EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 20 novembre 2024, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Patrick Chaize sur la mission « Recherche » du projet de loi de finances pour 2025.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » de notre collègue Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis. - Au total, pour 2025, les crédits de cette mission sont en baisse d'environ 2 % par rapport à ceux de l'an dernier et devraient s'élever à 31,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 31,3 milliards d'euros en crédits de paiement.
Toutefois, le périmètre suivi depuis plusieurs années par la commission des affaires économiques ne porte pas sur l'ensemble de cette mission mais correspond aux crédits alloués à la recherche par le programme 172 dédié aux recherches pluridisciplinaires, le programme 190 dédié à la recherche énergétique, le programme 191 dédié à la recherche duale, le programme 192 dédié à la recherche économique et industrielle et le programme 193 dédié à la politique spatiale.
Sur ce périmètre, la tendance est plutôt à la stabilisation, et non à la baisse. Les budgets alloués aux grands opérateurs de recherche sont même en légère hausse, ce qui n'est pas négligeable dans le contexte budgétaire actuel et dans la mesure où 90 % des crédits alloués à la recherche publique sont d'abord octroyés aux opérateurs de recherche.
Alors que mes prédécesseurs avaient pris l'habitude de dire qu'ils n'auditionnaient que des gens heureux, je dois quand même reconnaître que ce n'est plus le sentiment qui prédomine aujourd'hui. J'évoquerais le soulagement et l'inquiétude.
D'abord, le soulagement car, en comparaison des économies budgétaires réalisées sur d'autres postes de dépenses, la recherche publique est plutôt préservée au sein du budget général de l'État, même si des efforts importants ont été consentis en gestion au cours de l'année 2024.
Ensuite, l'inquiétude car, pour la première fois depuis son application, la loi de programmation de la recherche est sous-exécutée tandis que sa clause de revoyure n'a toujours pas été activée. Jusqu'à présent, les trajectoires budgétaires et d'emplois étaient respectées. Pour l'exercice 2025, les trajectoires sont en hausse, mais moins ambitieuses que prévu. Par exemple, la sous-exécution est de l'ordre de 136 millions d'euros pour le financement du programme 172 dédié aux opérateurs de recherche, soit 16 % de moins que la cible prévue par la loi de programmation.
L'inquiétude des opérateurs s'explique aussi au regard d'une plus forte mobilisation budgétaire au cours de l'année 2024 afin d'absorber le « choc de redressement ». Ainsi, le décret du 21 février 2024 annule près de 700 millions d'euros dédiés à la recherche tandis que le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 en annule près de 260 millions.
Si les opérateurs ont la capacité d'absorber un tel choc ponctuel, par des prélèvements sur leur fonds de roulement ou par le décalage de versements et de contributions, la question se pose plutôt au-delà de la période 2024-2025. En effet, à moyen terme, il est primordial de préserver l'objectif de 3 % du produit intérieur brut (PIB) en dépenses de recherche et développement (R&D) afin de se conformer aux standards d'investissement d'autres pays se situant à la frontière de l'innovation technologique. Dans les années à venir, il convient de préserver une dynamique de réinvestissement dans la recherche publique.
De ce point de vue, n'oublions pas non plus que l'écosystème de la recherche et les entreprises bénéficient aussi des moyens alloués par les plans d'investissement d'avenir et par France 2030, qui amplifient les effets de la loi de programmation de la recherche. La dispersion des crédits au sein des projets de loi de finances nous amène parfois à l'oublier.
Dans le contexte budgétaire actuel, je crois que nous ne devons pas être timides et que nous devons plaider pour un mode de financement de la recherche publique plus sélectif, davantage en adéquation avec les priorités énergétiques, numériques, économiques, technologiques et industrielles. C'est pourquoi je souhaiterais insister sur trois politiques sectorielles de recherche qui me paraissent nécessiter un soutien ciblé, continu et appuyé : le nucléaire, le spatial et le numérique.
Sur la politique de recherche nucléaire, d'abord. Alors que la filière française subissait un regrettable déclin depuis les années 2010, faute d'une stratégie appropriée pour atteindre l'objectif de décarbonation de notre production d'énergie à horizon 2050, le renouveau engagé ces dernières années continue de trouver des traductions budgétaires significatives dans ce projet de loi de finances, dans la suite des observations formulées par notre commission l'an dernier.
