SECONDE PARTIE
LA SITUATION PÉNITENTIAIRE DANS LES OUTRE-MER
«
Une société se juge à
l'état de ses prisons
»
Albert Camus
I. DES CONDITIONS DE DÉTENTION PRÉOCCUPANTES
A. LA SURPOPULATION CARCÉRALE
1. Une situation variée
De manière générale, les territoires ultramarins sont plus exposés à la délinquance violente que la métropole 6 ( * ) . Chacun des territoires d'outre-mer présente toutefois ses propres spécificités. Dans la zone Antilles-Guyane ainsi qu'à Mayotte, le nombre de vols violents par habitant est nettement plus élevé que dans l'hexagone. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, les violences intrafamiliales sont particulièrement nombreuses. Le nombre de victimes de violences a globalement augmenté en 2015 et 2016, et est deux fois plus élevé que dans l'hexagone en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Les coups et blessures volontaires et les violences sexuelles sont très fréquents sur l'ensemble de ces territoires. À l'inverse, les vols sans violence contre les personnes sont rares, sauf en Polynésie française. À Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna, très peu d'infractions sont généralement enregistrées.
Ces différences ont un impact sur la situation
des établissements pénitentiaires dans les outre-mer, qui varie
fortement selon les territoires
.
La suroccupation est
particulièrement élevée dans la
zone
Antilles-Guyane
, où le nombre de détenus dans tous les
quartiers maison d'arrêt correspond à 130 % de leur
capacité opérationnelle. Combinée à la
vétusté des établissements, cette suroccupation rend les
conditions de détention et les conditions d'exercice du métier de
surveillant pénitentiaire particulièrement difficiles. Dans
l'
océan Indien
, le taux d'occupation est
légèrement inférieur. En outre, le centre
pénitentiaire de Majicavo à Mayotte a fait l'objet d'une
rénovation récente. À La Réunion, si seule la
maison d'arrêt de Saint-Pierre est suroccupée, la
vétusté des établissements est régulièrement
dénoncée.
Dans les collectivités d'outre-mer, les situations sont encore plus contrastées : les établissements de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna , d'une faible capacité d'accueil, connaissent un taux d'occupation limité. Cela s'explique par une délinquance et une criminalité réduites sur ces territoires. Ces établissements, de taille modeste, se situent au sein de casernes du commandement de la gendarmerie locale. Par dérogation au droit commun, la gestion du centre pénitentiaire de Mata-Utu est assurée par le territoire de Wallis-et-Futuna qui emploie à cette fin des gardes territoriaux. En Polynésie française , quatre structures sont implantées, dont deux qui ne comptent qu'un nombre limité de détenus et dont l'éloignement et l'isolement permettent des adaptations des conditions ordinaires de détention. À l'inverse, le centre pénitentiaire de Nouméa est le seul établissement de Nouvelle-Calédonie . Ses conditions de détention, régulièrement dénoncées, ont fait l'objet d'améliorations récentes mais la situation apparaît toujours insatisfaisante.
