B. NE PAS INTERDIRE PAR LA LOI DES USAGES PAR DÉFINITION MOUVANTS AVEC L'ÉVOLUTION DES TECHNOLOGIES ET DONT L'IMPACT NÉGATIF SUR L'ENVIRONNEMENT N'EST PAS TOUJOURS DÉMONTRÉ.
Les articles 17 à 20 portent sur des usages considérés a priori comme néfastes pour l'environnement. La commission des affaires économiques propose de supprimer ces quatre articles car il n'apparaît pas pertinent de fixer dans la loi des usages qui seraient prohibés, dans la mesure où ceux-ci évoluent rapidement en fonction des technologies (amendements AFFECO-13 , AFFECO-14 , AFFECO-15 et AFFECO-16 ). En revanche, le fait de déterminer précisément et au cas par cas quelles sont les pratiques pouvant porter atteinte à l'environnement ou, à défaut, favoriser une forme de sobriété dans l'usage du numérique, relèvera du référentiel d'écoconception créé en application de l'article 16 de déterminer.
L'article 17 impose aux entreprises soumises à l'obligation de reporting extra-financier par le code de commerce de dévoiler, dans le cadre de cette obligation, les stratégies de captation de l'attention des utilisateurs et visant à accroître le temps qu'ils passent sur les services en ligne.
Cette disposition rejoint, mais selon des modalités différentes, l'interdiction des « dark patterns » adoptée dans le cadre de l'examen au Sénat de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace . La rapporteure rejoint tout à fait les auteurs de la proposition de loi pour considérer qu'il s'agit d'un enjeu absolument majeur , comme cela est d'ailleurs très bien décrit dans le rapport d'information. Il s'agit de bien dresser la limite entre fluidifier l'expérience utilisateur et le manipuler. Cependant, cette problématique dépasse assez largement celle des enjeux environnementaux. Et il n'est pas certain que les principales entreprises concernées par l'esprit du dispositif - essentiellement des réseaux sociaux établis en dehors de nos frontières - soient soumises à l'obligation de reporting extra-financier en France, faute de remplir les critères établis par la loi. Dans la mesure où ces problématiques concernent les modalités de conception des interfaces des services en ligne, elles trouveront davantage leur place dans un référentiel d'écoconception. Ce pourrait être l'occasion de développer davantage la mise à disposition de fonctions permettant à l'utilisateur de suivre les données relatives à son utilisation des services et applications afin de le mettre en capacité de contrôler ses usages.
L'article 18 impose aux fournisseurs de services de médias audiovisuels à la demande de fournir une qualité de vidéo n'excédant pas la résolution maximale des équipements utilisés, sous peine de sanction imposée par l'Arcep. La rédaction de cet article est apparue perfectible car, en retenant la qualification de service de média audiovisuel à la demande, des services comme Youtube ou Dailymotion ne seraient pas pris en compte, de même que, compte tenu des critères de territorialité fixés par la loi de 1986 visée, des services comme ceux de Netflix ou Amazon Prime ne seraient pas entrés dans le champ d'application. Par ailleurs, la formulation retenue ne semble pas adaptée au but visé, dans la mesure où la qualité de visionnage ne devrait pas pouvoir excéder la résolution maximale d'un écran. Du reste, les acteurs du secteur - comme Facebook ou Youtube - ont déjà mis en place des solutions pour optimiser la résolution d'une vidéo en fonction de l'appareil, de la connexion de l'utilisateur et des centres de données dans lesquels se trouvent les serveurs qui contiennent et transfèrent les données. Il a donc été jugé préférable de supprimer cet article, ces considérations devant relever, à nouveau, d'une démarche d'écoconception. Les bonnes pratiques d'écoconception web publiées par le Green IT recommandent d'ailleurs déjà d'adapter les vidéos aux contextes de visualisation 43 ( * ) . Il convient de noter que l'intérêt de telles mesures pour l'environnement n'est pas établi - elles visent surtout à inciter à la sobriété dans notre usage du numérique : comme le précise un récent rapport du Shift Project, « réduire la résolution des vidéos au minimum de ce qui me permet de tout de même profiter du contenu que je regarde, (...) ne diminue pas significativement mon impact direct ».
L'article 19 entend interdire le lancement automatique de vidéos en ligne, sauf sur les plateformes de service de média audiovisuel à la demande et sur les réseaux sociaux, sous réserve que la fonction soit désactivée par défaut. L'Arcep serait en charge de faire respecter cette interdiction. Autrement dit, telle que rédigée, cette disposition autorise l' autoplay sur les principaux services consommateurs de bande passante en France (Facebook, Netflix...), lesquels sont probablement ceux qui ont le plus fort impact sur l'environnement. À l'inverse, elle a pour conséquence d'interdire le lancement automatique de vidéos sur de nombreux autres sites internet, en particulier ceux des médias en ligne, dont le modèle d'affaires en ligne dépend en grande partie des recettes publicitaires. Le dispositif manquait sa cible et risquait donc de remettre en cause l'équilibre financier de secteurs déjà en difficulté. Enfin, il ne semble pas exister, à ce jour, de consensus concernant la quantification de l'impact environnemental réel du streaming de vidéos sur internet 44 ( * ) . Il est donc préférable de renvoyer cette question au référentiel d'écoconception, qui concernera les principaux services consommateurs de bande passante. Il pourrait notamment conduire au développement de fonctionnalités de désactivation en cas d'inactivité.
Enfin, l'article 20 propose d'interdire la pratique dite du « scroll » infini et d'obliger en conséquence à présenter les services en ligne sous forme de pagination, sous peine de sanction. L'impact négatif sur l'environnement d'une telle pratique par rapport à celui de la pagination ne semble pas démontré à ce jour : comme cela a pu être souligné à la rapporteure, le rechargement de page peut nécessiter un traitement informatique plus long et plus coûteux qu'une simple extension incrémentale du contenu visualisé. Du reste, il s'agit d'une technique à laquelle les consommateurs peuvent consentir. L'interdiction n'apparaît donc pas comme le moyen le plus pertinent. Le référentiel d'écoconception pourrait, si l'impact négatif de la pratique venait à être démontré, imposer de proposer une option au consommateur.
* 43 Selon le rapport précité du Conseil général de l'économie, la diffusion d'un contenu en ultra haute définition (UHD) génère huit fois plus de données que la diffusion d'un contenu en haute définition (HD). Il soulignait qu'il fallait éviter les situations dans lesquelles on visionne « des vidéos en 4K sur un écran d'un mètre, avec aucune différence visible par rapport à un visionnage HD voire SD ». Néanmoins, il convient de ne pas exagérer l'importance de ce facteur.
* 44 Voir, en particulier, l'analyse publiée par l'Agence internationale de l'énergie sur le sujet. Le récent rapport du Shift project précité précise également que « désactiver l'autoplay n'engendre (...) qu'une économie marginale sur la consommation directe d'énergie ».