B. SOLDER LA MAUVAISE ANTICIPATION DES CRISES SANITAIRES PASSÉES ET RÉFLÉCHIR À UNE REFONTE COMPLÈTE DE NOTRE VEILLE SANITAIRE

a) Solder l'anticipation défaillante des crises sanitaires passées par de justes indemnisations

Lors de son premier déplacement officiel, au Sommet de l'élevage, la ministre de l'agriculture Annie Genevard a débloqué un fonds d'urgence de 75 M€ pour indemniser la surmortalité des ovins liée à la fièvre catarrhale ovine de sérotype 3 (FCO3). La doctrine gouvernementale excluait néanmoins la prise en charge par ce fonds des pertes pour les bovins, ainsi que de la FCO8 et de la maladie hémorragique épizootique (MHE), considérées comme endémiques et non émergentes - à ce titre, les pertes liées à ces maladies devaient, selon la doctrine du gouvernement, être indemnisées via le fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux (FMSE), fonds professionnel cofinancé par l'État à 65 %.

Devançant la requête unanime des rapporteurs, la ministre de l'agriculture a toutefois annoncé, devant la commission des affaires économiques, l'ouverture du fonds d'urgence à la FCO8 pour les ovins. Selon les rapporteurs, le sérotype qui s'est propagé en 2024 à la faveur de conditions météorologiques clémentes pour les culicoïdes, est en effet plus virulent que celui qui était déjà présent à basse intensité depuis quinze ans sur le territoire.

En parallèle, les éleveurs ayant perçu des indemnisations dans le cadre de crises sanitaires devraient bénéficier, selon les rapporteurs, d'une exonération sur ces montants - au-delà du simple étalement prévu à l'article 75-0 A du code général des impôts -, sous réserve qu'ils s'engagent « à en réinvestir l'intégralité dans le renouvellement du cheptel ou dans la reconstitution des plantations détruites ». L'objectif est d'éviter une décapitalisation contrainte par la répétition d'aléas sanitaires.

Recommandation n° 5 : étendre le fonds d'urgence à l'indemnisation des pertes directes liées à la FCO-8 en ovin (à enveloppe constante de 75 M€) et exonérer ces aides d'impôt.

b) Gestion de crise : améliorer le partage des données et optimiser nos capacités d'équarrissage

Selon tous les acteurs entendus, une difficulté récurrente rencontrée dans la gestion des crises sanitaires a trait aux défaillances de centralisation et de partage des données :

Ø Ainsi, les données consolidées de surmortalité auraient été déduites des tonnages d'équarrissage, ce de façon d'autant plus incompréhensible que les éleveurs doivent, eux, déclarer toute entrée ou sortie de leur exploitation dans les sept jours, procéder au bouclage des animaux et tenir à jour leur passeport.

Ø Au sujet des bovins, le FMSE s'est plaint, pour sa part, de ne disposer des données de la BDNI (base de données nationale d'identification) et de SIGAL, base de données miroir de la DGAL, que de façon indirecte, en passant par FranceAgriMer.

Ø Des mouvements d'animaux de Nouvelle-Aquitaine vers les Pays de la Loire sont en cause dans la déclaration de nouveaux foyers de maladie hémorragique épizootique (MHE). Pour cette même maladie, l'administration a dû procéder manuellement à un inventaire des vétérinaires exerçant dans la « bande tampon » au sein de laquelle la vaccination, qui reste volontaire, a été rendue gratuite.

Le PLF 2025 prévoit 7,4 M€ pour moderniser le RESYTAL (SI de la DGAL) et 5,5 M€ pour le SINEMA (système informatique national d'enregistrement des mouvements des animaux), qui doit remplacer la BDNI, frappée d'« obsolescence technique » ( CGAAER, 2020). Seulement 1 M€ serait consacré à la dématérialisation des passeports (DEMAT), qui doit aller de pair avec cette migration. En 2023, « le programme 206 n'a pas consommé les crédits ouverts pour la rénovation du système informatique lié à l'identification et la traçabilité des animaux vivants » ( note d'exécution budgétaire). Or, au total, selon Chambres d'agriculture France, ce sont 15 M€ qui seraient nécessaires sur les 3 années à venir. Les rapporteurs appellent à rationaliser et à moderniser d'urgence ces systèmes d'information et bases de données, à passer vite aux passeports et boucles électroniques, et à préfigurer la mise en place d'un portail unique pour l'agriculteur.

Amendement n° 3 : acter la première tranche de financement de la « DEMAT » (5 M€).

