EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 12 mars 2024, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Laurent Duplomb sur le projet de loi n° 694 (2018-2019) autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, et de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de M. Laurent Duplomb sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, et de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Bientôt sept ans après la mise en oeuvre « provisoire » de l'intégralité de cet accord à l'exception de son chapitre 8 sur la protection des investissements, on nous demande enfin d'autoriser la ratification de l'accord économique et commercial global avec le Canada (AECG, plus connu sous le nom de CETA).

Après toutes ces années, il apparaît que le CETA, un accord commercial de nouvelle génération, est paradoxalement déjà daté : il n'a pas intégré les contraintes de l'accord de Paris ; il ne tient pas compte du retour de l'enjeu de la souveraineté alimentaire lié à la guerre en Ukraine.

Le manque de légitimité de cet accord est patent. D'ailleurs, dix États ne l'ont toujours pas ratifié : la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Hongrie, la Pologne, la Slovénie, l'Irlande, l'Italie et la France.

S'il y a donc lieu de se réjouir, à l'approche du printemps, de ce moment démocratique, c'est bien au groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K), qu'il faut saluer pour cette initiative, que nous le devons, et non au Gouvernement.

Le projet de loi inscrit à l'ordre du jour de son espace réservé a été adopté à l'Assemblée le 23 juillet 2019 avec seulement 53 voix d'écart et un nombre important d'abstentions, notamment dans la majorité présidentielle.

Il autorise en son article 1er la ratification de cet accord commercial et, en son article 2, la ratification de l'accord de partenariat stratégique (APS). Cet autre accord, qui se veut contraignant, mais reste en fait largement déclaratoire, approfondit le dialogue et la coopération politiques en matière de droits de l'homme et de sécurité internationale entre l'Union européenne et le Canada.

En préambule, je voudrais vous éclairer sur les conséquences de votre vote.

Dans une déclaration du Conseil de l'Union européenne de 2016, c'est-à-dire des gouvernements réunis, ces derniers se sont arrogé le droit de choisir s'ils notifient ou non leur incapacité de ratifier l'accord à la Commission européenne qui, elle, est ensuite tenue de dénoncer l'application provisoire de l'accord, celle-ci prenant effet six mois après la dénonciation.

De fait, le refus du parlement chypriote n'a jamais été notifié par le gouvernement de ce pays, qui figure encore dans la liste des États n'ayant pas ratifié l'accord comme s'il ne s'était jamais prononcé. En théorie cet accord peut donc être appliqué de façon provisoire indéfiniment. Et si vous n'êtes pas d'accord, la Commission choisira à l'avenir de scinder les accords de nouvelle génération en deux, entre les dispositions commerciales et les autres.

Vous voyez bien à quel point la procédure de ratification de cet accord mixte contourne le Parlement et escamote la souveraineté nationale.

Mais venons-en au contenu même de l'accord. Soyez assuré que j'ai été soucieux au cours de mes travaux de ne pas priver l'économie française d'un bon accord s'il s'avérait, à l'analyse, que les producteurs et les consommateurs français tiraient de l'accord des bénéfices certains. Aussi, je me suis efforcé d'examiner l'accord pour ce qu'il est - tout l'accord, mais rien que l'accord.

De quoi me suis-je aperçu ? Écoutez bien, car je vais dissiper quelques idées reçues.

La première, véhiculée activement par les membres du Gouvernement, est que les chiffres de notre commerce avec le Canada prouveraient d'ores et déjà le succès de l'accord. Cette communication est prématurée et imprudente, si ce n'est tout simplement infondée, et ce pour trois raisons.

Tout d'abord, les exportations ont certes augmenté de l'ordre d'un tiers - de plus de 1 milliard d'euros -, mais les importations ont augmenté d'autant, et même légèrement plus - de 1,1 milliard d'euros. L'effet sur le solde commercial franco-canadien est jusqu'ici négatif puisqu'on constate une dégradation de 48 millions d'euros sur six ans. Légèrement négatif certes, mais il faut rappeler que les Canadiens sont loin d'exploiter tous les quotas d'exportation que nous leur avons accordés dans l'accord, contrairement à nous dans l'autre sens !

