EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 20 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ».
Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis. - Représentant près du quart des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » hors dépenses de personnel, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » porte les crédits destinés au financement de la politique d'influence de la France dans le domaine de l'enseignement français à l'étranger et l'ensemble des moyens destinés à la diffusion culturelle, linguistique, universitaire et scientifique.
Essentiel au rayonnement de la France à l'international, ce programme verra pourtant ses crédits diminuer de manière significative en 2025, avec une baisse prévue de 45 millions d'euros.
Cette réduction tient pour partie à l'extinction de deux dispositifs en 2025 : le soutien à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit et le plan de reconquête et de transformation du tourisme, qui représentaient 10 millions d'euros en 2024.
Au-delà de ces dispositifs arrivant à terme, la diminution sera particulièrement sensible pour les moyens de coopération du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les échanges d'expertise, essentiels pour mobiliser des acteurs internationaux autour des priorités de la France, verront leurs crédits diminuer de 3 millions d'euros.
Dans l'enseignement supérieur, une baisse de 10 millions d'euros affectera la mise en oeuvre de programmes stratégiques, tels que les campus franco-pays, les instituts de recherche à l'étranger, et d'autres dispositifs importants pour notre image à l'international.
Par ailleurs, et nous y reviendrons avec Didier Marie, les opérateurs du programme seront mis à contribution, parfois fortement à l'effort budgétaire demandé.
J'aborderai les questions relatives à la diplomatie culturelle et à la promotion de la francophonie avant de laisser Didier Marie évoquer les crédits consacrés à l'enseignement français à l'étranger et aux mobilités étudiantes.
S'agissant de la diplomatie culturelle, l'Institut français Paris, verra le montant de subvention pour charges de service public diminuer de 1,7 million d'euros l'an prochain.
Pour faire face à cette réduction, l'opérateur a engagé une revue de ses programmes, touchant plusieurs actions. Ainsi, les crédits destinés à la politique de soutien au cinéma, aux résidences artistiques, et aux partenariats européens seront réduits. Des économies seront également réalisées sur les frais de fonctionnement, le budget de communication subissant par exemple une baisse de 23 %.
Une bonne nouvelle : dans ce contexte de restriction budgétaire, il est important de noter que les établissements à autonomie financière, c'est-à-dire les Instituts français adossés aux postes, seront globalement préservés, leur dotation de fonctionnement étant maintenue à 46 millions d'euros. Cela est crucial, compte tenu de la situation fragile dans laquelle se trouvent certains d'entre eux. Ainsi, en 2023, 57 établissements affichaient un résultat négatif.
En matière de soutien à la francophonie, force est de constater que l'ambition affichée par le Président de la République dans son discours de Villers-Cotterêts peine à se matérialiser budgétairement.
Ainsi, les dotations destinées à la promotion de la langue française diminueront de 1,4 million d'euros.
De plus, la subvention accordée aux alliances françaises baissera de 45 %, passant de 7,5 millions d'euros à 4 millions d'euros. Cette diminution pourrait compromettre la viabilité de certaines alliances, déjà fragilisées par la pandémie et confrontées à une concurrence croissante dans le secteur de l'enseignement des langues.
Mes chers collègues, avec Didier Marie nous prenons donc acte du choix du Gouvernement de diminuer les moyens consacrés à notre diplomatie culturelle et d'influence. Ce choix repose sur un constat que personne n'ignore : la situation budgétaire de notre pays, considérablement dégradée ces dernières années, impose des efforts importants et nécessaires.
La loi de finances pour 2024 avait marqué un rebond notable des crédits du programme 185. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 traduit, à ce stade, un retour aux niveaux de crédits observés en 2023.
Pour autant, nous ne pouvons que regretter la multiplication des discours présidentiels qui fixent des objectifs élevés que la diminution des moyens rend inatteignables. Qu'il s'agisse de l'ambition pour la langue française et le plurilinguisme affirmée à l'Institut de France en 2018, des états généraux de la diplomatie en mars 2023, ou encore des engagements récents à Villers-Cotterêts en faveur de la francophonie, ces discours nourrissent des attentes légitimes, tant en France qu'à l'international, qui ne pourront qu'être déçues.
Aussi et sous bénéfice de ces observations et de celles qui seront présentées par Didier Marie, nous vous proposerons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 sans modification.
