C. UN DIFFICILE ACCÈS AUX SOINS

1. Un manque de professionnels et de structures dédiées

Les personnes incarcérées connaissent davantage de problèmes de santé dans les outre-mer qu'en métropole . Les addictions, les troubles psychiatriques, ainsi que les maladies telles que le VIH sont par exemple plus représentés.

La prise en charge médicale des détenus est confiée dans les départements et collectivités régis par l'article 73 de la Constitution, comme en métropole, au secteur hospitalier avec un pilotage par les agences régionales de santé (ARS). La Stratégie nationale santé des personnes placées sous-main de justice , publiée en avril 2017, ne prévoit pas de politique particulière pour les détenus dans les territoires ultramarins : ils sont inclus au sein des six axes généraux de la stratégie. L'organisation des soins des détenus est donc théoriquement la même que dans l'hexagone.

Trois niveaux de soins

Source : ministère de la santé, direction générale de l'offre de soins

Plusieurs difficultés méritent néanmoins d'être soulignées.

La première reflète la situation générale des territoires ultramarins qui pâtissent d'une offre médicale détériorée , notamment en termes de spécialistes. Ce maillage territorial déficient pénalise le recrutement de professionnels de santé volontaires pour exercer en milieu carcéral : de nombreux postes demeurent vacants au sein des établissements pénitentiaires, plus particulièrement dans la zone Antilles-Guyane. Le soir et le weekend par exemple, la plupart des établissements ne peuvent assurer qu'une permanence infirmière. À Wallis-et-Futuna, il n'y a pas de visites médicales en détention. Toute difficulté somatique aboutit donc à une extraction médicale.

Densité médicale dans les départements et collectivités
régis par l'article 73 de la Constitution :

Pour 2017, la densité moyenne des praticiens est pratiquement stable à 339 médecins pour 100 000 habitants en France (336 en 2016). Les inégalités régionales persistent néanmoins, les départements et collectivités régis par l'article 73 de la Constitution faisant face à une offre médicale limitée.

Source : commission des lois du Sénat,
à partir des données transmises par le ministère de la santé

Les hospitalisations constituent une deuxième difficulté : pour les hospitalisations urgentes ou d'une durée inférieure ou égale à 48 heures, les personnes détenues sont censées être accueillies dans les établissements de santé situés à proximité des établissements pénitentiaires où elles sont incarcérées tandis que les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) prennent en charge les hospitalisations programmées de plus de 48 heures. Il n'existe cependant pas d'UHSI dans les territoires ultramarins, tandis que les extractions médicales sont moins fréquentes qu'en métropole et régulièrement annulées du fait de la faiblesse de l'offre de soins sur place. Votre rapporteur souhaite exprimer son inquiétude face à ces constats, qui témoignent d'une prise en charge médicale insuffisante des personnes détenues dans les outre-mer.

Enfin, plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont évoqué des manquements au principe de la confidentialité des soins : en Martinique comme à Mayotte, des surveillants sont chargés soit de faire de l'interprétariat pour les personnes ne parlant pas la langue, soit de surveiller les consultations médicales. Cela pose question quant au respect du secret médical. Il faut cependant souligner que ces pratiques permettent de garantir un accès aux soins qui serait sinon bien plus compliqué. Les établissements se sont adaptés à cette problématique en consacrant des équipes dédiées de surveillants à ces taches pour éviter une diffusion trop importante des informations.

Pour pallier les difficultés d'accès aux soins dans les établissements pénitentiaires en général, et dans ceux des outre-mer en particulier, la direction de l'offre de soins et la direction de l'administration pénitentiaire mènent actuellement une enquête sur la pratique de la télémédecine dans les établissements pénitentiaires . L'objectif est de définir quels sont les besoins réels et d'identifier les obstacles au développement de cette pratique. Dans les outre-mer, ces obstacles tiennent notamment à la mauvaise couverture du territoire par le réseau téléphonique et à la difficile désignation d'un référent à l'intérieur de chaque établissement. Votre rapporteur apporte son soutien au développement de la téléconsultation et de la téléexpertise, qui pourraient permettre une amélioration de l'accès aux soins des détenus ultramarins.

2. Un suivi psychiatrique déficient

La question de la prise en charge psychiatrique des personnes détenues est particulièrement critique dans les outre-mer. Les constats sont les mêmes que pour l'offre de soins générale : le manque de professionnels de santé sur le territoire influe négativement sur l'accès aux soins dans les établissements pénitentiaires.

En outre, les structures dédiées sont là encore insuffisantes. Il n'existe que trois services médico-psychologiques régionaux (SMPR) dans les territoires ultramarins , situés tous trois dans la zone Antilles-Guyane (Basse-Terre, Ducos, Remire-Montjoly). Une réflexion est en cours pour en créer un à Saint-Denis à La Réunion. En outre, il n'existe aucune unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) . La transposition de ces structures dans les territoires ultramarins a été demandée à plusieurs reprises au cours des auditions de votre rapporteur. De fait, un programme de création de structures de type UHSA est en cours depuis 2010 : une première tranche a vu la construction de neuf unités totalisant 440 places, exclusivement en métropole. La seconde tranche prévoyait la construction de 5 nouvelles unités en métropole et de 3 unités de 15 places dans les outre-mer. Au vu du retard pris par la mise en oeuvre de la première vague, qui s'est achevée en 2016 au lieu de 2011, la seconde vague n'a pas encore été engagée. Une étude conjointe est actuellement menée par l'inspection générale de la justice et l'inspection générale des affaires sociales pour en estimer la pertinence. Au vu de l'aggravation des troubles psychiatriques et comportementaux des personnes détenues dans les territoires ultramarins, votre rapporteur estime indispensable la création d'unités de ce type.

3. Une meilleure délimitation des compétences entre l'État, d'une part, et les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie, d'autre part

En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna , la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale n'est pas applicable. La santé est donc une compétence du territoire, tandis que les personnes détenues sont sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire et donc de l'État . Cela entraîne deux conséquences principales :

- l'immatriculation à la sécurité sociale des personnes détenues n'est pas automatique et nécessite la conclusion de conventions entre l'administration pénitentiaire et les autorités locales en charge de la santé ;

- les prestations médicales sont à la charge de l'établissement pénitentiaire.

Les dépenses de santé concernant les personnes détenues en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française représentent ainsi 3,4 millions d'euros en 2018.

L'administration pénitentiaire estime que la répartition financière actuellement mise en oeuvre n'est pas conforme à la répartition de compétences entre l'État et le territoire . Un audit interne et financier est actuellement en cours sur la prise en charge de la santé des personnes détenues en Nouvelle-Calédonie. Mettant en relation les facturations avec les prestations et leur qualité, il devrait permettre une optimisation de la gestion de la santé des personnes détenues sur ce territoire.

Page mise à jour le

Partager cette page