EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet, président. - Nous sommes réunis pour l'examen du rapport pour avis de Catherine Di Folco sur le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Je souhaite débuter mes propos en vous rappelant le contexte qui a conduit le Gouvernement à saisir le Parlement de ce projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnances.
Le 27 juin dernier, à Nanterre, un adolescent de 17 ans a trouvé la mort lors d'un contrôle routier. Ce décès a été suivi de plusieurs nuits de violences urbaines sur tout le territoire. Ces violences ont ciblé de nombreuses personnes dépositaires de l'autorité publique - pompiers, forces de l'ordre, élus locaux - et beaucoup de bâtiments publics ont été détériorés.
D'après les chiffres communiqués par le ministre de l'intérieur lors de son audition par notre commission le 5 juillet 2023, les bâtiments publics représentent 30 % des bâtiments endommagés. Au total, plus de 750 bâtiments publics nécessitent des travaux de réfection ou de reconstruction. Parmi ceux-ci, les bâtiments les plus emblématiques des institutions républicaines locales ont fait l'objet de dégradations. Ainsi, 273 bâtiments des forces de l'ordre, 168 écoles et 105 mairies ont été détériorés. La réfection et la reconstruction de ces bâtiments indispensables à la continuité du service public et à la vie démocratique locale pourraient représenter un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, répartis entre l'État et les collectivités territoriales. De nombreux commerces ont également été ciblés, parfois pillés, ce qui représente un coût pour l'économie nationale estimé, par les assureurs, à environ 650 millions d'euros.
Au lendemain de ces émeutes, ce bilan appelle la mobilisation collective de la Nation pour conduire dans l'urgence un chantier national de reconstruction. Relever ce défi appelle un cadre juridique d'exception, de nature à accélérer au maximum la conduite des travaux.
Le présent projet de loi prévoit donc plusieurs adaptations du droit de l'urbanisme, de la construction, de la commande publique et des collectivités territoriales.
La commission des affaires économiques, chef de file sur ce texte, est chargée de l'article 1er concernant les dérogations au code de l'urbanisme. Notre commission a été saisie au fond sur l'article 2 relatif à la commande publique. La commission des finances s'est saisie de l'article 3 concernant l'assouplissement des modalités financières des travaux de reconstruction.
Face au risque juridique que constituerait l'engagement de travaux d'urgence sur le fondement des seules dérogations déjà permises par le droit de la commande publique, l'article 2 tend à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, dans un délai de deux mois, afin d'instaurer un régime dérogatoire à certaines règles de la commande publique, applicable aux seuls bâtiments endommagés lors des violences urbaines survenues entre le 27 juin et le 5 juillet 2023. Il s'agit ainsi de garantir aux acheteurs soumis au code de la commande publique une assise juridique sûre et de les inciter à lancer promptement les travaux nécessaires.
Ces dérogations consisteraient à permettre aux acheteurs publics, premièrement, de passer des marchés publics sans publicité, mais avec mise en concurrence, pour des travaux dont le montant serait inférieur à un seuil défini dans l'ordonnance. Selon les informations transmises par la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, il s'agirait d'un seuil de 1 million d'euros, soit un fort rehaussement par rapport au seuil de droit commun de 100 000 euros. Deuxièmement, les acheteurs publics pourraient ne pas allotir les marchés alors que le principe d'allotissement est l'une des clefs de voûte du droit de la commande publique. Les dérogations à ce principe sont très encadrées par le code de la commande publique.
Enfin, les acheteurs publics pourraient conclure plus facilement des marchés globaux. Ceux-ci sont passés par dérogation au principe d'allotissement et permettent à l'acheteur public de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur les études et l'exécution des travaux, uniquement pour des « motifs d'ordre technique ».
Le gain de temps estimé de la dérogation au principe de publicité s'élève, pour l'acheteur public, à quatre semaines. En permettant de ne passer qu'un seul marché, la conclusion d'un marché global entraînerait un gain approximatif de quatre mois.
Nous pouvons partager l'objectif du Gouvernement d'accélérer les travaux de réfection et de reconstruction des bâtiments publics endommagés lors des violences urbaines, et par conséquent approuver ces dérogations au code de la commande publique. Elles paraissent justifiées et proportionnées. Cependant, je vous proposerai un amendement apportant des modifications de nature rédactionnelle et précisant l'étendue du périmètre de ces dérogations, en mentionnant les acheteurs soumis au code de la commande publique afin d'inclure explicitement les bailleurs sociaux.
Avant de conclure, je souhaite émettre deux réserves. Tout d'abord, le seuil de 1 million d'euros, évoqué par le Gouvernement, en dessous duquel les acheteurs publics pourront déroger au principe de publicité, ne me semble pas vraiment adapté à l'ampleur des réparations. Je souhaiterais que le Gouvernement réévalue ce seuil, en prenant en considération les besoins réels exprimés par les collectivités publiques afin que ce régime exceptionnel soit plus aisément mobilisable par les acheteurs publics. En effet, il existe une marge de manoeuvre significative puisque la réglementation européenne autorise des dérogations jusqu'à un seuil de 5,3 millions d'euros.