M. Didier Marie, rapporteur pour avis. - Dans son discours prononcé à l'occasion de la clôture des États généraux de la diplomatie en mars 2023, le Président de la République appelait à un « réarmement complet de notre diplomatie », lequel devait passer par une augmentation régulière des crédits du ministère de l'Europe et des affaires étrangères jusqu'en 2027.
Un an et demi plus tard, force est de constater que ces moyens ne suivent pas.
Je ne reviendrai pas sur la baisse des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle et à l'apprentissage du français, qui vient d'être évoquée par Catherine Dumas pour me concentrer sur deux sujets : les moyens dédiés à l'enseignement français à l'étranger et ceux consacrés aux mobilités étudiantes.
S'agissant de l'enseignement français à l'étranger, après deux années de hausse significative de la subvention pour charges de service public versée à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), celle-ci connaîtra une diminution sensible de 14 millions d'euros en 2025.
Les documents budgétaires nous expliquent que cette baisse résulterait de la fin du dispositif de soutien au réseau libanais et de la réévaluation à la baisse des coûts de la réforme des personnels détachés.
Soit. Mais cette présentation, qui laisse entendre que cette diminution serait indolore pour l'opérateur, nous semble appeler trois observations.
En premier lieu, la fin du dispositif de soutien aux établissements libanais intervient alors que le pays traverse une crise majeure. À titre d'exemple, la fermeture du lycée Abdel Kader de Beyrouth pour accueillir des réfugiés nécessitera des travaux dès 2025. Un tel désengagement pose donc question.
En deuxième lieu, le coût de la réforme des personnels détachés est certes plus faible que ce qui était initialement anticipé, mais je rappelle que l'État ne prend à sa charge que la moitié du coût de cette réforme, le reliquat restant à la charge de l'AEFE, soit près de 9 millions d'euros en 2025.
Enfin, en troisième et dernier lieu, je tiens à rappeler que l'augmentation de quatre points du taux de contribution aux pensions civiles se traduira par une charge pour l'opérateur estimée à 9 millions en 2025. Sans entrer dans le détail, la compensation versée par l'État au titre du transfert à l'opérateur de cette charge en 2009 n'a pas évolué depuis cette date.
Au total, l'AEFE connaîtra donc bien une baisse significative de ses moyens. L'opérateur prévoit ainsi de ne pas pourvoir 50 postes à la rentrée prochaine qui s'ajouteront aux 15 suppressions de postes déjà actées.
L'AEFE nous a également indiqué en audition que les subventions qu'elle verse aux établissements, qui financent des projets en matière de sécurité, d'immobilier et de développement, diminueront sensiblement, passant de 12 millions d'euros à 4 millions d'euros.
Ces restrictions budgétaires surviennent alors que le réseau fait face à des défis accrus : fermetures d'établissements au Liban, à Bakou, et interdictions d'inscriptions en Iran et en Turquie. À cela s'ajoute une nouvelle contrainte au Royaume-Uni, où les établissements privés devront s'acquitter d'une TVA de 20 % à partir de 2025, aggravant les tensions financières pour les établissements du réseau.
Dans le même temps, le Gouvernement continue d'afficher un objectif de doublement du nombre d'élèves dans le réseau d'ici 2030, mais sans moyens accrus, cet objectif semble irréaliste.
Une prise en compte des établissements non homologués, comme l'a suggéré en audition notre collègue Olivier Cadic, pourrait être envisagé, en s'appuyant sur l'expertise de l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (ANEFE), ce qui donnerait une image plus fidèle de la réalité de l'enseignement français à l'étranger.
Mais ces établissements devront en tout état de cause faire l'objet d'un accompagnement, le cas échéant jusqu'à l'homologation, ce qui nécessitera des moyens accrus.
J'ajoute que la question du financement des investissements immobiliers des établissements en gestion directe n'est toujours pas résolue.
Comme nous le relevions dans notre rapport l'an dernier, l'absence de solution pérenne apportée à cette question constitue en outre un frein au développement du réseau. Le mécanisme des avances de l'Agence France Trésor dont peuvent bénéficier les établissements en gestion directe (EGD), qui, en tant qu'organismes divers d'administration centrale, ne sont pas autorisés à emprunter, a certes été reconduit jusqu'en 2026, mais cette solution n'est que transitoire, comme l'a rappelé la secrétaire générale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères tout à l'heure.
