EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le mercredi 29 novembre 2023 sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis, sur le projet de loi de finances pour 2024 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », de la mission « Cohésion des territoires » porte les crédits budgétaires de la politique publique de lutte contre le sans-abrisme.
Ce programme finance, pour plus de 90 % de ses crédits, des places d'hébergement sous différents statuts, notamment en centre d'hébergement d'urgence (CHU) ou en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) - ainsi que des dispositifs de logement adapté.
Cette année a été marquée par la présentation par le Gouvernement du deuxième plan « Logement d'abord » pour la période 2023-2027, qui s'inscrit dans la continuité directe du premier plan quinquennal des années 2018-2022.
Le Gouvernement dresse un bilan flatteur de ce premier plan : 440 000 personnes auraient accédé à un logement pérenne dans ce cadre. Cette estimation agrège les personnes en hébergement ou sans-abri ayant accédé à un logement social, les personnes ayant obtenu une place en pension de famille et les personnes ayant obtenu un logement dans le parc privé par le biais de l'intermédiation locative.
Les objectifs du nouveau plan concernent principalement la production et la mobilisation de logements adaptés dans le cadre des dispositifs existants : l'intermédiation locative, les pensions de famille et les résidences sociales.
Le développement de l'intermédiation locative, qui mobilise le parc privé à des fins sociales avec l'intervention d'un tiers agréé par l'État entre le bailleur et le locataire, est considéré comme l'une des grandes réussites du premier plan : l'objectif de 40 000 nouvelles places a été atteint et le parc compte aujourd'hui 75 000 places dans 30 000 logements. Pour la période 2023-2027, le deuxième plan « Logement d'abord » prévoit la création de 30 000 places supplémentaires. Pour l'exercice 2024, 211 millions d'euros sont inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) à ce titre.
Selon les acteurs de l'hébergement et de l'insertion que j'ai auditionnés, l'intermédiation locative est un dispositif efficace, mais qui ne peut suffire à répondre aux enjeux, car il s'agit, par définition, d'une solution temporaire. Une des conditions de sa réussite est le renforcement de l'accompagnement social des ménages pour accéder à un logement pérenne.
Malgré tout leur intérêt, les dispositifs de logement adapté ne peuvent pallier la production insuffisante de logements sociaux. Selon la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), le nombre de personnes en attente d'un logement social atteindrait en effet un niveau inédit.
La politique du « Logement d'abord » est soutenue par la mise en place, au 1er janvier 2021, du Service public de la rue au logement, qui traduit la volonté de transformer la gouvernance de la politique de lutte contre le sans-abrisme, tant dans son organisation que dans ses pratiques et outils.
Les opérateurs départementaux de cette politique sont les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO). La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a posé le principe d'un SIAO unique par département, gérant à la fois le numéro d'urgence sociale « 115 », l'hébergement d'urgence et l'insertion.
L'instruction du Gouvernement du 31 mars 2022 érige les SIAO en « clés de voûte » du Service public de la rue au logement. Leur pilotage doit désormais refléter la responsabilité partagée des parties prenantes en matière de lutte contre l'exclusion : l'État, les collectivités territoriales, les associations et les bailleurs sociaux. En outre, leurs missions sont étendues au-delà de la régulation de la demande et du pourvoi des places d'hébergement afin qu'ils assurent le suivi de la progression des parcours des personnes sans domicile vers le logement.
Le deuxième plan « Logement d'abord » prévoit de renforcer la veille sociale en recrutant, sur la période 2023-2027, 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires au sein des SIAO, dans les accueils de jour et les équipes mobiles. L'atteinte de cet objectif représente toutefois une gageure, car le secteur « Accueil, hébergement et insertion » souffre de problèmes d'attractivité, d'autant plus que les professionnels des SIAO n'ont pas été éligibles à la revalorisation salariale de février 2022.
Pour 2024, 19 millions d'euros sont prévus dans le PLF afin de financer ces renforts, sur un total de 212,5 millions d'euros consacrés à la veille sociale.
Bien qu'il ait pris beaucoup de retard, le processus de contractualisation avec les CHRS, rendu obligatoire par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), est relancé. Un projet de réforme de la tarification de ces établissements, engagé en 2021, pourrait permettre de renforcer cette démarche de contractualisation en intégrant de nouveaux indicateurs de résultats aux contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM).
Toutefois, la conclusion d'un CPOM ne doit pas mettre en difficultés financières les structures ni les inciter à sélectionner les publics accueillis.
L'autre point saillant de ce budget 2024 est le maintien du parc d'hébergement généraliste à son plus haut niveau. Le PLF prévoit la stabilisation du parc d'hébergement à hauteur de 203 000 places en moyenne annuelle en hébergement d'urgence et CHRS. Ce total inclut 1 000 nouvelles places dédiées aux femmes victimes de violences intrafamiliales.
Ce parc, inférieur à 150 000 places en 2017, avait fortement augmenté en 2020 pour faire face à la crise sanitaire. À partir de 2021, le Gouvernement a décidé de mettre fin à la gestion saisonnière, ou « au thermomètre », de l'hébergement et de maintenir la même capacité de soutien aux personnes sans abri tout au long de l'année, tout en conservant des mesures exceptionnelles pendant les périodes de grand froid ou de chaleur.
Parmi les dispositifs d'hébergement, l'hôtel s'est imposé comme une solution d'urgence devant la forte pression qui s'exerce sur les structures d'hébergement. Ainsi, le recours aux nuitées hôtelières a fortement augmenté durant la crise sanitaire, culminant à 75 000 places début 2021. Il a ensuite reflué tout en restant à un niveau élevé, atteignant 67 000 places au 31 décembre 2022.
Onze départements concentrent plus de 80 % des nuitées hôtelières, la région d'Île-de-France représentant plus des trois quarts des places mobilisées.