Les rapporteurs ont été alertés par le CGAAER sur le risque de saturation de nos capacités d'équarrissage « hors temps de paix », au cas où se déclencheraient simultanément plusieurs crises d'ampleur dans l'élevage - par exemple si un foyer de peste porcine africaine s'était déclaré au plus fort de la crise de l'influenza aviaire en 2022, en plus des canicules. Cette tension multiplie les risques de « suraccident » en matière de biosécurité.

Les rapporteurs rappellent en outre que l'enfouissement en catastrophe de sous-produits animaux (cadavres de volaille) sur la « zone de pré-stockage temporaire sous contrôle » de Petosse en Vendée, en 2022, pourrait avoir coûté plus de 3 300 € la tonne (environ 15 M€ pour 4 500 t), alors que le coût habituel de traitement est plutôt de l'ordre de 300 € la tonne - c'est-à-dire le ratio habituel de 1 à 10 entre dépenses usuelles et dépenses de crise.

Pour que cela ne se reproduise pas, ils souhaitent financer des surcapacités d'équarrissage, et profiter du statut de risque « négligeable » retrouvé par la France à l'été 2022 en matière d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), en maintenant activables en cas de crise, de façon préventive, les lignes ainsi libérées (180 000 t/an). Pour autant, les associations ATM (animaux trouvés morts) compétentes pour chaque filière pourraient s'engager davantage dans la gestion de crise, au-delà du fonctionnement routinier du système d'équarrissage. De même, les quatre entreprises du secteur pourraient se coordonner afin d'optimiser les délestages sur d'autres usines, ce qui a pu faire défaut lors des pics récents.

Amendement n° 4 et recommandation n° 6 : maintenir sur fonds publics (2,1 M€) des surcapacités d'équarrissage, avant d'en transférer la charge aux interprofessions.

c) Ajouter un volet préventif au Fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux

Destiné à indemniser les pertes liées à une maladie animale ou végétale ou à un incident environnemental (art. L. 361-3 du code rural), le fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux (FMSE), abondé par des cotisations professionnelles et co-financé par l'État à hauteur de 65 %, monte progressivement en charge depuis sa mise en place en 2013 - d'un montant total de 8 M€ en 2024, il serait porté à 15 M€ en 2025, à travers la ligne « fonds national de gestion des risques en agriculture » (programme 149).

Afin d'accompagner la montée en charge de ce fonds public-privé, les rapporteurs appellent son conseil d'administration, en lien avec les filières, à augmenter les cotisations demandées aux agriculteurs, aujourd'hui jugées dérisoires par un grand nombre d'acteurs. L'État devrait ainsi augmenter sa contribution dans le budget 2026 et pourrait en profiter pour porter à 70 % la part de cofinancement, ce qui est désormais permis par le droit de l'Union européenne.

Recommandations n° 7 et n° 8 : augmenter de 13,5 M€ les cotisations prélevées par les sections, ce qui irait de pair en 2026 avec une hausse de 31,5 M€ de la contribution de l'État (70 %), pour porter progressivement la capacité du FMSE à 60 M€ (+ 45 M€).

Les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville souhaitent profiter de cet élan pour donner au FMSE un rôle plus stratégique, afin d'en faire un outil plus politique d'orientation de la veille sanitaire, au-delà de son simple rôle actuel de financeur.

Ils considèrent en effet que le FMSE a atteint la maturité suffisante pour que lui soit adjoint un pilier préventif. Le ministère de l'agriculture aurait du reste plaidé pour une telle orientation auprès de la DG concurrence de la Commission européenne, qui l'aurait à ce stade refusé en raison de lignes directrices en lien avec le bilan de santé de la PAC.

S'agissant de son volet animal, le FMSE pourrait ainsi utilement financer une politique de prophylaxie, que les rapporteurs ne jugent plus à la hauteur sur les dernières années, en contribuant à assurer le maillage territorial des vétérinaires sanitaires spécialisés élevage - au besoin par la mise en place d'équipes mobiles sur le modèle de la sécurité civile - et en contribuant plus largement à l'achat de vaccins, à des audits de biosécurité, et à la formation.

Recommandation n° 9 : intégrer un pilier de veille et de prévention au FMSE.

d) Ouvrir la réflexion sur une refonte plus globale de notre gouvernance de surveillance sanitaire

Dans le cadre des Assises du sanitaire annoncées par la ministre pour le premier trimestre 2025, et en recherchant autant que possible des solutions partagées, comme le recommande le CGAAER, les rapporteurs Laurent Duplomb et Franck Menonville souhaitent ouvrir une réflexion sur une rationalisation de la gouvernance territoriale de la surveillance sanitaire, qui intègrerait les groupements de défense sanitaire (GDS) aux chambres d'agriculture, ainsi que, par parallélisme, les Fredon, qui jouent le même rôle pour la santé des végétaux.

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