet ?

M. Adel Ziane. - Je partage les inquiétudes de Catherine Morin-Desailly. Les villes sont en première ligne sur les questions culturelles. Elles constituent des leviers puissants pour faire rayonner la culture dans les territoires. Or il est question d'opérer une ponction sur leurs budgets.

Vous souhaitez que 2025 soit l'année du patrimoine. Nous nous en réjouissons. Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen présenteront demain le rapport de la mission d'information sénatoriale sur les architectes des bâtiments de France. Nos auditions ont confirmé l'importance de leur rôle. Vous avez évoqué une enveloppe de 300 millions d'euros pour le patrimoine. Il y a urgence. Les professionnels de la restauration et du secteur des monuments historiques ont besoin de savoir dès maintenant comment l'année 2025 se passera, comment ces crédits seront utilisés.

Vous avez mentionné les grands travaux dans les musées parisiens, en particulier au centre Pompidou. Vous avez aussi évoqué des pistes de financement, comme des tarifs différenciés pour les touristes étrangers. La France accorde la gratuité des collections permanentes des musées nationaux aux jeunes de moins de 26 ans ressortissants de l'Union européenne, mais certains pays européens, comme l'Italie ou l'Espagne, ne pratiquent pas cette gratuité. Comment comptez-vous avancer sur cette question pour trouver de nouveaux financements pour les musées ?

Les crédits d'acquisition et d'enrichissement des collections publiques restent stables, à 9,7 millions d'euros. Les grands musées parisiens ont la capacité de lever des fonds et de recourir au mécénat, mais pour les établissements en région, c'est plus difficile et ces crédits semblent bien faibles pour leur permettre d'enrichir leurs collections.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - J'avais alerté le Président de l'Arcom, lors de son audition le 16 octobre par notre commission, sur la coupe budgétaire de plus de 10 millions d'euros prévue par le projet de loi de finances 2025 des crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale. Consciente des conséquences dramatiques de cette baisse pour nos radios associatives, vous avez tenu à réagir rapidement, madame la ministre, à la suite à mon intervention et de celle des syndicats. Je tiens à vous remercier.

La semaine dernière vous avez ainsi annoncé lors de la séance des questions d'actualité au Gouvernement à l'Assemblée nationale que la baisse annoncée de 35 % des crédits de ce fonds n'aurait pas lieu. Je me réjouis donc sincèrement de cette bonne nouvelle qui a été perçue comme une véritable marque de reconnaissance par les radios associatives. Toutefois, le Gouvernement n'a pas précisé les modalités de l'annulation de cette baisse. Dans la mesure où le fonds de soutien à l'expression radiophonique est également financé par le plan Culture et Ruralité, qui est inclus dans la mission « Culture » du PLF, le Gouvernement pourrait-il envisager une augmentation du budget de ce plan ? Cette annulation sera-t-elle préservée en cas de recours à l'article 49.3 ?

Enfin, les radios associatives s'interrogent sur l'avenir. Pouvez-vous les rassurer en leur affirmant que la question ne se posera pas à nouveau l'année prochaine ? Ce fonds est au coeur de leur modèle économique. Il contribue à hauteur de 40 % à leur budget. On comprend leurs inquiétudes. Je ne doute pas une seule seconde, madame la ministre, de votre engagement à leur côté.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je tiens à mon tour à vous remercier d'avoir convaincu vos collègues de Bercy de renoncer au projet de réduction de près d'un tiers des crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique, dont l'annonce avait mis en émoi les radios associatives. Cette subvention est en effet vitale pour leur équilibre financier et pour les emplois.

Je vous remercie aussi pour la priorité que vous accordez au patrimoine. Je voudrais insister sur la nécessaire sauvegarde du patrimoine religieux remarquable, qui n'est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques, mais qui est très emblématique de nos territoires, notamment ruraux. Dans la situation que l'on connaît actuellement, cette sauvegarde ne peut pas être une priorité des collectivités : l'État doit venir à leur aide pour assurer les travaux les plus urgents. C'est pourquoi je soutiens votre proposition visant à instaurer un droit d'entrée pour les touristes. La recette escomptée de 75 millions sera-t-elle déconcentrée dans les Drac, afin que cet argent ruisselle un peu dans tous les territoires ? En flécherez-vous une partie vers ce patrimoine religieux qui n'est ni classé ni inscrit ?