Je rappelle en outre que l'augmentation du coût du transfert de la charge liée aux pensions civiles que j'évoquais tout à l'heure contraint l'AEFE à consacrer l'intégralité de la participation financière complémentaire au paiement des pensions civiles, alors que 50 % de celle-ci devaient à l'origine être consacrés au développement de projets immobiliers.
Or, le montant des travaux envisagés par l'AEFE dans ses EGD s'élève, à l'heure actuelle, à 142 millions d'euros, certaines opérations pouvant atteindre plusieurs dizaines de millions d'euros.
Au total, à défaut d'une dérogation au profit de l'AEFE, qui lui permettrait de recourir de nouveau à l'emprunt, nous plaidons, comme nous l'avons fait l'an dernier, pour l'inscription, dès le PLF pour 2026, d'une subvention pour charges d'investissement, ou pour un resoclage du montant de sa subvention pour charges de service public prenant en compte la hausse du coût résultant du transfert de la charge liée aux pensions civiles.
Par parenthèse, le principe d'une subvention pour charges d'investissement aurait été rejeté au PLF 2025 sous prétexte qu'il n'était pas demandé aux EGD de contribuer au développement du réseau. Cela laisse perplexe...
En tout état de cause, nous nous opposerons à tout projet de mutualisation intégrale des trésoreries des établissements. Outre que cette solution ne permettrait pas de répondre à l'ensemble des besoins, elle ne serait pas justifiée, ces trésoreries ayant pu être constituées pour la réalisation de projets immobiliers déterminés.
J'en viens maintenant à la question de l'accueil des étudiants internationaux. Un satisfecit d'abord, la France reste une destination attractive. En particulier, un retour des étudiants asiatiques peut être constaté après une période post-covid atone.
Mais derrière cette situation apparemment favorable, que constate-t-on ? Un écart qui se creuse avec nos concurrents.
L'Allemagne figure désormais à la 3e position des pays d'accueil, alors que nous stagnons à la 7e place et que des pays comme la Turquie et les Émirats arabes unis, qui consacrent des moyens bien supérieurs aux nôtres, nous talonnent.
Le PLF pour 2025 prévoit un maintien du montant des bourses de mobilité à 70 millions d'euros. C'est une bonne nouvelle. Pour autant, nous sommes loin de l'objectif de doublement des bourses d'ici 2027 fixé dans le cadre de la Stratégie Bienvenue en France adoptée en 2018, qui aurait nécessité une croissance de l'enveloppe des bourses de 8 millions d'euros par an.
De même, le montant de la subvention pour charges de service public versée à Campus France sera quasi stable l'an prochain à 3,4 millions d'euros. C'est un moindre mal car l'opérateur connait une situation financière qui, sans être inquiétante, appelle une certaine vigilance.
Il nous semble par conséquent que la France est à la croisée des chemins. Soit elle fait le choix de rester parmi les premières destinations mondiales et doit accepter de s'en donner réellement les moyens soit elle accepte d'être reléguée en seconde division et se contente d'un budget réduit au minimum vital.
J'ajoute que la question des moyens dédiés aux bourses et à Campus France doit s'accompagner d'une amplification de ce qui a été initié dans le cadre de la Stratégie Bienvenue en France : facilitation des démarches administratives, accompagnement des établissements d'enseignement supérieur pour améliorer encore les conditions d'accueil, amélioration des conditions de logement, ou encore allongement de la durée de séjour autorisée sur le territoire après l'obtention du diplôme.
Mes chers collègues, comme vient de le rappeler Catherine Dumas, les discours présidentiels de ces dernières années ont affiché un très haut niveau d'ambition pour notre diplomatie culturelle et d'influence.
Force est malheureusement de constater que cette ambition est fortement contrariée par un projet de budget qui n'est pas à la hauteur.
Nous ne nions pas que la très forte dégradation de nos comptes publics au cours des dernières années appelle des efforts et il n'est pas anormal que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères y prenne sa part.
Lors de nos auditions, nous avons pu mesurer l'engagement exemplaire des agents du ministère et de ses opérateurs, grâce à qui les conséquences de la baisse des budgets prévus en 2025 devraient pouvoir être contenues.
Mais si cette diminution devait se poursuivre dans les années à venir, c'est bien le rayonnement de la France à l'international qui en souffrirait.
