C. L'ARDENTE OBLIGATION D'UN FINANCEMENT PÉRENNE DU PLAN DE RENOUVELLEMENT FORESTIER
a) Investir dans l'adaptation des forêts au changement climatique est rentable à long terme
La filière forêt-bois a unanimement salué le rétablissement d'un fonds pérenne de renouvellement forestier, qu'elle demandait depuis 1999 et l'arrêt du Fonds forestier national (FFN). Après l'engagement de 203 M€ via France Relance, ayant permis la reconstitution de 47 000 ha de forêts, la continuité de ce fonds est assurée par France 2030, que relaiera ensuite France Nation Verte (planification écologique) sur le programme 149.
Devant certaines critiques d'associations environnementales ensuite étayées par la Cour des comptes, et à des fins de sage gestion économique, une part d'écoconditionnalité a permis d'améliorer l'efficience du renouvellement : des obligations de diversification (au moins deux essences-objectifs entre 4 et 25 ha et un minimum de trois au-delà) et de recours à des outils d'aide à la décision forestière en fonction de projections climatiques, tels que BioClimSol et ClimEssences, ont été introduites dans les cahiers de charge de France 2030 et de France Nation Verte. Le financement des regarnis et de l'entretien a aussi été ouvert.
Selon le département santé des forêts, le taux de plantations en échec [lorsqu'au moins 20 % de plants sont morts ou disparus] a cependant atteint un niveau inédit de 38 % en 2022, année de sécheresses et de canicules, contre 24 % en 2023, taux plus proche de la moyenne 2015-22 - elle-même largement au-dessus de la moyenne pré-2015. Or « les températures caniculaires de 2018 et 2022, jugées aujourd'hui extrêmes, devraient être situées dans la norme d'ici la fin du siècle selon un scénario modéré d'émission de gaz à effet de serre » ( Vitasse et al., 2023). Cela devrait alerter quant au risque que les conditions de plantation deviennent durablement moins propices et inciter à accélérer l'adaptation.
Enfin, après 509 M€ d'AE en 2024, tout doute quant à la continuité de l'engagement de l'État pour la forêt affaiblirait le secteur privé, notamment le maillon des entrepreneurs de travaux forestiers (ETF), constitué en majorité d'entreprises unipersonnelles déjà confrontées à des difficultés de recrutement. À défaut, le secteur devra être soutenu dans dix ans, pour un coût sans doute bien plus élevé. Le nécessaire triplement de la production de plants, notamment via la hausse du nombre de vergers à graines qui mettent environ quinze ans à entrer en production, impose aussi de soutenir, dès à présent, la filière graines et plants.
Amendement n° 5 et recommandations n° 10 et 11 : porter l'enveloppe forêt de la planification écologique à 250 M€ (contre 228 M€ proposés dans le PLF), et sanctuariser les montants consacrés au renouvellement forestier ainsi que pour la filière graines et plants.
b) « Faire plus avec autant de moyens » : le défi proposé par les trois rapporteurs aux deux établissements publics chargés de la forêt en 2025
« Les moyens humains de l'Office national des forêts (ONF) apparaissent désormais insuffisants pour répondre aux missions croissantes qui lui sont assignées », a noté la Cour des comptes dans un récent rapport d'initiative citoyenne. La situation financière de l'ONF s'est nettement améliorée ces dernières années, son endettement passant de 400 à 230 M€, dans un climat social plus apaisé - ses agents ont ainsi accepté que tout le résultat de l'établissement soit affecté au désendettement -, l'établissement contribuant même aux recettes d'impôt sur les sociétés de l'État. Aussi, les rapporteurs souhaitent avec la ministre revenir sur la baisse de son plafond d'emplois de 95 ETPT, qui ne permettait aucune économie budgétaire, l'ONF n'étant pas financé par une subvention pour charges de service public.
Le Centre national de la propriété forestière (CNPF) avait vu ses effectifs maintenus dans le PLF initial, mais le Gouvernement a annoncé une baisse de 13 ETPT par amendement. Or, le CNPF s'est vu confier des missions nouvelles par la loi d'initiative sénatoriale du 10 juillet 2023 sur les feux de forêt (cf. avis sur le PLF 2024). Les rapporteurs ne comprennent pas la cohérence d'une baisse au milieu d'une trajectoire de 50 créations de postes sur 3 ans (29 ETPT restants), a fortiori dans un contexte où le changement climatique nécessite des avenants aux documents de gestion durable et des prestations de conseil en plus.
Recommandation n° 12 et 13, amendement n° 6 : geler les plafonds d'emplois de l'ONF (+ 95 ETPT, gratuit) et du CNPF (+ 13 ETPT, 845 000 €) en 2025.
c) Des économies au moins égales à l'effort demandé, en levant des verrous extra-budgétaires
En contrepartie de l'effort demandé pour le renouvellement forestier, et afin d'améliorer l'efficience de la dépense publique pour des économies rapides et au moins équivalentes, les rapporteurs proposent d'avancer sur quatre chantiers : un ciblage plus fin des dépenses par un surcroît d'animation locale (1), une mise en cohérence de politiques publiques (2), un assouplissement normatif (3) et une clarification réglementaire (4). Ces verrous extra-budgétaires sont autant de coûts cachés, qui n'en sont pas moins réels.
