EXAMEN EN COMMISSION
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M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur pour avis . - Il me revient de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, dont notre commission s'est saisie pour avis.
Le contexte dans lequel s'inscrit ce projet de loi de finances est marqué par la persistance de la crise énergétique résultant de la guerre russo-ukrainienne et de tensions inflationnistes exacerbant la problématique de la vie chère spécifique aux territoires ultramarins. En effet, si les écarts du niveau d'inflation entre les territoires ultramarins et l'Hexagone ne sont pas significatifs, ces tensions inflationnistes s'additionnent à un coût de la vie supérieur outre-mer s'inscrivant au surplus dans un contexte social particulièrement dégradé.
Si des mesures nationales ont été déployées dès juillet 2022 à destination des collectivités territoriales avec le « filet de sécurité » et le bouclier énergétique pour les entreprises fortement consommatrices d'électricité, force a été de constater le défaut d'adaptation des mesures nationales aux spécificités des collectivités et des entreprises ultramarines.
Les chiffres sont édifiants.
En premier lieu, seules six communes ultramarines ont bénéficié d'acomptes versés en application du filet de sécurité. Autre chiffre encore plus édifiant : seuls 2 % des moyens alloués à ce dispositif ont bénéficié aux outre-mer.
En second lieu, en dépit des demandes répétées des acteurs économiques locaux relayées par les parlementaires, le bouclier énergétique pour les entreprises n'a toujours pas fait l'objet d'adaptations pourtant indispensables à son application à la situation préoccupante des entreprises ultramarines.
J'aimerais insister sur un dernier exemple révélateur du manque de prise en compte des spécificités ultramarines dans le dimensionnement des aides face à la crise énergétique : les collectivités ultramarines bénéficiant du dispositif COROM - les contrats de redressement outre-mer - s'engagent, en échange de subventions, à assainir leur situation financière, en particulier en augmentant le montant de leur épargne brute, ce qui risquerait de les exclure de facto des dispositifs précités. En réponse aux inquiétudes exprimées par mon collègue Dominique Théophile, le ministre Christophe Béchu, lors de son audition en commission, a « confirmé que les communes relevant du COROM peuvent bénéficier du filet de sécurité », sans plus de précision.
Le Gouvernement a annoncé reconduire et améliorer ces dispositifs en 2023 : j'appelle donc à une meilleure prise en compte des spécificités des territoires ultramarins dans les dispositifs proposés pour compenser la hausse des prix de l'énergie pour les collectivités territoriales comme pour les ménages et les entreprises dans le PLF pour 2023.
Au surplus, si la création d'un fonds vert pour financer les projets écologiques des collectivités territoriales abondé à hauteur de 3,5 milliards d'euros ne peut qu'être saluée, nous devons être attentifs à la répartition territoriale des projets soutenus ainsi qu'à la décentralisation effective de la gestion de ces crédits, en particulier outre-mer.
Je tiens enfin à souligner que ces dispositifs, reposant majoritairement sur des mesures d'appel à projets ou nécessitant d'importants moyens en ingénierie en raison de leur complexité administrative, rendent encore plus indispensable tant le renforcement de la coopération entre les services déconcentrés de l'État et les acteurs locaux que l'accompagnement en ingénierie des collectivités ultramarines par l'État.
La principale problématique à laquelle est confrontée la mission « Outre-mer » est celle de la sous-exécution chronique des crédits votés. Chaque année, les crédits consommés sont largement inférieurs aux crédits attribués en loi de finances initiale (LFI).
À titre d'exemple, les nombreux mouvements de crédits réalisés en 2021 témoignent d'une gestion encore trop complexe des crédits de la mission « Outre-mer » qui semble aujourd'hui encore difficile à justifier par des considérations opérationnelles. Il n'est pas acceptable que nous votions des crédits en loi de finances qui soient ensuite annulés ou non consommés à hauteur de près de 10 % du montant total des crédits votés, comme le montre l'exercice 2021.
Je le constate toutefois avec satisfaction, des efforts de pilotage de l'exécution de la mission ont été menés avec succès, qui doivent être poursuivis. La direction générale des outre-mer (DGOM) s'est ainsi pleinement engagée dans une démarche active d'évolution de ses modalités de pilotage, ce qui a eu pour conséquence principale une consommation des crédits davantage lissée sur l'année, favorisant un décaissement progressif, qui est davantage conforme aux besoins des territoires ultramarins.