Sans renoncer à cette variable d'ajustement, le Gouvernement cherche, d'une part, à favoriser la transformation des places à l'hôtel en solutions d'hébergement plus qualitatives et, d'autre part, à améliorer les conditions de l'accueil et de l'accompagnement des personnes hébergées à l'hôtel.
Malgré les moyens déployés, les acteurs associatifs constatent une pression croissante sur l'hébergement d'urgence. Selon l'Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), on dénombrait 8 351 demandes non pourvues au « 115 » le soir du 2 octobre 2023, soit 2 500 personnes de plus qu'au mois de juin. En outre, une étude menée par Interlogement93 en 2022 évalue à 70 % le taux de non-recours au « 115 ».
Le nombre de familles avec enfants à la rue constitue une nouveauté alarmante. Selon l'Unicef, on comptait en octobre dernier 2 822 enfants dont les parents avaient vu leur demande refusée par le « 115 » faute de solution de mise à l'abri disponible. Le baromètre « enfants à la rue » publié en août avait comptabilisé 1 990 enfants dans cette situation.
Cette embolie apparaît liée au manque de solutions de logement abordable en aval des dispositifs d'hébergement et d'insertion. Son aggravation est un symptôme de l'intensification de la crise du logement.
Dans ce contexte, les crédits du programme 177 ouverts en loi de finances initiale (LFI) ont doublé en dix ans, passant de 1,3 milliard d'euros en 2014 à 2,8 milliards en 2023.
La progression la plus spectaculaire est celle des dépenses consacrées à l'hébergement d'urgence. Entre 2012 et 2022, les crédits exécutés en matière d'hébergement, hors CHRS, ont quintuplé, passant de 262 millions d'euros à 1,4 milliard d'euros.
La loi de finances de fin de gestion (LFFG) pour 2023 a ouvert 218,7 millions supplémentaires en crédits de paiement (CP) au titre du programme 177, portant le total des crédits ouverts pour 2023 à 3,1 milliards d'euros. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) prévoit d'exécuter la totalité de ces crédits.
Cette rectification a notamment remédié au fait qu'aucun crédit n'avait été ouvert en LFI pour financer les dispositifs d'accueil et d'accompagnement vers le logement des Ukrainiens déplacés depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Dans le cadre du soutien apporté par l'État aux personnes bénéficiant de la protection temporaire, le programme 177 a pris en charge la mobilisation de l'intermédiation locative en faveur de 21 000 bénéficiaires ainsi qu'un dispositif exceptionnel de complément de loyer pour près de 3 000 ménages ne disposant pas de ressources suffisantes. En outre, il a financé l'accompagnement de 11 000 personnes accueillies en hébergement citoyen. Pour 2023, la LFFG a donc ouvert 55,7 millions d'euros de crédits à ce titre.
Pour 2024, le PLF prévoit l'ouverture de 2,9 millions d'euros en CP. Le projet annuel de performance indique par ailleurs des prévisions de dépenses de 2,850 milliards d'euros pour 2025 et 2,825 millions d'euros pour 2026. Lors de son audition par la commission des affaires économiques, le 7 novembre 2023, le ministre délégué chargé du logement Patrice Vergriete a indiqué que cette trajectoire baissière reposait sur l'hypothèse d'une meilleure intégration des personnes sans domicile dans le logement. Cette trajectoire paraît toutefois peu vraisemblable en l'absence d'une inflexion de la politique du logement, et dans un contexte d'augmentation des coûts des structures d'hébergement et de crises internationales entraînant des flux migratoires.
Ainsi, alors que le pilotage budgétaire du programme tendait à s'améliorer, les crédits demandés pour 2024 apparaissent inférieurs de plus de 200 millions d'euros, donc de 6,5 %, à la prévision d'exécution de 2023.
Comme ce fut le cas pour le projet initial de 2023, aucun crédit n'est demandé au titre du programme 177 pour le financement des dispositifs d'accueil des Ukrainiens en France. Or, compte tenu de la poursuite du conflit et du nombre élevé d'Ukrainiens encore présents sur le territoire, environ 60 millions d'euros devraient être dépensés en 2024 pour leur prise en charge, au titre du seul volet « accès au logement ».
L'incertitude et l'absence de visibilité quant au financement de ces dispositifs sont source de difficultés de paiement et de risques pour les acteurs chargés de leur mise en oeuvre, qui sont principalement des associations.
Je vous proposerai donc un amendement visant abonder de 60 millions d'euros les crédits du programme, afin d'assurer la continuité du financement de ces dispositifs en 2024.
De même, les crédits inscrits dans le PLF ne semblent pas intégrer l'inflation anticipée pour 2024 ni même celle de 2023. Il est donc vraisemblable qu'une correction importante interviendra à nouveau en fin de gestion.
J'estime que ces omissions sont contre-productives : la volonté du Gouvernement de ne pas afficher de dépenses en hausse ne doit pas prendre le pas sur la rationalisation de la programmation budgétaire de cette politique.
Au regard des moyens financiers importants prévus par l'État dans ce PLF, et compte tenu du besoin de visibilité des acteurs de terrain, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vais vous présenter.
Mon amendement prévoit d'abonder 60 millions d'euros au programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », pour répondre aux besoins d'hébergement des réfugiés ukrainiens présents en France. Cette augmentation est gagée sur une diminution du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », déjà bien pourvu en crédits cette année.
Les associations ont poussé un grand cri d'alerte face aux importantes difficultés de trésorerie qu'elles rencontrent. Tout repose sur elles. Compte tenu du nombre de personnes déjà à la rue, la situation deviendra ingérable le jour où leur filet de sécurité lâchera.
L'amendement n° II-638 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires », sous réserve de l'adoption de son amendement.