TABLE RONDE SUR LES PRODUITS PHYTOSANITAIRES
Réunie en commission le mercredi 6 juin 2018, la commission a organisé une table ronde Table ronde sur les produits phytosanitaires, autour de M. Roger Genet, directeur général, et Mme Françoise Weber, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, en charge des produits réglementés, M. Philippe Mauguin, Président-directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique, Mme Karine Brulé, sous-directrice de la protection et de la gestion de l'eau, des ressources minérales et des écosystèmes aquatiques au ministère de la transition écologique et solidaire, M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, M. Didier Marteau, membre du Bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, président de la Chambre d'agriculture de l'Aube.
M. Hervé Maurey, président : Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour une table ronde consacrée aux produits phytosanitaires.
Notre commission a traité ce sujet à plusieurs reprises ces dernières années, lors de l'examen de la loi du 6 février 2014 sur l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national (dite « loi Labbé »), de la loi transition énergétique du 17 août 2015 ou encore de la loi biodiversité du 8 août 2016.
Nous avons également abordé ce sujet lors d'une table ronde en janvier 2016 consacrée aux enjeux sanitaires de ces produits pour les agriculteurs, ainsi qu'à l'occasion d'une autre table ronde en février 2017 sur le déclin des pollinisateurs au cours de laquelle l'impact environnemental des pesticides avait été évoqué.
L'actualité sur ce sujet est riche puisque le Gouvernement a présenté le 25 avril dernier un plan d'action sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides.
Par ailleurs, le 30 mai dernier, l'Anses a rendu son avis final sur les risques et bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives, en application de la loi biodiversité, qui avait fait l'objet de nombreuses discussions au Parlement lors de son examen. N'oublions pas non plus les débats qui ont lieu depuis plus d'un an sur la question de l'interdiction du glyphosate, aux niveaux national et européen.
Enfin, nous examinerons dès la semaine prochaine le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, qui comprend un volet entier dédié aux produits phytosanitaires, en vue de réduire leur utilisation et de développer des alternatives pour les usages existants. Notre commission s'est saisie pour avis de l'ensemble de cette partie du texte, renvoyé au fond à la commission des affaires économiques.
Il nous a donc semblé important de consacrer une table ronde à la question de l'utilisation des pesticides et de leur réduction. Il s'agit d'une problématique sanitaire et environnementale majeure, à laquelle la population est de plus en plus sensible et qui occupe une place toujours plus importante dans le débat public.
L'enjeu est également considérable pour les agriculteurs, qui en sont les principaux utilisateurs mais également les premières victimes de leurs effets sanitaires et environnementaux. Comme notre commission l'a constaté à plusieurs reprises, la maîtrise des risques liés à ces produits, la réduction de leur utilisation et le recours à des alternatives sont des préoccupations partagées par le monde agricole, mais qui nécessitent des mesures fortes tout à la fois pour accompagner et pour accélérer ces évolutions.
Afin d'échanger sur ce sujet, nous avons le plaisir de recevoir ce matin les représentants de plusieurs organismes qui jouent un rôle important pour la connaissance des enjeux sanitaires et environnementaux des produits phytosanitaires, leur réglementation et leur utilisation : M. Roger Genet, directeur général et Mme Françoise Weber, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), en charge des produits réglementés ; M. Philippe Mauguin, Président-directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) ; Mme Karine Brulé, sous-directrice de la protection et de la gestion de l'eau, des ressources minérales et des écosystèmes aquatiques au ministère de la transition écologique et solidaire ; M. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation (DGAL) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation ; M. Didier Marteau, membre du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) et président de la chambre d'agriculture de l'Aube.
Je vous propose que chaque organisme prenne successivement la parole pour une présentation liminaire de 7 minutes. Dans un second temps, nous passerons aux questions des membres de la commission.
M. Philippe Mauguin, président-directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) . - Merci monsieur le président pour cette invitation sur un sujet majeur pour l'ensemble des acteurs de la recherche et de l'expertise.
À l'Inra, nous sommes en particulier mobilisés sur les sujets de la dépendance et des alternatives aux produits phytosanitaires au sein de l'agriculture. Nous agissons à travers différentes actions. La recherche fondamentale en premier lieu : nous travaillons sur des alternatives aux phytosanitaires ainsi que sur leur impact pour l'environnement et la santé. L'expertise ensuite, au service des pouvoirs publics et du Parlement. Je rappelle le rapport récent qui a été demandé par le Gouvernement à l'Inra sur les alternatives au glyphosate. Enfin à travers l'appui aux programmes d'action tel qu'Ecophyto sur lequel les chercheurs de l'Inra sont très mobilisés et grâce auquel nous rendons les innovations profitables aux agriculteurs.
Je rappelle cependant qu'il ne fait pas partie des missions de l'Inra de trouver des molécules chimiques phytosanitaires, il s'agit du travail de l'industrie. Celui de l'Inra est de travailler sur les alternatives. Celles-ci sont de plusieurs ordres : biocontrôle, agronomique, génétique, résistance, et nous avons encore d'autres pistes.
Je rappelle également que l'INRA a récemment fait une publication, en 2017, en bonne coopération avec l'APCA et tout le réseau des fermes DEPHY du plan Ecophyto, qui montre que sur un petit millier de fermes françaises, engagés dans différents types de filière et de secteurs de production, des agriculteurs français avaient pu réduire de 30 % les phytosanitaires, par rapport à la référence moyenne, sans perte de rentabilité ou de productivité. Cet élément nous donne, dans un débat souvent tendu, des perspectives optimistes. Si on a pu le faire dans les 3 000 fermes engagées dans le réseau DEPHY, on doit pouvoir le faire à plus grande échelle Le débat législatif peut donc tourner autour des questions suivantes : comment va-t-on faire le changement d'échelle, et comment va-t-on opérer la diffusion à tous les agriculteurs de ces éléments ?
On peut également noter qu'en fonction du gradient de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, les difficultés vont être croissantes. Il est relativement facile de viser 5 à 10 % de réduction, en optimisant les équipements de l'agriculture, pour améliorer leur précision et c'est une orientation que suit la France. L'objectif des 30 % est également possible mais c'est une trajectoire qui nécessite plus d'accompagnement et de formation. Enfin si nous voulons aller vers 50 % et au-delà, nous allons alors vers ce que nous appelons une re-conception du système agricole. Il s'agit davantage d'une innovation de rupture que d'une innovation incrémentale.
Sur le biocontrôle, il s'agit seulement de 5 % des parts du marché des produits de protection des plantes, mais nous avons des atouts : un consortium de 49 partenaires, publics, privé, PME, start-up, laboratoires et instituts techniques, pour identifier les cibles prioritaires, c'est-à-dire les ravageurs qui ont le plus d'impact sur nos cultures et pour lesquels il faut trouver des réponses en termes de biocontrôle.
Enfin nous avons en génétique des perspectives intéressantes. Un exemple encourageant est celui de la vigne : nous avons mis au point des variétés de vigne résistante à l'oïdium et au mildiou, sans avoir besoin de recourir à la transgénèse, par des croisements d'hybridation avec des plants de vigne sauvage. Nous sommes en train de les déployer progressivement dans les bassins viticoles, avec beaucoup de prudence, pour que ces résistances ne se fassent pas contourner par des mutations de souche d'oïdium et de mildiou. Cela peut donc prendre du temps, mais si ce temps est laissé aux chercheurs et aux vignerons pour déployer ces variétés, il permettra d'atteindre 80 % de réduction de pesticide d'ici une quinzaine d'années.
L'Inra travaille par ailleurs sur l'impact des phytosanitaires, en partenariats avec l'Anses et les autres organismes de recherche. Un exemple marquant est notamment celui de l'impact des néonicotinoïdes sur la désorientation des abeilles, sur lequel une étude a été publiée en 2012.
Je souhaite enfin donner une autre perspective, car je trouve que nous sommes souvent confinés à une vision franco-française sur un sujet qui est mondial, mais surtout très européen. Nous essayons de porter ces problématiques au niveau européen avec nos partenaires de recherche. Nous sommes notamment en train de négocier un programme franco-allemand à présenter à l'Europe, qui permettrait de penser un système agricole compétitif, sans pesticide de synthèse.
M. Roger Genet , directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) . - Je rappellerais, pour présenter ce qu'est l'Anses, que l'agence agit avec une vision très intégrée de ses missions.
Nous sommes tout d'abord évaluateurs du risque : notre mission est d'évaluer l'ensemble des expositions auxquelles sont soumis les citoyens dans leur vie de tous les jours. On interroge généralement l'Anses lorsqu'on est dans des situations de grande incertitude par rapport à un risque. On procède alors, selon le principe de précaution inscrit dans le code de l'environnement par une évaluation de risque.
Les évaluations de risque sont faites grâce à différents métiers : la production de connaissances nouvelles, des missions en santé et bien-être animal, sécurité des aliments, protection de végétaux, des missions d'expertise et d'évaluation de risque dans tous les domaines (environnement, alimentation, travail, santé au travail), et enfin l'évaluation de tous les produits réglementés, hormis les médicaments pour l'homme. Toutes les autorisations de produits réglementés, phytopharmaceutiques, produits biocides, médicaments vétérinaires, dépendent aujourd'hui de l'évaluation de l'agence, qui apprécie à la fois leur efficacité et de leur innocuité.
Cette vision intégrée permet, si je prends l'exemple des abeilles, d'avoir d'un côté dans notre laboratoire de Sophia Antipolis des recherches sur la santé des abeilles et sur l'ensemble des facteurs, viraux, bactériens ou environnementaux, qui affectent et fragilisent leurs colonies, et de l'autre, l'évaluation des produits insecticides. Cette dernière permet de juger des risques qui sont afférents à leur utilisation, et délivrer le cas échéant des autorisations, lorsqu'on estime sur la base d'une évaluation scientifique extrêmement précise, que ces risques ne sont inacceptables ni pour l'applicateur, ni pour le riverain, ni pour l'environnement ou la santé des abeilles. C'est cette vision intégrée qui fait le modèle original de l'agence et sa capacité à faire des recommandations en prenant en compte l'ensemble des facteurs.
Depuis 2015, le ministère de l'agriculture nous a délégué la mission de délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques, qui a été suivi en 2016 de la mission de délivrance des AMM pour les produits biocides. Je rappelle que ce sont les mêmes substances actives que nous allons trouver dans l'ensemble de ces classes de produits réglementés (biocides, pharmaceutiques et autres produits réglementés). Nous voulons là encore avoir une vision très intégrée de l'impact sur la santé et sur l'environnement de ces substances contenues dans les produits réglementés. Ce sont des produits pharmacologiquement actifs, qui sont par essence toxiques à un moment ou à un autre sur un mécanisme biologique. La question est donc de savoir dans quelles conditions très précises d'usage, on peut autoriser ces produits. On travaille par conséquent, produit par produit, à lever le niveau d'incertitude, permettant au final d'autoriser un couple usage-produit pour chaque usage défini dans des conditions qui sont les plus sûres possible au regard des connaissances dont on dispose aujourd'hui.