Cet effort est positif, mais ne saurait être suffisant. Je vous invite à être vigilants afin que, faute de consommation effective des crédits alloués, cela ne conduise à terme à une ambition moindre pour nos territoires ultramarins.
Ce n'est pas le cas dans le projet de budget qui nous est présenté aujourd'hui : les crédits alloués à la mission « Outre-mer » augmentent légèrement par rapport à 2022. Ainsi, à la suite de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le PLF 2023, la mission « Outre-mer » est dotée pour 2023 de 2,75 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une augmentation de 1,75 % par rapport à 2022, et de 2,58 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une légère hausse de 1,4 %.
La programmation des crédits est en effet marquée par un engagement renouvelé de l'État pour les territoires ultramarins, qui se traduit par des mesures nouvelles et un effort significatif en matière de soutien à l'emploi et à la formation ciblé sur les jeunes ultramarins, d'amélioration du parc de logements ultramarins et d'accompagnement des collectivités territoriales.
En matière de soutien à l'insertion et à la formation des jeunes ultramarins, ces crédits connaissent une hausse de près de 10 % en AE et de 13 % en CP, illustrant la volonté gouvernementale de recentrer son action sur cette priorité.
Je souhaite revenir sur la mesure relative au service militaire adapté (SMA). Celui-ci a de nouveau montré toute sa pertinence malgré la crise économique actuelle. Le niveau d'insertion a atteint sa cible en 2022 : 81 % des jeunes ayant participé à ce programme ont trouvé à l'issue un emploi stable. Ces bons résultats justifient que l'expérimentation du programme SMA 2025+, visant à élargir le public cible et à enrichir le contenu du programme engagé à Mayotte en 2022, soit étendue à toutes les unités sur l'ensemble des territoires ultramarins en 2023. Ainsi, le SMA sera ouvert aux mères célibataires, aux apprentis et aux mineurs décrocheurs dans tous les outre-mer. En outre, le programme va désormais accueillir des formateurs issus de grandes écoles et permettre aux jeunes de bénéficier de formations au numérique. Ainsi, près de 310 millions d'euros et 91 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires seront affectés à ces mesures auxquelles je souscris pleinement.
En matière de construction et de rénovation des infrastructures, l'année 2023 constituera la dernière année de mise en oeuvre du plan Logement outre-mer 2, initialement prévu pour 2022 et prolongé d'une année par le ministre Jean-François Carenco. Le PLF pour 2023 prévoit une hausse de 10 millions d'euros des crédits mobilisables en AE dans la ligne budgétaire unique (LBU) pour de nouveaux projets. Cela permettra de poursuivre la mise en oeuvre du plan et d'accompagner les stratégies territoriales des établissements publics fonciers et d'aménagement de Guyane et de Mayotte créés l'année passée.
Si je ne peux que me féliciter de cette augmentation indispensable des crédits alloués à la LBU, je ne peux que constater que le dispositif proposé n'est pas à la hauteur des enjeux en la matière, et ce d'autant que la situation spécifique de l'habitat insalubre et informel dans les territoires ultramarins impose une politique particulièrement volontariste.
En effet, selon les estimations de la DGOM, la proportion de logements indignes et insalubres dans les territoires ultramarins oscille entre 19,4 % et 27 %, contre moins de 1,2 % dans l'Hexagone. Cette situation appelle à réunir de toute urgence les moyens nécessaires à la résorption de ce type d'habitat. C'est pourquoi je vous proposerai, en accord avec les rapporteurs spéciaux Georges Patient et Teva Rohfritsch, un amendement visant à majorer de 4 millions d'euros en AE et CP les crédits destinés à la résorption de l'habitat insalubre.
En ce qui concerne l'accompagnement des collectivités ultramarines, troisième priorité du budget outre-mer pour 2023, des efforts sont prévus en matière d'aide à l'équipement des territoires. Cela passe par les contrats de convergence et de transformation, qui visent à réduire significativement et durablement les écarts de développement en matière économique, sociale et environnementale. Initialement conclus pour une période s'établissant de 2019 à 2022, ils ont été prolongés par avenant d'une année afin de permettre la conclusion de nouveaux contrats en 2023.
