C. DES RÉSULTATS TRÈS ENCOURAGEANTS ET ÉVALUÉS RÉGULIÈREMENT
L'attention médiatique et la menace permanente qui pèsent sur les crédits d'impôt à chaque examen de projet de loi de finances 6 ( * ) ont tendance à passer sous silence le fait que ces crédits d'impôt font l'objet de nombreuses évaluations et d'un suivi très régulier de l'administration comme de cabinets indépendants. Si besoin en était, votre Rapporteure pour avis pourrait souligner la disproportion entre l'attention politique portée à ce sujet, la relative modestie des sommes en jeu au regard de dépenses fiscales bien plus importantes, et enfin ce suivi rarement observé pour les autres « niches fiscales ».
1. L'impact de la réforme de 2016 sur l'efficacité des crédits d'impôt cinéma et audiovisuel
Une étude réalisée pour le CNC par le cabinet Ernst & Young en octobre 2014 avait indiqué que, dans sa forme initiale, pour 1 euro de crédit d'impôt international, 7 euros de dépenses étaient réalisées dans la filière audiovisuelle et cinématographique et 2,7 euros de recettes fiscales et sociales perçues par l'État .
En dépit de la réduction du fonds de soutien, la montée en puissance des crédits d'impôt après 2016 et le soutien des régions devraient assurer un niveau d'aide d'ensemble en légère baisse, mais à un niveau bien plus élevé qu'avant la réforme de ces crédits d'impôt.
Évolution globale des soutiens au cinéma entre 2008 et 2020
Source : CNC
Depuis la réforme de 2016 , les dépenses annuelles de tournage en France ont augmenté de plus de 500 M€ par an en France, générant de l'activité directe (liée aux tournages) et de l'activité indirecte (tourisme notamment), et donc in fine des recettes fiscales et sociales pour l'État (charges sociales, TVA...). En 2018, 86 % des dépenses des films agréés en 2018 ont été réalisées en France, soit un taux de délocalisation des tournages français de 14 %, soit deux fois moins qu'avant 2016.
Les emplois générés sont au moins équivalents à 29 000, dont 15 000 pour le cinéma.
Impact des crédits d'impôt « cinéma » et « audiovisuel »
TOTAL |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
Ecart 2018/2015 |
CIC |
|||||
Nombre de films |
143 |
146 |
161 |
170 |
+ 27 |
Dépenses en France |
613 M€ |
747 M€ |
880 M€ |
750 M€ |
+ 137 M€ |
CIA |
|||||
Nombre d'heures de programme |
1 325 h |
1 434 h |
1 552 h |
1 641 h |
+ 316 h |
Dépenses en France |
788 M€ |
966 M€ |
995 M€ |
1 059 M€ |
+ 271 M€ |
C2I |
|||||
Nombre de projets |
22 |
36 |
52 |
51 |
+ 29 |
Dépenses en France |
57 M€ |
137 M€ |
222 M€ |
186 M€ |
+ 129 M€ |
TOTAL DEPENSES FRANCE |
1 458 M€ |
1 850 M€ |
2 097 M€ |
1 995 M€ |
+ 537 M€ |
Source : CNC
2. Un crédit d'impôt « phonographique » conforté
Le ministère de la culture avait confié à la société Bearing Point une étude sur l'efficacité du crédit d'impôt, rendue publique en juillet 2017 .
Cette étude montre que le CIPP s'avère utile dans une optique d'aménagement du territoire. Il bénéficie en effet à des entreprises sur l'ensemble du territoire, même si on note une forte concentration sur le territoire francilien, qui capte 60 % des montants. Il est également précieux dans le soutien aux petites entreprises, qui représentent 50 % des dépenses. En 2017, 70 entreprises ont ainsi été aidées par ce canal.
Sous toutes les réserves méthodologiques, l'étude estime que les projets ayant bénéficié du CIPP ont donné lieu au versement de cotisations fiscales et sociales dans un rapport de 2,46 euros de contribution pour 1 euro de crédit d'impôt .
L'étude suggère plusieurs voies d'amélioration. Elle recommande notamment que les prorogations du dispositif soient a minima de trois ans pour donner une meilleure visibilité aux entreprises et donc les inciter à prendre des risques créatifs. Elle pointe également les risques inhérents à une remise en cause du CIPP, qui risquerait d'entraîner la disparition d'un grand nombre de très petites entreprises, un affaiblissement des champions français de la production indépendante, et un désengagement des « majors » qui délaisseraient la production d'artistes francophones émergents et la prise de risque, pour se concentrer sur la distribution et la promotion de leurs catalogues internationaux.
3. Le crédit d'impôt jeu vidéo : des évaluations à affiner compte tenu de la progression des montants
Le nombre de jeux vidéo recevant le CIJV a plus que doublé en 2018 par rapport à 2016, année précédant la réforme. Le budget total des jeux vidéo bénéficiaires du CIJV a également doublé, atteignant 179 M€ en 2018, dont 142 M€ dépensés en France. En 2018, le coût moyen d'un jeu vidéo bénéficiaire de ce dispositif s'élève à 4,5 M€ . L'ensemble des jeux agréés présentent des différences budgétaires importantes, représentatives de la diversité de la production française avec 45 % des jeux dont le budget est inférieur à 1 M€ et 15 % des jeux dont le budget est supérieur à 10 M€.
Votre Rapporteure pour avis déplorait l'année dernière l'absence d'étude récente permettant de mesurer l'efficacité du CIJV. Le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir (SELL) et le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) ont confié une étude à deux cabinets d'audit indépendants, qui ont pu mener une analyse de l'impact socio-économique du CIJV .
Remise au mois de juillet 2019, cette étude souligne tout d'abord l'importance du secteur du jeu vidéo, première industrie culturelle en France avec 4,9 M€ de chiffre d'affaires en 2018, loin devant la musique et le cinéma. Le CIJV aurait permis de créer près de 3 000 emplois , représentant une valeur ajoutée de 270 M€ entre 2014 et 2018. Compte tenu de la technicité et de la durée nécessaire à la conception d'un jeu vidéo, les emplois sont mieux rémunérés que la moyenne française (55 000 € bruts par an, contre 41 000 €). Par rapport aux autres industries culturelles, le jeu vidéo présente une situation très atypique, avec des emplois de bonne qualité, constitués à 86 % de CDI contre 40 % dans les autres secteurs. Pris dans son ensemble, le secteur a créé 1 200 emplois en 2018 .
Alors qu'une étude publiée en 2014 par le CNC faisait état d'un ratio de 1 € dépensé en CIJV pour 1,8 € de recettes supplémentaires, l'étude de juillet 2019 se montre plus optimiste, avec 1 € investi générant 5,3 € de recettes fiscales .
La vraie difficulté posée par le secteur est sa structure particulière, avec de nombreuses petites entreprises qui travaillent comme sous-traitant. La marge d'amélioration dans l'évaluation des dispositifs se situe probablement dans une connaissance plus fine au niveau local du tissu productif .
Par comparaison, le CIJV se situe au même niveau que certains États américains (New York, Georgie, Ohio), en dessous du niveau du Québec (37,5 %) et de l'Ontario (35 %), mais au-dessus de celui de Londres (25 %).
* 6 Le Rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale avait ainsi déposé sur le projet de loi de finances pour 2020 un amendement pour limiter l'attractivité du crédit d'impôt « Jeux Vidéo » dans le présent projet de loi de finances, amendement finalement retiré avant examen en commission.