Ensuite, hormis pour quelques produits, l'augmentation des échanges franco-canadiens de 34 %, est à peine supérieure à celle de 31 % des échanges avec les autres pays tiers et cette hausse est en valeur, donc gonflée par l'inflation. Elle provient en outre selon le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), un service du Premier ministre, d'un effet de « détournement de trafic », qu'on retrouve souvent dans de tels accords économiques. Le commerce supplémentaire avec le Canada ne vient pas s'ajouter au commerce avec les autres pays, il nous en détourne, en offrant une meilleure valorisation ! Meilleure valorisation, peut-être, mais qui capte cette valeur ? Est-on bien sûr que cela ne va pas simplement aux actionnaires ? En tout cas, cela ne crée pas plus de production, et donc pas plus d'emplois.

M. Yannick Jadot. - Communiste !

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Enfin, il ne suffit pas de constater une hausse du commerce bilatéral franco-canadien depuis 2017 pour l'attribuer au CETA. J'y insiste, aucune étude économique n'a été effectuée depuis l'accord pour distinguer ce qui relève du CETA en lui-même ou ce qui relève de la tendance générale de notre commerce extérieur, voire ce qui relève des bouleversements intervenus depuis, qui ont recomposé les flux mondiaux - guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, invasion de l'Ukraine par la Russie. Au mieux, les effets sont présumés, mais pas avérés.

La deuxième idée reçue est que nous aurions un besoin urgent de contracter avec le Canada pour diversifier notre économie et notamment pour nous approvisionner en terres rares, nécessaires à la transition énergétique.

Je commencerai par faire un sort à ce dernier argument, car, bien que le Canada dispose de réserves en terres rares, elles sont 50 fois moins importantes que celles de la Chine et 25 fois plus faibles que celles du Brésil ou encore du Vietnam.

Ensuite, sur les opportunités économiques offertes par l'accord, le Canada compte 40 millions d'habitants, l'Union européenne, 450 millions d'habitants ! En conséquence, selon le Cepii, « les conséquences du CETA pour l'économie européenne sont nécessairement quantitativement limitées : 0,02 % du PIB français et moins de 0,01 % du PIB de l'Union européenne à l'horizon 2035, soit 12 dollars par an et par Français et 4 dollars par an et par Européen ». En revanche, pour l'économie canadienne, complètement arrimée aux États-Unis, le gain lié à l'accord serait évidemment plus important : de l'ordre de 313 dollars par an et par personne. On comprend la mobilisation canadienne des derniers jours pour faire voter l'accord !

Je ne nie pas qu'il puisse y avoir des secteurs gagnants : le textile, la chimie, les produits manufacturés, les vins et spiritueux - encore que ce dernier secteur, qui réalisait 200 millions d'euros d'excédents vers le Canada en 2022, en a déjà fait 40 de moins en 2023. Pour relativiser ces 160 millions d'euros d'excédent, permettez-moi de citer l'exemple de l'accord entre l'Union européenne et le Maroc sur les produits agricoles : cet accord a coûté aux Français, rien que par la hausse des exportations de la seule année dernière, 168 millions d'euros de plus, poursuivant la destruction d'une partie de la capacité de production en France.

Je ne nie pas même l'existence de gains globaux liés au CETA. Je dis simplement qu'ils sont relativement négligeables - 4 $ par an et par Européen - et qu'ils placent très bas le prix d'achat de nos reniements et de nos renoncements.

La troisième idée reçue est que nos filières sensibles seraient finalement moins heurtées que prévu, en particulier la filière bovine, car nous n'importons que 52 tonnes en France et 1 450 tonnes dans l'Union européenne. Je rappelle que ces quotas étaient de 4 000 tonnes équivalent-carcasse (TEC) sans droits de douane avec le contingent « panel hormones ». L'accord a ajouté 49 000 tonnes, cela fait donc 53 000 tonnes à droits nuls. Il ne faut pas oublier les 15 000 tonnes à 20 % de droits de douane du contingent « Hilton » partagé avec les États-Unis. Au total, plus de 67 000 tonnes de viande bovine. De plus, le Canada pourrait très bien n'exporter que des morceaux nobles comme l'aloyau ! Auquel cas, cela représenterait autour de 600 000 bovins, soit l'équivalent de ce que nous avons perdu en France en 10 ans dans notre cheptel.