Beaucoup de questions scientifiques sont sous-jacentes et nos scientifiques ne font pas seulement de la recherche mais contribuent également à améliorer les modèles d'évaluation de risque, dans le cadre d'un consortium européen, pour que les connaissances nouvelles et les modèles actualisés puissent immédiatement irriguer les processus d'évaluation mis en oeuvre. Ce sont des programmes que nous conduisons au niveau européen, sur les effets « cocktails » et les effets cumulés, pour essayer de réduire leur impact.
Je vous rappelle que pour les produits phytopharmaceutiques, la responsabilité de l'évaluation est une responsabilité partagée entre le niveau communautaire et le niveau national. Les substances actives contenues dans les préparations sont autorisées et homologuées au niveau communautaire, par l'ensemble des États membres. Les agences nationales font ensuite une évaluation mutualisée par zone. La France, à travers l'Anses, est souvent sollicitée pour donner des agréments sur la zone sud. Lorsqu'une substance est ré-homologuée au niveau européen, tous les pétitionnaires redéposent un dossier d'évaluation pour chaque produit, au niveau national et nous les réévaluons, en prenant en compte l'ensemble de leur composition, notamment pour les additifs, les adjuvants et les co-formulants. Nous avons la connaissance complète de la formulation qui est proposée lorsque nous procédons à l'évaluation qui conduit à une décision d'autorisation ou de retrait, dans le cas où les risques ne sont pas acceptables. Souvent la décision est mixte, puisqu'une partie seulement des demandes de l'industriel sur les usages réclamés est accordée.
Ces évaluations de risque reposent sur un triptyque pour l'agence : la qualité scientifique, une expertise indépendante et très ouverte puisque nous nous reposons sur 900 experts, venant d'établissements de recherche externes à l'agence, avec des règles de déontologie très précise, et enfin le dialogue avec la société, grâce à une gouvernance extrêmement ouverte aux parties prenantes.
Mme Karine Brulé, sous-directrice de la protection et de la gestion de l'eau, des ressources minérales et des écosystèmes aquatiques, ministère de la transition écologique et solidaire . - Je voudrais rebondir sur ce qui a déjà été évoqué et ce qui a été considéré comme des signaux faibles : l'effet des produits phytopharmaceutiques sur les pollinisateurs est désormais avéré. Remontons en 1939, quand le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) a été découvert, cela a valu à l'époque le prix Nobel de médecine à son découvreur et il a fallu quelques années pour également découvrir que c'était un pollueur organique persistant, ce qui a conduit à son interdiction. En 2013, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a produit une expertise collective faisant un état des lieux des effets des pesticides sur la santé. Cette étude a fait grand bruit à l'époque, parce que c'était assez douloureux à découvrir pour les agriculteurs. Si je reprends les données de 2014, on voit que dans 87 % des points d'eau de surface et 73 % des eaux souterraines, nous trouvons au moins un produit phytopharmaceutique ou son résidu. Enfin sur les 21 dernières années, 3 200 captages ont été abandonnés, notamment à cause des nitrates et des produits phytopharmaceutiques.
Pourtant les solutions existent, La France possède un écosystème riche en matière de recherche - développement et innovation, que ce soit de la recherche fondamentale très en amont jusqu'aux organismes en charge de l'évaluation opérationnelle des solutions retenues. Les sources financières sont variées en fonction des cibles, de l'ampleur des projets et des maîtres d'ouvrage.
S'agissant des seuls crédits mobilisés par l'Agence française pour la biodiversité (AFB), ils visent les solutions les plus opérationnelles possible. Les agences de l'eau, qui sont au sein des territoires cofinancent un certain nombre de projets, grâce des crédits européens du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC) dont les collectivités régionales assurent désormais la gestion.
Nous avons déjà évoqué le dispositif « DEPHY » qui, au travers du volet expérimental permet de proposer des solutions nouvelles, tandis que le volet ferme les déploie en grandeur nature. Ce sont près de 15 millions d'euros sur un total de 41 millions d'euros qui sont dédiés à ce dispositif.
Depuis 2009, et le programme ecophyto 1, de nombreuses actions structurantes ont permis de démontrer qu'il était possible de combiner des solutions pour arriver à atteindre les objectifs en matière de productions agricoles et de rentabilité des exploitations agricoles. Le principal défi est désormais de valoriser et déployer auprès du plus grand nombre d'agriculteurs les techniques et les systèmes économes et performants qui ont fait leurs preuves chez quelques-uns. La mobilisation de 30 millions d'euros spécifiques sur les budgets des agences de l'eau, en plus des 41 millions mobilisés par l'AFB et complémentaires aux actions d'ores et déjà mises en oeuvre par les agences de l'eau en matière de pollutions diffuses vise à atteindre cet objectif.
L'action 4 du plan Ecophyto 2 a dans ce sens une mesure phare, la mesure n° 4, qui vise à diffuser les bonnes pratiques inventées par les 3 000 agriculteurs des fermes DEPHY vers 30 000 agriculteurs qui vont les mettre en oeuvre. En effet, les chercheurs spécialistes du conseil de transition démontrent que l'échange entre pairs est fondamental, dans le cadre des groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) généralistes, ou des « groupes 30 000 » spécifiquement construits autour d'un projet de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques ou de tout autre forme de structuration. Ces structures permettent de privilégier des échanges croisés entre collègues sur les pratiques et les retours d'expérience.
La cohésion des filières territoriales est nécessaire pour concevoir collectivement des systèmes de production agricole plus respectueux des écosystèmes et en en tirant mieux parti, avec des sols et un environnement plus riches en biodiversité, elle-même utile à la production agricole.
Il est également nécessaire d'inscrire la production agricole dans un territoire qui valorise la production de qualité, minimisant son impact sur l'environnement. Les collectivités, les habitants des territoires ont donc un rôle clef à jouer dans l'accompagnement de ces nouveaux modèles agricoles. C'est en quelque sorte un investissement des « urbains » vers les « ruraux », avec des retours collectifs, par exemple en matière de qualité des captages d'eau et de diversité des paysages.
Nous assistons aujourd'hui à une cohérence des signaux pour une synergie des politiques : Les agriculteurs commencent à changer en profondeur, mais se heurtent à la frilosité de certains acteurs en amont et en aval et certaines technostructures doivent encore se mettre en ordre de marche pour accompagner résolument le changement.
Plusieurs politiques publiques donnent des signaux convergents, comme la politique de protection des captages prioritaires, le programme Ambition bio, mais aussi toutes les évolutions de la PAC, que ce soit le premier ou le deuxième pilier.
Aujourd'hui, l'annonce du plan d'actions pour réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytopharmaceutiques par quatre ministres, Nicolas Hulot, Agnès Buzyn, Stéphane Travert et Frédérique Vidal, est un signal fort.
Diverses dispositions du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous vont aussi dans ce sens, notamment dans son titre II. Nous aurons l'occasion de revenir sur un certain nombre de ces dispositions.
Sous des auspices aussi favorables, le plan Ecophyto 2+, qui vise à traduire le résultat de la concertation sur le plan d'actions pour réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytopharmaceutiques, et qui sera mis en consultation prochainement, devrait permettre l'accompagnement des systèmes agricoles français vers des pratiques réconciliant productions agricoles et respect des écosystèmes pour une agriculture plus résiliente, qui est pour nous la seule voie pour que cette agriculture puisse faire face à l'ensemble des changements qui l'attendent, qu'ils soient économiques ou climatiques.
M. Patrick Dehaumont , directeur général de l'alimentation (DGAL), ministère de l'agriculture et de l'alimentation . - Le débat sur les phytosanitaires est très vif. On ne peut que constater que notre modèle agricole, comme celui de beaucoup d'autres pays, est extrêmement dépendant de ces produits. Une vraie question de changement de ce modèle se pose. Cette dépendance est liée au contexte économique, à la volonté d'accroître la production et à la recherche de compétitivité, mais nous atteignons les limites de ce modèle : les inquiétudes sont fortes en matière d'atteinte à la biodiversité et les produits phytosanitaires portent une responsabilité en la matière. Nous avons par ailleurs de plus en plus de signaux en matière de santé environnementale et humaine. Plusieurs études sur les effets « cocktails » montrent que nous sommes exposés à une sorte de pression chimique, pas uniquement liée aux produits phytosanitaires, mais qui impacte fortement la santé des populations. On voit par ailleurs qu'en matière de maladies professionnelles, un certain nombre de pathologies sont reconnues en lien avec ces produits.
Il s'agit bien d'un sujet européen et mondial. Au niveau de l'Union européenne, la directive du 21 octobre 2009 demande aux États membres de mettre en oeuvre un cadre d'action pour une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. En France, on a développé sur cette base le plan Ecophyto. La France est d'ailleurs en ce moment entendue par la Commission européenne sur les conditions de mise en oeuvre de cette directive.
Un certain nombre d'actions ont été engagées par ce plan. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014 a notamment été l'occasion de porter des actions pour améliorer le dispositif en la matière. Mais on constate aujourd'hui qu'il faut aller plus loin, et c'est pourquoi le Gouvernement souhaite traiter le sujet de façon très volontariste. Les États généraux de l'alimentation (EGA) de l'an dernier ont précisément traité de la question d'une alimentation plus durable et plus saine. Ces réflexions se sont traduites par deux axes d'action : le plan d'actions sur les produits phytosanitaires et une agriculture moins dépendante aux pesticides, ainsi qu'un projet de loi qui va être examiné par votre commission la semaine prochaine.
Je voudrais souligner les quatre axes de ce plan d'actions : le premier axe consiste à s'intéresser de très près aux substances les plus préoccupantes pour la santé et pour l'environnement. Il nous faut améliorer notre capacité d'investigation scientifique et notre capacité à conduire des études ad hoc , ainsi qu'à faire évoluer la réglementation européenne, accélérer les calendriers et mettre en place des mesures pour éliminer les substances les plus préoccupantes. Le deuxième axe consiste en une meilleure connaissance des impacts, en prenant en compte les riverains ainsi qu'un certain nombre d'autres éléments techniques, pour mieux protéger et informer l'ensemble des acteurs, professionnels et citoyens. Le troisième axe consiste à amplifier la recherche et le développement pour trouver des solutions alternatives. Nous avons besoin d'une rupture pour faire évoluer les modèles agricoles et nous affranchir, autant que possible, de l'usage de ces produits. Le développement de la recherche permettra d'avancer en matière de reconception des systèmes, et de développer le biocontrôle, l'agronomie, la bonne utilisation des variétés et l'accompagnement des acteurs agricoles. L'exemple des fermes DEPHY est un bon exemple de la façon de faire du collectif, mais le sujet reste compliqué et cela va demander du temps. Le quatrième axe est le renforcement du plan Ecophyto 2, que nous aurons l'occasion de présenter aux parties prenantes dans les prochaines semaines. Nous aurons également l'occasion de faire une consultation publique sur ce plan pour recueillir l'ensemble des avis en la matière. Ce plan mobilise beaucoup d'acteurs et nous avons un certain nombre de groupes de travail sur des sujets comme le biocontrôle et la séparation de la vente et du conseil par exemple.