En 2023, 211,52 millions d'euros sont prévus en AE et 156,26 millions d'euros en CP au titre de ces contrats. C'est conforme aux engagements pris par le Gouvernement. Toutefois, je constate à regret que les outils de contractualisation ne permettent pas de pallier les difficultés tenant à la sous-consommation des crédits budgétaires. La faiblesse des montants consommés par rapport aux montants contractualisés est particulièrement alarmante et fait craindre une sous-consommation importante des crédits pour l'ensemble des collectivités : les dernières prévisions disponibles font état d'un taux de consommation des crédits qui s'établirait à 41 % seulement fin 2022. J'appelle par conséquent l'État à renforcer l'accompagnement des collectivités concernées par ce dispositif afin de consommer l'ensemble des crédits ainsi contractualisés.
De surcroît, l'année 2023 sera celle de nouvelles négociations pour conclure les contrats pour la période 2024-207. Il est nécessaire que le Gouvernement améliore ce dispositif et prenne en compte les pistes d'évolution remontées du terrain, tant par les représentants de l'État sur les territoires que des élus locaux eux-mêmes. Je pense notamment au manque de fongibilité des crédits au sein des contrats et à la nécessité d'élargir ces contrats à de nouvelles thématiques comme la santé.
Des actions fortes devraient enfin être menées afin d'accompagner les collectivités ultramarines dans le redressement de leur situation financière et budgétaire : 60 millions d'euros supplémentaires devraient y être dédiés. Cela traduit l'engagement de l'État à accompagner la collectivité territoriale de Guyane à rétablir sa capacité d'autofinancement ; le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) à réaliser les investissements nécessaires à la distribution d'eau potable en Guadeloupe, mais également à financer le dispositif COROM.
Ce soutien renforcé de l'État est d'autant plus nécessaire que la situation financière et budgétaire fortement dégradée de certaines collectivités ultramarines est particulièrement préoccupante. Les risques pesant sur leur santé financière se sont accentués du fait des tensions inflationnistes et du renchérissement du coût de l'énergie et posent avec une acuité nouvelle la problématique du retard de paiement aux conséquences pourtant désastreuses pour le tissu économique local.
C'est pourquoi je vous proposerai - c'est une initiative commune avec les rapporteurs spéciaux qui a été annoncée par le président Gérard Larcher au congrès des maires ultramarins hier - de renforcer ce dispositif d'accompagnement et de soutien au redressement des collectivités territoriales à hauteur de 20 millions d'euros, tant pour augmenter le nombre de ses bénéficiaires que pour renforcer les montants du soutien ainsi exceptionnellement accordés aux collectivités ultramarines.
Pour conclure, je souhaite vous rappeler que les crédits portés par la mission « Outre-mer » ne constituent qu'un dixième environ de l'effort total de l'État en faveur des territoires ultramarins. Il s'agit des actions spécifiques de l'État dans les outre-mer, chaque ministère étant par ailleurs chargé de la mise en oeuvre de ses politiques sur l'ensemble du territoire français, outre-mer compris. Ainsi, l'effort global de l'État en faveur des territoires ultramarins en 2023 représenterait 20,1 milliards d'euros en AE et 21,7 milliards d'euros en CP. Ces crédits en provenance d'autres missions budgétaires permettent, entre autres, de financer les plans thématiques outre-mer notamment le plan Eau DOM, le plan Sargasses 2 et le plan Chlordécone, qui répondent à des préoccupations fortes des élus locaux et aux besoins quotidiens des habitants. J'y suis particulièrement favorable, mais je souhaite toutefois souligner que ces dispositifs appellent un accompagnement et un suivi attentif de l'État afin que les acteurs locaux puissent pleinement s'en saisir.
L'ensemble de ces éléments me conduisent à vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits, sous réserve de l'adoption des deux amendements que je vous soumets.
M. Mathieu Darnaud . - Je salue le travail exhaustif du rapporteur. J'observe que ce qui ne fonctionne pas dans l'hexagone ne fonctionne pas non plus outre-mer. Le filet de sécurité est, dans sa mouture 2022, un échec généralisé.