2025 sera l'année du patrimoine. Ne pourriez-vous pas demander aux préfets, grâce à a la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), de mettre un accent particulier sur les questions relatives au patrimoine pour aider les collectivités qui connaissent des difficultés financières ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Nous présenterons demain, avec Pierre-Jean Verzelen, les conclusions de notre rapport sur les architectes des bâtiments de France (ABF). Nous mettons en lumière le sous-effectif des ABF, ce qui fait qu'ils ne peuvent pas toujours exercer leurs missions de conseil et d'accompagnement auprès des élus locaux. Nous préconisons le recrutement d'un ABF supplémentaire par département, pour faire face à la hausse du nombre d'avis qu'ils doivent rendre, puisque ces derniers ont augmenté de 63 % entre 2013 et 2023. Nous plaiderons en ce sens lors de l'examen du projet de loi de finances. Qu'en pensez-vous ? Je soutiens à cet égard les propos d'Anne Ventalon, qui avait corédigé avec Pierre Ouzoulias un rapport sur l'état du patrimoine religieux.

Nous soulignons également le manque d'ingénierie juridique et technique des communes rurales pour entretenir et valoriser leur patrimoine. Comment comptez-vous renforcer l'accompagnement des collectivités dans ce domaine ?

Vous avez annoncé l'octroi de 300 millions supplémentaires pour le programme 175. L'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements. L'un d'eux vise à augmenter de 2 millions les crédits du fonds incitatif et partenarial, qui joue un rôle précieux pour soutenir les petites communes, dotées de faibles ressources, dans leur politique de restauration du patrimoine. Un autre amendement prévoit la création d'un fonds de 6 millions d'euros pour soutenir les collectivités territoriales dans l'entretien et la valorisation du patrimoine local. Quel regard porterez-vous sur ces différents amendements ?

Nous avons été interpellés par le Groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques sur un autre amendement qui prévoit la suppression de l'affichage publicitaire sur les monuments pendant les travaux de restauration. Cela aurait un impact sur le financement des projets de restauration. Quel est votre avis sur cet amendement ?

Comment expliquer la baisse de 10 ETP pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ?

Enfin, je rejoins entièrement les propos de Sabine Drexler sur le DPE pour le bâti ancien.

Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Décloisonner la culture dans tous les territoires et pour tous les publics est l'un des axes majeurs de votre politique. Le 11 juillet dernier, vous avez ainsi annoncé le plan Culture et Ruralité.

Le fonds de soutien au développement des activités périscolaires a été supprimé par le dernier projet de loi de finances. Ce fonds, qui dépend du ministère de l'éducation nationale, finançait de nombreux projets culturels pour les scolaires. Faute de financement, de nombreuses communes n'auront plus d'autre choix que d'opter pour la semaine des quatre jours et d'abandonner de nombreux projets culturels. La ministre de l'éducation s'est engagée, sans autre précision, à mettre en place une aide spécifique aux communes rurales. Votre ministère est-il associé à ces travaux ? Les projets menés sur le temps périscolaire pourraient-ils bénéficier du plan Culture et Ruralité ou d'un autre dispositif de votre ministère ?

L'entretien du patrimoine de proximité est le point noir du budget de la culture. Les besoins de fonctionnement et d'investissement dépassent le montant de la dotation budgétaire. Ce domaine mériterait un plan Marshall. Le rapport sénatorial Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite paru en juillet 2023 indique qu'entre 2 500 et 5 000 édifices sont menacés d'être abandonnés, vendus ou détruits d'ici à 2030.