Le premier chantier résiderait dans une mobilisation accrue des collectivités et des propriétaires privés isolés, qui représentent respectivement 16 % et 75 % des surfaces boisées pour seulement 12 % et 59 %
Bilan de France Relance
des financements de France Relance1(*), alors que leurs forêts sont souvent, dans le quart nord-est, les plus affectées par les dépérissements. Cela permettrait à cadre réglementaire constant d'augmenter la part des peuplements dépérissants [considérés comme tels dès 20 % de sinistre dans France Relance, contre 40 % dans le label bas-carbone], par rapport aux peuplements vulnérables au changement climatique et surtout aux peuplements pauvres dans l'effort de renouvellement.
Sur 110 000 ha scolytés en France, 12 % seulement ont été reconstitués par France Relance, alors que le renouvellement de ces peuplements qui séquestrent moins voire émettent du carbone, est « sans regret » : l'investissement y est le plus rentable et le coût d'abattement de la tonne de carbone y est le plus faible, l'impact carbone y étant positif même à court terme - le « rattrapage » du déstockage de carbone est plus long pour les autres peuplements ( rapport IGN/FCBA).
Dans ce même but de financement d'actions d'animation et d'ingénierie locales, les rapporteurs souhaitent maintenir à niveau constant - toujours une baisse en termes réels - la contribution de l'État au Fonds stratégique forêt-bois (FSFB). Raboté de 3 M€ en CP (23 M€ contre 26 M€), il affiche un fort effet de levier pour une dépense publique modique.
Amendement n° 6 et recommandation n° 14 : maintenir à niveau constant la contribution de l'État au fonds stratégique forêt-bois (3 M€ en AE et en CP), et l'orienter vers des actions d'information et d'ingénierie pour les Cofor et les propriétaires privés.
Le deuxième chantier a trait à la correction du déséquilibre sylvocynégétique qui s'amplifie, en particulier dans l'est de la France, chevreuils et grands cervidés étant friands, spécialement, des jeunes tiges de chêne et de sapin. Selon le bilan du renouvellement forestier de France Relance, 28 M€, soit 14 % des 203 M€ engagés, ont été consacrés aux mesures de protection contre le grand gibier, six dossiers sur sept incluant ces mesures (engrillagement, protections individuelles, répulsifs...). À cela s'ajoute l'impact des dégâts de gibier - non indemnisés en forêt - « dont le coût, très difficile à évaluer, serait au moins équivalent » à celui de la protection, selon Experts forestiers de France. Au total, selon le rapporteur Franck Menonville, dans les forêts scolytées de l'Argonne et du Verdunois, jusqu'à 50 % des crédits du renouvellement seraient consacrés à cette problématique.
En plus de ponctionner une part significative du fonds de renouvellement, ce qui est un motif de profond découragement pour les sylviculteurs et un gaspillage d'argent public, ce déséquilibre empêcherait la survenue de 30 à 40 % des régénérations en forêt privée. Il réduit la diversité des espèces et induit des contre-sélections - le hêtre et l'épicéa, plus vulnérables au changement climatique, sont moins recherchés par les chevreuils. Les rapporteurs jugent donc, avec les auteurs du rapport Objectif forêt, que restaurer cet équilibre est une « condition impérative pour réussir l'adaptation et le renouvellement » de la forêt.
Le troisième chantier consiste à faciliter les dérogations aux arrêtés régionaux sur les matériels forestiers de production, dits « arrêtés MFR », pour permettre un approvisionnement en graines d'autres régions voire pays européens, pour autant qu'elles transitent par les pépinières françaises. En l'état, les difficultés ne semblent pas tant venir des délais d'instruction (de 19 jours à environ 2 mois dans les cas les plus complexes), que du principe même de devoir en passer par des dérogations, celles-ci étant amenées à se multiplier, « la vitesse de migration [des arbres] demeur[ant] bien plus lente que la vitesse actuelle du réchauffement climatique » ( Vitasse et al., 2023). La question est complexe, le Comité technique permanent de la sélection (CTPS) fondant ses avis sur une recherche au long cours, pas toujours à même de fournir des conclusions fermes en temps utile. Une conception non fixiste mais dynamique de la nature doit toutefois inviter à l'expérimentation, prudente, de nouvelles essences, pour adapter plus vite la forêt française.
Le quatrième et dernier chantier réside dans la poursuite de la sécurisation des ETF au regard notamment de la réglementation « espèces protégées » (art. L. 411-1 du code de l'environnement), en lien avec l'article 13 du PLOA dépénalisant les atteintes non intentionnelles à l'environnement, ainsi que par des actions de conseil et de formation.
Recommandation n° 15 : concrétiser les pistes des Assises de la forêt et du bois pour rétablir l'équilibre forêt-gibier, par une concertation entre forestiers et chasseurs au sein d'un groupe de travail national technique et de comités paritaires sylvocynégétiques, afin de fixer des objectifs par massifs, que les plans de chasse seraient tenus de respecter.
* 1 30 % des crédits vont aux forêts domaniales pour 9 % des surfaces : le renouvellement en forêt domaniale concerne beaucoup les feuillus (chêne), en moyenne plus coûteux, et l'ONF assure des prestations plus fines pour le compte de l'État.