M. Ronan Le Gleut. - Dans son discours à la Sorbonne de 2018, le Président de la République avait fixé l'objectif d'un doublement du nombre d'élèves dans le réseau de l'enseignement français à l'étranger, qui comptait à l'époque 350 000 élèves. Un doublement d'ici 2030 signifie le passage à 700 000 élèves. Nous sommes à mi-parcours. Or, à la rentrée 2024, le réseau de l'AEFE comptait 399 000 élèves. Il aurait fallu dépasser les 520 000 élèves pour respecter la trajectoire. On peut par conséquent acter que les objectifs ne seront pas tenus et qu'ils sont déraisonnables. Il n'est pas très sérieux de fixer des objectifs chiffrés inatteignables, même quand cela témoigne d'une ambition que nous partageons.
M. Olivier Cadic. - Je voudrais tout d'abord remercier les rapporteurs de m'avoir auditionné en tant que président de l'ANEFE, association d'écoles françaises à l'étranger, et d'avoir pu avoir un échange, un débat permettant de mieux se comprendre. Cela a été très utile.
Pour revenir sur ce qu'a dit Ronan Le Gleut, jamais le Président de la République n'a considéré que le doublement d'élèves ne devait concerner que les établissements homologués. L'AEFE ne peut pas supporter cet objectif. Il existe de nombreuses écoles qui ne sont pas homologuées mais qui proposent un enseignement français à l'étranger de qualité. Si on ne les comptabilise pas, on exclut tout un pan de cet enseignement, y compris des écoles publiques qui forment en français. Toutes ces écoles présentent des élèves au baccalauréat. Je remercie les rapporteurs d'avoir écouté ce point. L'objectif de doublement ne me semble donc pas irréalisable, selon ce que l'on retient dans le périmètre de l'enseignement français à l'étranger.
Présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente
M. François Bonneau. - Quand on voit le travail fourni par les Institut français avec le peu de moyens dont ils disposent, leur faire supporter une baisse supplémentaire de crédits me parait indécent. Pourrait-on revenir sur ce point ?
Présidence de M. Cédric Perrin, président
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je regrette que l'éducation et la culture soient souvent une variable d'ajustement alors qu'elles sont au coeur des questions d'influence. C'est dans nos Instituts français et nos Alliances françaises que les étrangers apprennent le français, qu'ils ont accès à la culture et aux valeurs françaises. Dans un certain nombre de pays, cela est essentiel. J'ajoute que lorsqu'il y a des coups d'État, les premiers établissements à fermer ce sont les Instituts français ou les Alliances françaises car il faut éliminer cette présence culturelle et cette voix de la France, portée par les ondes mais également par une présence physique.
Pour revenir sur l'objectif du doublement du nombre d'élèves dans le réseau de l'AEFE, je déplore que ce celui-ci soit devenu le seul horizon de l'AEFE, au détriment de tout le reste. Cela tiendrait du miracle que l'agence puisse doubler les effectifs d'élèves accueillis avec moins de moyens financiers, moins de professeurs et sans pouvoir s'agrandir. Il faudra m'expliquer comment cela est possible. Or c'est l'objectif donné à l'AEFE.
M. Didier Marie, rapporteur pour avis. - Avec Catherine Dumas nous regrettons le sort réservé à l'ensemble de la politique d'influence. Mais en l'absence de moyens supplémentaires inscrits au PLF, un accroissement des crédits qui y seraient dédiés nécessiterait de ponctionner un autre programme, ce qui ne serait pas satisfaisant.
L'AEFE ce sont des établissements qui se dégradent et qui ne peuvent pas toujours être rénovés, ce sont des tensions internationales qui font que, dans certains pays, leur activité est difficile voire interdite. On ne peut donc pas se satisfaire de cette situation.
Lors des auditions que nous avons réalisées, les opérateurs nous ont expliqué que l'année à venir serait difficile, qu'ils parviendraient à faire face à la baisse des crédits mais que si celle-ci se prolongeait, cela ne serait plus possible. Nous proposons donc néanmoins d'adopter les crédits du programme.
Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis. - Pour répondre à François Bonneau, l'Institut français Paris connaîtra une baisse de sa subvention, mais les crédits de fonctionnement des Instituts français adossés à des postes seront maintenus. Je l'ai indiqué tout à l'heure tout en rappelant la situation difficile traversée par certains d'entre eux.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État ».