Je déplore la sous-consommation des crédits outre-mer. Comment peut-il en être ainsi quand on connaît les besoins criants s'agissant des questions du logement, de l'emploi, de l'insertion sur ces territoires ? Seul le SMA est un véritable point de satisfaction. Il importe de prendre la juste mesure de cette sous-consommation. L'augmentation des crédits peut n'être qu'un trompe-l'oeil si ceux-ci sont, au final, sous-consommés. Il convient de régler avec volontarisme les problématiques majeures, parfois douloureuses, que rencontrent les territoires ultramarins. Je pense en particulier à la situation à Mayotte et en Guyane.
Je tire la sonnette d'alarme. Il est urgent d'alerter l'État, ainsi que l'État territorial, sur l'incapacité chronique à consommer les enveloppes budgétaires et donc à répondre aux différentes problématiques rencontrées par les territoires ultramarins. Les collectivités sont dans l'incapacité d'accéder aux dispositifs proposés. Comme en métropole, il faut laisser plus de souplesse aux territoires pour qu'ils puissent s'adapter.
Mme Lana Tetuanui . - Par amitié, je pourrais voter les crédits de cette mission, mais je serai pragmatique : l'emballage est beau, mais le contenu laisse un goût amer. On nous octroie des crédits, mais on nous met des bâtons dans les roues à chaque étape pour accéder aux dispositifs proposés, avec, pour résultat final, une sous-consommation des crédits. Nous, parlementaires, passons notre temps ici à dénoncer tous les retards et les besoins de rattrapages que nous rencontrons dans nos collectivités. Les outre-mer sont-ils un fardeau pour l'État ? Je finis par me poser la question. Or ils sont une véritable chance pour la France.
Monsieur le rapporteur, je reste très dubitative. Le président Larcher a reçu les élus ultramarins il y a deux jours. Mais j'ai halluciné en entendant les élus de divers territoires. Nous sommes les oubliés de la République. Pis, avez-vous vu les résultats des dernières élections législatives dans les collectivités ultramarines ? Cela fait peur !
M. Jérôme Durain . - Je remercie le rapporteur pour la qualité de ses travaux. Je relève l'extrême sensibilité de cette mission eu égard au triptyque inflation, crise énergétique et détresse due à la vie chère ainsi qu'au cri d'alarme lancé lors des dernières élections.
Je le remercie d'avoir souligné la question centrale de la sous-exécution chronique des crédits. Je veux relativiser l'augmentation des crédits pour ce qui concerne le budget 2023, une part de cette hausse reposant sur une estimation prévisionnelle et mécanique des compensations d'exonération de cotisations sociales.
On ne peut pas aborder cette mission de manière uniforme. L'action n° 1, Soutien aux entreprises, dans le programme 138 voit ses crédits baisser, tandis que les crédits de l'action n° 2, Aide à l'insertion et à la qualification professionnelle, ont un niveau plutôt satisfaisant. Il en est de même pour le programme 123 : si certaines évolutions dynamiques sont à souligner, elles ne peuvent à elles seules compenser les retards de ces territoires en termes d'équipements publics.
Parce qu'un certain nombre d'amendements adoptés par l'Assemblée nationale n'ont pas été conservés par le Gouvernement, après le recours à l'article 49-3 de la Constitution, et parce que cette mission manque d'une hauteur de vue, notre groupe s'abstiendra.
M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur pour avis . - Vous êtes revenus sur la question épineuse de la sous-consommation des crédits. La situation s'est légèrement améliorée, mais on ne saurait s'en contenter. Cette situation est d'autant plus dommageable que les collectivités rencontrent de graves difficultés. Le président Larcher est revenu sur ce point avant-hier lorsqu'il a reçu les élus d'outre-mer. Des solutions ont été envisagées. Je vais déposer une proposition de loi visant à remédier à la problématique de l'ingénierie, mais cette question est délicate. Lorsque l'on parle d'ingénierie dans les territoires, les collectivités s'offusquent à raison, au motif que l'ingénierie vaut d'abord pour les services de l'État. Toutefois, si nous légiférons sur ce sujet, cela permettra peut-être de conduire à des changements notables et d'apporter de nouvelles solutions aux collectivités. Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de nos réflexions.
M. François-Noël Buffet , président . - Les amendements II-336 et II-337 ont été présentés par le rapporteur pour avis au cours de son intervention liminaire.
Les amendements II-336 et II-337 sont adoptés.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », sous réserve de l'adoption de ses amendements .