B. UNE DÉROGATION PROPORTIONNELLE À L'OBJECTIF RECHERCHÉ ?
Le principe de non-régression du droit de l'environnement 11 ( * ) invite à étudier les modalités de dérogation à une interdiction formulée par le législateur avec la plus grande prudence : il en va en effet de la crédibilité du droit de l'environnement et plus largement, de l'autorité de la loi . Une dérogation à l'interdiction des néonicotinoïdes se doit donc d'être justifiée par un motif d'intérêt général et la dérogation ainsi accordée ne peut être que strictement proportionnelle à l'objectif recherché.
Le Gouvernement met tout d'abord en avant le risque que les fermetures éventuelles de sucreries feraient peser sur la souveraineté alimentaire de notre pays . Le rapporteur juge cet argument peu convaincant et rappelle que la France, premier producteur de sucre en Europe, exporte près de la moitié de sa production 12 ( * ) . Il constate par ailleurs que les pollinisateurs - directement impactés par les néonicotinoïdes - sont essentiels à la préservation de la souveraineté alimentaire de la France, comme le souligne un récent rapport spécial de la Cour des comptes européenne : « dans l'Union européenne, près de quatre cinquièmes des fleurs sauvages et des cultures des zones tempérées dépendent à différents degrés de la pollinisation par les insectes. Un projet financé par l'Union européenne a permis d'estimer à quelque 15 milliards d'euros la contribution annuelle des insectes pollinisateurs à l'agriculture européenne . Les pollinisateurs augmentent la quantité de nourriture produite, de même que sa qualité et, en fin de compte, garantissent notre approvisionnement alimentaire » 13 ( * ) .
La dérogation pourrait donc plutôt se justifier sur un fondement industriel , dont le rapporteur ne peut que constater l'importance. D'après les chiffres transmis par les professionnels du secteur et repris par le Gouvernement, la filière betterave-sucre regroupe ainsi 25 000 agriculteurs, représente 45 000 emplois directs - à travers notamment les 21 sucreries installées dans notre pays - et 90 000 emplois indirects et induits.
Pour autant, le rapporteur note que l'autorisation temporaire des néonicotinoïdes prévue par le projet de loi ne résoudra pas l'ensemble des problèmes de la filière. Les difficultés structurelles sont en effet, au moins pour partie, antérieures à l'interdiction de septembre 2018. La fin des quotas sucriers, entrée en vigueur en 2016 , a ainsi exposé les betteraviers à une forte baisse des cours mondiaux du sucre qui s'est répercutée sur les prix européens ( - 37 % entre janvier 2017 et janvier 2019), provoquant une baisse des prix de la betterave, une baisse des surfaces cultivées (environ 420 000 hectares, contre 480 000 avant la fin des quotas), une baisse des productions de sucre et une hausse des coûts de production industriels, amenant certains industriels à se restructurer : 7 sucreries ont fermé en 2020 en Europe, dont 4 en France. À cet égard, la possibilité d'une nouvelle autorisation temporaire des néonicotinoïdes ne constitue donc en aucun cas un gage pour la pérennité de l'emploi et pour la soutenabilité de la filière à long terme .
* 11 L'article L. 110-1 du code de l'environnement consacre un principe de non-régression du droit de l'environnement, « selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
* 12 Selon les chiffres publics de la filière, sur 5,2 millions de tonnes de sucre produites en 2019-20, 2,4 millions avaient été exportées vers l'étranger.
* 13 Cour des comptes européenne, Protection des pollinisateurs sauvages dans l'Union européenne - Les initiatives de la Commission n'ont pas porté leurs fruits, 2020.