II. LOGEMENT EN OUTRE-MER : PRÈS DE HUIT ANS APRÈS LA LOI ÉROM, DES SIGNAUX ENFIN ENCOURAGEANTS NE CACHANT TOUTEFOIS PAS DES RÉSULTATS TRÈS INSUFFISANTS

A. UNE POLITIQUE DU LOGEMENT EN OUTRE-MER DONT LES EFFETS PEINENT ENCORE À SE FAIRE SENTIR

La loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi Érom, prévoit, en son article 3, la construction de 150 000 logements sociaux en 10 ans. Par un amendement de Michel Magras, ancien président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, l'objectif de réhabilitation figure explicitement à l'article 3, de même que, par pragmatisme, celui de la nécessaire territorialisation de l'objectif général. Ces orientations fortes données par le Sénat, réhabilitation et territorialisation, demeurent d'une très grande actualité.

À la veille du lancement de la troisième mouture du plan Logement outre-mer (Plom 3), quel bilan tirer du Plom 221(*), qui s'est étalé de 2019 à 202322(*), dans des territoires où 64 % de la population est éligible au logement social23(*) ?

Source : Commission des affaires économiques du Sénat d'après les données DGOM

Quantitativement, les résultats demeurent fortement en deçà des objectifs et des besoins, puisque le chiffre de 15 000 logements livrés par an24(*) n'est évidemment pas atteint. En moyenne, entre 2017 et 2023, ce sont 3 793 logements qui ont été livrés, et 1 932 réhabilités25(*). Après une baisse continue de la production de logements entre 2017 et 2022, on constate cependant une nette inflexion à la hausse pour 2023, les perspectives pour 2024 étant raisonnablement optimistes. A contrario, depuis 2022, on observe une nette baisse des réhabilitations, pour atteindre, en 2023, le chiffre de 882 logements réhabilités. Ce mauvais résultat pour 2023 ne doit pas cacher une tendance à l'augmentation du financement des réhabilitations, du fait des besoins de certains territoires à la démographie déclinante26(*) et au parc de logement vieillissant. Dans d'autres territoires27(*), les besoins en constructions neuves demeurent criants, alors même que le taux de vacance dans les Drom, de l'ordre de 12 % du parc (120 000 logements) selon l'USH, demeure supérieur au taux national, s'établissant, selon les chiffres du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à 8,3 %28(*).

De manière générale, les acteurs interrogés par la rapporteure dressent un bilan mitigé du Plom 2, soulevant notamment l'échec à relancer véritablement l'offre de logements neufs, le manque chronique d'ingénierie sur les territoires, ou encore le manque d'outils de suivi territorialisé du plan. Si le plan ne s'est pas traduit par un « choc d'offre » de logement, il a permis, en complémentarité du Ciom, d'avancer sur des points essentiels et notamment la question centrale d'une meilleure territorialisation des politiques du logement, l'adaptation et la dérogation à certaines normes, comme en témoigne l'avancée récente sur le dossier du marquage, ou encore - et malgré leur baisse pour 2025 - la hausse des crédits dédiés à la Ligne budgétaire unique (LBU).

La rapporteure forme le voeu, pour la troisième mouture du Plom, que la territorialisation des objectifs et du suivi soit approfondie, en associant les collectivités, dont il est attendu l'élaboration d'une « feuille de route territoriale », mais aussi les acteurs locaux du logement. De même, elle considère que, si la baisse pour 2025 s'inscrit dans un contexte tout à fait particulier et doit dès lors être endossée, elle ne saurait se reproduire pour les années à venir, les acteurs de la construction ayant besoin de visibilité et de stabilité quant aux engagements de l'État. Comme le ministre chargé des outre-mer le déplorait le 7 novembre 2024 lors de son audition devant les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer, il faut en moyenne cinq années pour livrer un immeuble neuf : la stabilité des financements est donc essentielle.

Recommandation n° 7 : Ne plus procéder, à l'avenir, à des baisses de crédits concernant la LBU, de manière à donner aux acteurs de la visibilité quant aux engagements de l'État.

Enfin, la rapporteure invite le Gouvernement et les acteurs locaux à poursuivre dans la voie de l'adaptation des normes aux réalités ultramarines. En la matière, le Ciom a permis de réelles avancées comme le report de la mise en application des diagnostics de performance énergétique (DPE), permettant de conduire une réflexion sur leur pertinence dans les climats ultramarins. De même, certaines souplesses dans la mise en oeuvre du zéro artificialisation nette (ZAN) ont été permises.