Vous nous invitez à bâtir une nouvelle politique patrimoniale. Mais la première mesure ne devrait-elle pas de réfléchir aux prescriptions des architectes des bâtiments de France, dont les exigences peuvent parfois conduire à l'abandon des projets de restauration ? On ne peut avoir en effet les mêmes exigences pour nos églises rurales que pour la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Par ailleurs, beaucoup de communes rurales ne connaissent pas le fonds incitatif et partenarial pour le patrimoine. Ne faudrait-il pas améliorer la communication à ce sujet ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Je salue, madame la ministre, votre effort budgétaire en faveur de l'archéologie préventive dans le projet de loi de finances pour 2025, puisque 47,6 millions d'euros sont prévus pour soutenir les opérations de terrain : 33,4 millions pour le fonds national d'archéologie préventive et 14,2 millions pour accompagner les collectivités dans les diagnostics. Néanmoins, certaines communes rurales rencontrent encore de grosses difficultés pour mener à bien des projets d'intérêt général, tels que la construction de maisons de santé, en raison du niveau du reste à charge des fouilles préventives qu'elles doivent acquitter. Dans ce contexte, ne serait-il pas possible de moduler les taux d'intervention du fonds d'archéologie préventive pour tenir compte à la fois de la fragilité financière des communes et de la nature des projets, notamment quand ils répondent à des enjeux de services publics ?

Mme Rachida Dati, ministre. - C'est à l'échelon local que l'on sait le mieux quelles sont les actions les plus pertinentes en matière d'éducation artistique et culturelle (EAC). Nous continuerons à attribuer des labels 100 % EAC, mais dans un souci de cohérence et en évitant le saupoudrage qui a pu être pratiqué parfois. Sinon, personne n'est content. Les élus locaux sont déçus et, finalement, la politique culturelle en pâtit. Ce label doit s'inscrire dans une collaboration avec les collectivités.

Nous sommes d'accord sur le pass Culture. Le dispositif était complexe : on ne savait pas comment y accéder. L'utilisateur devait déjà connaître l'activité culturelle qu'il recherchait. Rien n'était proposé spontanément. En somme, on pouvait aller voir un spectacle à la Comédie française avec ce pass, à la condition de connaître déjà l'existence du pass, le titre du spectacle et l'existence de la Comédie française ! Ce n'est pas le rôle que je souhaitais assigner à ce pass, notamment dans sa partie individuelle. Or l'articulation entre les parties collective et individuelle me semble capitale.

J'avoue que je n'ai pas essayé de comprendre pourquoi il était prévu de supprimer le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale. Mais chacun sait dans quelles conditions le budget a été élaboré. Ce n'est pas la seule erreur que j'ai pu rattraper in extremis : par exemple, il était prévu de supprimer des postes dans un établissement qui était en travaux, car celui-ci avait été considéré à tort comme étant fermé définitivement. La suppression du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale était un loupé, que j'ai corrigé : je l'avais indiqué avant même mon audition à l'Assemblée nationale, car je connais l'importance des radios associatives, qui sont très implantées dans les territoires et très imprégnées des problématiques locales.

Je me suis posée, comme vous, la question comme vous de savoir s'il fallait intégrer une part relative à la mobilité dans le pass Culture. J'y ai renoncé, car cela reviendrait à amputer à due proportion la part consacrée à l'accès à la culture. C'est pourquoi nous avons préféré travailler avec les collectivités, notamment avec les régions, qui ont la compétence transport. Dans des endroits où le transport est compliqué, des expérimentations de covoiturage culturel ont vu le jour, notamment durant la période des festivals. Il est donc intéressant de financer des associations qui réalisent un tel covoiturage. De même, on pourrait aussi utiliser le transport scolaire pour emmener les enfants à une activité culturelle. La question de la mobilité est sensible, car elle soulève un sujet de responsabilité pénale pour le transport, notamment pour le personnel de l'éducation nationale.