Considérer que les Canadiens auraient négocié l'ouverture de quotas de viande bovine, secteur qu'ils savaient sensible pour les Européens, sans chercher à les remplir, serait faire injure à leur intelligence et à leurs qualités de négociation. Trop dépendants du marché américain, les producteurs de viande bovine se sont d'abord implantés par facilité sur les marchés asiatiques, où ils sont à la merci d'une fermeture soudaine des marchés comme les Chinois savent le faire. Ils utiliseront leur droit de tirage dès que la ratification de l'accord par l'Union européenne leur apportera la sécurité juridique dont ils ont besoin pour se lancer. Si le Canada a demandé à l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, fin 2023, d'autoriser la décontamination des carcasses à l'acide péracétique, c'est bien pour lever des barrières sanitaires afin d'exporter vers notre marché.

La perte de valeur ajoutée liée au CETA anticipée pour le secteur de la transformation de la viande rouge est de 4,8 % à horizon 2035. C'est dix fois plus que l'évolution, positive ou négative, de n'importe quel autre secteur en France ou Allemagne. L'impact sur la viande est deux ou trois fois plus important en moyenne qu'habituellement pour de tels accords de libre-échange. Et ce n'est pas l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, Interbev, qui le dit, mais les économistes du Cepii. En somme, la filière bovine viande française est sacrifiée. Cette filière, dont les revenus sont déjà les plus faibles de la ferme France, n'avait pas besoin de cela.

J'en appelle donc à la solidarité de l'aval avec l'amont : les producteurs de lait sont aussi, avec les vaches de réforme, des producteurs de viande : ce qu'ils gagnent d'un côté, grâce aux fromages, le marché pourrait leur reprendre de l'autre, sous l'effet d'une valorisation moindre de la viande issue du troupeau laitier.

Il faut aussi un principe de solidarité entre les filières. Cela vaut d'abord pour la filière laitière française : celle-ci était hier vent debout contre l'accord avec la Nouvelle-Zélande, mais elle est aujourd'hui satisfaite parce qu'elle vend 6 500 tonnes de fromage au Canada, soit seulement 1 % des 650 000 tonnes qu'elle exporte au total chaque année. Il en va de même pour la filière vins et spiritueux.

Mais je veux rassurer ces filières et le Gouvernement : avec ou sans CETA, nous exporterons toujours deux tiers de nos calories - même si on se demande bien pourquoi le Gouvernement s'est mis à compter nos exportations en calories, sinon pour tourner les chiffres à son avantage.

L'enjeu est de faire mieux respecter toute notre agriculture dans nos relations avec les pays tiers.

J'en viens donc au coeur du débat, la question des distorsions de concurrence et la naïveté coupable de la Commission européenne. Ce n'est pas une simple affaire de flux commerciaux, c'est une affaire de principes : la Commission ne peut pas continuer d'être un tigre avec nos agriculteurs et un agneau avec les autres. Ce que nous demandons est simple : cesser d'importer ce que nous nous interdisons de produire.

La contestation du monde agricole, en France et dans toute l'Europe, a été soutenue par la presque totalité de la population. Elle a ciblé notamment les accords de libre-échange, en ce qu'ils incarnent l'incohérence entre des exigences de plus en plus poussées au sein du marché intérieur et les défaillances, voire l'absence des contrôles aux frontières.

Les concessions, les contorsions et les silences de la Commission européenne dans ses relations extérieures sont en contradiction totale avec l'approche qu'elle promeut au sein du marché intérieur avec le Pacte vert, qui place la santé et l'environnement au-dessus de l'acte de production. C'est d'ailleurs tout le sens du mot d'ordre : « On marche sur la tête ! » Tout se passe comme si, éblouie par son propre reflet dans le miroir, trop contente d'elle-même, l'Union européenne en oubliait ses principes les plus chers dans ses échanges avec les pays tiers. Naïveté ou hypocrisie ?

Quoi qu'il en soit, Dani Rodrik, économiste à Harvard, pose, dans sa parabole sur le travail des enfants, une question toute simple : « Si la société refuse une pratique dans ses lois, pourquoi devrait-elle l'accepter par le canal de l'échange ? »

Aujourd'hui, pourtant, nous l'acceptons de trois façons : les normes absentes, les normes non appliquées et les normes abaissées.

Premièrement, les normes absentes. C'est bien simple, le CETA ne demande rien au Canada. Il ne prévoit aucune obligation de plus que les règles qui préexistaient : non seulement on trouve des protéines animales transformées dans la ration alimentaire des ruminants, ce qui est interdit dans l'Union européenne, mais on trouve même des farines de sang de bovins dans la ration des bovins - du boeuf cannibale !