Je terminerais avec un point sur le projet de loi en cours de discussion pour rappeler qu'il prévoit, pour la partie sur l'alimentation saine et durable, un certain nombre de mesures sur l'usage des produits phytosanitaires tel que la séparation de la vente et du conseil, la suppression des remise-rabais-ristourne et le renforcement des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP).
M. Didier Marteau, membre du Bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), président de la Chambre d'agriculture de l'Aube. - Je suis agriculteur dans l'Aube. J'ai toujours été sensibilisé aux problèmes de réduction de produits phytosanitaires pour être compétitif. Je n'avais pas la possibilité d'avoir les meilleurs rendements. Dans le cadre de mon engagement à la FNSEA, nous avons mis en place le Forum agriculture responsable et environnementale (FARE). Également à l'APCA depuis une douzaine d'années, je suis en charge du dossier Ecophyto. J'ai contribué à sa mise place. Ce programme a d'ailleurs été maintenu par tous les gouvernements successifs. J'estime que ce serait une erreur d'y mettre fin.
J'aimerais vous expliquer quel rôle jouent les chambres régionales d'agriculture. Pour engager le plus grand nombre d'agriculteurs beaucoup de choses ont déjà été réalisées et beaucoup restent à faire. Nous considérons les participants d'aujourd'hui comme des partenaires, avec lesquels l'APCA a déjà créé des collectifs, avec l'ensemble des instituts techniques, l'INRA et les chambres d'agriculture, afin de développer des actions communes. Je citerai l'exemple des 3 000 fermes, dans le cadre de la cellule d'animation nationale (CAN) qui coordonne les différents acteurs, qui vivent des réalités différentes, selon la région, l'histoire ou les valeurs propres de chacun. Aujourd'hui, il existe 250 systèmes de culture économes et performants (SCEP). Plusieurs modèles de cultures ont été mis en place : des techniques culturales, mais aussi de nouveaux modèles développés et gérés par les instituts techniques. Il s'agit de systèmes, dans lesquels sont enregistrées l'ensemble des données culturales, ainsi que les données météorologiques. Ces systèmes permettent de savoir s'il est nécessaire ou non de traiter les cultures avec des produits. Par exemple, un modèle pour la pomme de terre permet aujourd'hui d'économiser entre 50 % et 70 % des interventions. Je citerai également le bulletin de santé végétale (BSV), mis en place depuis une dizaine d'années. Il permet aujourd'hui d'avoir un bulletin de santé dans chaque région, pour chaque culture et chaque filière. Il faudrait aller encore plus loin, de telle sorte que le bulletin devienne un relais de bonnes pratiques et un système permettant de rassurer. Il s'agit de savoir à partir de quand le risque est atteint, par exemple en présence de pucerons, dont le nombre, au-delà d'un certain seuil, entraîne un risque de jaunisse nanisante, et donc de pertes importantes pour les agriculteurs.
S'agissant du matériel, on trouve désormais du matériel de haute précision. Pour notre part, nous nous sommes beaucoup intéressés au matériel de pulvérisation, pour lequel il faut des moyens financiers et davantage de rigueur. Il y a également tous les robots, tels que les désherbants, mais aussi les drones d'observation, ou encore les capteurs sur les appareils à traiter. Nous espérons de grands progrès en matière de matériel dans les prochaines années.
Ensuite, nous pouvons proposer des solutions rassurantes et techniquement et économiquement viables. Cette année, dans ma région, 50 % des agriculteurs ont semé des colzas avec de la féverole. Certains n'ont pas compris l'intérêt de la féverole, qui a un double intérêt : d'une part, c'est une légumineuse qui apporte de l'azote au sol, et, d'autre part, elle constitue un répulsif contre les attaques de charançons. Le résultat est plutôt positif et nous avons pu nous affranchir d'insecticides à l'automne.
Par ailleurs, les mesures de formation peuvent encore progresser, qu'il s'agisse de la formation générale dans les lycées agricoles, où on ne sensibilise pas assez à l'agro-écologie et à l'écologie, ou de la formation continue : j'ai du mal à trouver des conseillers qui aient une formation pointue sur l'agro-écologie. Je rappelle que nous avons été les premiers à mettre en place le certiphyto , que 550 000 agriculteurs ont déjà passé. La communication est bien entendu indispensable. Nous manquons parfois de relais face aux rumeurs.
S'agissant du rôle des chambres, celles-ci sont au coeur du territoire. Nous produisons un conseil effectif. La seule fiscalité n'est pas suffisante pour rémunérer la quinzaine de techniciens de la chambre d'agriculteurs de l'Aube, a fortiori du fait de la diminution des recettes fiscales. Il est donc nécessaire que les agriculteurs contribuent directement pour obtenir un conseil ou un avis objectif. Sur 3 000 agriculteurs dans l'Aube, environ un millier sont contributeurs directs.
Enfin, il est important pour nous que le public sache que les agriculteurs améliorent leurs cultures en permanence, et que chacun s'implique, en amont comme en aval.
M. Hervé Maurey , président . - Merci pour toutes ces interventions. Je vais laisser maintenant les membres de la commission poser leurs questions en donnant tout d'abord la parole à Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de notre commission sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable.
M. Pierre Médevielle . - Je me réjouis d'entendre que des progrès sont réalisés. En matière de produits phytosanitaires, on sort d'une crise importante, compte tenu des dysfonctionnements concernant le glyphosate. Toutefois, il me paraît difficile d'imaginer un monde sans produits phytosanitaires : je crois qu'il existera toujours des maladies fongiques, des maladies bactériennes et des insectes. Il faut rester prudent et garder une pharmacopée suffisante, de façon à pouvoir réagir en cas d'invasion. Une approche progressive me paraît donc beaucoup plus pertinente. Ma première question s'adresse à M. Mauguin : quelle est votre position sur les plantes dites NBT ( New Breeding Techniques ) ? Celles-ci présentent un intérêt : elles consomment moins d'eau, sont plus résistantes à certaines agressions et conduisent donc à réduire la consommation de produits phytosanitaires. Selon vous, doit-on les catégoriser comme organismes génétiquement modifiés (OGM) ? Ma deuxième question s'adresse à Mme Brulé et concerne les ressources en eau. À quand fixez-vous la survenance de difficultés d'approvisionnement pour l'agriculture ? Enfin, ma troisième question s'adresse à M. Dehaumont. Sur la séparation entre vente et conseil, j'estime que la moralisation des pratiques commerciales est une bonne chose, mais je regrette que cela se fasse au détriment des agriculteurs qui verront leurs revenus affectés en bout de chaîne. Je ne vois pas encore comment ce conseil fonctionnera concrètement, sachant qu'il n'existe pas d'autorité produisant des recommandations indépendantes comme une Haute autorité de santé pour les plantes.
Mme Nicole Bonnefoy . - Je remercie tous les intervenants pour leur présence, ce matin et la qualité de leurs interventions. On voit bien que des changements sont possibles, même s'ils ne sont pas simples. En 2012, le Sénat a remis un rapport d'une mission d'information de sept mois, dont j'ai été la rapporteure. Ce rapport émettait une centaine de recommandations, dont un grand nombre a déjà été mis en oeuvre dans la loi agricole de 2014. Des dispositifs importants existent aujourd'hui, tels que le suivi des produits après autorisation de mise sur le marché, et la nécessité d'organiser un système de phyto- pharmacovigilance sur le territoire national. Ce système permet une production permanente d'informations au service de l'évaluation des risques, de la mise sur le marché des produits, et des missions de surveillance de l'Anses. J'ai lu avec attention le rapport d'activité 2016 de l'Anses, dont une partie concerne ce système qui monte en puissance. Pourriez-vous développer davantage, nous dire où vous en êtes, ainsi que l'intérêt de ce dispositif ? J'ai noté que les effets constatés, qui remontent du terrain sont variés, qu'il s'agisse de phyto-toxicité sur les vignes, de décès après ingestion pour mésusage ou de suspicion de cancer pédiatrique à proximité des zones agricoles. Une proposition de loi, dont je suis l'auteur, a été examinée et votée au Sénat au début du mois de février. Elle vise, d'une part, la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes des produits phytosanitaires, et, d'autre part, une indemnisation juste, intégrale, et non forfaitaire. Pour vous, ce fonds d'indemnisation va-t-il apporter quelque chose de nouveau en termes de remontée de données sanitaires ? Enfin, on peut retirer certains produits pour telle utilisation en agriculture et le retrouver dans d'autres utilisations. Pourquoi ? Est-ce possible, à la fois de le retirer dans l'agriculture et ne pas le retrouver dans l'alimentation ? Sur la séparation du conseil et de la vente, je précise qu'il s'agissait d'une recommandation de la mission d'information de 2012. Je connais les difficultés de cette séparation. Comment le ministère, l'INRA et l'ANSES voient-ils cette séparation ? Pour ma part, je pense qu'il ne s'agit pas d'un conseil, mais plutôt d'un accompagnement de l'agriculteur. Cette forme d'accompagnement doit être globale et indépendante pour les aider à sortir du système dans lequel ils se sont enfermés.
M. Jean Bizet . - Tout d'abord, je voudrais remercier et féliciter l'ensemble des intervenants qui ont très clairement souligné que la question qui nous préoccupe aujourd'hui relève d'une responsabilité partagée entre les différents intervenants et les instances communautaires. Nous sommes dans un marché unique, et donc toute décision unilatérale d'un État membre peut faire plaisir à certains, mais ne résout pas le problème. Cela expose les agriculteurs français à des distorsions de concurrence.
