B. VERS UNE RÉNOVATION D'ENSEMBLE DES MINIMA SOCIAUX ET DES POLITIQUES D'INSERTION
Dans son discours du 13 septembre 2018 de lancement de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, le Président de la République a annoncé son intention de rénover en profondeur le système de minima sociaux, à travers la création d'un revenu universel d'activité (RUA) fusionnant « le plus grand nombre possible de prestations » et dont l'État pourrait être « entièrement responsable », parallèlement à la mise en place d'un service public de l'insertion . Cette réforme devrait faire l'objet d'un projet de loi en 2020 pour une entrée en vigueur d'ici 2022 ou 2023.
Pour piloter ce chantier, Fabrice Lenglart a été nommé, le 24 janvier 2019, rapporteur général à la réforme du revenu universel d'activité. Les travaux ont débuté en mars 2019 sous l'égide de Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, et d'Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Une concertation a été lancée le 3 juin 2019 pour permettre au Gouvernement de recueillir l'avis de l'ensemble des parties prenantes.
Une concertation sur le service public de l'insertion, qui constitue l'autre pilier de la réforme, a par ailleurs été lancée le 9 septembre 2019 par le ministère du travail et le ministère des solidarités et de la santé.
La concertation relative au revenu universel d'activité La concertation lancée en juin 2019 en vue de la réforme du RUA consiste en un triple processus : - Premièrement, une concertation institutionnelle organisée autour d'un comité national et de trois collèges opérationnels : un collège des associations, un collège des partenaires sociaux et un collège des territoires. Dans un second temps ont été constitués des collèges thématiques : un collège « jeunes », un collège « handicap » et un collège « logement ». Cette concertation doit se composer de cinq phases successives abordant l'ensemble des aspects de la réforme : 1° Les constats (juin-juillet 2019) 2° Grands principes et objectifs de la réforme (septembre-octobre 2019) 3° Le périmètre de la réforme (novembre 2019) 4° Le parcours de l'allocataire (décembre 2019) 5° Gouvernance et financement (début 2020) - Deuxièmement, une concertation grand public reposant notamment sur une consultation en ligne ouverte du 9 octobre au 20 novembre 2019. - Troisièmement, une concertation citoyenne consistant à réunir, lors de journées organisées dans plusieurs villes sur le territoire, représentants des collectivités, associations, bénéficiaires et personnes concernées. À l'issue de ce processus, un rapport public devrait être remis au Gouvernement en février 2020 . |
Outre la réduction de la pauvreté, l'objectif poursuivi à travers la mise en place du RUA est de simplifier le système de prestations sociales de solidarité afin de renforcer sa cohérence, son accessibilité, son équité et sa lisibilité, et de garantir que la reprise d'un emploi procure toujours un gain pour encourager le retour à l'activité.
Le « socle » de la réflexion sur le RUA est actuellement constitué du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d'activité et de l'aide personnalisée au logement (APL), cette dernière pouvant prendre la forme d'un « supplément logement ». En outre, deux autres prestations relevant de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont susceptibles d'être concernées en tant que minima sociaux : l'AAH et l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI).
Votre rapporteur pour avis souscrit aux objectifs de simplification et d'amélioration de l'efficience des minima sociaux .
Toutefois, si la fusion des différentes prestations citées peut permettre de les réformer dans la perspective d'une plus grande équité, une telle opération réalisée à budget constant ferait nécessairement un grand nombre de perdants et de gagnants . En effet, le système actuel étant le produit de l'histoire, chacun de ces dispositifs obéit aujourd'hui à ses règles propres. Le préalable à toute fusion, qui constitue un chantier de grande ampleur, est donc l'harmonisation des bases ressources . S'agissant de l'AAH, qui s'adresse à une population dont les besoins sont bien spécifiques, cette opération nécessite une vigilance particulière et rencontre nécessairement des limites ( cf. infra - II ) ; l'intégration de cette allocation dans le RUA créerait ainsi probablement plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. Quant à l'APL, dont les objectifs sont bien distincts de ceux d'un minimum social, son inclusion dans cette réflexion suscite de vives inquiétudes.
Se pose en conséquence la question du coût de cette réforme : en effet, une plus grande simplicité devrait augmenter le taux de recours. Ainsi, si l'on considère in fine qu'il n'est pas acceptable de mener cette opération à budget constant, on est fondé à se demander à combien s'élèvera la compensation versée aux « perdants ».
Par ailleurs, la question des droits et des devoirs des allocataires, qui apparaît comme une condition du lien entre l'individu et la collectivité, ne manquera pas d'être soulevée et pourrait être remise à plat à cette occasion. Si l'engagement de personnes qui n'ont pas d'alternative dans un processus contractuel doit être manié avec précaution, une forme de contrepartie pourrait consister en un réel accompagnement des allocataires selon leurs besoins.
Il convient d'observer que ce projet peut donner l'impression d'un retour à la situation antérieure à la création de la prime d'activité. Le RSA, tel qu'il fut créé en 2009 avec un volet « socle » et un volet « activité », visait en effet des populations très diverses au regard de leur insertion et de leur éloignement de l'emploi. En 2015, le « RSA-activité » était devenu un parangon du non-recours aux prestations sociales, avec un taux de recours estimé à 32 %. Cet échec semblait s'expliquer en partie par le caractère stigmatisant d'un dispositif intrinsèquement lié au « RSA-socle » et à l'ancien revenu minimum d'insertion (RMI) : avoir le sentiment d'être réduit à une situation d'assistanat pouvait en effet être mal vécu par un certain nombre de bénéficiaires potentiels qui travaillaient ou étaient proches de l'emploi 2 ( * ) .
À cet égard, votre rapporteur s'interroge sur le nom retenu pour désigner la future prestation fusionnée, puisqu'il ne s'agirait nullement d'un revenu universel 3 ( * ) - il resterait selon toute hypothèse accordé sous conditions de ressources - et que son versement ne saurait être nécessairement lié à l'exercice d'une activité professionnelle.
On peut enfin s'inquiéter de la gouvernance de cette nouvelle génération d'aide sociale et, plus particulièrement, de la perspective d'une recentralisation de cette politique par l'État, qui n'a, à l'heure actuelle, pas les moyens de ses ambitions au niveau local. Pour importants qu'ils soient, les sujets du financement et de la gouvernance ne seront abordés que dans la dernière phase de la concertation.
* 2 Cf. rapport n° 501 (2014-2015) de Mme Catherine Procaccia, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 10 juin 2015.
* 3 Cette appellation, comme celle de revenu de base, désigne plus couramment les propositions visant à accorder de manière inconditionnelle à chaque membre de la société une dotation monétaire constituant un socle de protection minimal.