Les bovins conduits à l'abattoir peuvent au Canada rester jusqu'à 48 heures d'affilée dans un camion, sans aménagements, contre 14 heures dans l'Union européenne - et la Commission voudrait que nous passions à 9 heures.

Par ailleurs, 41 substances actives phytopharmaceutiques, approuvées au Canada, mais pas dans l'Union européenne, sont tolérées dans les produits importés si leur concentration reste en dessous des limites maximales de résidus (LMR) fixées réglementairement. C'est le cas de l'atrazine, interdite dans l'Union européenne en 2003. Au-delà de ces chiffres, il ne faut pas oublier que des produits peuvent être autorisés en France ou en Europe, sous réserve de restrictions d'usage, ce qui n'est pas toujours le cas au Canada : il semble qu'au moins 96 molécules puissent ainsi être utilisées avec des normes différentes aux nôtres au Canada ; ce serait un travail de fourmi de toutes les recenser. C'est le cas du glyphosate, j'y reviendrai.

Deuxièmement, les normes non appliquées. Même quand ces normes existent, encore faut-il qu'elles soient applicables et que les contrôles ne soient pas défaillants. En ce qui concerne notre seule mesure miroir historique, les garanties qu'aucune viande de boeuf aux hormones ne soit exportée vers l'Union sont « compromises » par des « lacunes » des contrôles canadiens sur la traçabilité, selon deux audits de la Commission européenne réalisés en 2019 et 2022. Et pour cause, en France, la traçabilité est totale pour tous les animaux : on boucle les animaux dès leur naissance puis à toutes les étapes, jour après jour. Tous les soins doivent être inscrits sur un registre de la naissance à l'abattage. Au Canada, au contraire, l'identification commence à l'engraissement et n'est pas individuelle, elle se fait par lots. Il n'y a aucune identification à la naissance. On peut certes retracer les feedlots, mais non pas l'origine de chaque bête.

M. Jean-Luc Angot, chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire, a dit très clairement en audition que si de telles anomalies avaient été détectées dans l'autre sens, on nous aurait immédiatement bloqué l'accès au marché canadien. D'ailleurs, la Chine a cessé pendant plusieurs mois d'importer du porc canadien à cause de supposés faux certificats canadiens à la ractopamine.

Une seconde mesure miroir, sur l'interdiction des antibiotiques comme activateurs de croissance, a été votée par l'Union en 2018 : la Commission a procrastiné pour la mettre en oeuvre, elle ne sera applicable qu'en 2026... et sur simple attestation sur l'honneur du vétérinaire canadien, sans contrôle dédié, alors même que les vétérinaires sont, au Canada, économiquement dépendants des agriculteurs...

Par ailleurs, il n'y a pas dans l'accord avec le Canada de clause miroir excluant des quotas l'élevage en feedlot, ces immenses parcs d'engraissement. Il existait pourtant une telle clause dans l'accord avec la Nouvelle-Zélande où il n'y a pas de feedlot, et il n'y en a pas avec le Canada, où tous les bovins ou presque y passent, avec 26 000 têtes en moyenne. Cela révèle à mon sens la véritable fonction des clauses miroirs : des « miroirs aux alouettes » achetant par de prétendus acquis l'acceptabilité d'un accord qui ne répond pas aux attentes environnementales ou sanitaires. C'est pourquoi, à choisir, je préfère les mesures miroirs, qui s'appliquent à toutes nos importations, une fois pour toutes, aux clauses miroirs, mises au cas par cas dans des accords à géométrie variable.

Troisièmement, les normes abaissées pendant la négociation. Depuis l'application du CETA, le Canada a mené un lobbying assumé pour abaisser les exigences européennes. Je vous invite à lire les comptes rendus des comités conjoints sanitaires et phytosanitaires Union européenne - Canada, tout est public. Et la Commission a cédé et continue de céder : en 2012, la limite maximale de résidus de l'Union européenne sur le glyphosate dans la lentille - vous connaissez mon attachement aux lentilles vertes du Puy - a été multipliée par 100 et portée de 0,1 à 10 microgrammes de glyphosate par kilogramme, alors qu'au Canada, elle était encore jusqu'ici de 4 microgrammes. Cela permet aux Canadiens d'utiliser le glyphosate pour défaner la plante jusqu'à quatre jours avant la récolte, ce qui permet d'accélérer la maturité de la plante. Aujourd'hui nous importons un tiers de nos lentilles du Canada, le tout à droits de douane zéro !