Je constate que lorsqu'on parle de bien-être animal, on est obligé de légiférer avec l'autorité morale de Madame Brigitte Bardot, et lorsque l'on parle de produits phytosanitaires, c'est avec l'autorité de morale de Madame Michu, ce qui est peu désagréable et, au fil du temps, cela devient extrêmement difficile. Ma première question s'adresse à M. Genet : comment peut-on améliorer la communication entre l'autorité européenne et les différentes agences nationales ? C'est une question que nous avons abordée avec le commissaire européen. Jusqu'à maintenant, on est plutôt dans la cacophonie que dans l'harmonie de la communication et ceci entraîne une perturbation dans l'acceptation sociétale. Je pense que l'on pourrait trouver une solution. Il n'est pas question d'imaginer priver l'ANSES de toute communication mais les différentes agences pourraient peut-être mieux coordonner leur communication. J'ai une deuxième question : similaire à celle de notre collègue Pierre Médevielle, sur le classement des New Breeding Techniques . Monsieur Mauguin a précisément et justement dit que la solution serait pour partie la combinaison de techniques agronomiques, d'une meilleure utilisation du bio-contrôle et de la génétique. Or, l'Europe, et la France en particulier, a une occasion unique d'autant plus que cette technologie a été inventée par une Française, Emmanuelle Charpentier. Si nous ne saisissons pas cette chance, la France perdra la deuxième place qu'elle a encore aujourd'hui au niveau mondial en ce qui concerne l'activité semencière. En matière de communication, j'ai le sentiment que les sociétés anglo-saxonnes s'en tirent beaucoup mieux que la société française sur ces sujets. Il y a peut-être matière à s'inspirer de leurs pratiques. Chacun se souvient, en 2012, de la manipulation médiatique grossière qui avait été orchestrée par M. Séralini et Mme Lepage, sur la dangerosité de certains OGM. La Commission avait réagi à des manipulations sur des rats devenus difformes. Pourtant, des analyses ayant coûté 15 millions d'euros, ont démontré l'innocuité de ces produits. Or, il n'y a eu aucune communication sur ces résultats.
M. Jérôme Bignon . - Merci aux intervenants pour la richesse et l'extrême intérêt de leur présentation. J'ai une question à M. Mauguin sur le problème d'une innovation de rupture. On constate qu'il est facile d'atteindre 10 %, possible d'atteindre 30 %. Que signifie la reconception nécessaire à un objectif de 50 % ou davantage ?
Pour la question de l'agronomie, du biocontrôle et du contrôle génétique, quelles perspectives et quel délai peut-on envisager pour la combinaison de ces trois points ? Je suis enthousiasmé par l'idée d'une coopération franco-allemande, mais pourquoi le fait-on seulement maintenant, alors que l'on s'aperçoit par exemple sur le climat que c'est grâce aux 10 000 experts du GIEC qu'on a réussi à régler les problèmes de conviction de la société civile ? La démonstration scientifique du GIEC a fait sa force. Je pense qu'il faudrait élargir le spectre, car le problème des produits phytosanitaires n'est pas national, il est mondial !
Monsieur Genet, vous avez évoqué un triptyque dont deux des fondements seraient la science et l'expertise : quel est le troisième ? Vous avez également abordé l'important problème de la gouvernance. Certes, les choses évoluent, mais pas de manière assez coordonnée : plutôt que de pointer du doigt les agriculteurs, aidons-les à avancer vers d'autres pratiques.
Enfin, quel est le quatrième ministère concerné par ce sujet, aux côtés du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère des solidarités et de la santé ?
Mme Karine Brulé. - Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
M. Jérôme Bignon . - Comment ces ministères travaillent-ils ensemble ? Par ailleurs, je suis surpris que le ministère des outre-mer ne soit pas associé. Nos territoires ultramarins font pourtant face à de gros problèmes phytosanitaires - je pense notamment au chlordécone.
M. Claude Bérit-Débat . - Comme M. Bignon, je m'interroge sur les objectifs : nous atteindrons facilement 30 % de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires en combinant des solutions agronomiques, le biocontrôle et la génétique... mais quid du reste ?
Par ailleurs, les expérimentations génétiques menées aujourd'hui sur la vigne pourraient-elles être rapidement étendues à d'autres plantes ?
Concernant la mortalité des abeilles, ses causes sont évidemment multifactorielles. Que peut-on faire pour l'apiculture, filière durement touchée dans plusieurs régions ? Je pense notamment à la Dordogne, où l'on atteint 75 % de mortalité dans les ruches.
M. Rémy Pointereau . - Je félicite à mon tour les intervenants. Ma question concerne le glyphosate. Cette substance a été mise sur le marché en 1974 sous le nom de Roundup . Présenté comme un produit innovant, un véritable « produit-miracle » - pas de rémanence, pas d'impact sur le gibier -, il a rendu de grands services aux agriculteurs et viticulteurs. Il a permis de simplifier l'agriculture en supprimant les labours, et de diviser par trois le nombre de passages pour le travail du sol et le nombre d'herbicides épandus.
Le monde agricole traverse une crise sans précédent : il va falloir nourrir 2 ou 3 milliards d'êtres humains, la France n'est plus leader européen et perd chaque année des parts de marché, il n'existe aucun produit de substitution... Alors, oui ou non, le glyphosate est-il cancérogène ? La recherche permettra-t-elle d'avoir des produits de substitution d'ici 3 ans ?
M. Guillaume Gontard . - Le lien entre la mortalité des abeilles et l'utilisation des produits phytosanitaires a été largement abordé, et je souhaite rappeler à cette occasion qu'une journée de mobilisation nationale en soutien aux agriculteurs est organisée demain.
Depuis 2012, un décret reconnaît la maladie de Parkinson comme une maladie professionnelle. Le lien de causalité entre cette pathologie et l'usage des pesticides a été clairement établi, et serait dû aux métaux lourds comme l'arsenic et le benzène, que l'on retrouve dans les adjuvants des herbicides.
Contrairement à l'Organisation mondiale pour la santé (OMS), l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a conclu à l'innocuité du glyphosate, n'a pas inclus dans son étude l'analyse des adjuvants... Cela pose la question de la procédure d'agrément des produits phytosanitaires : aujourd'hui, lors de la demande d'autorisation de mise sur le marché, les fabricants peuvent, au nom du secret industriel, refuser de dévoiler la nature chimique des différents formulants, se contentant d'affirmer qu'ils sont inertes. Peut-on réellement mener des études sérieuses si tous les composants du produit ne sont pas analysés ?
M. Éric Gold . - La politique est souvent affaire de symboles ; le glyphosate, lui, est une affaire de spécialistes. Les débats prennent souvent la forme d'affrontements, souvent stériles, entre « pro » et « anti ».
Les scientifiques et les professionnels se sont exprimés sur leurs contraintes et leurs avancées, mais on ignore trop souvent le dernier maillon de la chaîne, le consommateur, qui perd peu à peu confiance dans la qualité des produits. Or, aujourd'hui, le désir - légitime - du consommateur de bien manger, met la filière sous pression. Dans les pays anglo-saxons, cela a été dit, les actions de communication ont été bien acceptées. Comment regagner la confiance de nos consommateurs dans les produits ayant fait l'objet de traitement phytosanitaire ? Quelles obligations nous incombent en matière d'information ?
Mme Angèle Préville . - Je remercie à mon tour tous les intervenants pour les informations qu'ils ont fournies.
Nous sommes de plus en plus alertés sur les risques que l'utilisation de produits phytosanitaires fait peser sur la biodiversité : la mort des abeilles, la disparition d'espèces d'oiseaux, celle de 90 % de la population de vers de terre... Hubert Reeves a lancé un cri d'alarme à ce sujet : les vers de terre sont indispensables pour que la terre soit cultivable et puisse produire.
Vous avez tous souligné qu'il fallait agir plus vite : que devons-nous faire ? Je suis consciente du besoin d'accompagnement des agriculteurs : que font concrètement les chambres d'agriculture pour les aider à faire évoluer leurs pratiques ? Je m'interroge également sur la formation dispensée dans les lycées agricoles : y a-t-il véritablement une matière obligatoire sur ces sujets ? Si ce n'est pas le cas, il faudrait absolument la mettre en place.
Enfin, concernant le glyphosate, je me suis rendue lundi à la station expérimentale Noix du sud-ouest, à Creysse, dans le Lot. On m'y a présenté les résultats d'une étude menée depuis 10 ans sur l'inter-rang entre les noyers. Celle-ci a établi qu'un inter-rang enherbé permettait d'obtenir une qualité de noix et une productivité identiques à celles obtenues avec des traitements au glyphosate. C'est une piste très intéressante, j'espère qu'elle sera largement diffusée et que nous pourrons abandonner rapidement le recours au glyphosate sur la culture de la noix.
Mme Marta de Cidrac . - Les propos des intervenants sont particulièrement éclairants et nous permettent de mieux comprendre les sujets difficiles comme le glyphosate. L'être humain a besoin de respirer, de se nourrir, de dormir : c'est dire si le sujet qui nous réunit ce matin est important.
Monsieur Genet, lorsque vous avez présenté le rôle de l'Anses dans la prévention des risques, vous avez utilisé le terme « inacceptable » pour un certain nombre de produits. Quels critères permettent évaluer ce degré « d'inacceptabilité » ? Qui les définit ? Vous avez précisé que l'évaluation des risques était partagée entre l'espace communautaire et l'espace national : quel est le poids de chacun des acteurs ? Sous quelle forme ces contraintes seront-elles appliquées sur le territoire ?
Mme Brulé et M. Marteau ont indiqué que 3 000 fermes expérimentales DEPHY étaient aujourd'hui réparties sur le territoire. À quel horizon l'objectif de 30 000 fermes sera-t-il atteint ? Est-ce un chiffre à terme ou envisagez-vous d'autres phases de déploiement ? Quelle part de la production ces 30 000 fermes représenteront-elles ?
M. Olivier Jacquin . - Permettez à l'agriculteur que je suis de commencer par une remarque : on peut supporter presque toutes les contraintes nouvelles à condition qu'il n'y ait pas de distorsion de concurrence vis-à-vis de nos partenaires européens. Il est insupportable que, dans le cadre d'accords internationaux, nos agriculteurs soient mis en concurrence avec des produits que ne supportent pas les mêmes contraintes.
Ma première question s'adresse au directeur de l'Inra : vous l'avez indiqué, il existe des pistes intéressantes autour du biocontrôle et de l'agronomie. Dans quelle mesure pourriez-vous contractualiser avec la sphère publique pour que chaque million d'euros investi soit destiné à la recherche de solutions nouvelles ?
Ma deuxième question s'adresse à l'APCA : la séparation du conseil et de la vente n'est-elle pas une fausse bonne idée ? Cette séparation pourrait être contournée de mille manières différentes par les lobbies, qui pourraient par exemple prodiguer des conseils par l'intermédiaire de filiales. Renforcer la responsabilité des acteurs n'est-elle pas un moyen mois spectaculaire mais plus sûr ? Je pense par exemple aux travaux de la coopérative Terrena qui sont exemplaires en la matière.