« Ce n'est pas aux outre-mer de s'adapter aux normes hexagonales, mais bien aux normes hexagonales de s'adapter
aux spécificités ultramarines »

Enfin, et à la suite de la mobilisation de longue date des acteurs de la construction et du logement en outre-mer, de la délégation sénatoriale aux outre-mer29(*) et des services du ministère chargé des outre-mer, le 10 avril 2024, le Parlement européen a ouvert la voie30(*) à la possibilité pour les territoires ultramarins de s'approvisionner en matériaux locaux, c'est-à-dire à déroger au marquage conformité européenne (CE), au bénéfice d'un marquage RUP. Cette évolution, attendue de très longue date, doit encore poursuivre son chemin législatif à Bruxelles, puis trouver sa traduction dans des textes réglementaires nationaux d'application. La rapporteure invite le Gouvernement à tout mettre en oeuvre pour clore ce dossier qui, sans mobiliser d'argent public, devrait être bénéfique à l'ensemble du secteur de la construction, par une réduction de ses coûts d'approvisionnement, et donc à la dynamique du logement en outre-mer.

Recommandation n° 8 : faire aboutir au plus vite le dossier du marquage RUP.

Les ratés de l'adaptation normative : l'exemple du décret QPV

La mesure 18 du Ciom du 18 juillet 2023 a acté l'extension du crédit d'impôt pour les rénovations des logements sociaux aux opérations situées hors des quartiers prioritaires politiques de la ville (QPV), dans le but d'accélérer ces opérations. L'article 71 du PLF pour 2024 a opportunément matérialisé cet engagement, en modifiant l'article 244 quater X du code général des impôts, et en renvoyant à un décret le soin de définir la nature des performances techniques, énergiques et environnementales que les logements doivent atteindre.

Or, le projet de décret prévoit la mise en place de critères parvenant à réunir contre eux l'unanimité des acteurs du logement que la rapporteure a rencontrés dans le cadre de ses auditions budgétaires. En effet, ces critères seraient, pour certains d'entre eux, en total décalage avec la réalité du climat ultramarin et des besoins en rénovation de logements. Ainsi, la question de l'isolation thermique des logements a pu surprendre. De plus, ces critères devraient engendrer, en l'état, et selon les interlocuteurs de la rapporteure des surcoûts considérables, de nature à sérieusement enrayer la dynamique que la mesure entendait initialement impulser.

Paradoxe de la situation et de l'attente de publication du décret, l'année 2024 sera, aux dires des acteurs, une année quasi blanche en termes de rénovations, hors QPV, mais également en QPV, ce qui est l'exact inverse de l'ambition du Ciom.

Auditionnée par la commission des affaires économiques du Sénat le 12 novembre31(*), la ministre du logement et de la rénovation urbaine a assuré travailler à la simplification du dispositif, en lien avec les services du ministère chargé des outre-mer.


* 21 Le Plom 2 comptait 77 mesures réparties en quatre axes : mieux connaître et mieux planifier pour mieux construire, adapter l'offre aux besoins des territoires, maîtriser les coûts de construction et de réhabilitation, accompagner les collectivités en matière de foncier et d'aménagement. Selon l'USH, citant un rapport de fin 2023 de l'IGEDD, le taux de mise en oeuvre des mesures du plan est estimé à 80 %.

* 22 Le Plom 2 devait initialement s'étaler sur la période 2019-2022. Il a été prolongé pour 2023, afin de permettre son évaluation.

* 23 Contribution écrite de l'USH.

* 24 Il s'agit de l'objectif de la loi Érom, le Plom 2 ne s'étant pas risqué à chiffrer les objectifs de production, quand le Plom 1 fixait un objectif de 10 000 logements par an.

* 25 Comme le souligne l'Insee dans sa contribution écrite : « Dans les départements d'outre-mer (DOM) hors Mayotte, le parc de logements augmente plus rapidement qu'en France métropolitaine. Cependant, le rythme ralentit également : +1,6 % en moyenne par an entre 2010 et 2024, contre +2,4 % entre 2000 et 2010 et +2,9 % entre 1982 et 2000 ».

* 26 Réunion, Martinique, Guadeloupe.

* 27 Mayotte, Guyane.

* 28 À noter qu'il semble possible d'agir sur la vacance. Ainsi, dans sa contribution écrite, la Caisse des dépôts et consignations habitat (CDCH) indique que la diminution du taux de vacance des logements gérés par leurs Sidom et SEM a permis de remettre 2 000 logements vacants sur le marché.

* 29 Citons le rapport d'information du 17 septembre 2024 fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer volet 1 : bassin océan Indien, par MM. Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, le rapport d'information du 1er juillet 2021 fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur la politique du logement dans les outre-mer, par M. Guillaume Gontard, Mme Micheline Jacques et M. Victorin Lurel, ou encore le rapport d'information du 29 juin 2017 fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur les normes en matière de construction et d'équipements publics dans les outre-mer, par M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur, Mmes Karine Claireaux et Vivette Lopez, rapporteurs,

* 30 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0207_FR.html

* 31 https://videos.senat.fr/video.4830407_67313f04438b7.budget-2025--audition-de-valerie-letard

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