L'autorisation de la décontamination des carcasses à l'acide lactique en 2013, dont le Canada s'est officiellement réjoui, et la demande canadienne pour utiliser l'acide péroxyacétique constituent un autre exemple, de normes abaissées. Cette demande révèle deux styles d'élevage aux antipodes ; l'éleveur français, qui note l'ensemble des manipulations qu'il a réalisées sur un registre, apporte la preuve qu'il n'a pas utilisé de substances interdites et qu'il respecte la réglementation sanitaire. Les carcasses françaises n'ont pas besoin d'être décontaminées. Cette pratique vise en fait à masquer la manière dont l'élevage a été réalisé. C'est une manière pour le Canada d'autoriser ses éleveurs à faire ce qu'ils veulent lors des étapes précédant l'abattage pour exporter, en remettant les compteurs à zéro par cette manipulation.

À la fin de l'année 2023, le Canada a rappelé « ses préoccupations concernant les modifications réglementaires liées à la réduction des limites maximales de résidus pour deux néonicotinoïdes », la clothianidine et le thiaméthoxame. Il propose « que la Commission autorise les pays tiers à réglementer les pesticides dans leur pays souverain de la manière qu'ils jugent appropriée et adaptée à leur environnement local ». C'est une manière de refuser toute règle !

Une façon d'accéder à la demande canadienne serait de rejeter le CETA...

Ne serait-il pas temps de réaffirmer notre souveraineté sur les produits que nous importons ?

Nous avons une vision assez québécoise du Canada, mais il faut se défaire de l'image bucolique que nous pouvons en avoir. La réalité de l'agriculture canadienne n'est pas au Québec, elle est surtout dans le Grand Ouest, en particulier dans l'Alberta. Elle est identique à celle que l'on rencontre dans les pays du Mercosur, aux États-Unis d'Amérique, en Nouvelle-Zélande. Ces pratiques sont aux antipodes des nôtres. Soyons clairs, autoriser la ratification de cet accord, c'est ouvrir la voie à l'accord avec le Mercosur. Car ces deux accords présentent les mêmes vices de conception ; les différences sont seulement de degré, pas de nature.

Notre exécutif, qui avait érigé la question des clauses et des mesures miroirs en priorité au premier semestre 2022, a toutes les peines du monde à faire avancer ce sujet. On sait bien par ailleurs qu'il peut flancher à tout moment sur le Mercosur.

Je vous propose de l'aider par notre vote, qui, soyez-en sûrs, fera bouger les choses dans le bon sens. Car, dans les démocraties modernes, le Parlement a un rôle diplomatique : consacrer des principes, formuler des lignes rouges, dont le Gouvernement pourra ensuite se prévaloir à Bruxelles, et dont la Commission pourra elle-même se prévaloir dans ses négociations avec le reste du monde. Un principe de bon sens serait déjà de ne pas importer ce que nous nous interdisons de produire.

Aussi, je vous invite à proposer la suppression de l'article 1er et à refuser la ratification de l'accord économique commercial global avec le Canada. Il est temps de regarder la réalité en face et de cesser de faire preuve de naïveté.

Il ne s'agit bien sûr pas d'un acte hostile à l'égard de nos amis canadiens, et ceux qui disent l'inverse vous trompent. D'ailleurs, je proposerai, en accord avec le rapporteur Pascal Allizard, de voter à l'identique l'article 2, autorisant la ratification de l'accord de partenariat stratégique, pour réaffirmer nos liens indéfectibles avec le Canada sur le plan culturel, politique et géostratégique.

Mais objectivement, en ce qui concerne le CETA, peut-on continuer de nous voiler la face ? Il est temps de dire stop au CETA.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre intervention enflammée !

M. Yannick Jadot. - Je me suis beaucoup battu au niveau européen, malheureusement nous avons perdu, sans doute pour des raisons d'imaginaire : nous venions d'obtenir gain de cause sur le traité de libre-échange transatlantique, parce que Trump était Président des États-Unis, tandis que le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, apparaissait comme beaucoup plus sympathique que ce dernier...

M. Jean-Claude Tissot. - On nous objecte que les Canadiens sont nos cousins !

M. Yannick Jadot. - Ce qui est en jeu c'est aussi l'avenir de notre économie, de notre agriculture, etc.

Je me retrouve parfaitement dans les arguments développés par le rapporteur. Il est à craindre que les Canadiens se mettent à remplir leurs quotas d'exportation et que nos éleveurs soient brusquement en concurrence avec eux, notamment sur l'aloyau.

La ratification de cet accord, comme de celui avec les pays du Mercosur, s'accompagnerait d'une baisse des contrôles.

Le traité prévoit une coopération réglementaire entre les régulateurs. Mais rien ne les empêchera de se mettre d'accord sur des clauses sanitaires ou phytosanitaires, sans que le législateur ait à se prononcer. Des fonctionnaires pourront donc modifier l'accord. Il existe ainsi une grande coopération sur les OGM. Vu l'enjeu, il serait bon que cette question soit tranchée par le législateur, et non pas seulement par des fonctionnaires.

L'arbitrage constitue aussi un sujet crucial : une entreprise pourra attaquer un État devant un tribunal arbitral privé si elle estime que sa législation sanitaire ou environnementale lui fait perdre de l'argent. Le Canada est ainsi en procès avec des énergéticiens qui contestent la suppression de permis d'exploiter du gaz de schiste.

Cet accord est néfaste et ne correspond plus à nos préférences collectives et sociétales. Je soutiens la position de notre rapporteur, d'autant plus qu'il a parlé du Pacte vert, de l'accord de Paris... Il a su employer les mots pour convaincre les écologistes !

M. Henri Cabanel. - Si j'osais, je dirais que c'est un rapport à charge...

M. Laurent Duplomb. - Objectif !

M. Henri Cabanel. - En effet. Je me réjouis de la position du rapporteur sur certains points, notamment sur le glyphosate.

On entend dire qu'il est normal qu'un accord puisse faire des gagnants et des perdants. Telle n'est pas ma philosophie : il faut que l'accord soit gagnant-gagnant !

Or comment peut-on conclure un accord dans le domaine agricole avec un pays qui n'a pas la même philosophie que nous en la matière ? L'agriculture au Canada est une agriculture industrielle. Nous avons refusé la création de la ferme des mille vaches : une telle exploitation serait pourtant bien petite au Canada ! 41 molécules phytosanitaires interdites en Europe sont autorisées là-bas. C'est un problème, car elles pourraient être employées pour produire des denrées exportées vers l'Europe.

L'Europe a atteint tous les quotas prévus dans l'accord, alors que le Canada en est encore très loin. Certaines filières bénéficieront de l'accord. C'est le cas des vins et spiritueux, mais les volumes exportés ne représentent que 2 millions d'hectolitres, alors que nous produisons 42 millions d'hectolitres. Nous exportions déjà des vins et des spiritueux au Canada avant 2017. Je ne vois pas pourquoi cela ne continuerait pas.

Je ne reviendrai pas sur le recours aux hormones de croissance, aux aliments à base de farines animales, etc. Je suis déçu que le Gouvernement n'ait pas eu le courage de proposer à l'Assemblée nationale de repousser cet accord. Je remercie donc le groupe communiste d'avoir mis ce sujet sur la table.

Une majorité des sénateurs du groupe RDSE suivra l'avis du rapporteur. J'espère convaincre les autres...

M. Daniel Laurent. - L'analyse de notre rapporteur constitue un rapport à charge. Le groupe d'études sénatorial Vigne et vins a auditionné les représentants de la filière viticole. Celle-ci est plutôt avantagée dans ce traité. Je ne suis pas certain que le niveau des ventes de vins et de spiritueux se maintienne si nous votons contre cet accord. Or, ce secteur est en grande difficulté. Depuis l'entrée en vigueur de l'accord en 2017, les ventes de vins et de spiritueux ont fortement augmenté. Certes les volumes sont modestes, mais ils sont significatifs.

M. Daniel Gremillet. - Ce débat était souhaité depuis longtemps. Nous avons longtemps déploré, au Sénat, que les États membres soient placés devant le fait accompli. L'Union européenne n'a pas intérêt à se refermer sur elle-même. Je n'oublie pas que des soldats canadiens ont donné leur vie lors de la Seconde Guerre mondiale pour libérer la France.

Mais je suis gêné par la faiblesse de l'Europe et par ses contradictions. Je ne comprends pas comment l'Union européenne a pu négocier un tel accord qui comprend autant de clauses qui sont en parfaite contradiction avec celles qu'elle applique à ses agriculteurs en Europe. L'Europe n'a cessé d'adopter, depuis 2017, de nouvelles mesures toujours plus exigeantes pour nos agriculteurs, sans chercher à modifier pour autant l'accord. Nous pouvons nous interroger : quel est le mandat de la Commission ? Comment sont consultés les États avant l'élaboration d'un traité ? Quel a été le rapport d'étape ?

Les Canadiens ont été meilleurs que nous dans la négociation et l'Union européenne n'a pas été capable de défendre ses paysans et ses règles. Nous ne devons pas incriminer le Canada, il a défendu ses intérêts. Nous devons plutôt instruire à charge contre l'Europe. Ce sera encore pire lorsque nous discuterons de l'accord avec les pays du Mercosur, car leur économie agricole est encore plus éloignée de la nôtre que ne l'est celle du Canada - il existe encore des sans-terre au Brésil. Je regrette que nous ne puissions pas revoir la conditionnalité de façon à rendre le traité acceptable, car nous n'avons pas intérêt à nous recroqueviller sur nous-mêmes. Les échanges commerciaux sont nécessaires, mais ils doivent être équilibrés.

Mme Sophie Primas. - Notre vote ne sera pas un acte de défiance ni un réquisitoire contre le Canada, qui est un pays ami, avec lequel nous sommes alliés dans d'autres combats dans le monde. Notre vote ne constituera pas non plus une position de principe contre les accords de libre-échange. Il ne sera pas non plus un jugement à l'égard des productions et des pratiques agricoles canadiennes. Chaque pays est libre de choisir ses normes.

Merci à notre rapporteur de nous avoir fourni des chiffres et de nous avoir redonné les ordres de grandeur. Ils nous permettent de remettre en perspective le lobbying intensif que l'on subit de la part du Gouvernement, des représentants des filières, du Canada : non, ce ne sera pas une catastrophe si nous ne ratifions pas ce traité.

M. Yannick Jadot a eu raison de rappeler la présence de clauses sur les tribunaux d'arbitrage. C'est un sujet de désaccord majeur.

Nous refusons que nos importations ne soient pas soumises aux mêmes exigences que celles que l'on impose à nos agriculteurs. Notre vote a aussi force de symbole : combien de résolutions le Sénat a-t-il voté contre ces accords commerciaux sur lesquels nous n'avons pas prise ? Notre vote aujourd'hui est donc aussi, permettez-moi l'expression, un coup de gueule.

M. Franck Menonville. - Le vote de mon groupe n'est évidemment pas un acte d'hostilité à l'égard du Canada.

Il ne traduit pas une volonté de se recroqueviller : si nous voulons défendre la ferme France, il faut accepter les échanges.

Mais le contexte a beaucoup évolué depuis sept ans, comme on l'a constaté lors du dernier salon de l'agriculture. Prenons au mot le Président de la République qui parle beaucoup de clauses miroirs et de souveraineté. Il nous faut de la réciprocité et faire en sorte que les produits importés soient élaborés avec les mêmes normes que celles que nous imposons à nos agriculteurs au quotidien. En somme, il ne s'agit pas d'un acte de défiance envers le Canada, mais d'une volonté de faire en sorte que la politique européenne soit cohérente.

M. Vincent Louault. - Ce rapport est bien à charge et frise même parfois la caricature ! Les clauses miroirs n'existent pas. Lorsque les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont été signés, nul ne parlait de clauses miroirs.

Il n'est pas question de vouloir imposer nos normes aux autres pays. Simplement, les produits importés doivent avoir une LMR compatible avec notre réglementation. Les idiots utiles, ce sont non pas les Canadiens, mais bien les Européens, qui ont fixé une limite de 10 microgrammes par kilogramme pour le glyphosate. Les Canadiens ne demandaient rien de tel ! Il ne faut donc pas faire payer à ces derniers la débilité de notre Europe et le mode de fonctionnement de la Commission européenne !

Les agriculteurs sont vent debout non pas contre le CETA, mais contre l'imposition de normes ubuesques en Europe, auxquelles ne sont pas soumises les marchandises importées : par exemple, les doses de produits phytosanitaires autorisées pour les noisettes de Turquie sont plus élevées que pour celles produites en Europe. Aucune viande ne peut entrer en France, si elle n'est pas conforme à nos exigences sur les hormones ou les antibiotiques...

Mme Sophie Primas. - Ce n'est pas mesurable !

M. Vincent Louault. - Si. C'est à nous de faire en sorte d'imposer des normes mesurables et de contrôler. Ayons le courage d'être des Européens, et de nous ouvrir vers les autres ! Ce n'est pas au CETA de payer les pots cassés du bazar qu'est devenue l'Europe !