Ainsi, le renforcement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) se poursuit, avec par exemple une hausse prévue de 88 postes dédiés à la recherche, après une première hausse de 146 postes l'an dernier. Même si ce renforcement est moins ambitieux qu'espéré, les moyens alloués à la recherche nucléaire civile augmentent, notamment grâce à l'affectation d'une fraction de la taxe sur les installations nucléaires de base (INB), à hauteur de 240 millions d'euros pour l'an prochain.
Parce que je suis convaincu de l'impérieuse nécessité de renforcer les capacités de recherche du CEA, je me permets quand même de partager avec vous quelques points d'attention budgétaire : le changement de jurisprudence relatif à la fin d'exonération de taxe foncière pour les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) pourrait se traduire par un surcoût non compensé de 20 millions d'euros ; l'équilibre économique du projet de réacteur expérimental sur le site de Cadarache demeure conditionné au bon versement par les industriels d'une enveloppe de 100 millions d'euros ; le transfert de l'activité de dosimétrie passive au CEA, qui permet de mesurer le niveau d'exposition aux rayonnements ionisants, consécutive à la fusion de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), à compter du 1er janvier 2025, s'accompagne d'une baisse budgétaire injustifiée de 2,5 millions d'euros. Ce n'est pas de nature à mettre en péril le budget du CEA, mais je souhaitais quand même le signaler car les discussions se poursuivent avec le ministère.
Ensuite, je souhaiterais également évoquer le financement de la politique spatiale, qui est aujourd'hui à la croisée des chemins.
En gestion, l'effort budgétaire a été significatif, puisqu'environ 292 millions d'euros de crédits ont été annulés. Cet effort budgétaire est sans conséquence opérationnelle sur les programmes spatiaux du Centre national d'études spatiales (Cnes) dans la mesure où ce sont les versements au budget de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui ont été décalés.
Ainsi, pour l'année 2024, alors que la contribution française devait être supérieure à 1 milliard d'euros, elle a finalement été abaissée à 864 millions d'euros. Le différentiel sera dû dans tous les cas, puisque la France s'engage sur sa souscription pour une période de trois ans. Mais je m'interroge sur notre future capacité de souscription, la France étant déjà le deuxième contributeur au budget de l'ESA après l'Allemagne.
Dans la perspective de la prochaine conférence ministérielle de l'ESA, en 2025, l'enjeu pour la France est surtout de s'assurer d'un juste « retour sur investissement » en fonction de nos priorités qui seront, au cas par cas, mieux défendues par l'ESA ou par la Commission européenne. Sur ce point, je crois qu'il y a un grand besoin de déterminer la nouvelle stratégie de la politique spatiale française, surtout en termes de gouvernance.
Je ne peux terminer la présentation de mon rapport sans vous dire quelques mots du numérique. Je suis convaincu depuis longtemps de la nécessité d'investir dans la recherche, les infrastructures et les technologies numériques pour assurer notre souveraineté, notre sécurité et notre compétitivité.
Je salue les actions mises en oeuvre par les grands opérateurs de recherche, notamment l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), le CEA, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Agence nationale de la recherche (ANR), pour orienter et adapter leurs projets de recherche en fonction des grandes priorités nationales définies en matière de numérique, en particulier pour poursuivre les objectifs fixés par la stratégie nationale d'intelligence artificielle. Encore une fois, je crois que la recherche devrait être plus ciblée et mieux alignée avec les priorités politiques, scientifiques et technologiques nécessaires à l'avenir du pays.
Enfin, au-delà d'un soutien public affirmé, une politique efficace de soutien à la recherche repose aussi sur une politique partenariale d'ampleur avec les entreprises innovantes, qui bénéficient aujourd'hui de nombreuses incitations budgétaires et fiscales, et en premier lieu du crédit d'impôt recherche (CIR) dont les dépenses devraient être supérieures à 7,5 milliards d'euros pour l'année 2025.
Dans le contexte budgétaire actuel, je crois que les débats parlementaires sont enfin mûrs pour réformer le CIR, qui n'a pas connu de modification significative depuis 2008.