Ma dernière question est destinée aux représentants de l'Anses : la problématique de la qualité sanitaire de produits labélisés « bio » est régulièrement soulevée à partir de quelques cas certes avérés, mais peu importants. Pourriez-vous relativiser cette information, que je considère comme une campagne de mauvaise foi contre les produits bio ?
Mme Nelly Tocqueville . - J'aurais souhaité poser une question au ministère de la santé mais, comme il n'est pas représenté, je m'adresserai aux représentants de l'Anses.
La sonnette d'alarme avait été tirée dès 1962 par une chercheuse américaine, Rachel Carson, sur les conséquences de produits phytosanitaires pour les agriculteurs. Ce n'est donc pas une inquiétude nouvelle.
Aujourd'hui se pose le problème de la reconnaissance, pour les agriculteurs, des maladies professionnelles liées à l'usage des pesticides. Il y a deux ans, j'ai été membre de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air. Nous avions auditionné des représentants de la Mutualité sociale agricole (MSA) qui nous avaient alertés sur l'augmentation du nombre de malades ainsi que sur le coût potentiel de l'indemnisation des agriculteurs malades présents ou à venir.
La question se pose d'une prise de conscience par le public, mais aussi par les agriculteurs eux-mêmes, des conséquences de l'usage de produits phytosanitaires. La ministre de la santé s'est exprimée de façon curieuse en se disant défavorable à la création d'un fonds d'indemnisation pour les agriculteurs victimes de pathologies liées aux pesticides. Cela a été mal compris, d'autant plus nous disposons aujourd'hui des connaissances et expertises de l'Inserm, de l'Anses et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur ce point. Comment expliquer cette divergence entre ces expertises et les propos de la ministre ?
M. Guillaume Chevrollier . - On voit bien qu'en France, la question des produits phytosanitaires suscite de vifs débats. Si l'on ne veut pas rajouter de normes et de contraintes sur nos agriculteurs, il faut que ces questions soient traitées au niveau européen, et même mondial. Les agriculteurs français ont déjà fait beaucoup d'efforts : ils utilisent des alternatives aux pesticides et développent de nouvelles approches agronomiques.
Vous l'avez dit, l'utilisation des produits phytosanitaires a diminué de 30 %. Or pourtant, on constate une perte importante de biodiversité. Comment expliquer cela ? Comment permettre aux agriculteurs, à travers le renouvellement du modèle agricole, d'atteindre l'objectif d'une diminution de 50 % de l'utilisation des produits phytosanitaires ?
M. Benoît Huré . - Je remercie les intervenants pour la qualité, la complémentarité, et je dirais même, la synergie de leurs interventions. Cela est rassurant !
Comme mon collègue Jérôme Bignon, je me demande si nous ne devrions pas créer l'équivalent d'un « GIEC » pour les produits phytosanitaires. Car si la France doit bien entendu s'emparer de ce sujet, il faut le faire avec humilité car nous ne représentons que 0,6 % des terres arables mondiales. Si nous voulons réussir cette transition agricole et engager une rupture technologique, il faut donc porter cette question au-delà des frontières de l'Union européenne.
Derrière la question de la pratique de l'agriculture, se pose également le problème des distorsions de concurrence, qui sont flagrantes en l'absence de règles harmonisées.
Parmi les enjeux pour les prochaines décennies, il faudra que nous augmentions notre production alimentaire de 70 % en raison de la croissance démographique, tout en tenant compte du changement climatique et de la raréfaction des terres agricoles. Il est important de démontrer, comme l'a fait Didier Marteau, que les nouvelles pratiques ne sont pas incompatibles avec la rentabilité. Il faut également accepter de conduire des expérimentations avant de passer à leur généralisation.
Il faudra continuer à avancer tout en acceptant le postulat selon lequel les plantes ont, comme les êtres humains, besoin de médication à certains moments de leur existence.
Je souhaiterais également que nous ne nous privions d'aucune opportunité, en particulier s'agissant de la recherche sur les OGM, qui peuvent être prometteurs et permettre de consommer moins d'eau et de produits pharmaceutiques, tout en présentant des niveaux de productivité intéressants.
Il faut aussi avoir à l'esprit que les nouvelles pratiques agricoles engendrent des coûts de production différents. Cela pose la question de savoir à quel niveau le consommateur est prêt à payer ce qui résulte de la production agricole, c'est-à-dire son alimentation.
Enfin, je vous remercie d'avoir dit que les premières victimes d'un usage incontrôlé des produits phytosanitaires sont ceux qui les utilisent, c'est-à-dire les agriculteurs.
M. Joël Bigot . - Je remercie les intervenants pour la qualité et la complémentarité de leurs propos.
L'Inra et l'Anses ont récemment communiqué sur les produits de biocontrôle. Ils identifient la lutte biologique comme l'alternative la plus prometteuse aux insecticides comme les néonicotinoïdes, qui seront interdits à compter du 1 er septembre 2018. Or, les techniques de bio-contrôle ne représentent actuellement que 5 % des méthodes utilisées.
Vous avez indiqué, Monsieur Mauguin, qu'il faudrait environ dix-huit ans pour convertir le vignoble français afin qu'il produise au niveau des exigences environnementales attendues.
Dans la perspective de l'examen prochain du projet de loi sur l'alimentation, nous recevons de nombreux amendements visant à améliorer l'information des consommateurs. Ceux-ci sont inquiets pour leur santé et celle de leurs enfants, et souhaiteraient connaître le traitement qui a été appliqué aux fruits et légumes qu'ils consomment.
Malgré tous les plans de réduction de l'usage d'intrants, les volumes ne baissent pas en France : 66 000 tonnes sont utilisées chaque année, ce qui représente deux kilos par hectare en moyenne.
Aujourd'hui, il existe une « convergence des luttes » entre les agriculteurs, qui souhaitent s'engager dans une agriculture raisonnée, et les consommateurs, qui souhaitent savoir ce qu'ils ont dans leur assiette. Il faut saisir cette opportunité, tout en ayant conscience des contraintes économiques qui s'imposent à nous.
Pourriez-vous nous donner plus de précisions sur le plan Ecophyto 2 ? Il semble qu'il fasse l'objet d'une appréciation contradictoire, parfois au sein même de la majorité à l'Assemblée nationale.
M. Hervé Maurey , président . - Avant de répondre à ces différentes questions, je propose aux intervenants de revenir sur deux sujets qui sont au coeur de l'actualité : le rapport de l'Anses relatif aux néonicotinoïdes et à leurs alternatives, d'une part, sachant que le Gouvernement est susceptible de prendre des arrêtés pour accorder des dérogations à l'interdiction prévue au 1 er septembre 2018, et la question du glyphosate, de sa dangerosité et de ses éventuelles alternatives, d'autre part.
M. Roger Genet . - S'agissant de l'usage des néonicotinoïdes, je commencerai par rappeler qu'il y a eu une augmentation de l'usage des produits phytosanitaires en parallèle d'une diminution du nombre de substances actives disponibles.
Le nombre de substances actives autorisées au sein de l'Union européenne est passé, entre 2008 et 2017, de 425 à 352, dont 75 substances de bio-contrôle. S'agissant des autorisations de mise sur le marché, nous sommes passés de 3 036 autorisations en 2008 à 1 930 en 2017 en France, soit une diminution de 30 %. Parmi les substances autorisées actuellement, 20 % sont des produits de bio-contrôle, alors qu'ils ne représentent que 5 % des usages, ce qui doit nous interroger. Nous avons délivré, en 2017, 40 AMM pour des produits de biocontrôle, et nous avons cette année reçu 17 nouvelles demandes pour ces produits sur un total de 156 demandes.
Par ailleurs, s'agissant des alternatives chimiques, il y a beaucoup moins de substances disponibles dans la pharmacopée. Les usages augmentant, on utilise davantage certains produits qui ne sont pourtant pas forcément les moins dangereux.
Mme Françoise Weber, directrice générale adjointe de l'Anses . - Le rapport de l'Anses sur les néonicotinoïdes avait trois objectifs : identifier les alternatives chimiques et non-chimiques, c'est-à-dire agro-écologiques, physiques ou culturales, aux usages des néonicotinoïdes - nous avons identifié 130 usages différents ; comparer les risques des différentes alternatives chimiques existantes pour la santé humaine, les pollinisateurs, les organismes aquatiques, et les milieux comme l'air et l'eau ; et évaluer l'impact sur l'activité agricole de l'interdiction des néonicotinoïdes et du recours aux alternatives.
Sur le premier volet, nous avons montré qu'il existe des alternatives à la fois chimiques et non-chimiques pour plus de 80 % des usages de produits néonicotinoïdes. Nous avons identifié six usages pour lesquels il n'existe aucune alternative, et des usages pour lesquels il existe soit une seule alternative chimique, soit plusieurs alternatives chimiques appartenant à la même famille de substances, ce qui dans les deux cas présente un risque de résistance élevé.
Nous nous sommes concentrés sur les alternatives immédiatement opérationnelles au moment de l'interdiction des néonicotinoïdes, c'est-à-dire en 2018, puisque cet avis devait fonder la délivrance éventuelle de dérogations. Nous n'avons pas fait de prospective, et nous n'avons pas évoqué certains usages en cours d'expérimentation ou qui ne sont pas encore utilisés sur le terrain.
Dans nos conclusions, nous soulignons qu'aucune méthode n'assure à elle seule une efficacité suffisante pour remplacer les néonicotinoïdes, mais qu'il faut privilégier une combinaison de méthodes, dans une approche intégrée, comme cela a été rappelé par plusieurs intervenants. Nous soulignons également le risque de résistance accrue aux autres substances chimiques.
L'exploration de la littérature ouvre des perspectives en matière de recherche et d'accompagnement technique des agriculteurs qu'il s'agit maintenant de mettre en oeuvre. Nous recommandons d'accélérer la mise à disposition de pratiques respectueuses de l'environnement.
S'agissant du troisième volet relatif à l'impact sur l'activité agricole des alternatives, l'évaluation a été difficile à mener car nous ne disposons pas de référentiels et qu'il n'existe que peu de données. Nous n'avons donc pas répondu de manière exhaustive à la demande mais, avec l'aide de l'Inra et de FranceAgrimer, nous avons quand même donné quelques informations permettant de mesurer l'impact sur l'activité agricole de l'interdiction des néonicotinoïdes.
M. Patrick Dehaumont. - Nous parlons beaucoup de l'interdiction des néonicotinoïdes et des dérogations éventuelles qui pourront être accordées pendant une période transitoire afin de gérer les impasses techniques.