Les établissements pénitentiaires dans les outre-mer
Établissement |
Nombre de détenus |
Capacité opérationnelle |
Densité (%) |
||
Guadeloupe |
Baie-Mahault |
Maison d'arrêt |
518 |
265 |
195,5 |
Centre de détention |
223 |
238 |
93,7 |
||
Maison d'arrêt
|
207 |
129 |
160,5 |
||
Martinique |
Ducos |
Maison d'arrêt |
492 |
371 |
132,6 |
Centre de détention |
326 |
367 |
88,8 |
||
Guyane |
Remiré Montjoly |
Maison d'arrêt |
420 |
293 |
143,3 |
Centre de détention |
310 |
320 |
96,9 |
||
La Réunion |
Maison d'arrêt
|
137 |
115 |
119,1 |
|
Saint-Denis |
Maison d'arrêt |
525 |
558 |
94,1 |
|
Centre de détention |
20 |
17 |
117,6 |
||
Centre de détention Le Port |
458 |
507 |
90,3 |
||
Mayotte |
Majicavo |
Maison d'arrêt |
190 |
164 |
115,9 |
Centre de détention |
124 |
114 |
108,8 |
||
Polynésie française |
Faa'a Nuutania |
Maison d'arrêt |
237 |
147 |
161,2 |
Centre de détention |
11 |
17 |
64,7 |
||
Centre de détention
|
1 |
5 |
20,0 |
||
Centre de détention d'Uturoa-Raiatea |
9 |
20 |
45,0 |
||
Centre de détention
|
320 |
410 |
78,0 |
||
Centre de détention |
2 |
4 |
50,0 |
||
Nouvelle-Calédonie |
Nouméa |
Maison d'arrêt |
247 |
184 |
134,2 |
Centre de détention |
302 |
218 |
138,5 |
||
Wallis-et-Futuna |
Maison d'arrêt de Mata Utu |
- |
3 |
- |
|
Saint-Pierre-et-Miquelon |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
Maison d'arrêt |
- |
7 |
- |
Total Outre-mer |
5079 |
4473 |
113,5 |
Source : commission des lois du Sénat, à
partir des chiffres mensuels de la direction
de l'administration
pénitentiaire au 1
er
octobre 2018
2. Une amélioration globale qui masque de nombreuses insuffisances
Si la suroccupation carcérale était fortement préoccupante dans les années récentes, cette situation est aujourd'hui en voie de résorption dans un certain nombre d'établissements du fait de l'augmentation des capacités opérationnelles.
Effectif des personnes détenues et densité carcérale dans les outre-mer
Capacité norme circulaire |
Capacité opérationnelle |
Nombre de personnes écrouées détenues |
Densité (%) |
|
1 er janvier 2014 |
3 665 |
3 613 |
4 625 |
128,0 |
1 er janvier 2015 |
3 836 |
3 784 |
4 556 |
120,4 |
1 er janvier 2016 |
3 951 |
3 899 |
4 920 |
126,2 |
1 er janvier 2017 |
4 065 |
4 065 |
5 133 |
126,3 |
1 er janvier 2018 |
4 473 |
4 473 |
4 926 |
110,1 |
Source : commission des lois du
Sénat,
à partir des statistiques mensuelles de la direction de
l'administration pénitentiaire
Les outre-mer sont passées sous la moyenne métropolitaine en termes de densité carcérale depuis juin 2017 , avec les premiers transferts vers le nouveau centre de détention de Tatutu Papeari, en Polynésie française.
Densité maisons d'arrêt
|
Densité établissements
|
Densité totale (%) |
|
Outre-mer |
133,0 % |
94,1 % |
113,5 % |
Métropole |
140,1 % |
86,5 % |
118,4 % |
Ensemble des établissements pénitentiaires |
139,6 % |
87,2 % |
118,1 % |
Source : commission des lois du Sénat, à
partir des chiffres mensuels
de la direction de l'administration
pénitentiaire au 1
er
octobre 2018
Cette évolution favorable ne doit cependant pas masquer plusieurs cas très préoccupants dans les outre-mer . Nombre d'établissements ont encore recours à des matelas posés à même le sol.
80 % des maisons d'arrêt ou quartiers maison d'arrêt pâtissent d'une densité supérieure à 115 %. Parmi eux, le quartier maison d'arrêt de Baie-Mahault en Guadeloupe connaît un taux d'occupation de 195,5 % au 1 er octobre 2018.
En outre, exception ultramarine, la suroccupation concerne tant les maisons d'arrêt que les établissements pour peines : le quartier centre de détention de Nouméa (densité de 138,5 % au 1 er octobre 2018) est par exemple en surencombrement chronique. La densité des établissements pour peines dans les outre-mer est d'ailleurs supérieure à celle de la métropole.
La suroccupation des établissements a de nombreuses conséquences , que ce soit sur la vétusté des bâtiments, les transferts des détenus, ou la violence envers les personnels ou entre détenus.
* 6 Selon le Premier bilan statistique sur l'insécurité et la délinquance en 2017 , réalisé par le ministère de l'intérieur. Ce bilan est consultable à l'adresse suivante : https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2017-premier-bilan-statistique .