B. UNE TRAJECTOIRE INCERTAINE D'ATTEINTE DES OBJECTIFS
L'atteinte des objectifs de décarbonation du secteur est incertaine. Les différents scénarios de décarbonation du trafic aérien, notamment ceux réalisés par l'Ademe, font porter l'essentiel de la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur à l'après 2035. C'est également le cas du règlement ReFuel EU Aviation, qui prévoit une augmentation exponentielle de la proportion de CAD utilisée après 2035, qui passerait de 6 % au 31 décembre 2034 à 70 % en 2050.
Source : Ademe, Élaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien, p. 115
Le respect des objectifs d'incorporation de carburants d'aviation durable (CAD) repose également sur un engagement volontariste des acteurs. La production mondiale de CAD était d'environ 0,3 million de tonnes en 2022. Or, les besoins pour 2050 seraient de l'ordre de 400 millions de tonnes.
La disponibilité des biocarburants produits à partir de biomasse est faible comparée aux besoins. La commission sera donc particulièrement vigilante sur l'identification des usages affectés à la biomasse dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui se fait attendre. La priorité donnée au secteur aérien serait à cet égard opportune.
Par ailleurs, l'annonce du Président de la République d'accorder une enveloppe de 200 millions d'euros consacrés aux CAD apparaît très insuffisante. La commission s'interroge sur son sous-dimensionnement et pointe le risque d'un non-respect des trajectoires de décarbonation. La filière n'est pas encore pleinement mature, et il est nécessaire de faciliter sa structuration.
De fortes incertitudes pèsent aussi sur l'incorporation d'électrocarburants : ces technologies sont moins matures que les biocarburants et fortement énergivores. Comme les biocarburants, ils seront aussi durablement plus coûteux que le kérosène.
Source : Ademe, Élaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien, p. 95
Accompagner cette filière pour réaliser sa transition est un impératif. C'est pourquoi la commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant la mise en place d'un crédit d'impôt incitatif à l'achat de CAD pour les compagnies aériennes ( I-297 rect.).
L'atteinte des objectifs de décarbonation du secteur repose aussi sur la rapide commercialisation d'un avion dit « ultra-frugal » qui consommera 30 % de moins de carburant, et ce d'ici 2035. Cet objectif est ambitieux et atteignable.
Ce nouvel aéronef aura un double impact en faveur de la décarbonation :
- il aura besoin de moins de CAD que les engins actuels pour atteindre un haut taux d'incorporation. Or, leur disponibilité étant incertaine, il est opportun de limiter les besoins ;
- il consommera moins de kérosène. C'est d'autant plus nécessaire qu'en 2050, le kérosène sera encore utilisé par le secteur, même en cas de respect des objectifs d'incorporation de CAD fixés par le règlement ReFuelEU Aviation.
Le renouvellement des flottes doit également être engagé dès maintenant, les aéronefs d'ancienne génération étant particulièrement polluants. La commission a donc adopté un amendement du rapporteur tendant à créer un dispositif de suramortissement incitatif au renouvellement des flottes ( I-298).
L'usage de véhicules au sol (comme les bus amenant les passagers vers les postes de stationnement éloignés des terminaux) moins émetteurs de gaz à effet de serre doit aussi être soutenu afin d'assurer la décarbonation du secteur. La commission propose donc également de mettre en place un dispositif de suramortissement favorisant leur renouvellement ( I-296 rect.).
En outre, une baisse de la consommation de carburant unitaire des aéronefs devra être conciliée avec l'augmentation tendancielle du trafic. Les aléas qui pèsent sur les progrès technologiques et l'atteinte des objectifs d'incorporation de CAD pourraient conduire, selon le représentant de l'Ademe entendu par le rapporteur, à envisager des mesures de modération de l'augmentation du trafic.
Par ailleurs, la commission s'interroge sur la pertinence de la taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance prévue par le projet de loi de finances4(*). Cette taxe devrait avoir un rendement total de 600 millions d'euros, dont environ 140 millions d'euros à la charge des aéroports. Seules les plus grandes plateformes sont concernées : les aéroports franciliens Roissy-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly, ainsi que ceux de Nice, Marseille, Lyon, et, possiblement, Toulouse.
Les aéroports auront ensuite la possibilité de répercuter progressivement la majeure partie du montant qu'ils verseront sur les tarifs des redevances qu'ils reçoivent de la part des compagnies aériennes.
S'il est nécessaire de décarboner les mobilités, il aurait été plus opportun d'affecter le produit d'une taxe mise à la charge du secteur aérien à la décarbonation de celui-ci. Le transport aérien est la victime collatérale d'une volonté politique de taxer un autre secteur. La commission s'interroge donc sur l'opportunité de ce « bricolage » fiscal destiné à compenser les lacunes du régime des contrats de concessions autoroutières.
En outre, l'application différenciée de cette taxe uniquement dans les plus grands aéroports est source d'effets de distorsion de concurrence au bénéfice des compagnies étrangères à bas coûts et au détriment du groupe Air France, très présent à Paris-Orly et Roissy-Charles-de-Gaulle.
* 4 Article 15.