Il est vrai que le réveil est difficile, mais cela fait déjà cinq ans que nous savons que ces produits sont condamnés en raison de leur rémanence et de leurs effets sur l'environnement. L'étude de l'Inra sur le thiaméthoxam publiée en 2012 avait fait beaucoup de bruit. La France était alors partie seule au combat au niveau européen pour demander la réalisation d'études complémentaires. Le résultat c'est que, au-delà de la loi biodiversité de 2016, qui a conduit à interdire les néonicotinoïdes, l'Europe vient de retirer trois de ces molécules du marché. La France a donc été en avance et a emmené l'Europe avec elle. D'autres substances ne sont pas dans cette liste, par exemple le thiaclopride, très utilisé sur les cultures de maïs, alors qu'il s'agit pourtant d'un produit cancérogène et perturbateur endocrinien. Comment envisager que des dérogations soient accordées pour de telles substances, quand bien même nous ferions face à une impasse technique ?
Sur certaines productions, les agriculteurs rencontrent des difficultés. La délivrance de dérogations va être complexe, car certaines molécules sont interdites au niveau européen, tandis que d'autres peuvent avoir des effets toxiques significatifs.
M. Philippe Mauguin. - S'agissant du glyphosate, nous avons été chargés par les ministères de l'agriculture, de l'environnement, de la santé et de la recherche de réaliser, dans un délai d'un mois, une synthèse sur les usages et les alternatives existantes.
Nous avons passé au crible les 9 200 tonnes de glyphosate utilisés par l'agriculture française pour comprendre quels types d'usages prévalaient, sur quelles cultures, et pour identifier les alternatives existantes.
En substance, nous avons montré qu'il existait des alternatives dans un certain nombre de cas. Dans d'autres cas, nous avons considéré qu'il existait des impasses lorsque nous n'avons pas pu trouver de solutions autres que le désherbage manuel.
Les situations d'impasses totales représentent 15 % des volumes de glyphosate consommés. On y retrouve par exemple l'agriculture de conservation des sols, qui fait du semis sous couvert et qui intervient peu sur les sols. Dans ce cas, il n'y a pas de possibilité de faire du désherbage mécanique ou de procéder à un enfouissement par le labour. On retrouve également le cas particulier de la viticulture en terrasses, où il est difficile d'intervenir de façon mécanique, de même que les cultures légumières et les cultures de semence, qui ont des cahiers des charges précis qui interdisent toute mauvaise herbe, afin d'éviter celles qui ont un caractère toxique comme les curares.
Pour les autres usages, des solutions existent comme le désherbage mécanique et l'utilisation accrue des couverts végétaux.
Ce que montre le rapport, c'est qu'il n'y aura pas une seule solution alternative. Il ne faut pas se bercer d'illusions : le glyphosate est un herbicide total extrêmement efficace et bon marché ; cela fait depuis 1974 que les entreprises multinationales cherchent une alternative à ce produit, sans succès. Il n'y aura donc pas une seule solution qui pourra s'appliquer à toute l'agriculture. Il faudra combiner plusieurs alternatives. La question qui se pose c'est combien cela coûte, et comment on procède pour permettre, pour chacun des systèmes de production, de développer dans les trois ans des solutions alternatives. Nous sommes prêts à appuyer ces démarches, en mobilisant nos chercheurs et nos unités expérimentales, en lien avec les instituts techniques et l'APCA.
Quelles solutions peut-on trouver pour l'agriculture de conservation des sols ? Les agriculteurs engagés dans cette agriculture nous interpellent, puisque leurs pratiques sont effectivement favorables à la conservation des sols, des vers de terre, des carabes et, plus généralement, de la microbiologie. Mais comment faire sans glyphosate ? Nous avons tenu cette semaine un séminaire de travail avec plus de 180 agriculteurs et chercheurs sur cette problématique. Nous allons continuer d'y travailler.
Mme Karine Brulé. - Je vous remercie d'avoir fait le constat de la synergie qui existe entre nous. C'est important que nous donnions le sentiment d'avancer tous ensemble.
Ma vie professionnelle a été bercée par la recherche de la nouvelle « bonne solution ». Lorsque le DDT a été découvert, il était vu comme la solution permettant de mettre fin à l'usage de produits très toxiques à base de cyanure ou de mercure, jusqu'à son interdiction en 1962. Les organophosphorés et les organochlorés qui l'ont remplacé se sont eux aussi révélés non compatibles avec les exigences de la société.
En matière d'insecticides, Les pyréthrinoïdes ont également été vus comme une solution « miracle », puisqu'ils étaient basés sur une substance naturelle issue d'un géranium, avant que l'on se rende compte qu'ils étaient extrêmement toxiques pour la faune aquacole. Les « champions » qui ont suivi les pyréthrinoïdes s'appellent... les néonicotinoïdes. Quelle que soit l'excellence de la recherche, nous ne sommes plus dans un monde où une seule solution technologique est possible. Nous sommes dans un monde systémique. Certains ont évoqué la puissance de la biodiversité : nous devons mobiliser la recherche autant sur les solutions technologiques que sur les solutions qu'apportent les écosystèmes comme les vers de terre et la gestion quantitative des zones humides.
Après la seconde guerre mondiale, nous avons demandé au monde agricole de produire de façon simple et efficace. Aujourd'hui, nous lui demandons de produire de façon compliquée. Il est donc normal qu'il y ait des résistances au changement, mais nous sommes tous là pour donner ce signal et pour accompagner ces transformations.
M. Didier Marteau : Il faudra en effet du temps. Aujourd'hui je considère qu'un tiers des agriculteurs sont déjà engagés qu'un tiers regarde ces sujets avec beaucoup d'attention, et que le dernier tiers n'est pas encore prêt à s'engager. C'est donc à nous de convaincre.
Il faut également considérer la qualité finale. Par exemple lorsque j'ai vidé ma benne à blé, j'ai eu huit contrôles, qui ont chaque fois été négatifs. D'où l'intérêt de cahiers des charges très strict, sinon ça ne passe pas, et parfois ça ne passe même pas au niveau de la commercialisation.
À propos du fonds d'indemnisation, je préfère évidemment qu'il n'y ait pas de victimes, et je me bats tous les jours pour ça. Sensibilisons les agriculteurs ! Ils n'ont pas été sensibilisés à mon époque, nous n'avions aucune formation sur le risque. Nous avons utilisé du glyphosate et du DDT, mais pas seulement dans l'agriculture. Nous utilisions le DDT dans les cheveux contre les poux pour les enfants et on nous a dit que le glyphosate était un produit que l'on pouvait même utiliser dans l'eau. Il n'y avait d'ailleurs pas de taxe au départ.
En termes de volume, il faut également avoir à l'esprit que le glyphosate représente un litre à l'hectare pour les agriculteurs. Si on le remplace par le désherbage ou du binage, on va augmenter la consommation de fuel et je ne suis pas sûr que le bilan carbone soit meilleur.
Je ne suis pas sûr que la réduction des molécules soit une bonne chose, comme les OGM. Je me suis également battu pour les OGM, pour avoir des résistances naturelles. Aujourd'hui la réduction de molécules implique que nous utilisions de plus en plus la même molécule. Or, il faut prendre en compte les équilibres.
À propos du conseil, la séparation du conseil et de la vente est en effet importante. On pourra dire que les chambres d'agriculture sont gagnantes parce qu'elles n'ont pas d'intérêt à vendre. C'est vrai, mais aujourd'hui on remarque que c'est davantage la qualité qui est en jeu, et c'est également ce qui est recherché par les acteurs économiques.
À propos du bio, je connais des agriculteurs qui ont perdu leur marché auprès des acteurs de la distribution car ceux-ci sont partis acheter en Espagne. Or les Espagnols appliquent certes le même règlement, mais ne subissent pas autant de contrôles. Certains agriculteurs vont même produire là-bas pour être tranquilles. C'est la même chose sur les importations, on interdit les OGM mais on utilise du soja OGM. La distorsion de concurrence est grave et elle est en train de mettre l'agriculteur français en difficulté.
Le fipronil dont on a parlé est un bon exemple : il est interdit et on ne l'utilise plus depuis sept ou huit ans. Mais il est toujours utilisé sur les colliers de chats et de chiens. En termes de risque, pour les enfants qui caressent ces animaux, ce n'est pas cohérent. C'est la même chose pour les oiseaux et la préservation de la biodiversité pour lesquels il faut reconnaître qu'il y a eu des problèmes. Moi-même j'ai utilisé des colorants nitrés et il n'y avait plus de vers de terre. Je pense que nous avons maintenant des produits qui sont bien plus respectueux de la faune et de la flore. Toutefois, d'autres problèmes apparaissent, par exemple faire pousser des tournesols, car les oiseaux mangent la graine dans le sol et nous n'avons plus de produits répulsifs.
À propos des outre-mer, on a fait des progrès en réduisant de 35 % l'utilisation des pesticides sur les filières dans ces territoires. La diminution est différenciée selon les filières, elle est par exemple de 15 % pour les grandes cultures, mais c'est aussi la filière qui en utilise le moins.
En termes d'objectifs, il faut considérer qu'on veut passer de 30 000 agriculteurs à 300 000 mille. Je regrette que sur ce dossier on n'ait pas suivi vos propositions. Pour 30 000, il fallait un cadre général national, qui n'a pas été mis en place. Ce sont les agences qui gèrent ce niveau, les chambres ne peuvent alors qu'en faire la promotion. C'est donc parti dans tous les sens et on ne sera pas au rendez-vous, on avait 5 ans pour arriver à 30 000 mais on n'y sera pas. Je propose de développer des systèmes de réduction, avec des groupes qui s'engagent sur une thématique pour réduire les produits phytopharmaceutiques avec des solutions alternatives. C'est comme ça qu'on fera évoluer l'agriculture.
M. Patrick Dehaumont . - Sur le plan Ecophyto, on m'interrogeait sur le fait que les résultats soient contradictoires. En effet les résultats sont partagés. On a souvent relevé que les objectifs de réduction de l'usage des phytosanitaires n'avaient pas été atteints. Il y a malgré tout beaucoup de progrès qui ont été faits dans le cadre d'Ecophyto 1 et d'Ecophyto 2 tel que la protection des agriculteurs, le développement de la recherche, le traitement des DOM et les fermes DEPHY. Il y a donc beaucoup de points très positifs, avec également des actions de communication vers les professionnels. En combinant différentes actions, nous devons progresser sur les méthodes alternatives pour limiter l'usage des produits phytosanitaires.