Alors que les gouvernements précédents s'étaient engagés à présenter une réforme du CIR, qui n'a jamais eu lieu, je souhaite rappeler que le Sénat propose depuis plusieurs années des pistes de réforme.
Surtout, la semaine dernière, la commission des finances a adopté, sur proposition de son rapporteur général, un amendement visant à modifier le CIR, notamment pour exclure de son assiette les frais liés aux brevets, à la normalisation et à la veille technologique et pour réduire le taux de prise en compte des frais de fonctionnement.
De telles propositions vont dans le bon sens et permettront de « briser le tabou » de la modification du CIR afin d'envisager une réforme plus ambitieuse dans les années à venir, notamment au bénéfice des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME).
Même si l'ambition est moindre que prévu, je vous propose d'adopter les crédits de la mission, car la dynamique de réinvestissement dans la recherche publique demeure confortée, au moins pour 2025, par ce projet de loi de finances.
Mme Micheline Jacques. - La délégation sénatoriale aux outre-mer s'est rendue en octobre dernier en Polynésie dans le cadre d'une mission sur l'adaptation des modes d'action de l'État aux réalités des territoires. La Polynésie compte 78 îles, réparties sur 5,6 millions de km2. Le numérique y est indispensable pour assurer les communications. Faute de solution française, certains maires ont malheureusement dû se tourner vers les États-Unis et faire appel à Starlink. Il est donc nécessaire de poursuivre nos efforts en ce domaine.
M. Daniel Salmon. - Un point n'a pas été abordé, celui de l'enseignement supérieur agricole public, dont les crédits baissent de 2,6 %. Les dépenses de personnel diminuent ainsi de 6 millions d'euros, les bourses de 4 millions d'euros. Ce n'est pas à la hauteur des enjeux, quand l'enseignement privé agricole voit ses crédits augmenter de 17 %. L'enseignement public doit prendre toute sa place.
M. Franck Montaugé. - Le rapporteur pour avis a relevé quelques points préoccupants, notamment en matière de numérique, pour l'avenir et la souveraineté du pays. Compte tenu de ces difficultés, nous ne pourrons pas approuver ces crédits.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Notre groupe approuvera les crédits de cette mission. Nous avons mené avec la commission des affaires européennes une mission sur la recherche spatiale et les enjeux des satellites. Où en sont les projets Iris et OneWeb ? Les Américains, de leur côté, avancent très vite et nous risquons de laisser passer des opportunités. Quel est votre point de vue, Monsieur le rapporteur ?
M. Fabien Gay. - Une réflexion, d'abord. Dans le domaine spatial, nous, Européens, somme des nains, et le soutien que les Américains peuvent apporter à certaines entreprises privées est sans commune mesure avec ce que nous pouvons faire.
Une question, ensuite, qui porte sur le CIR. Quelle modification proposez-vous, Monsieur le rapporteur ? Chaque fois que nous entendons un grand patron, il nous explique qu'il n'y faut rien changer. Pour autant, l'exemple de Sanofi et d'autres encore nous amènent à nous demander, comme le Premier ministre, où passe l'argent. Il faudrait conditionner le dispositif au maintien de l'emploi.
Notre groupe se prononcera contre les crédits de cette mission.
M. Daniel Gremillet. - S'agissant du CIR, il est indispensable que les entreprises qui en bénéficient investissent en France.
M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis. - Je répondrai d'abord à M. Salmon que l'enseignement supérieur agricole ne relève pas des attributions de la commission des affaires économiques, mais de celles de la commission de la culture.
Pour le déploiement du spatial numérique, nous atteignons un point de bascule : tout retard vis-à-vis des Américains deviendra vite irrattrapable. J'ajoute que Starlink pose des questions de sécurité et de souveraineté. Nous devons disposer au niveau européen, dans ce domaine qui a beaucoup évolué, de nos propres outils.
Concernant le CIR, qui est une mesure fiscale, le débat se tiendra en séance plénière, à l'occasion de la discussion de la première partie du projet de loi de finances. Certains témoignages portant sur des abus du dispositif sont troublants. Nous devons parvenir à un nouvel équilibre et dissiper toute ambiguïté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».