La collecte nationale en faveur du patrimoine religieux des petites communes a permis de récolter 12 millions d'euros. Les petites souscriptions sont très utiles pour financer l'entretien du patrimoine religieux qui n'est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques, car ce patrimoine ne bénéficie pas de subventions. Cette collecte a eu du mal à démarrer. L'objectif était de récolter 200 millions d'euros en 4 ans. Nous en sommes loin. C'est pourquoi nous cherchons à revoir les modalités de cette souscription. Les Français veulent savoir ce qu'ils financent. C'est d'ailleurs pour cela que le loto du patrimoine marche bien, ou que les dons pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris ont été nombreux. Nous sommes donc en train de revoir les modalités de cette souscription afin de mieux identifier le patrimoine que l'on souhaite financer.

J'en viens à la politique de tarifs différenciés. Je voulais pratiquer des tarifs différenciés entre les Français et les étrangers, mais on doit traiter à l'identique les citoyens français et les ressortissants des pays de l'Union européenne, même s'il est vrai que tous les pays européens ne respectent pas cette exigence de réciprocité. Cette politique de tarifs différenciés visera donc les ressortissants de pays tiers à l'Union européenne. Les recettes permettront de financer évidemment les établissements visités, mais elles pourront aussi être redistribuées le cas échéant pour financer le patrimoine sur tout le territoire.

Les droits d'entrée à Notre-Dame de Pa ris pourraient être collectés par le Centre des monuments nationaux. Une partie des 75 millions perçus seraient reversés au diocèse de Paris et le reste serait redistribué sur les territoires pour financer la rénovation du patrimoine. On n'a pas besoin de toucher à la loi de 1905. C'est faire preuve de mauvaise foi que de prétendre le contraire !

Pour répondre à votre question sur le désengagement de l'État en matière culturelle et sur la baisse des dotations pour les collectivités, je trouve que l'État finance beaucoup en la matière et ne se désengage pas. Certaines collectivités ont fait le choix politique de réduire des subventions culturelles. L'État et le ministère de la culture ne se désengagent pas. Les crédits augmentent. Ce n'est pas un affichage ou un système de vases communicants entre les différentes dotations, c'est un choix politique que nous faisons. Ensuite, comme je l'ai dit lorsque j'ai annoncé la mise en oeuvre d'un tarif différencié à Notre-Dame, nous devons être innovants, sinon on sera obligé de multiplier les taxes, les impôts et finalement de fermer la boutique ! Il serait possible aussi d'imaginer, en lien avec la Banque des territoires l'octroi de prêts à taux zéro pour les petites communes. Les avances des Drac pourraient être plus importantes et être négociées plus en amont d'un projet. Le plan Culture et Ruralité renforce l'appui en maîtrise d'ouvrage des Drac.

Ce plan consiste, pour l'essentiel, en un financement déconcentré, mais celui-ci est décidé en proximité. Ce plan n'a pas été décidé au niveau central. Nous nous sommes appuyés sur les près de 50 000 contributions que nous avons reçues - 35 000 nous ont été adressées de manière très formalisée, les autres par mail - de la part de tous les acteurs : élus ruraux, associations, collectifs, acteurs culturels, etc.

La diversité de notre territoire national fait la richesse et la beauté de notre pays. Gap et Briançon, ce n'est pas la région parisienne. Les enjeux varient selon les lieux. Nous avons donc essayé de faire du sur-mesure. Les crédits déconcentrés varieront en fonction du plan qui a été élaboré : selon les endroits et les demandes des communes, on financera des résidences d'artistes, des festivals, des actions patrimoniales, etc.

Les unités départementales de l'architecture et du patrimoine sont en sous-effectif. Je considère que ces services sont sous-dimensionnés et c'est l'objet d'un combat que je mène avec Bercy. J'essaie d'y pallier avec le plan Culture et Ruralité. Si ce plan fonctionne et si l'on fait la preuve de sa pertinence pour les Udap, les ABF ou l'accompagnement en maîtrise d'ouvrage et en ingénierie, je ne vois pas comment il serait possible, au terme des trois ans, de revenir en arrière. Je me sers donc de ce plan pour obtenir à terme une pérennisation de ces dispositifs, qui, j'y insiste, n'ont pas été conçus uniquement de manière centralisée.