Concernant les abeilles, il y a en effet une baisse des colonies et des populations. Le sujet est très compliqué et il est probable que les pesticides en général aient une responsabilité très importante. Mais c'est aussi dû aux pratiques des apiculteurs, et nous y travaillons avec l'ensemble des filières apicoles. Il y a des pathologies dans les ruches dûes à la conduite sanitaire des ruchers, des produits et des médicaments utilisés et les apports génétiques ont également des effets. Lorsqu'on importe des reines d'Asie, on peut introduire des pathologies ou lorsqu'on achète des cires qui ont été frelatées avec des paraffines, il y a un risque d'intoxication des abeilles. Il est compliqué de faire évoluer les modèles agricoles et certains modes d'élevage. On a mis en place un observatoire spécifique sur les mortalités d'abeilles car il y a les mortalités aiguës et les mortalités chroniques, beaucoup plus difficile à investiguer. Un travail est en cours avec l'Anses sur ce sujet pour revoir l'arrêté ministériel relatif à la protection des abeilles.
Sur la séparation de la vente et du conseil, c'est effectivement un point qui nous paraît essentiel pour mieux structurer le conseil stratégique annuel donné aux agriculteurs. Celui-ci doit être indépendant, pour proposer des solutions alternatives avec une appréhension globale et systémique de l'exploitation. Il y a ensuite les autres conseils de préconisation et de sécurité, qui n'ont pas à mon sens à être pris dans la séparation de la vente et du conseil.
Le modèle technique doit être construit et il faut des méthodes alternatives pour appréhender et conseiller les exploitants. Il y a actuellement des conseillers dans les chambres d'agriculture, ainsi que des conseillers indépendants, ils ne sont pas uniquement dans les négoces agricoles et dans les coopératives. Il va falloir quelques années pour que ces conseillers aient la formation, les méthodes, la reconnaissance et soient indépendants de l'activité de vente. L'idée est bien qu'il y ait une séparation capitalistique entre les vendeurs et les conseillers pour limiter cette influence.
Mme Karine Brulé. - La mobilisation des aides dans les territoires est structurée. Les agences de l'eau n'interviennent pas de manière indépendante mais dans le cadre des feuilles de route régionales, puisqu'une circulaire du 1 er janvier 2016 demande aux services de l'État, avec les parties prenantes, de rédiger des feuilles de routes régionales pour décliner dans les territoires les grands enjeux nationaux. Les territoires sont tous différents et la solution ne peut être la même dans le vignoble du sud et dans celui du nord, dans la culture du maïs ensilage de l'ouest ou dans la culture des pommes de terre des Haut-de-France. Afin d'apporter une solution adaptée aux territoires, on a donc demandé aux agences de l'eau de mobiliser des crédits pour les feuilles de route régionales. Mais celles-ci ne sont pas encore à la hauteur des enjeux.
M. Mauguin a parlé tout à l'heure de rupture technologique. Nous sommes effectivement à un moment de rupture. Les feuilles de route régionales ont été écrites avec les parties prenantes, qu'ils soient professionnels, consommateurs ou représentants des administrations. Grâce à l'augmentation de la redevance pour pollutions diffusées, les agences de l'eau ont pu mobiliser 30 millions supplémentaires. Elles ont mis en oeuvre 20 millions d'euros sur ces 30 millions, ce qui a engendré des déceptions.
On est maintenant dans ce moment de rupture des dynamiques territoriales. Les territoires sont extrêmement innovants, ainsi que les agriculteurs. Il faut que les retours d'expérience soient valorisés. Comme je l'ai dit en introduction, les sciences humaines et sociales nous montrent à quel point le changement est difficile, notamment à cause du regard de l'autre. Vous le savez, lorsqu'un agriculteur laisse quelques plantes adventices dans ses champs, tout le village est au courant qu'il a raté son passage herbicide. Il faut que ce regard change, c'est pour cela que le regard entre pairs est essentiel.
M. Benoît Huré . - La rupture brutale n'est pas possible si on est le seul pays à la mettre en oeuvre, car les conséquences sont trop fortes. Je mets en perspective les problèmes d'alimentation et de baisse brutale de production. Il faut travailler progressivement, le paysan est quelqu'un qui travaille avec la patience de la vie, de la nature et des saisons. Avant de récolter le blé, il faut le semer et le soigner jusqu'à la récolte. Une rupture brutale n'est donc possible qu'à la condition qu'elle s'applique à tous les pays producteurs, mais faisons attention au problème de la famine.
M. Karine Brulé. - Pour que mes propos ne soient pas ambigus, je précise que j'ai parlé de rupture brutale dans l'accompagnement du monde agricole. Le projet est bien de progresser ensemble, il y a une responsabilité des collectivités territoriales, et le projet de loi sur l'agriculture et l'alimentation prévoit des dispositifs pour acheter ces productions de meilleure qualité et moins impactantes sur l'environnement.
Certains d'entre vous ont parlé de ce problème de leadership. Je pense que la France a les capacités en recherche, innovation et développement, et les forces territoriales lui permettant d'être le leader de la résilience. Cela me permet de répondre à la question relative au bassin Adour-Garonne : il est effectivement dans une impasse en matière d'eau. Il y a un déficit d'un milliard de mètres cubes. Comme pour les produits phytopharmaceutiques ou l'énergie, il faut avoir recours à un mixte de réponses en matière d'eau, et les retenues sont une des solutions disponibles.
M. Philippe Mauguin . - Concernant le glyphosate, l'Inra n'est pas en charge de l'expertise sur le caractère cancérigène, c'est donc M. Genet qui répondra sur cette question.
Les nouvelles biotechnologies présentent effectivement beaucoup d'intérêt dans un certain nombre de cas. Je ne pense pas que l'on puisse dire que c'est l'arme absolue, mais c'est un outil intéressant, et nos chercheurs à l'INRA mobilisent ces techniques. La recherche française n'est pas en retard sur ce point. La précision et la rapidité de l'insertion peuvent être très utiles et efficaces quand on a beaucoup de caractères à faire évoluer en même temps. Je prends l'exemple d'une plante qui a beaucoup de ravageurs et pour lesquels on pourrait mobiliser des gènes de résistance. Le faire par des techniques traditionnelles d'hybridation est possible, mais prendra du temps. La question qu'il faudra se poser lors des débats entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre sera celle du temps : au lieu de prendre 15 ou 20 ans pour introduire des résistances dans une plante, accepte-t-on d'utiliser ces techniques ? Pour le moment on est dans l'attente d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, qui aura probablement un impact sur la sur le cadre réglementaire européen applicable à l'utilisation de ces techniques.
À propos de la question des suivis post AMM, nous y contribuons. Mais on ne réglera pas tous les problèmes dans le cadre de l'évaluation, un rapport sénatorial l'a démontré.
Sur la question de la reconversion des systèmes, plus précisément la différence entre une innovation incrémentale et une innovation de rupture en agriculture, je fais la distinction suivante. Quand on a des pulvérisateurs plus précis, il s'agit d'innovation incrémentale, moyennant l'acquisition de nouveau matériel. Mais ce sont les innovations de rupture qui nous permettront de baisser au-delà de 50 % l'utilisation de phytosanitaires. Didier Marteau a déjà mentionné des exemples intéressants en disant qu'il n'était pas usuel de semer en même temps du colza et de la féverole. Dire aux agriculteurs que l'on va utiliser le sol toute l'année et que l'on va mélanger les cultures va à l'encontre de ce qu'on leur a appris. C'est ce que j'appelle de l'innovation de rupture. Il faut le faire à l'échelle du terrain, et non pas dans les laboratoires. Nous travaillons avec nos unités de l'Inra dans des conditions réelles, en tenant des comptes d'exploitation. Un certain nombre d'unités de production sont dans ces logiques de re-conception et vont vers le bio, et parfois plus loin avec des approches très innovantes. Il faut qu'on partage ces expérimentations avec les agriculteurs qui sont les plus motivés et les plus engagés pour que les changements se fassent progressivement. C'est ce qui prendra du temps.
Sur la question d'un GIEC des produits phytopharmaceutiques ou de l'agriculture, c'est une question qui a déjà été évoquée. Ça n'est pas le sujet de préoccupation majeure et c'est encore à l'état d'interrogation. Par ailleurs, j'ai récemment accompagné une délégation gouvernementale en Chine pour conclure des accords, car les Chinois font des investissements considérables en recherche agronomique depuis une dizaine d'années. Nous coopérons avec eux et nous allons probablement conclure à l'automne la création d'un laboratoire international associant l'Inra sur la culture du riz, qui nous intéressera également pour le blé. Nous avons également signé des accords avec l'Inde. S'agissant de l'Allemagne, nous n'avons pas fait d'accords plus tôt car l'Allemagne a beaucoup d'instituts, et l'organisation de sa recherche est très éclatée : dans l'agriculture nous avons plus de dix interlocuteurs. Nous sommes donc en train d'essayer de les regrouper pour avoir un projet commun.
Sur la question des coformulants posée par le sénateur Gontard : à propos du glyphosate, la tallowamine est un coformulant génotoxique, qui a conduit au retrait de plusieurs AMM.
Concernant les remarques de Mme Préville sur l'importance de la micro-biodiversité des sols : nous avons, au cours du G20, décidé de mettre en place un réseau international de recherche sur la micro-biodiversité des sols. Nous avons obtenu un accord qui sera piloté par l'Inra au niveau mondial.
À propos de la question d'un contrat entre l'INRA et les pouvoir public sur un grand programme de recherche sur le biocontrôle, nous sommes prêts de notre côté. Nous avons fait des propositions à notre tutelle avec l'ensemble des acteurs du consortium. Je pense qu'il y a un bel enjeu pour que la France soit le leader européen et peut-être mondial du biocontrôle.
M. Ronan Dantec . - Nous avons beaucoup parlé des changements de pratiques, mais très peu des enjeux territoriaux. Comment se fait-il que l'on n'ait pas, comme en Allemagne, identifié des territoires qui devraient être en zone bio ? Face à un tel morcellement, pourquoi ne met-on pas en place dans un premier temps des territoires de projet ? Je trouve que cette approche territoriale est absente du débat.
M. Roger Genet . - Nous avons besoin d'avoir des solutions intégrées, pour réduire les facteurs de risque. Pour tous les risques, nous nous plaçons dans une logique dite « ALARA », c'est-à-dire, aussi bas que raisonnablement possible. On est face à l'utilisation de substances chimiques, biologiquement actives, donc l'objectif est de les utiliser de façon à ce que l'impact soit aussi bas que raisonnablement possible, sur la base des connaissances dont nous disposons. Ce principe qui prévaut partout doit être appliqué et nous avons absolument besoin d'un engagement très volontariste de tous les acteurs.
Mme Nicole Bonnefoy . - Ce que vous dites me fait penser aux effets « cocktail » : les évalue-t-on ?