Vraisemblablement, le seuil de 1 million d'euros est insuffisant pour inclure des opérations de reconstruction. Je vous proposerai par conséquent un amendement modifiant l'intitulé du projet de loi afin que celui-ci mentionne les travaux de « réfection » des bâtiments endommagés, illustrant ainsi sa portée réelle.
De plus, je regrette, à l'instar du Conseil d'État, que le Gouvernement ne soit pas allé au bout de la démarche d'urgence, qui aurait consisté à inscrire dans le projet de loi le dispositif dérogatoire plutôt que de recourir à une ordonnance. En effet, le gain de temps estimé par la dérogation au principe de publicité est de quatre semaines. Or le délai demandé par le Gouvernement pour publier l'ordonnance est de deux mois. Il y a là un décalage qui neutralise pour partie le bénéfice du dispositif. À tout le moins, il serait opportun que l'ordonnance soit soumise à l'examen du conseil des ministres dans les meilleurs délais, si possible avant la pause estivale, afin que les procédures de passation puissent être engagées rapidement par les acheteurs publics.
Néanmoins, je vous propose d'adopter l'article 2 ainsi modifié.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes évidemment tous d'accord sur la nécessité de répondre sérieusement et rapidement aux multiples dégradations qui ont été constatées sur des bâtiments publics dans toute la France, ainsi que chez des propriétaires privés et des commerçants. Il faudra aller très vite. Or le projet de loi que nous examinons risque de n'avoir que des conséquences assez anecdotiques.
Tout d'abord, comme souvent, il s'agit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, ce que nous n'apprécions guère au Sénat. Le Conseil d'État a d'ailleurs estimé nécessaire de clarifier le périmètre des habilitations et de mieux encadrer, en ce sens, l'article 1er. Il est significatif par ailleurs de lire dans l'étude d'impact que la voie de l'ordonnance est privilégiée, car le sujet est trop technique, comme si les parlementaires n'étaient pas capables de tout comprendre !
Il faudra donc faire preuve d'une grande vigilance sur les ordonnances, sachant que nous aurons peu de moyens d'action si leur libellé paraît approximatif.
Nous sommes saisis de l'article 2, dont le périmètre recouvre des possibilités déjà existantes en droit. En effet, le droit de la commande publique autorise la passation de marchés selon des conditions spécifiques dans le cadre de situations d'urgence. Cette disposition est cependant peut-être plus efficace au sein d'un véhicule législatif spécifique. De plus, le Conseil d'État n'a pas formulé d'objections sur cette partie du texte. Déroger au principe d'allotissement ne semble toutefois guère souhaitable.
Quant à la question du financement, traitée à l'article 3 du texte, elle constitue sa principale carence. Ce ne sont pas les permis de construire qui poseront problème, c'est le financement. Tous ces travaux coûteront des millions, voire des dizaines de millions d'euros aux collectivités, et nécessiteront des études préalables. Or je n'ai rien entendu de la part du Gouvernement sur la façon dont il entend les aider, sachant que certaines collectivités régionales ont prévu des mécanismes intéressants d'avance de trésorerie, que nous n'avons pas pu les introduire par voie d'amendement pour des questions de recevabilité. Pourquoi l'État ne propose-t-il pas cela ? Ce n'est pas sérieux ! Ce n'est pas ainsi que nous pourrons aider les collectivités.
Nous avons déposé des amendements pour réduire à dix jours le délai de deux mois fixé pour la publication des ordonnances, afin d'obtenir un réel gain de temps.
Nous voterons ce projet de loi, tout en déplorant son manque d'efficacité, notamment sur le plan financier.
Mme Éliane Assassi. - Je remercie le rapporteur pour son travail. Je partage tout ce qui vient d'être dit. Le délai de deux mois fixé pour la publication des ordonnances paraît effectivement trop long.
De manière générale, nous avons de nombreuses réserves sur ce texte. Il faut néanmoins essayer de trouver des solutions pour favoriser la réfection des bâtiments endommagés au cours des récentes émeutes. Je suis favorable à ce propos à la modification rédactionnelle suggérée par le rapporteur : il est bien question de « réfection » et pas seulement de « reconstruction ».
Ce texte, écrit dans la précipitation, est un texte d'affichage présenté dans un contexte politique sombre. Nous le voterons néanmoins, non sans avoir émis quelques propositions lors de l'examen de ses articles en séance publique.
M. Patrick Kanner. - Nous remercions le rapporteur de ce travail mené en urgence. Je partage également les propos de Marie-Pierre de La Gontrie.