En ce qui concerne le CNM, je ne veux pas non plus affaiblir ce qui fonctionne aujourd'hui. La question du plafonnement des taxes est un sujet. Le rendement de la taxe streaming n'est pas encore très élevé, mais il faudra à terme que l'on parvienne à rehausser les plafonds. Nous pouvons y arriver, même si, vous avez raison, l'écosystème du cinéma n'est pas le même que celui de la musique. La musique est beaucoup plus subventionnée que le cinéma. J'aimerais toutefois que le Centre national de la musique devienne un genre de CNC à terme et qu'il fonctionne davantage en autonomie. On peut aussi réfléchir à l'articulation entre le CNM et la direction générale de la création artistique du ministère de la culture. Le CNM a été créé il y a quatre ans, ce qui est récent. Mais je vous rejoins et nous pourrons nous battre ensemble pour relever les plafonds des taxes affectées.

J'ai saisi le médiateur du livre à la suite des annonces d'Amazon.

En ce qui concerne les crédits de transformation de l'audiovisuel public, j'ai indiqué que je souhaitais, comme vous, qu'ils soient intégrés dans les dotations de base. La réforme a été décalée dans le temps : les crédits de 2024 seront versés en 2025 et ceux de 2025 le seront en 2026.

J'annoncerai un plan avant la fin du mois sur la liberté de création. L'enjeu dépasse la création artistique. Il s'agit d'une liberté fondamentale.

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez indiqué que la billetterie de Notre-Dame de Paris serait gérée par le CMN. Cela signifie-t-il que les projets qui ne seraient pas gérés par cet organisme ne pourraient pas bénéficier de ces fonds ?

Mme Rachida Dati, ministre. - Il s'agit de précisions que l'on doit encore apporter. On aurait pu confier la collecte au diocèse avant de redistribuer les crédits ensuite, mais il semble plus judicieux de charger le CMN de la collecte. Notre-Dame sera dotée d'une billetterie. Des billets gratuits pourront donc être délivrés. La billetterie peut ainsi être utilisée pour la contribution que vous évoquez. Il ne s'agit donc pas d'un dispositif nouveau à imaginer. Il serait possible de le mettre en oeuvre très rapidement si le diocèse est d'accord.

Enfin, j'indique que je souhaite avoir votre aide pour développer notre expertise culturelle à l'international. Vous avez raison : le ministère de la culture ne se vend pas très bien à l'international. Pourtant, à chaque fois que je me déplace à l'étranger, je suis sollicitée pour obtenir un soutien en matière d'expertise architecturale, archéologique, muséale ou patrimoniale. Je viens ainsi de signer avec le Kazakhstan un accord en la matière. D'autres pays sont intéressés par notre expertise : l'Inde, certains pays africains, etc. Nous sommes très sollicités sur cet aspect-là, qui constitue un élément majeur pour notre rayonnement. Or le ministère de la culture est assez en retrait sur cette question. Nous ne travaillons pas assez avec le ministère des Affaires étrangères, même si je ne sais pas si c'est le rôle du Quai d'Orsay de « vendre » notre expertise. Le ministère de la culture pourrait s'emparer de cette question pour mieux mettre en valeur notre expertise à l'international. Tous les accords que nous avons signés en ce domaine l'ont été parce que nous avons été sollicités par les autres pays. D'une manière générale, une demande existe sur les opérateurs de la culture, sur le mobilier national ou sur les céramiques de Sèvres, mais il nous appartient aussi de pousser ces sujets.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.


* 1 Voir à ce propos le rapport sur la presse quotidienne régionale : https://www.senat.fr/rap/r21-805/r21-805.html

* 2 https://www.senat.fr/rap/a21-168-42/a21-168-42.html

* 3 https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/Rapports%20de%20mission/2024/Rapport%20Distribution%20presse_Version%20Web.pdf

* 4 https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20241014/cult.html#toc2

* 5 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-741.html

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