M. Roger Genet . - Dans les lignes générales qui nous permettent d'évaluer les risques, nous prenons en compte un certain nombre d'approches « cocktail », mais avec plusieurs milliers de substances chimiques, il est impossible d'identifier le cocktail précis auquel vous êtes soumis dans tel ou tel environnement. Nous avons donc une approche réductionniste pour essayer de cerner ce risque. Nous ne sommes pas capables de vous donner une approche précise des expositions aux très faibles doses, et c'est pour cela que nous avons défini des limites maximales aux résidus, ou des doses sans effets, qui nous permettent de définir les zones au-delà desquelles il est possible d'avoir un risque supportable. Il n'y a cependant pas de risque zéro, c'est pourquoi nous parlons d'absence de risque inacceptable dans les évaluations. Nous faisons une évaluation de risque sur la base des connaissances scientifiques et nous définissons des valeurs de toxicologie de référence pour avoir une marge importante de sécurité, dans un domaine d'utilisation. Je pense que le premier principe doit être de diminuer les risques à la source. Cela revient à conserver une palette de substances biologiquement actives dont nous pouvons avoir besoin, y compris en matière de santé publique. En Guyane et aux Antilles, pour lutter contre le chikungunya ou la dengue, ont été utilisés de manière dérogatoire des insecticides qu'on ne s'autorise plus à utiliser aujourd'hui en tant que produits phytopharmaceutiques, mais il est important de garder ces substances dans la pharmacopée, pour éventuellement les utiliser dans des conditions très encadrées. Mais il faut en même temps faire baisser le facteur d'exposition globale.
Sur le glyphosate, le ministère de l'agriculture a demandé à l'Anses d'évaluer les substances présentant un caractère de danger important pour voir comment nous pouvons les éliminer plus vite. Il faut bien distinguer le danger intrinsèque des molécules cancérigènes ou reprotoxiques, et le risque lié à leur utilisation. Diminuer le risque consiste aussi à éliminer les substances les plus dangereuses dont on peut se passer, et réduire ensuite l'exposition globale dans l'utilisation de ces produits phytopharmaceutiques. La caractéristique des produits phytopharmaceutiques par rapport à d'autres, par exemple les colliers pour chiens et chats que vous avez mentionnés ou les applications biocides, est que ce sont des produits utilisés en très grande quantité et déversés dans l'environnement, qui vont ensuite migrer et affecter l'ensemble de la biodiversité. Contrairement à des substances utilisées en moins grandes quantité et utilisés dans des compartiments plus restreints.
Chaque produit est utilisé dans un cadre réglementaire précis. Il y a beaucoup de progrès à faire au niveau européen pour harmoniser la réglementation des produits, mais quand les autorisations sont données, c'est que, par rapport à leur utilisation et à l'exposition, il n'y a pas de risques inacceptables.
Mon message est donc qu'il faut arriver à avoir une démarche très volontariste et engageante pour réduire les quantités utilisées. Je reviens sur deux points du glyphosate : je ne crois pas qu'il y ait de cacophonie d'expression des agences européennes et communautés scientifiques au sujet de l'aspect cancérigène. Je pense qu'il peut y avoir des divergences d'appréciation entre certaines communautés scientifiques. Mais entre l'EFSA et l'Anses en particulier, nous avons de nombreuses collaborations. Nous publions plus de 2 000 autorisations chaque année, produit par produit, qui s'appuient sur les autorisations de substances données au niveau communautaires. Le nombre de sujets sur lesquels il peut y avoir des distorsions entre nos avis et ceux de l'EFSA sont extrêmement limités. Ils sont parfois malgré tout politisés et donc très visibles. Cela a été le cas sur le bisphénol, où l'agence a approfondi les recherches scientifiques car nous avions des doutes sérieux sur le caractère perturbateur endocrinien de ce produit. On voit aujourd'hui que la littérature scientifique a consolidé cette évaluation de l'Anses. Finalement, les États membres ont décidé à l'unanimité le retrait du bisphénol dans les tickets de caisse en juin 2017. Il est donc clair que des agences comme l'Anses doivent approfondir un certain nombre de questions que nous pouvons avoir sur la base du travail de nos comités d'experts. Il doit y avoir des débats entre les communautés scientifiques, c'est comme cela que la science progresse. Mais lorsque les controverses scientifiques sont politisées et deviennent un débat dans l'agora , cela représente une difficulté pour les scientifiques.
Nous avons aujourd'hui une différence d'appréciation avec le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) sur le classement du glyphosate. Cependant, avec l'ensemble des éléments dont nous disposons, nous avons suffisamment d'arguments pour lever l'incertitude et estimer que le caractère cancérigène probable avancé par le CIRC n'est pas fondé. Nous continuerons les discussions au niveau scientifique. Nous sommes saisis par les ministères de l'agriculture et de l'environnement pour établir un cahier des charges afin de mener des études complémentaires et lever l'incertitude qui reste sur la toxicité du glyphosate. Nous produirons ce cahier des charges pour l'automne et nous en discutons avec l'EFSA et le CIRC.
La problématique du glyphosate est également liée à la quantité : 9 000 tonnes par an, dont 7 000 tonnes pour les usages agricoles, sur un total de 60 000 tonnes de produits phytosanitaires utilisés. Ce sont aussi des concentrations très importantes déversées dans l'environnement, dont nous ne pouvons pas garantir à très long terme l'innocuité dans les milieux.
L'Anses est également saisie sur les dossiers de maladies professionnelles pour le comité d'orientation des conditions de travail. Notre rôle est renforcé depuis plusieurs mois sur ce dossier-là, où nous évaluons les risques. Deux maladies professionnelles ont été reconnues, liées aux pesticides : la maladie de parkinson et lymphome non hodgkinien. Le nombre de cas est cependant très faible : une dizaine par an. Il y a des questions qui peuvent être liées à l'exposition des travailleurs agricoles à des produits qui ont été autorisés mais dont les connaissances scientifiques ont permis aujourd'hui de les retirer du marché. Il y a évidemment des expositions qui ont provoqué des maladies professionnelles et qui nécessitent une prise en charge adaptée et une indemnisation. Nous continuons par ailleurs nos études pour mieux caractériser les liens de causalité, ce qui reste la plus grande difficulté, car il s'agit de faire le lien entre des expositions qui ont eu lieu pendant la vie professionnelle, et des maladies qui se déclarent des dizaines d'années plus tard.
J'insiste enfin sur le dialogue. Nous parlons de questions qui ont été politisées et qui sont devenues des enjeux forts de société. L'agence a absolument besoin de créer une relation de confiance entre tous les acteurs de la société sur la façon dont ces risques sont évalués. Elle doit être fondée sur une totale transparence. L'agence a mis en place au début de l'année 2018 une plateforme de dialogue sur les produits phytopharmaceutiques et sur les missions de l'agence, qui réunit tous les acteurs du domaine : organisations professionnelles, producteurs de produits phytopharmaceutiques, associations de consommateurs et de défense de l'environnement. Je crois beaucoup à ce dialogue pour créer, non pas un consensus, mais une transparence et une confiance réciproque sur la façon dont l'évaluation des risques est conduite.
À propos des produits bio, nous menons des expérimentations et des enquêtes sur la qualité de l'alimentation telle qu'elle est consommée. Nous regardons quels sont les contaminants que l'on va retrouver dans l'alimentation, quelle que soit leur source. Nous n'avons pas encore différencié les aliments bio et non bio mais nous sommes en discussion avec l'agence bio pour ultérieurement avoir des études qui se concentrent sur cette production, qui nous permettront d'avoir une idée plus précise du risque éventuel, et d'identifier des types de contaminant par rapport à l'alimentation totale. Mais aujourd'hui nous n'avons pas d'éléments qui nous permettent de différencier la qualité du bio par rapport au reste de l'alimentation.
M. Roger Genet. - S'agissant de la question de M. Gontard, je rappelle qu'une substance active est homologuée au niveau européen sur la base de l'évaluation de la substance en tant que telle et d'une formulation de référence, c'est-à-dire un produit qui contient des coformulants. Au niveau des États membres, nous évaluons la formulation de chaque préparation. Cette formulation est effectivement couverte par le secret industriel et commercial, pour que des concurrents du demandeur ne puissent pas la reproduire, et n'est donc pas forcément rendue publique. Mais tous ces éléments nous sont communiqués et nous les prenons en compte dans notre évaluation des risques de chaque produit. Et en France, nous n'autorisons jamais un produit dont les coformulants auraient un niveau de danger supérieur à la substance active. En juillet 2016 l'Anses a retiré 126 autorisations de mise sur le marché (AMM) pour des préparations contenant du glyphosate et la tallowamine comme coformulant, en raison d'informations nouvelles sur le caractère reprotoxique de la tallowamine, même si elle n'est pas aujourd'hui classée comme cancérigène ou reprotoxique. Les éléments nouveaux étaient toutefois suffisants pour que nous retirions ces AMM.
M. Patrick Dehaumont. - Les règles sanitaires sur les produits bio sont les mêmes que pour les autres produits. Ce sont les cahiers des charges de la production qui diffèrent. Il y a des produits phytopharmaceutiques utilisés en production bio, comme le cuivre, et qui peuvent d'ailleurs poser des questions sanitaires. En fonction de l'avancée des connaissances, notamment sur les effets « cocktail », il y aura peut-être des mesures spécifiques à prendre mais le principe est que le niveau d'exigence sanitaire est le même.
M. Philippe Mauguin. - La formation est effectivement un enjeu important pour toucher les agriculteurs, aussi bien en termes de formation initiale que continue. L'Inra a contribué à l'élaboration de MOOC ( massive open online course ) sur l'agro-écologie dans le cadre d'Agreenium, ce qui permet d'assurer une formation à distance, qui est d'ailleurs assez utilisée. Nous travaillons également avec l'enseignement supérieur et l'enseignement technique, en liaison avec les lycées agricoles. Il s'agit bien sûr d'une question importante pour l'avenir.
M. Didier Marteau. - Le projet de loi propose une séparation entre le conseil et la vente, ainsi que le développement d'un conseil annuel. Les chambres d'agriculture y sont plutôt favorables même si elles voient cette question sous un angle un peu différent de celui retenu par le texte du Gouvernement. Le conseil sur les produits phytopharmaceutiques n'a pas à avoir lieu le jour J de l'utilisation, ni même de manière annuelle. C'est bien un conseil global et technique, une fois tous les cinq ou trois ans, avec un suivi régulier, qui serait utile. Il faut éviter un conseil trop régulier qui serait cher pour les agriculteurs et dépourvu de portée.
M. Didier Mandelli , président . - Je remercie l'ensemble de nos interlocuteurs pour la qualité de leurs réponses. Nos nombreuses questions sur ces sujets témoignent de l'intérêt que porte notre commission sur ces sujets et reflètent aussi les préoccupations de nos concitoyens, sur ces questions agricoles, sanitaires et environnementales.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .