B. UNE ÉVOLUTION DES CRÉDITS EN DÉCALAGE AVEC LA RÉALITÉ

1. Des crédits budgétaires qui ont doublé en dix ans
a) La progression spectaculaire des dépenses d'hébergement

Les crédits du programme 177 ouverts en loi de finances initiale sont passés de 1,3 milliard d'euros en 2014 à 2,8 milliards d'euros en 2023.

La progression la plus spectaculaire est celle des dépenses consacrées à l'hébergement d'urgence. Entre 2012 et 2022, les crédits exécutés en matière d'hébergement (hors CHRS) ont quintuplé, passant de 262 millions d'euros à 1,4 milliard d'euros.

Évolution des dépenses d'hébergement d'urgence hors CHRS
(en crédits de paiement)

(en millions d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (données Dihal)

b) L'ouverture de crédits supplémentaires dans la loi de finances de fin de gestion pour 2023

La loi de finances de fin de gestion (LFFG) pour 2023, définitivement adoptée par le Parlement le 22 novembre, a ouvert 218,7 millions d'euros supplémentaires en crédits de paiement au titre du programme 177, portant le total des crédits ouverts pour 2023 à 3,119 milliards d'euros. La Dihal prévoit d'exécuter la totalité de ces crédits.

Décomposition des crédits supplémentaires ouverts en LFFG pour 2023

Objet de la dépense

Montant des crédits ouverts
(en millions d'euros)

Ouverture de places supplémentaires dans le parc généraliste

49 M€

Ajustement des sous-jacents de coûts pour l'hébergement généraliste (prise en compte de l'inflation)

64 M€

Soutien aux acteurs de l'hébergement d'urgence

6,7 M€

Ouverture de places dédiées à l'hébergement des femmes victimes de violence

3,5 M€

Opérations de desserrement Île-de-France

39,8 M€

Dispositifs de soutien aux personnes déplacées d'Ukraine

55,7 M€

Total

218,7 M€

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (données Dihal)

Les dispositifs d'accueil, d'hébergement et d'accompagnement
des personnes déplacées d'Ukraine

À la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, le Conseil européen a décidé, le 4 mars 2022, d'activer la protection temporaire au profit des ressortissants ukrainiens, ce qui leur a ouvert un droit au séjour sur le territoire des États membres de l'Union européenne pour trois ans. La France a ainsi accueilli, au total, 115 000 personnes sous ce statut depuis le début du conflit.

Les services de l'État, notamment la Dihal et la Direction générale des étrangers en France (DGEF), se sont rapidement mobilisés pour mettre en place des dispositifs d'aide à l'accès au logement pour les personnes déplacées d'Ukraine en France. Ces dispositifs ont été financés par le programme 303 (« Immigration et asile ») de la mission Immigration, asile et intégration et par le programme 177 (« Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ») de la mission Cohésion des territoires.

Selon les informations fournies par la Dihal, le programme 177 a pris en charge la mobilisation de l'intermédiation locative en faveur de 21 000 bénéficiaires et un dispositif exceptionnel de complément de loyer pour près de 3 000 ménages ne disposant pas de ressources suffisantes. En outre, il a financé l'accompagnement de 11 000 bénéficiaires de la protection temporaire accueillis en hébergement citoyen.

Quant au programme 303, il a financé l'accueil des personnes nouvellement arrivées dans des « sas » puis leur hébergement dans des structures collectives ad hoc mobilisées par la DGEF, où elles bénéficient d'un accompagnement social adapté.

Cette rectification vient remédier au fait qu'aucun crédit n'avait été ouvert en loi de finances initiale pour financer les dispositifs d'accueil et d'accompagnement vers le logement des Ukrainiens déplacés depuis le début du conflit entre la Russie et l'Ukraine. Dans un audit flash en date de février 2023, la Cour des comptes regrettait un défaut de sincérité budgétaire et une absence de visibilité quant au financement de ces dispositifs pour les acteurs chargés de leur mise en oeuvre. La Cour préconisait donc de prévoir en loi de finances les crédits nécessaires.

2. Une trajectoire à la baisse peu vraisemblable

Pour 2024, le PLF prévoit l'ouverture de 2,901 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,926 millions d'euros en crédits de paiement.

Le projet annuel de performance indique par ailleurs des prévisions indicatives de dépenses de 2,850 milliards d'euros pour 2025 et 2,825 euros pour 2026 (en crédits de paiement). Lors de son audition par la commission des affaires économiques, le 7 novembre 2023, le ministre délégué chargé du logement Patrice Vergriete a considéré que cette trajectoire baissière reposait sur l'hypothèse d'une meilleure intégration des personnes sans domicile dans le logement. Pour le rapporteur, cette trajectoire est toutefois peu vraisemblable en l'absence d'une inflexion de la politique du logement et dans un contexte d'augmentation des coûts des structures d'hébergement et de crises internationales entraînant des flux migratoires.

Alors que le pilotage budgétaire du programme tendait à s'améliorer, les crédits demandés pour 2024 apparaissent inférieurs de plus de 200 millions d'euros à la prévision d'exécution de 2023.

Crédits du programme 177 ouverts en LFI et exécutés (2022-2024)

(en millions d'euros)

- 6,5 %

Source : Commission des affaires sociales du Sénat (d'après la Dihal et les documents budgétaires)

Comme en 2023, aucun crédit n'est demandé dans le PLF pour le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens en France au titre du programme 177. Or, compte tenu de la poursuite du conflit et du nombre élevé d'Ukrainiens qui restent présents en France, environ 60 millions d'euros devraient être dépensés en 2024 pour leur prise en charge, pour le seul volet accès au logement.

L'incertitude et l'absence de visibilité quant au financement de ces dispositifs est source de difficultés de trésorerie et de risques pour les acteurs chargés de leur mise en oeuvre, qui sont principalement des associations.

La commission a donc adopté un amendement visant à abonder de 60 millions d'euros les crédits du programme afin d'assurer la continuité du financement de ces dispositifs en 2024.

De même, les crédits inscrits dans le PLF ne semblent pas intégrer, dans les sous-jacents de coûts des structures d'hébergement, l'inflation anticipée pour 2024 ni même celle de 2023. Il est donc vraisemblable qu'une correction importante interviendra à nouveau en fin de gestion.

Pour le rapporteur, la volonté gouvernementale de ne pas afficher de dépenses en hausse ne doit pas prendre le pas sur la rationalisation de la programmation budgétaire de cette politique.

 
 
 

personnes sans domicile
en France

(estimation Dihal)

places en hébergement d'urgence et CHRS

(moyenne annuelle 2023)

des demandes d'hébergement au 115
non pourvues concernent des personnes en famille3(*)

Réunie le mercredi 29 novembre 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission Cohésion des territoires, sous réserve de l'adoption d'un amendement visant à garantir le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens déplacés en France.


* 3 Baromètre « enfants à la rue » FAS-Unicef, août 2023.

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