J'ai été frappé, comme nous tous, lors de l'audition de la ministre Dominique Faure devant notre commission, par l'absence d'analyse du Gouvernement sur les sujets de fond qui sous-tendent ces émeutes. On peut toujours multiplier les textes de réparation, il n'en faut pas moins traiter les questions de fond. Elles ont été évoquées pendant plusieurs jours, et puis l'actualité est passée.
Or les quartiers sont dans une situation très compliquée. Un débat parlementaire organisé au titre de l'article 50-1 de la Constitution et visant à comprendre ce qu'il s'est passé dans notre pays est nécessaire. Ce débat a été sollicité par mon groupe il y a une quinzaine de jours. À ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse de la part de la Première ministre. Le ministre Franck Riester, lors de la dernière Conférence des présidents de mardi dernier, a déclaré que la réponse était en cours.
Mme Marie Mercier. - Je remercie Catherine Di Folco pour son travail remarquable en si peu de temps. Je participe à de nombreuses auditions et je prends régulièrement le pouls du pays. Ce que j'entends monter m'inquiète. Dans ma commune et ailleurs, beaucoup de personnes disent qu'elles ne veulent plus payer. C'est tout le sens de la question soulevée par Marie-Pierre de La Gontrie : où va-t-on trouver les fonds ? Forcément, et comme d'habitude, dans la poche des contribuables. Or nous n'avons pas soldé la crise des « gilets jaunes », notre pays n'est pas raccommodé. Il se passe quelque chose de profond, il me semblait utile de partager avec vous mon ressenti, à savoir cette inquiétude à la fois triste et râleuse de nos concitoyens...
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Madame de La Gontrie, des dérogations existent effectivement déjà, mais elles ne sont pas adaptées. L'article R. 2122-1 du code de la commande publique limite les dérogations aux seules « prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d'urgence ». Cette condition n'est plus remplie à l'heure actuelle...
M. François-Noël Buffet, président. - Je suis d'accord avec Patrick Kanner : nous n'abordons pas le sujet de fond lié aux causes de cet événement, mais ce sera l'objet de la mission d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023, que nous avons mise en place la semaine dernière. Notre travail ne sera peut-être pas exhaustif, mais nous l'avons amorcé.
En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que le périmètre du projet de loi comprend les dispositions relatives aux dérogations au droit de la commande publique de nature à accélérer ou faciliter la reconstruction ou la réfection des bâtiments publics endommagés lors des violences urbaines survenues entre le 27 juin et le 5 juillet 2023.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-5 est une clarification rédactionnelle visant, notamment, à préciser que les dérogations prévues à l'article 2 s'appliqueront à tous les acheteurs soumis au code de la commande publique, notamment les bailleurs sociaux.
Il s'agit également de remplacer le mot « réhabilitation » par celui de « réfection », qui est plus est adapté et qui correspond à la terminologie du reste du texte.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-3 déposé par M. Redon-Sarrazy et ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à avancer la date de l'habilitation au 31 juillet.
Comme je l'ai souligné lors de mon intervention, je partage votre souhait de voir l'ordonnance publiée rapidement, afin que les travaux de réfection et de reconstruction des bâtiments publics endommagés soient engagés au plus vite. À ce titre, lors de la séance publique, j'inviterai le gouvernement à adopter l'ordonnance si possible au plus tard lors du dernier conseil des ministres précédant la pause estivale.
Néanmoins, la date du 31 juillet me semble indubitablement trop proche pour permettre au Gouvernement de procéder aux consultations d'usage et de prendre le temps d'évaluer convenablement le seuil en deçà duquel ces dérogations s'appliqueront. Le Gouvernement a déjà fait un geste vers nous puisqu'il n'a pas suivi le Conseil d'État, qui a préconisé dans son avis public un délai d'habilitation de trois mois.
Pour toutes ces raisons, l'avis est défavorable.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-6 vise à modifier l'intitulé du projet de loi pour inclure les travaux de réfection.
L'amendement COM-6 est adopté.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 2 ainsi modifié.
Le sort des amendements sur les articles pour lesquels la commission bénéficie d'une délégation au fond examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 2 |
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Mme DI FOLCO, rapporteur pour avis |
COM-5 |
Amendement de clarification rédactionnelle visant, notamment, à préciser que les dérogations prévues à l'article 2 s'appliqueront à tous les acheteurs soumis au code de la commande publique. |
Adopté |
M. REDON-SARRAZY |
COM-3 |
Réduction du délai de l'habilitation au 31 juillet 2023. |
Rejeté |
La commission a également adopté les amendements suivants du rapporteur :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 |
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Mme DI FOLCO, rapporteur pour avis |
COM-6 |
Modification de l'intitulé du projet de loi pour inclure les travaux de réfection |
Adopté |