Mme Anne Chain-Larché. - Il faut que le Gouvernement respecte le Parlement : voilà sept ans que nous alertons. Le repli sur soi serait mortifère, mais nous devons nous faire entendre. La même question se posera lors de l'examen de l'accord avec le Mercosur. Pour autant, ces pays ne doivent pas en déduire que la France est dans une position de repli. Que se passera-t-il si nous rejetons le texte ? Il importe de réfléchir à la manière de faire évoluer les accords.

M. Jean-Claude Tissot. - Je soutiens la position de notre rapporteur. Nous ne pouvons pas accepter d'importer des produits qui ne sont pas élaborés selon les mêmes normes. Si nous interdisons l'utilisation de farines animales, d'hormones de croissance, de glyphosate pour le défanage quelques jours à peine avant la récolte - ce qui est vraiment inadmissible -, c'est parce que c'est mauvais pour la santé humaine ! C'est pour ce motif qu'il faut repousser cet accord. Refuser de le voter en l'état ne signifie pas refuser de commercer. Le Canada sera toujours un pays ami.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Le Canada est un pays ami, une grande démocratie. Nous devons préserver nos relations avec ce pays. Celles-ci sont d'ailleurs amenées à se développer à l'avenir. L'Europe justifie ses contraintes pas l'intérêt du consommateur. On ne comprend pas pourquoi, dans ce cas, il faudrait accepter d'importer des produits qui ne respectent pas ces normes. C'est une question de cohérence. Les traités doivent être en accord avec nos propres règles. Le groupe Union centriste est partagé sur ce texte ; chacun votera comme il le souhaite.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - En ce qui concerne les quotas de viande, je rappelle que le Canada n'a pas encore utilisé sa faculté d'exporter, vers l'Union européenne, 75 000 tonnes de viande porcine. Ses exportations de viande bovine s'élèvent à peine à 1 450 tonnes actuellement, alors qu'elles peuvent monter jusqu'à 65 000 tonnes.

Les producteurs canadiens se sont par facilité implantés sur les marchés asiatiques en forte croissance, où ils sont à la merci d'une fermeture soudaine des marchés. Ils pourront utiliser leur « droit de tirage », en fonction de l'évolution des différents marchés, dès que la ratification de l'accord par l'Union européenne leur apportera la sécurité juridique sur les normes sanitaires. Les exportations canadiennes ne peuvent donc qu'augmenter. C'est l'inverse pour nous !

En ce qui concerne la viticulture, j'indique que les appellations viticoles d'origine protégée ne sont pas menacées, car elles étaient déjà protégées avant l'accord depuis 2003. Nos exportations de vins représentent un volume de 2 millions d'hectolitres : un tiers de champagne, un tiers de bourgogne - ces exportations ne sont pas menacées -, et enfin un tiers de bordeaux. Je ne crois donc pas que le rejet du CETA mettrait en crise notre viticulture.

M. Yannick Jadot. - Le champagne fait l'objet d'un accord spécifique.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Certes, mais ses ventes sont comptabilisées dans l'excédent de 200 millions d'euros de la filière.

Je ne suis pas d'accord avec Vincent Louault. Il existe des clauses sanitaires, disposant que les importations de viande aux hormones, et bientôt aux antibiotiques, sont interdites, mais les audits qui ont été réalisés montrent qu'il y a des anomalies : les éleveurs canadiens peuvent toujours utiliser des hormones et des antibiotiques.

M. Yannick Jadot. - Sans parler du saumon transgénique !

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Or la Commission européenne ferme les yeux. Mon rapport n'est donc pas à charge, il est juste. Nous ne savions pas tout cela en 2017, lorsque l'accord a été signé. Aujourd'hui, il faut tenir compte des résultats des audits. Si nous faisions fi de ces éléments, nous serions coupables vis-à-vis des Français et des Européens. Comment dès lors ratifier un texte dont on sait déjà pertinemment qu'il n'est pas respecté ?

On ne peut pas accepter l'inacceptable. Nos résolutions successives n'ont pas été prises en compte. Ayons le courage aujourd'hui de jeter le pavé dans la mare. Être Européen, ce n'est pas se coucher en permanence. Nous devons défendre notre honneur et nos intérêts.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement de suppression COM-2 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi, sous réserve de l'adoption de son amendement.

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