II. UN IMPACT MACROÉCONOMIQUE NÉGLIGEABLE, ET DES COÛTS D'AJUSTEMENT DISPROPORTIONNÉS POUR LA VIANDE BOVINE

Le Gouvernement attribue au CETA des bénéfices qu'il est impossible d'établir à ce jour :

Autant l'accord est crucial (313 $/an/hab. en 2035) pour la petite économie canadienne (40 M d'habitants, 12 % du PIB de l'UE), arrimée aux États-Unis, en lui permettant de diversifier ses approvisionnements et d'avoir accès à un marché de 450 M d'habitants, autant « les conséquences du CETA pour l'économie européenne sont nécessairement quantitativement limitées (0,02 % du PIB français et inférieurs à 0,01 % du PIB de l'UE, soit respectivement 12 $ et 4 $/an/habitant. Côté européen, il ne faut s'attendre globalement ni à des gains économiques importants, ni à des coûts d'ajustement importants » (Cepii).

Des gains de valeur ajoutée sont prévus pour certains secteurs (textile + 0,44 %, chimie + 0,21 %, produits manufacturés + 0,17 %), qui exportent déjà plus depuis 2017. Pour les filières agricoles, dites « sensibles », l'effet serait plus contrasté : favorable pour les vins et spiritueux (de 8e en 2017, le Canada est devenu notre 7e client), l'accord l'est aussi pour les produits laitiers, mais il est loin d'être le plus stratégique (sur 650 000 t de fromages exportés par an, 6 500 t vont au Canada).

Ces gagnants d'un jour étant les perdants d'un autre (Nouvelle-Zélande, Inde demain), le rapporteur en appelle à la solidarité entre filières pour faire respecter notre agriculture, et à celle de l'aval avec l'amont pour garantir les revenus, les producteurs de lait étant aussi producteurs de viande. Pour la transformation de viande bovine, la perte de valeur ajoutée estimée liée au CETA est de 4,8 % à horizon 2035, soit 10 fois plus que l'évolution, positive ou négative, de n'importe quel autre secteur, et 2 à 3 fois plus que d'habitude pour ce type d'accord.

III. PLUS QU'UNE SIMPLE AFFAIRE DE FLUX COMMERCIAUX, C'EST LA RÉCIPROCITÉ DES NORMES DE PRODUCTION QUI EST EN JEU

Les concessions de la Commission européenne dans ses relations extérieures sont en complète contradiction avec l'approche qu'elle promeut au sein du marché intérieur avec le Pacte Vert, qui place la santé et l'environnement au-dessus de l'acte de production. Tout se passe comme si, intraitable avec ses propres agriculteurs, mais aveuglée par son propre reflet dans le miroir, l'Union européenne en oubliait ses principes les plus chers dans ses échanges avec les pays tiers. Or, comme le rappelle l'économiste Dani Rodrik dans sa « parabole sur le travail des enfants » :

« Si la société refuse [une pratique dans ses lois], pourquoi devrait-elle l'accepter [par le canal de l'échange] ? »

Dani Rodrik, économiste à l'université Harvard

Aujourd'hui, pourtant, nous l'acceptons de trois façons, par le biais de normes absentes, de normes non appliquées ou de normes abaissées :

1) Le CETA reste muet concernant plusieurs sujets de préoccupation majeurs des consommateurs et régulateurs français et européens : a) la présence de certaines protéines animales transformées (PAT) de ruminants dans la ration alimentaire des ruminants (intra-espèce), niée par le Gouvernement en 2019, est admise les autorités sanitaires canadiennes ; b) les bovins canadiens conduits à l'abattoir peuvent rester jusqu'à 48 heures d'affilée dans un camion sans aménagements, 36 heures depuis une réforme de 2019, contre 14 heures au sein de l'Union, et 9 heures si la révision proposée par la Commission européenne prospère ; c) 41 substances actives phytosanitaires autorisées au Canada mais pas dans l'UE sont tolérées dans les produits importés si leurs traces sont inférieures aux limites maximales de résidus (LMR) réglementaires ;

2) Même quand des normes existent, encore faut-il qu'elles soient applicables et que les contrôles ne soient pas défaillants. Nous en sommes loin : a) les garanties qu'aucune viande aux hormones ne soit exportée vers l'UE sont « compromises » par des « lacunes » des contrôles canadiens sur la traçabilité, selon deux audits de la Commission (2019 puis 2022), impuissante à faire respecter ce qui fut longtemps notre seule mesure miroir - si de telles anomalies avaient été constatées en sens inverse, cela nous aurait immédiatement fermé l'accès aux marchés étrangers (J.-L. Angot) ; b) la Commission a procrastiné 6 ans pour prendre les actes nécessaires à l'application de la mesure miroir de 2018 interdisant l'importation d'animaux nourris aux antibiotiques stimulateurs de croissance et, pour toute garantie, se contente d'une attestation sur l'honneur du vétérinaire, sans contrôle dédié ; c) l'absence, dans l'accord avec le Canada, de la clause miroir excluant l'élevage en feedlot de l'accord avec la Nouvelle-Zélande, alors que ces immenses parcs d'engraissement existent au Canada (26 000 têtes en moyenne) mais pas en Nouvelle-Zélande, révèle la fonction de « miroir aux alouettes » des clauses miroirs : acheter par de pseudo-acquis à géométrie variable l'acceptabilité d'un accord ne répondant pas aux attentes sanitaires ou environnementales.

« Ce que nous demandons est pourtant simple : cesser d'importer ce que nous nous interdisons de produire. »

3) En décalage complet avec l'ambition affichée de convergence réglementaire, le Canada a mené, pendant la négociation du CETA et depuis son application, un lobbying assumé pour abaisser les exigences européennes : a) la Commission a cédé sur la décontamination des carcasses de boeuf à l'acide lactique (2013) et le Canada a formulé une demande auprès de l'Efsa fin 2023 pour autoriser l'acide péroxyacétique - la décontamination est la contrepartie d'une traçabilité moins stricte ; b) concernant la mesure miroir sur les antibiotiques activateurs de croissance adoptée en 2018, le Canada a demandé fin 2022 « une période de transition » - de fait, la mesure ne sera applicable qu'en 2026 ; c) le Canada, où la lentille est traitée juste avant récolte pour accélérer sa maturité, a profité de la multiplication par 100 de la limite maximale de résidus de glyphosate sur ce produit en 2012 et rappelé en 2023 « ses préoccupations concernant la réduction des LMR pour deux néonicotinoïdes » dans l'UE, demandant « que la Commission autorise les pays tiers à réglementer les pesticides dans leur pays souverain de la manière qu'ils jugent appropriée ».

Au-delà de cette question des normes, nos concurrents tirent bien souvent leurs « avantages comparatifs » de nos pratiques mieux-disantes, qui ont un impact économique difficilement mesurable.

Partager cette page